Diaspora juive

De la Rouelle à l’expulsion, les juifs sous les capétiens

Philippe le Hardi instaure la ségrégation des juifs et son fils les dépouille avant de proclamer leur expulsion

Philippe III, dit « Philippe le Hardi », né le 1er mai 1245 à Poissy et décédé le 5 octobre 1285 à Perpignan, fut roi de France de 1270 à 1285, le dixième de la dynastie dite des Capétiens directs. Il était le fils de Louis IX (1214-1270), dit « Saint Louis », roi de France, et de Marguerite de provence (1221-1295).

Cadet de famille, le prince Philippe n’était pas destiné à régner sur un royaume. C’est à la mort de son frère aîné Louis en 1260 qu’il devient le prince héritier. Il a alors quinze ans et présente beaucoup moins d’aptitudes que son frère, étant de caractère doux, soumis, timide et versatile, presque écrasé par les fortes personnalités de ses parents.

Sa mère Marguerite lui fait promettre de rester sous sa tutelle jusqu’à l’âge de trente ans, mais son père le roi Saint Louis fait casser le serment par le pape, préférant bonifier son fils par une éducation sans faille. C’est ainsi que le pape Urbain IV relève Philippe de son serment le 6 juin 1263. À cet effet, il lui adjoint à partir de 1268 pour mentor Pierre de La Brosse. Saint Louis se charge en outre de lui prodiguer ses propres conseils, rédigeant en particulier ses Enseignements, qui inculquent avant tout la notion de justice comme premier devoir de roi. Il reçut également une éducation très tournée vers la foi. Guillaume d’Ercuis était en outre son aumônier, avant d’être le précepteur de son fils, le futur roi Philippe IV.

MARQUER LA DIFFÉRENCE : L’IMPOSITION DE LA ROUELLE

À partir de 1269, les juifs du royaume de France sont astreints au port d’une marque vestimentaire, imposée en Occident par l’Église depuis 1215. La forme ronde de la rota ou roella adoptée par les rois de France, et sa couleur, jaune dans un premier temps puis bichrome — rouge et jaune —, traduitent le caractère infamant de cet insigne, qui accentue la volonté de ségrégation physique des juifs en terre chrétienne aux XIIIe et XIVe siècles.

A partir de 1269, les Juifs du royaume de France sont obligés de porter un signe distinctif, un insigne imposé par l’Eglise d’Occident depuis 1215.

Un avènement dans la douleur

Dans la mouvance du traité de Corbeil, conclu le 11 mars 1258 entre Jacques 1er d’Aragon et son père, Philippe fut marié en 1262 à Isabelle d’Aragon à Clermont par l’archevêque de Rouen Eudes Rigaud. Il en eut quatre garçons : Louis (1264-1276), Philippe, Robert (1269-av. 1276) et Charles (ainsi qu’un fils mort-né fin janvier 1271). En 1270, il accompagne son père à la huitième croisade, à Tunis. Peu avant son départ, Saint Louis avait remis la régence du royaume entre les mains de Mathieu de Vendôme et Simon II de Clermont-Nesle, comte de Clermont, auxquels il avait en outre confié le sceau royal.

Après la prise de Carthage, l’armée est frappée par une épidémie de dysentrie, qui n’épargne ni Philippe, ni sa famille. Son frère Jean-Tristan meurt le premier le 3 août, puis, le 25, vers 15 heures, le roi Louis succombe à son tour. Pour empêcher la putréfaction de la dépouille du souverain, on a recours au mos Teutonicus (consiste à séparer les os de la chair du cadavre, cette technique hygiénique permet ainsi pour les grands seigneurs et prélats mourant loin de leur communauté de rapatrier leurs os avant que leur corps ne soit putréfié).

Philippe est donc proclamé roi sous le nom de « Philippe III » à Tunis.

Sans grande personnalité ni volonté, très pieux, mais bon cavalier, il doit davantage son surnom de « Hardi » à sa vaillance au combat qu’à sa force de caractère. Il se révèle incapable de commander aux troupes, affecté qu’il est de la mort de son père. Il laisse son oncle Charles Ier d’Anjou négocier avec Abû Abd Allah Muhammad al-Mustansir, sultan hasside de Tunis, et conclure une trêve de dix ans qui lui permet de revenir en France. Ce dernier obtient le versement d’un tribut du calife de Tunis en échange du départ des croisés. Un traité fut conclu le 28 octobre 1270 entre les rois de France, se Sicile, de Navarre et leurs barons d’une part ; le calife de Tunis de l’autre.

D’autres morts endeuillent encore cette débâcle. En décembre, à Trapani, en Sicile, le beau-frère de Philippe, le roi de Navarre Thibaut de Champagne trouve la mort. Il est rapidement suivi dans la tombe par son épouse Isabelle de France, la soeur de Philippe. Enfin, un mois plus tard, en Calabre, l’épouse du souverain, Isabelle d’Aragon, alors enceinte de son cinquième enfant, fait une malheureuse chute de cheval. Elle se brise la colonne vertébrale, fait une fausse-couche et meurt dans d’affreuses douleurs à Cosenza.

Philippe III arrive à Paris le 21 mai 1271, et rend avant tout hommage aux victimes, qui furent bien sûr nombreuses aussi parmi les soldats. Dès le lendemain ont lieu les funérailles de son père. Le nouveau souverain est sacré roi de France à Reims le 15 août 1271.

Un règne charnière

L’avènement de Philippe III s’accompagne rapidement d’un bouleversement dans le paysage politique : la mort du roi d’Angleterre Henri III et la fin d’une vacance du trône impérial longue de 19 ans. En outre, la préoccupation de l’Europe n’est plus aux croisades. Ainsi, alors que celles-ci avaient été des composantes majeures du règne de son père, le sien sera surtout marqué par des conflits territoriaux, des contestations d’héritages et des guerres de vassalité, phénomène qui va encore s’accentuer pendant le règne de son fils.

Conservant la plupart des conseillers de son père, ainsi que Eustache de Beaumarchès, sénéchal de Poitou, de Toulouse et d’Auvergne, Philippe III a pour grand chambellan Pierre de La Brosse qu’il fait pendre en 1278.

Politique intérieure

Par des héritages, annexions, achats, unions, et guerres, Philippe III s’attache sans cesse à agrandir le domaine royal et y affermir son autorité.

En 1271-1272, il opère sa première transaction territoriale en incorporant au domaine royal l’héritage de son oncle Alphonse de Poiiters : le comté de Toulouse, le Poitou et une partie de l’Auvergne. Par le traité d’Amiens en 1279, il est cependant contraint de céder l’Agenais, la Saintonge et le Ponthieu au roi d’Angleterre Édouard Ier. Il hérite également du comté du Perche et du comté d’Alençon de son frère Pierre décédé en 1283.

Il a l’occasion de faire ses premiers faits d’armes personnels en 1272, quand il convoque l’ost royal contre les comtes de Foix et d’Armagnac qui lui contestent son pouvoir. Armagnac se rend, et Foix, battu, est emprisonné. Il lui restitue cependant ses terres en 1277. Il achète également les comtés de Nemours et Chartres en 1274 et 1284. Il acquiert aussi diverses villes, telles Harfleur et Montmorillon. Il retire également au roi de Majorque l’autorité sur Montpellier. En revanche, il cède au pape Grégoire X le comtat Venaissin en 1274.

Il mène une politique matrimoniale efficace, étant l’instigateur du mariage de sa cousine Mahaut d’Artois avec le comte Othon IV de Bourgogne, préparant ainsi le rapprochement de cette région, terre impériale (l’actuelle Franche-Comté), avec le royaume. Il intervient aussi en Navarre après la mort d’Henri Ier de Navarre qui laisse une fille Jeanne sous la tutelle de sa mère Blanche d’Artois et de Ferdinand de la Cerda. Blanche d’Artois fiance Jeanne au fils de Philippe, le futur Philippe le Bel. La Champagne et la Navarre sont administrées par les Français de par le traité d’Orléans de 1275, et la Champagne est définitivement rattachée au domaine en 1314. Le mariage a finalement lieu en 1284.

Du point de vue des institutions, Philippe III introduit plusieurs nouveautés.

  • Il fixe la majorité des rois de France à quatorze ans. Il affermit la justice royale au détriment des justices seigneuriales, instituant un tribunal royal dans chaque bailliage ou sénéchaussée.
  • Il frappe d’amendes les nobles ne répondant pas à la convocation à l’ost royal.
  • Il crée un impôt sur les transmissions de fiefs.
  • Enfin, il institutionnalise la ségrégation envers les juifs.

De la Rouelle à l’expulsion

Présents dans la Gaule romaine, les juifs vivent dans les bonnes villes, les bourgs et les villages, surtout dans l’Île-de-France, en Champagne, en Normandie, dans les pays de la Loire et le Bas-Languedoc.

Ils tirent leur subsistance de la culture de champs et de vignobles, d’artisanat, de commerce et de -crédit. Ils versent aux seigneurs et au roi cens, tailles et dons. En 1301, leur apport au revenu royal atteint 10 273 livres.

Distincts de ceux de la langue d’oïl voués au commentaire de la Bible et du Talmud, les juifs de la langue d’oc s’adonnent aux sciences, à la médecine, à la philosophie, à la poésie sacrée et profane.



Durant le XIIIe siècle, l’impact des conciles sur les Capétiens avait dégradé leur statut, leur interdisant l’exercice des fonctions publiques et l’emploi de domestiques chrétiens.

Depuis 1269, ils portent sur leur vêtement la rouelle.

Au printemps 1306, les clercs du roi Philippe le Bel, fils du Hardi, dépêchent en secret des instructions verbales à des commissaires ad hoc validées par des lettres royales rendues le 21 juin 1306 en faveur de Jean de Saint Just, chantre d’Albi, et de Guillaume de Nogaret.

Le vendredi 22 juillet, au lendemain du jeûne qu’observent les juifs au jour anniversaire de la destruction du Temple de Jérusalem, les sergents du roi incarcèrent leurs familles et saisissent leurs biens, registres, effets jusqu’aux Ketoubot ou « chartes nuptiales » de leurs épouses.

On leur signifie ensuite leur bannissement sous peine de mort.

Les sources hébraïques – Abba Mari Moïse de Lunel, Menahem b. Zerah, Isaac de Lattes, Kalonymos d’Arles, Yedaya de Béziers, Matityabu ha-Yizhari de Narbonne, Gersonide de Bagnols-sur-Cèze, Baruch b. Isaac de Corbeil, Aaron ha-Cohen de Narbonne, En Duran de Lunel – égrènent les malheurs des expulsés et leur nostalgie de la patrie perdue. Jean de Saint-Victor résume :

« En cette même année, en août et en septembre, tous les juifs, sinon quelques-uns qui voulurent se faire baptiser, furent expulsés du royaume ; le roi s’appropria leurs biens et les fit collecter par ses officiers, à l’exception d’une somme d’argent laissée à chaque juif pour payer son départ du royaume ; nombre d’entre eux moururent en chemin d’épuisement et de détresse. »


Les commissaires préposés « à la besogne des juifs » procèdent plusieurs années durant à l’inventaire et à la vente à l’encan des terres, des vignes, ouvroirs et demeures des juifs au profit du roi. Ainsi adjuge-t-on pour 200 livres leur cimetière à Mantes-la-Jolie (stèles au musée de l’hôtel-Dieu) et pour 140 livres leur escole petite d’Orléans.

Le roi gratifie son charretier d’une synagogue de la rue de l’Attacherie et les religieuses de Saint-Louis de Poissy du cimetière des juifs à Paris.

Il recouvre à son profit les créances juives rappelant au besoin pour un temps certains créanciers en leur promettant un cinquième des sommes récupérées avec leur aide. Au gain en numéraire – 40 775 livres pour la seule sénéchaussée de Toulouse au 3 décembre 1307 – s’ajoute une embellie monétaire, la réévaluation de la monnaie décrétée grâce aux fonds entrés au Trésor du Louvre du fait des spoliations. Les historiens Robert Chazan et William Chester Jordan estiment le total de la recette entre 200 000 et 1 000 000 de livres.

Pourquoi Philippe le Bel expulse-t-il les juifs, se privant ainsi du revenu régulier de leurs impositions? Pense-t-il satisfaire une opinion publique hostile aux juifs? Souhaite-t-il parfaire l’unité religieuse du royaume? Entend-il revenir à la bonne monnaie de saint Louis?

Vraisemblablement à court de liquidités au lendemain de la guerre en Flandre, ses clercs ont pris la mesure de l’impossibilité d’augmenter le revenu régulier tiré des juifs. Un seul recours : saisir capital et patrimoine immobilier sans lequel les juifs ne peuvent subsister, spécialement dans le midi où ce patrimoine, plus visible, ressortit de la mouvance de seigneuries.


Dépouillés, les juifs perdent toute utilité et leur expulsion permise par saint Thomas d’Aquin dans son Épître à la duchesse de Brabant fournit la solution logique.


Expédient lucratif, l’expulsion ampute la population de la composante juive qui avait contribué à la pénétration de la Bible, par l’œuvre de Rashi, des Tossafistes et de savants rabbins écrivant en hébreu – deuxième langue savante de l’Occident – à façonner la physionomie culturelle de la France.

Arrachés à leur terroir, les exilés gagnent la Catalogne, l’Aragon, la Navarre, la Bourgogne, la Savoie, les principautés italiennes et allemandes, voire la Croatie et la Terre sainte.

Certains prennent pour nom celui de leur ville -d’origine, Bedersi (de Béziers), Narboni, Segré, voire du pays Sarfati (français) mais, sauf exceptions locales en Italie, ne constituent pas une diaspora spécifique.

Du foyer par excellence du savoir juif médiéval désormais perdu, des bribes de langage, des termes français transcrits en caractères hébraïques dans les manuscrits bibliques et talmudiques passeront sous d’autres cieux et pour l’éternité dans la littérature sacrée des juifs.

Dans le royaume même, des lieux-dits ruraux et urbains, des rues et places gardent le souvenir des juifs, tandis que leurs monuments aliénés -sombrent dans l’oubli malgré la « denonciatio » des chroniques de Saint-Denis, de Saint-Martial, de Jean de Saint-Victor, de Guillaume de Nangis, voire même du rappel des juifs par Louis X inscrit dans une ordonnance des 18 mai et 28 juin 1315 et rendue « de commune clamour du peuple ».

En 1285, quelques habitants de la Bisbal, en Catalogne, profitant de la présence de Philippe le Hardi dans la ville de Girone, obligèrent les juifs à leur donner quittance de leurs dettes, moyennant le paiement d’une faible partie des sommes dont ils étaient débiteurs.

Ces quittances abusives furent révoquées après la retraite de l’armée française. Tel est l’objet du mandement que l’infant Alfonse, lieutenant du roi d’Aragon Pierre le Grand, adressa le 12 octobre 1285 à Bernard de Llivia, et dont le savant don Antonio de Bofarull vient de publier le texte dans le Boletin de la Real Academia de la historia (t. XIY, p. 469, mai 1889).


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