Diaspora juive

La Grenade des juifs

Histoire des juifs dans la ville de Grenade

C‘est au XIe siècle que la ville connaît sa période de splendeur, quand Samuel ha-Naguid et son fils Joseph dirigeait le royaume de Grenade. Dans le centre-ville, rue Pavaneras, les statues modernes de Yehuda ibn Tibbon, et du talmudiste et poète Samuel ibn Negrella, rappellent le passé juif de la ville.

Les juifs avaient formé un gros noyau de population en Andalousie dès les premiers temps de la présence musulmane. Les communautés juives dont l’implantation remontait à l’époque romaine manifestèrent leur loyalisme à l’égard de la dynastie umayyade. Ils ne subirent aucune persécution bien que l’orthodoxie mâlikite, peu suspecte de compréhension à l’égard des tributaires, fût devenue prépondérante.

Huit générations de juifs d’al-Andalus bénéficièrent de la tolérance des souverains umayyades et vécurent ainsi à l’abri du malheur. A Grenade les juifs étaient en si grand nombre au Xe siècle qu’un chroniqueur arabe avait pu dénommer la ville : la Grenade des juifs.

Au XIe siècle deux puissants vizirs juifs, les Banû Nagrâlla, jouèrent un rôle primordial dans la vie politique de la taifa ziride. Le fameux vizir et écrivain juif Samuel b. Nagrâlla, bon connaisseur du latin et du roman, fort versé en littérature arabe, brilla par ses qualités de styliste dans la correspondance officielle (E. Ashtor, 1979 : 56-1 16).

Au XIIe siècle les juifs de Grenade furent décimés par des massacres sous les Almohades.

Les sources musulmanes ne sont guère prolixes au sujet de la communauté juive du royaume nasride entre le XIIIe et le XVe siècle. Il est permis d’affirmer que dans les villes de quelque importance, les juifs étaient groupés dans des quartiers séparés de l’agglomération musulmane dont le tracé rappelait du reste celui de l’espace urbain musulman par le dédale de ses rues et de ses placettes.

Les chroniques arabes et hispano-hébraïques sont avares de détails en ce qui concerne l’organisation administrative des juifs ; elles ne font pas d’allusion à l’existence d’un chef du conseil de la communauté (nâguid), chargé de représenter ses coreligionnaires auprès du pouvoir musulman.

Nous savons toutefois grâce aux chroniques arabes que les juifs de l’émirat grenadin étaient soumis à des obligations vestimentaires et fiscales.

Dans l’Islam médiéval il n’était pas défendu aux juifs de s’enturbanner à condition de se conformer à la couleur prescrite. Ce n’est qu’à partir du XIIe siècle que l’adoption d’un costume spécial est attestée par l’historien Ibn Sacid. Dès son temps les juifs d’al-Andalus furent contraints de se coiffer d’une calotte jaune au lieu de turban et de se draper dans l’écharpe-ceinture dite zunnàr.


Au début du XIVe siècle le sultan de Grenade Ismâcil Ier obligea les juifs de son royaume à porter un signe distinctif dont la nature n’est pas précisée et un vêtement qui les différenciait des musulmans. Cette mesure, prise entre 1314 et 1325 afin d’astreindre les juifs à payer le tribut légal auquel ils étaient tenus, persista tout au long du XIVe siècle puisque sous le règne de Muhammad V, petit-fils d’Ismâcil Ier, les juifs d’al-Andalus portaient encore un insigne de couleur jaune.

Malgré cet interdit, ils bénéficièrent de la protection de Muhammad V au cours des luttes qui déchirèrent la Castille. Le sultan de Grenade épargna les juifs de Jaén au cours de son incursion frontalière en 1367 et après avoir semé la désolation dans la ville, il emmena en son royaume trois cents familles juives auxquelles il évita le sort de leurs coreligionnaires tombés aux mains d’Henri de Transtamare.

En 1391, les massacres de juifs à Seville déclenchèrent à travers l’Espagne chrétienne une vague de persécutions qui gagna la Castille et la Catalogne ainsi que les Baléares. Bon nombre de juifs purent se réfugier dans le territoire nasride.

Pour le XVe siècle les données n’abondent guère. Selon une chronique hébraïque, les juifs de Grenade décidèrent à la suite d’une émeute de renoncer aux vêtements de soie ; ils s’abstinrent également de monter à cheval.

Grâce à un document chrétien, immédiatement postérieur à la chute de Grenade, nous possédons des détails sur la tenue vestimentaire des juifs de la capitale dans les derniers jours de la dynastie nasride. Cet inventaire de biens meubles appartenant à des juifs atteste que l’interdiction traditionnelle ne fut pas prise à la lettre et que de nombreux juifs portaient, à l’imitation des musulmans, des robes et des toques de soie aux couleurs variées ; les femmes juives se paraient de colliers d’or et de boucles d’oreilles ornées de perles (J. Martinez Ruiz, 1977 : 358- 367).

Où étaient répartis les juifs ? En majeure partie dans la capitale et sur le littoral du royaume nasride mais il y avait aussi quelques familles disséminées à l’intérieur du pays.


A Grenade, les juifs étaient concentrés, jusqu’à leur expulsion par les Rois Catholiques en juillet 1492, dans la partie centrale du quartier d’Antequeruela, entre l’actuelle Puerta Real et les Tours Vermeilles. Sur ordre de Ferdinand d’Aragon, on démolit hjuderia de Grenade pour édifier sur cet emplacement un hôpital et une église consacrée à la Vierge dont les voûtes étaient déjà édifiées lorsque Jérôme Miinzer visita la ville en 1494.

Des juifs vivaient aussi dans d’autres quartiers de Grenade et surtout dans l’Albaicin. Les juifs étaient concentrés dans la Alpujarra jusqu’à Almeria où le Repartimiento mentionne l’existence d’une communauté juive (C. Segura Graino, 1982 : 23). A l’intérieur du pays, quelques familles juives vivaient à Baza. A Guadix les juifs étaient un peu plus nombreux. Une synagogue y existait encore à la fin du XVe siècle (C. Asenjo Sedano, 1977-1979 : 290-291). La communauté juive de Ronda fut sans doute de faible importance. A Malaga, la synagogue se trouvait entre les rues actuelles dite Granada et Alcazabilla18.

Quelques indications sur l’ordre de grandeur de la population juive dans le royaume nasride sont à relever. Jérôme Munzer affirmait en 1494 que 20 000 juifs avaient vécu dans la juderia de Grenade avant la chute de la ville. Ces données sont erronées. A cette date il n’y avait à Grenade que cent dix feux de juifs soit 550 personnes, comme le prouve un document retrouvé par Miguel Angel Ladero dans les archives de Simancas.

Nous calculons le nombre d’habitants selon la méthode exposée par Leopoldo Torres Balbâs, c’est-à-dire cinq personnes par feu. A Malaga, en 1487, 450 juifs des deux sexes furent emmenés en captivité par les Castillans, au rapport du chroniqueur Andrés Bernâldez (éd. 1953 : 632). A Vêlez Malaga, en 1487, lorsque les chrétiens pénétrèrent dans la ville, il ne restait parmi les juifs que 50 hommes ainsi que 5 veuves. A ces 605 personnes il convient d’ajouter quelques familles éparses à travers le reste de l’émirat grenadin ; nous inclinons donc à penser que le nombre total de juifs dans al-Andalus à la fin du XVe siècle s’élevait à mille cinq cents personnes environ, soit une faible proportion par rapport à la population musulmane du royaume.

Pour ce qui était de l’activité professionnelle, les juifs d’Espagne avaient de longue date brillé dans l’exercice de la médecine. Les cours de Castille et d’Aragon comptaient d’habiles médecins juifs. Sous les Umayyades de Cordoue, le médecin et diplomate juif Hasdày Ibn Saprût fut l’homme de confiance du calife Abd al-Rahmàn III. Au temps des Nasrides, sous Muhammad V, un eminent médecin juif, Ibrahim Ibn Zarzâr attira de nombreux disciples non sans exciter la jalousie du praticien de Grenade, Muhammad al-Saqûri. Sa réputation lui valut d’être appelé à la cour de Fès en 1358 pour y soigner le sultan marinide Abùclnân.


En 1359, à la suite du coup d’état qui entraîna l’exil de Muhammad V au Maroc, Ibn Zarzâr se réfugia à la cour de Pierre Ier de Castille qui le tint en grande estime (R. Arié, 1990 : 333). En 1465, le voyageur et marchand égyptien Abd al- Bâsit, de passage en Ifriqiya, y rencontra parmi les émigrés andalous le fameux médecin juif malaguène, Moseh b. Semu’el b. Yehûdah qui s’était sans doute réfugié chez les Hafsides. Isaac Hâmôn, membre d’une lignée de lettrés juifs de Grenade, jouissait d’un immense prestige auprès de la population musulmane.



L’acculturation des juifs du royaume de Grenade était poussée. Outre l’hébreu – langue liturgique et savante -, les juifs parlaient l’arabe et le roman. Dans Malaga reconquise par les Rois Catholiques en 1487, on vit sortir de la ville plusieurs femmes juives qui parlaient l’arabe (Bernâldez, éd. 1953 : 632). Tout comme leurs coreligionnaires de l’Espagne chrétienne, les juifs d’ al-Andalus furent amenés à jouer le rôle d’interprète.

Un certain Ysrael de Ronda servit de trujaman de aravigo au cours des négociations qui aboutirent à la capitulation de la ville en 1485 (J. de M. Carriazo, 1954 : 27). Le dernier sultan de Grenade, Boabdil, eut deux interprètes juifs, Ysaque Perdoniel et son gendre Yuda (M. Ladero Quesada, 1969 : 338).

L’activité économique des juifs du royaume nasride mérite d’être soulignée. Ils pratiquèrent souvent des métiers manuels : parmi les juifs de la Alpujarra se trouvaient des artisans de la soie et un orfèvre mentionnés par les documents castillans qui dénombrent les expulsés de l’année 1492 (M. Ladero Quesada, 1969 : 343-344).

Jacques Heers a mis en relief le rôle d’intermédiaire des juifs d’al-Andalus entre la population locale et les grands marchands génois qui trafiquaient dans le royaume de Grenade (1957 : 104). Gabriella Airaldi a retrouvé dans un registre génois de l’année 1452 la mention de plusieurs membres de la famille Lascar : Moïse, Juda, Yùsuf ainsi qu’ Isaac Abocar, Yûsuf Pordumil, Abraham Pocolat (1966 : 38, 40, 42, 44). Leurs relations d’affaires avec les Génois s’étendirent sur une dizaine d’années.

Le royaume de Grenade abrita au XVe siècle un intense foyer de culture juive. Un liturgiste de valeur, le malaguène Hayyim Ibn Asmelis se rendit à Alger dans la première moitié du XVe siècle pour y consulter le célèbre rabbin Simcon b. Semah b. Duran, d’origine majorquine dont les esponsa faisaient autorité.

Une figure brillante émerge au sein de la communauté juive de Grenade. A la fois rabbin, chroniqueur, auteur d’un lexique hébraïque, Se cadyâh Ibn Danan, écrivit des poèmes en langue arabe. Il rendit des consultations à la demande des notables de la communauté juive de Malaga. Son dernier responsum date de 1485. Réfugié au Maroc après la chute de Grenade, Se ‘adyâh mourut à Fès le 1 1 décembre 1492 (R. Arié, 1990 : 336 n. 2).


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