Histoire des peuples

L’exclusion des Juifs des pays arabes aux sources du conflit – 12

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Le combat pour la libération des Juifs de Syrie

par Roger Pinto

L’installation des Juifs en terre de Syrie remontait à la période du second Temple, il y a plus de 2000 ans. Cette présence juive s’est maintenue pendant des siècles sous les dominations hellénique, romane, byzantine et enfin arabe.

Avec la montée du Christianisme au IIIe et IVe siècle, la condition des Juifs empira et ils furent victimes des pires persécutions qui provoquèrent au VIIe siècle la révolte des Juifs d’Antioche, qui constituaient, d’après le livre de Maccabées, la communauté la plus importante de Syrie.

Au début du XVe siècle, les Juifs exilés d’Espagne vinrent rejoindre les communautés juives du Proche-Orient, et la communauté juive de Syrie devient la plus nombreuse de la région.

En Syrie, comme dans tous les pays arabo-musulmans d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, les Juifs n’ont jamais été des citoyens à part entière.

Au mieux, ils étaient « protégés » ou « dhimmis » dont la vie dépendait des caprices du souverain régnant. Ces Juifs ont connu des périodes de tranquillité et même des périodes de « lumières » mais toujours précédées et suivies de périodes de persécutions et de brimades qui menaient soit à l’exil soit à la mort.

Ces Juifs étaient astreints à un certain nombre de restrictions, notamment sur le plan vestimentaire. Vers le ixe siècle, une loi dite du calife Omar, décida le port de signes distinctifs réservés aux non-musulmans. Le turban jaune fut réservé aux Juifs, le bleu aux chrétiens et le rouge aux Samaritains. Au désir d’humiliation imposée aux « non-croyants », s’ajoutait celui de les isoler et de les mettre sous surveillance. C’est ainsi que les Juifs furent cantonnés dans les quartiers réservés, les Mellah, qui n’avaient rien à envier aux ghettos de sinistre mémoire.

La cohabitation avec les Arabes était ressentie par les Juifs comme une contrainte permanente.

Les Juifs vivaient dans les ténèbres de l’histoire, avec toutes les peurs et les angoisses, des sentiments constants de fragilité et de précarité. Soumis à l’arbitraire, ils savaient que la moindre étincelle pouvait provoquer l’explosion antijuive. Il faut reconnaître que la situation des Juifs dans les pays arabo-musulmans n’était pas comparable à la vie des Juifs en pays chrétiens. Mais dire que les Juifs étaient heureux en pays d’Islam n’est pas conforme à la réalité et à l’histoire des Juifs dans ces pays.

La grande leçon que nous avons tirée, hier comme aujourd’hui, c’est qu’aucun Juif ne pouvait ou ne peut vivre libre en pays musulman.

Un long calvaire

Derniers représentants d’une communauté millénaire au passé glorieux dont les traces remontaient à plus de vingt-cinq siècles et qui comptait encore 30 000 âmes en 1948, les 5 000 juifs restés en Syrie après 1948 ont vécu un long calvaire.

Dans la solitude et l’indifférence du monde ils ont subi jour après jour discriminations, vexations, traitements arbitraires, tortures physiques et morales qui ont fait d’eux des bouc émissaires permanents, une communauté-otage soumise à un « pogrome lent ».

La population juive de Syrie se répartissait de la façon suivante : environ 4 000 à Damas, 750 à Alep et 150 à Qamishli, dans le nord du pays. C’étaient essentiellement de petits commerçants et artisans travaillant dans des métiers traditionnels de l’or, de l’argent et du cuivre. La communauté de Damas ne comptait que quelques médecins, pharmaciens, dentistes et avocats exerçant leur profession.

Dans leur grande majorité, les familles juives vivaient dans des ghettos où sévissait la misère et dont l’entrée était interdite aux étrangers.

Elles y cohabitaient avec des réfugiés palestiniens qui s’étaient vu attribuer les logements vacants, et ces « voisins » leur rendaient l’existence intenable en multipliant insultes, provocations et voies de fait.

Des citoyens de deuxième zone traités en otages

Soumis de tout temps au statut discriminatoire de dhimmi selon la loi coranique, les Juifs de Syrie ont vu leur situation considérablement aggravée après 1948. Les conditions d’existence de ces Juifs furent une offense permanente à tous les principes de la Charte des Nations unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme pourtant signée par la Syrie.

Relevant de l’autorité des « Moukhabarat » (les services secrets syriens), ils étaient placés sous une surveillance inquisitoriale, à la merci d’arrestations et de perquisitions arbitraires, à leur domicile comme à la synagogue et vivant dans un constant climat de terreur. Ils étaient porteurs d’une carte d’identité où figurait le terme « Mousawi » (de confession mosaïque), c’est-à-dire la mention de leur appartenance religieuse, ce qui n’était pas le cas ni pour les chrétiens, ni pour les musulmans.

Les étudiants juifs candidats à l’Université étaient soumis à un numerus clausus, les disciplines scientifiques leur étaient presque totalement interdites.

En outre, les Juifs de Syrie étaient victimes de discriminations multiples dans leur vie professionnelle et devaient faire face à un étranglement économique officiel. S’ils avaient le droit d’acquérir des biens, il leur était par contre formellement interdit de les vendre. S’ils vendaient voitures ou biens immobiliers, ils devaient obligatoirement déposer le produit de cette vente à la Banque d’État qui ne leur rendait cet argent que pour acheter une autre voiture ou un autre bien immobilier.

Dans tous les cas, il s’agissait d’éviter que les Juifs ne disposent de liquidités suffisantes pour tenter de fuir.

Ils ne pouvaient accéder à des postes dans l’administration, le secteur nationalisé, l’armée, la police. Partout il était recommandé aux populations musulmanes de ne pas s’approvisionner dans les boutiques juives dont l’accès était d’ailleurs officiellement interdit de même aux fonctionnaires et au personnel militaire.

Les synagogues qui subsistaient étaient surveillées par les autorités qui prétendaient y voir des foyers de sédition. En 1971, trente personnes ont été arrêtées au sortir de la synagogue parce que le mot Israël avait été prononcé dans les prières.

Ces lieux de culte étaient en toute occasion la cible du vandalisme des foules musulmanes. Les écoles juives, deux à Damas et une à Alep, avaient obligatoirement à leur tête un directeur musulman qui multipliaient brimades et vexations.

Les mouvements des touristes étaient systématiquement surveillés lorsqu’ils se rendaient dans le quartier juif ou à la synagogue. Interrogés par des étrangers, les Juifs de Syrie ne pouvaient que louer les autorités et affirmer, en dépit de toutes les réalités, que la communauté juive n’avait pas à se plaindre, et ce d’autant qu’en général les entretiens se déroulaient en présence de fonctionnaires ou d’officiers du régime.

Les téléphones étaient sous écoute et le courrier censuré.

Seuls les jeunes gens les plus courageux qui avaient réussi à fuir la Syrie pouvaient enfin parler. Encore devaient-ils s’entourer de multiples précautions pour ne pas nuire à leurs familles demeurées sur place.

Interdiction de quitter le pays

L’interdiction de l’émigration juive était presque totale. À la suite d’interventions répétées, dont un appel personnel du président Carter, quatorze jeunes filles avaient été autorisées, en juillet 1977, à partir pour les États-Unis afin de s’y marier. On avait eu alors quelque espoir que le président Assad tiendrait la promesse faite en mai 1977 au président Carter de laisser d’autres juifs quitter la Syrie pour des raisons humanitaires, après étude des cas individuels.

Les autorités syriennes étaient demeurées sourdes aux demandes de réunion des familles déposées par certains des 25 000 Juifs d’origine syrienne installés aux États-Unis. On comptait plus de 400 jeunes juives dans l’impossibilité de trouver un mari car la plupart des jeunes hommes avaient fui la Syrie. Et ceux qui restaient ne souhaitaient pas fonder un foyer dans les circonstances présentes.

La discrimination fondamentale entre les Juifs et les autres citoyens syriens reposait sur le refus de leur accorder le droit de circuler librement à l’intérieur du pays et le droit de quitter le pays pour ceux qui le souhaitaient.

La montée de la violence, l’instabilité politique et économique avaient déterminé un nombre croissant de Syriens, chrétiens et musulmans, à s’expatrier.

Les Juifs étaient le seul groupe religieux auquel il était interdit d’émigrer.

Pour les non-Juifs, les restrictions à l’émigration ne touchaient que certaines catégories limitées, tels les jeunes gens à la veille du service militaire ou les médecins, scientifiques et ingénieurs formés par l’État et qui devaient dix ans de service en Syrie.

Lorsque quelques Juifs avaient obtenu passeport et visa de sortie pour de courts voyages à l’étranger pour affaires ou raison de santé, ils devaient déposer en garantie des sommes importantes, souvent plus de 6 000 dollars, et laisser en Syrie des parents proches, conjoint ou enfants, en assurance de leur retour.

On comprend que dans le climat de terreur dans lequel ils vivaient, et dans l’impossibilité absolue de quitter le pays légalement, certains juifs de Syrie tentaient des évasions désespérées, courant le terrible danger d’être massacrés par des gardes-frontières ou de croupir en prison.

Au prix de leur vie

Ceux qui tentaient de fuir étaient arrêtés, torturés, parfois abattus sur place.

On garde encore en mémoire la tragédie de ces quatre jeunes filles assassinées en 1974 alors qu’elles tentaient de passer la frontière. Les trois sœurs Zebah (Toni 22 ans, Laura 23 et Farah 24 ans) et leur amie Eva Saad, 18 ans, avaient quitté leur domicile de Damas à la fin du mois de février 1974. Elles voulaient tenter de gagner le Liban pour échapper à la vie lamentable et sans issue du ghetto. Quelques jours plus tard, les autorités syriennes remettaient leurs quatre cadavres, sans un mot d’explication, à la communauté juive de Damas, afin qu’elle procède aux funérailles.

Révoltés par ce crime atroce, les Juifs de Damas trouvèrent le courage de braver les autorités en allant tous ensemble manifester au cœur de la ville, laissant derrière eux un ghetto désert où tout était fermé.

Dans cette manifestation sans précédent, ils réclamèrent publiquement le droit de partir librement. Bien entendu, la manifestation fut réprimée par la force et suivie de nombreuses arrestations. Mais elle avait atteint au moins un objectif : l’attention du monde se porta sur ce qui se passait à Damas. L’opinion publique intervint. Elle réussit à briser le silence observé par la presse syrienne, et le 14 mars, le ministre de l’Intérieur devait reconnaître à la radio que les quatre jeunes filles avaient bien été assassinées.

Une tentative diabolique d’incriminer deux membres respectés de la communauté juive de Damas échoua devant l’indignation du monde libre. Froidement accusés de ces meurtres, ils durent finalement être libérés, sans procès, après avoir été odieusement torturés.

On compta par centaines les malheureux convoqués dans les bureaux des services de renseignement et sommés de révéler d’imaginaires contacts avec « l’ennemi ».

Battus, insultés, parfois emprisonnés pendant de longs mois, ils furent un jour relâchés sans même avoir vu un juge. Au printemps 1981, un Juif était assassiné et plusieurs femmes juives violées par des soldats au cours de perquisitions menées à Alep contre les Frères musulmans.

Terreur généralisée

Si tous les Syriens étaient soumis à l’arbitraire, les Juifs savaient, de par l’expérience amère du passé, qu’ils avaient des raisons particulières de se sentir encore plus menacés. C’est pourquoi il importait avant tout d’intensifier la pression humanitaire de l’opinion publique internationale pour qu’ils obtiennent le droit d’émigrer.

La Syrie était restée sourde à toutes les objurgations en vue d’améliorer la condition de « ses Juifs », se contentant de temps à autre de quelques mesures « cosmétiques » comme l’impression en bleu au lieu de rouge du mot Juif sur les cartes d’identité et refusant depuis 1948 de leur accorder effectivement le statut de citoyens égaux à tous les autres.

Ils devaient choisir leur destin et leur avenir. Ils devaient obtenir le droit d’émigrer proclamé par la Déclaration universelle des droits de l’homme signée par la Syrie. La cause des Juifs était une cause pour laquelle devaient s’engager tous les défenseurs des droits de l’Homme. Que de souffrances, que d’exactions, que de crimes, que de vies humaines irrémédiablement brisées avant que l’opinion publique ne réagisse.

L’expérience nous a démontré que les gouvernements arabes étaient sensibles à la pression internationale et qu’une action internationale à caractère humanitaire et apolitique était l’ultime espoir des malheureux Juifs du Proche-Orient, gardés en otages au sein de populations hostiles et forcés de vivre dans des conditions qui étaient une insulte permanente à la dignité humaine et à la conscience universelle.

L’attitude du gouvernement syrien était en totale contradiction avec les articles 13 et 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État, le droit de quitter tout pays, y compris le sien et d’y revenir, le droit, devant la persécution de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. »

Les juifs de Syrie, les droits de l’homme et l’état de droit

Il y a peu d’observateurs de la constitution syrienne qui n’aient été impressionnés par son caractère apparemment humanitaire, et par son respect apparent de l’état de droit. Le préambule de cette constitution affirme que : « La liberté est un droit sacré, et la démocratie populaire la formule idéale assurant aux citoyens l’exercice de leur liberté ».

La constitution proclame que « la souveraineté du droit est un principe fondamental de la société et de l’État » (article 25-2).

Elle « constitutionnalise » la protection des droits fondamentaux, tels que la liberté de culte (article 35), la liberté de réunion (article 39). Elle stipule en outre que tout citoyen est présumé innocent jusqu’au moment de son accusation par une décision légale définitive, et que personne ne peut être recherché ou arrêté sinon en accord avec la loi, que personne ne peut être soumis à la torture physique ou morale, ni traité de manière dégradante (article 28/1/2/3).

La Syrie n’a pas seulement constitutionnalisé le respect des droits fondamentaux, elle a de plus garanti leur protection en ratifiant la loi internationale des droits, c’est-à-dire à la fois, les accords internationaux sur les droits civils et politiques, les accords internationaux sur les droits économiques, sociaux et culturels.

Le paradoxe tragique de tout cela est que la loi syrienne, qui devait servir à la protection des droits, était devenue un instrument supplémentaire de répression étatique, et que les citoyens syriens – et plus particulièrement les Juifs de Syrie – qui faisaient confiance à la loi, voyaient leur fidélité rendue criminelle, les Juifs syriens qui croyaient aux principes de la constitution syrienne et aux engagements pris vis-à-vis du droit international, concernant notamment le droit d’émigrer, voyaient en fin de compte leurs droits niés, leur tentative d’exercice de ce droit considérée comme un motif de représailles punitives.

En fait, depuis l’arrivée au pouvoir de Hafez el-Assad en 1971 on avait assisté à la violation par la Syrie de ses propres lois, et des accords internationaux dont elle était partie prenante, comme notamment les accords internationaux sur les droits civils et politiques, lorsqu’il ne s’agit pas de la violation pure et simple des normes élémentaires du droit coutumier, comme le droit de quitter son pays, ou d’être protégé contre la torture et autres formes de traitement cruel, inhumain et dégradant.

Mais le gouvernement syrien répliquait que l’état d’urgence décrété par ordre militaire du 8 mars 1963 par le Conseil national du haut commandement révolutionnaire le dispensait de ses obligations envers la Constitution et envers les traités internationaux dont il était signataire.

Il en est résulté que la Syrie a été le lieu d’une atteinte constante et persistante aux droits de l’homme, dont la situation faite aux Juifs de Syrie constituait l’illustration la plus parfaite.

Cette violation des droits de l’homme perdure aujourd’hui avec Bachar el Assad à la tête du pays depuis la mort de son père.

Les violations des Droits de l’Homme ont eu des répercussions internationales. Car il faut bien comprendre qu’il ne s’agissait pas là uniquement des violations par la Syrie des droits de ses citoyens, ce qui, en soi, serait déjà suffisant pour protester, mais des violations des engagements pris vis-à-vis de la communauté internationale et des États-signataires d’accords internationaux, dont la Syrie était elle-même signataire.

L’internationalisation des droits de l’homme, comme le droit à l’émigration, a soumis ces droits à l’examen rigoureux de la communauté des nations, voire à des sanctions internationales.

Le destin des Juifs de Syrie n’était donc pas une « affaire intérieure », mais l’affaire du droit international des droits de l’homme – et était sous la responsabilité internationale.

La négation du droit à l’émigration

Le droit de partir était depuis longtemps considéré « fondamental », et le plus « crucial » des droits de l’homme. Il s’assimile au droit élémentaire à la liberté et à l’intégrité personnelle, voire au droit à la vie. Ce droit a fait l’objet de l’un des rapports les plus complets – et significatifs – émanant des Nations unies, le rapport de 115 pages du Juge José Ingles, qui traite de « l’étude de la discrimination en regard du droit de chacun à quitter tout pays, le sien y compris, et a y revenir ».

Ce droit est désormais virtuellement reconnu par tous les instruments légaux, internationaux et régionaux. Il est inscrit dans l’article 13-2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de plus en plus considérée comme source du droit coutumier international. Elle proclame que « chacun a le droit de quitter un pays, le sien y compris, et le droit d’y revenir ; il est inscrit dans l’article 12-2 de la convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui précise que « chaque individu a le droit de quitter un pays, le sien y compris, et d’y revenir ».

Des résolutions semblables figurent dans l’article n° 22 du protocole n° 4 de la convention européenne pour la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de 1963, dans l’article 12 (1) de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dans l’article 22 de la convention américaine pour les droits de l’homme.

De 1969 et dans l’acte final de la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (acte final d’Helsinki), qui englobe à la fois l’article 13 (2) de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et l’article 12-2 des accords internationaux.

La Syrie est signataire des accords internationaux sur les droits civils et politiques et de la convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Elle a approuvé l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme la considérant par ailleurs comme une source du droit international. La liberté d’émigrer faisant partie du droit international coutumier, on peut affirmer que la Syrie, en tant que membre de la communauté internationale, était astreinte à respecter ce droit, même si elle n’était signataire d’aucun traité sur la liberté d’émigrer.

La Syrie reconnaît non seulement l’existence de ce droit dans sa propre constitution, mais s’est engagée à le respecter, en tant qu’État signataire de tous les traités internationaux où figure ce droit. Par conséquent, la négation capricieuse et arbitraire par la Syrie, du droit des Syriens à partir, constituait une violation flagrante de ses propres engagements vis-à-vis des traités de droit internationaux, voire du traité de droit coutumier international.

La négation du droit à la réunion des familles

La négation du droit à l’émigration est particulièrement flagrante et abusive, lorsqu’elle implique également la négation du droit à la réunion des familles. Bien sûr, la constitution Syrienne reconnaît – et s’engage à protéger – la famille, en tant qu’unité de base de l’ordre social. Elle reconnaît, et s’engage tout autant à protéger, l’institution du mariage, et à tout faire pour éliminer les obstacles sociaux à sa réalisation.

La « constitutionnalité » des droits de la famille en Syrie est un accord avec le consensus international, sur l’importance donnée à la protection la plus large des droits de la famille, comme le stipulent les déclarations et traités internationaux, signés par la Syrie.

La Déclaration universelle des droits de l’homme (article 16 (3), et les accords internationaux sur les droits civils et politiques statuent de façon identique sur la famille, de la manière suivante : « La famille est l’unité naturelle fondamentale de la société. Elle a droit à la protection de l’État ».

La négation du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne humaine

La négation du droit à partir équivaut à la négation du droit à la liberté, voire du droit à la vie. Cette négation, par rapport à la condition des Juifs de Syrie, s’assimilait à la négation des libertés fondamentales.

La condition réservée aux Juifs de Syrie était une atteinte à la dignité humaine, à l’humanité, puisque partout où ils se trouvaient, les Juifs de Syrie étaient contraints d’endurer, sous quelque forme que ce soit, des menaces de leur droit au respect de l’intégrité de la personne humaine.

Les Juifs de Syrie étaient, de fait, une « communauté captive », retenue contre son gré car de la même façon que la Syrie a cherché à légitimer son « état d’urgence », en violation de la loi, elle a fait des Juifs syriens les « substituts » de l’ennemi : ISRAËL.

Ainsi, les Juifs de Syrie ont vu nié leur droit de partir, car « ils étaient susceptibles de rejoindre l’ennemi », et leur vie, leur liberté étaient constamment menacées, puisqu’on les assimilait à des alliés de l’ennemi.

Ils n’étaient pas seulement une communauté-otage, mais aussi une « communauté prisonnière », dont le droit à partir était nié, mais aussi dont la liberté de mouvement à l’intérieur de la Syrie était remise en question.

Tous leurs pas étaient contrôlés, dirigés, aucun contact avec des étrangers n’était permis, sous peine de représailles punitives.

Il était admis que les Juifs de Syrie constituaient la communauté la plus « isolée » des communautés, ses contacts ou des relations avec des coreligionnaires d’autres pays étaient systématiquement entravés ou interdits. Les visites des membres de la famille étaient également interdites.

Il n’y a pas seulement interdiction de sortir, mais de rendre visite à des parents ou coreligionnaires de l’étranger et d’avoir le moindre contact avec eux sur le territoire syrien. En fait, les Juifs de Syrie constituaient la communauté la plus « démunie », la négation pure et simple du droit à l’autonomie individuelle, composante fondamentale du droit à la dignité humaine.

Les prisonniers

Le problème important auquel nous fûmes confrontés concernait la situation des Juifs emprisonnés.

En effet, rares étaient les familles qui, au fil des ans, n’avaient eu un ou plusieurs membres de leur famille emprisonnés. Les Juifs de Syrie étaient arrêtés, souvent torturés sans en connaître le motif et sans jamais avoir vu un juge. Ils vivaient dans un climat permanent de peur et de tension.

Ceux qui essayaient de fuir étaient arrêtés, parfois assassinés. Par des sources d’information en Syrie, nous étions régulièrement avertis des arrestations quand elles se produisaient et nous alertions immédiatement nos antennes dans le monde qui déclenchaient une multitude d’actions.

C’est grâce à l’intervention de l’ancien Président américain Jimmy Carter et sa visite en Syrie que le gouvernement syrien avait relâché Eliaou Lalou et son fils Marco, le rabbin Léon Guindi, Toufik Khalif et son fils Dibo qui avaient été arrêtés en novembre et décembre 1986.

Nous lançâmes une importante campagne de protestation pour demander la libération des autres prisonniers notamment Laham Albert et Victor, Mamroud Faraj et Zaki, Lalo Jack, Gounegeh Kassem âgé de 15 ans, Khalife Moussa âgé de 15 ans et Dirziem Fareg âgé de 16 ans, de Damas. Et celles de Rahmon Darwich et Yocef Rafoul Sabato de Kamishli, arrêtés le 25 septembre 1990, en compagnie de leurs épouses, la femme de Darwich était alors enceinte de 7 mois. Moshe Daoud Pinhas et Zaki Shaoul Sabato qui avaient quitté leur domicile de Kamishli pour quelques jours furent arrêtés à leur retour, accusés de vouloir quitter la Syrie.

Les frères Kastika et leurs épouses ainsi que leurs enfants en bas âge ont été arrêtés en mai 1991 à Damas, accusés de « tentative de fuite ».

Enfin les frères Élie et Sélim Sued qui appartenaient à une famille juive de Damas.

J’insiste sur la captivité des frères Sued parce qu’il est un cas de figure significatif des épreuves et des tourments que subirent les Juifs de Syrie.

Sélim, né en 1939, était marié et père de sept enfants. Il avait dû, en raison de difficultés économiques et du chômage, aller travailler chez son frère Élie qui tenait une pharmacie. Élie, né en 1957, était célibataire, pharmacien de profession, diplômé de l’université de Damas. Il tenait la pharmacie « ALAMINE » située 140, rue Alamine à Damas.

Le 28 novembre 1987, alors qu’Élie Sued rentrait en Syrie après un voyage à l’étranger, il fut arrêté à sa descente d’avion. Les autorités syriennes n’informèrent pas sa famille de son arrestation et celle-ci était extrêmement inquiète de son sort et de sa soudaine disparition. Une semaine après, en décembre 1987, son frère Sélim fut arrêté à son tour, emmené par des officiers syriens pour interrogatoire.

Dès l’arrestation et la disparition des deux frères Sued, les autorités syriennes procédèrent à la confiscation des biens de la famille : la pharmacie qui était la propriété d’Élie et de Sélim et leurs appartements avec tout le mobilier et les biens qu’ils contenaient.

La famille se retrouva sans toit et totalement démunie, ne disposant pas du moindre moyen d’existence. La confiscation de tous leurs biens transforma cette famille en sans-logis et en indigents, et tous ses membres furent amenés à vivre dans des conditions inhumaines et dans l’angoisse la plus profonde, ignorant totalement ce qu’il était advenu de leurs proches.

Du jour de l’arrestation des deux frères à la fin de l’année 1987 et jusqu’en mai 1989, les Syriens nièrent leur arrestation et tous les efforts déployés pour tenter d’obtenir quelque renseignement à leur sujet échouèrent.

Seulement en mai 1989, les Syriens reconnurent que les deux frères Sued étaient effectivement incarcérés à la prison d’Adra et la famille fut enfin autorisée à leur rendre visite. Jusqu’à ce jour ils avaient été détenus dans des conditions extrêmement pénibles et odieusement torturés.

En février 1990, le rabbin Hamra et le docteur Sami Hasbani furent enfin autorisés à leur rendre visite, dans un hôpital militaire à Damas où ils étaient soignés pour une tuberculose contractée en prison.

Après un grand nombre d’interventions politiques et de manifestations publiques, les Syriens décidèrent de les déférer en justice.

Au début, les frères Sued furent accusés de s’être rendus en visite en Israël, alors que Sélim n’avait jamais quitté la Syrie, puis accusés d’espionnage au profit d’Israël. Le président El Hassad déclara à des sénateurs américains en visite en Syrie que les frères Sued étaient des espions.

En mai 1991, la cour de justice syrienne rendit son verdict après seulement deux minutes, au cours d’une audience où ni l’avocat ni les accusés ne purent exposer leur défense. Les deux frères furent condamnés à 6 ans et demi de prison.

On le sait, les geôles syriennes et en particulier celles des « mouhabarat » étaient parmi les plus atroces du monde et les détenus traités avec brutalité et torturés avec des instruments de torture du Moyen Âge.

Les deux frères Sued et leurs familles avaient demandé la grâce mais celle-ci leur avait été refusée. Ils entamèrent alors une grève de la faim qui eut un retentissement mondial. Les milieux gouvernementaux syriens interpellés au sujet de la gravité de la peine infligée aux deux frères avaient répondu de manière sarcastique « qu’ils devaient s’estimer heureux de ne pas avoir été pendus ».

Le combat pour les juifs de Syrie : actions dans le monde

C’est dans ce contexte extrêmement dramatique que SIONA décida d’engager le combat pour la liberté des Juifs de Syrie, orienté vers trois objectifs : mobilisation de l’opinion publique internationale et des communautés juives dans le monde ; interventions auprès des gouvernements et des milieux politiques des pays du monde libre ; sensibilisation des médias.

Ce programme, qui exigeait des efforts énormes, paraissait à beaucoup ambitieux et même irréalisable. Défier le régime syrien, le pire des régimes répressifs, dirigé par Hafez el-Assad, un dictateur intransigeant et sanguinaire, pouvait paraître « un peu fou ». Parcourir le monde, sensibiliser les communautés juives, créer une structure dans chaque pays ne fut pas une mince affaire, surtout avec des moyens financiers très limités.

La première conférence internationale qui eut lieu à Paris le 18 novembre 1984 fut véritablement le point de départ d’une action mondiale.

Cette conférence fut un événement spectaculaire, d’abord par la qualité de ses participants, des délégués de 16 pays d’Europe, des États-Unis, du Canada, d’Amérique latine et même d’Australie. Des représentants des communautés juives et des hommes politiques de premier plan, notamment Simone Veil, Nicole Fontaine, Otto de Habsbourg, des parlementaires français, belges allemands néerlandais, suédois, d’éminents membres du Congrès des États-Unis.

Un absent de marque Alain Poher, président du Sénat. Alain Poher avait présidé la conférence internationale pour la délivrance des Juifs du Proche-Orient. C’était un ami de la communauté juive qui avait appuyé toutes les actions pour les Juifs des communautés en péril.

Le jeudi précédant la conférence, Alain Poher demanda à me voir d’urgence pour m’informer que, sous la pression de l’Élysée et du collectif des ambassadeurs des pays arabes qu’il venait de recevoir à leur demande, il était obligé de renoncer à participer à la conférence.

Il me suggéra d’expliquer à l’assemblée qu’il avait été obligé de quitter Paris dans des conditions d’urgence. Je refusais catégoriquement.

Le jour de la conférence, je fus tenté de rendre publique la vraie raison de l’absence du président Poher. J’aurais probablement créé une émotion considérable, « un scoop », mais réflexion faite je pris la décision, qui me semblait la plus sage, de ne rien dire. Je le fis contre mes principes de transparence mais par rapport à la considération que j’avais pour l’action passée du président Poher, que je ne voulais pas mettre en difficulté.

Ce jour-là donc, son directeur de cabinet, M. Lelièvre vint lire à la tribune un message du président Poher « empêché ». La conférence fut un grand succès et eut un écho considérable dans le monde. En France, elle fut annoncée par des communiqués dans la presse nationale. Une page entière de publicité dans Le Monde invitait l’ambassadeur de Syrie à venir occuper la place qui lui était réservée dans un fauteuil qui se trouvait à la place centrale de la publicité. Cette publicité fit le tour du monde.

L’ambassadeur de Syrie en France, Youssef Chakkour, nous répondit par le canal des radios et en particulier par une lettre qui fut publiée par le journal Le Monde.

Je répondis par écrit à Youssef Chakkour : « Nous sommes sensibles à la réponse à notre invitation que vous avez fait publier dans Le Monde du 10 novembre 1984. Nous regrettons votre refus d’aborder publiquement le problème des Juifs de Syrie. Il ne s’agit pas d’une sommation à comparaître, mais d’une invitation au dialogue dans le respect de la liberté d’expression de chacun… Alors pourquoi, Monsieur l’Ambassadeur, refuser le dialogue auquel nous vous convions… »

Le président de la république syrienne Hafez el-Hassad interrogé dans le cadre de l’émission de France Inter « Face aux public », qui fut diffusée exceptionnellement le jour même de la conférence, répliqua : « C’est le sionisme mouvement raciste qui inspire en France et dans le monde ce genre de manifestation. »

Il y voyait « une ingérence dans les affaires internes de la Syrie et une provocation grossière préjudiciable à tous les Juifs du monde car cela constituait un précédent dangereux… ».

Ce message s’adressait probablement aussi au président de la République François Mitterrand qui devait effectuer un voyage officiel en Syrie dix jours plus tard, du 26 au 28 novembre et à qui nous avions fait appel pour qu’il soulève au cours de ses entretiens le problème des Juifs de ce pays.

Cette première conférence internationale fut suivie par d’autres, à Paris les 23 février 1986 et 29 mai 1988, à Bruxelles le 27 novembre 1989. Une conférence internationale qui devait avoir lieu à New York en 1990, organisée par le « Conseil américain pour la défense des Juifs de Syrie » fut annulée pour des « raisons financières ».

De 1984 à 1994, des centaines de manifestations eurent lieu dans le monde. De nombreuses manifestations se déroulèrent en France, organisées par les communautés juives et un grand nombre d’organisations.

Pourquoi avoir tant attendu avant de déclencher cette action internationale ? Non parce que nous n’étions pas motivés auparavant, mais tout simplement parce qu’on avait essayé de nous convaincre qu’une action publique risquait de raidir l’attitude des autorités syriennes et de faire courir des dangers supplémentaires aux Juifs de Syrie.

Pendant un certain temps, nous avons donc accepté cette explication : il ne fallait pas en parler publiquement pour ne pas mettre leurs vies en péril. D’autres raisons étaient avancées par certains milieux juifs et israéliens considérant le maître de Damas, Hafez el Assad comme un moindre mal par rapport au risque dangereux d’une prise de pouvoir par les frères musulmans.

Dès le début de notre action internationale, notre message a été extrêmement clair, nous ne laisserions aucun répit aux autorités syriennes et en particulier au président Hafez el Assad. Les Syriens pensaient certainement que nous allions vite nous essouffler. Mais la détermination avec laquelle nous avons mené ce combat, la dimension et la persévérance de nos actions ont vite fait comprendre aux autorités syriennes que rien ne nous arrêterait et que notre combat n’aurait de cesse tant que les Juifs de Syrie n’auraient pas été autorisés à partir.

Toutes les organisations juives dans le monde se mobilisèrent, en particulier l’ADL de la BN’AI BRITH avec Moïse Rahmani et Micky Brandon à Bruxelles, Abraham Foxman, le rabbin Abraham Hecht, Steve et Lilian Shalom à New York, l’American Jewish Commette avec Georges Green aux États-Unis, la Fédération sépharade mondiale avec son président Nissim Gaon et en particulier ses branches en Amérique latine. Je citerai l’action exemplaire de la petite communauté juive du Chili sous la présidence de Léon Tchimino qui a fait un travail considérable sans oublier l’Union mondiale des étudiants juifs (WOJS) et bien sûr le mouvement Siona qui a été l’instrument essentiel. Je ne manquerai pas de nommer Amnesty international qui a fait de multiples interventions.

Notre conférence de 1984 fut suivie d’une immense action à travers le monde dont les communautés juives furent les relais naturels.

Des dizaines et des dizaines de manifestations, de réunions, de conférences, de défilés, d’interventions multiples se développèrent dans un extraordinaire élan qui ne fit que s’amplifier pendant une dizaine d’années. Les ambassades de Syrie furent harcelées, les ministres syriens étaient interpellés partout où ils se déplaçaient.

En France, à Paris comme en province les communautés se sont mobilisées. À l’Assemblée nationale, des députés, Olivier Stirn et Georges Sarre, en particulier interpellèrent le gouvernement sur la situation dramatique des Juifs de Syrie.

Les différents gouvernements français qui se sont succédé ont fait preuve d’une grande écoute pour ce problème et nous ont assurés de tout leur soutien dans ce combat pour les Juifs de Syrie. Le ministère des Affaires étrangères – le quai d’Orsay – nous a apporté une aide constante. C’est grâce au ministre français des Affaires étrangères que j’ai pu adresser régulièrement des médicaments destinés à des Juifs de Syrie souffrant de maladies graves.

Je dois faire une exception pour Claude Cheysson et Raymond Barre qui n’ont manifesté aucune sensibilité et n’ont jamais voulu s’engager dans la moindre intervention personnelle.

Je ne peux manquer d’invoquer l’intervention auprès des autorités syriennes de Michel Rocard alors Premier ministre et de Jacques Chirac dans l’exercice des mêmes fonctions.

Je rappelle que Jacques Chirac avait accepté, en tant que Maire de Paris, de faire partie de notre comité de parrainage et qu’il avait fait des déclarations courageuses disant publiquement qu’il ne se rendrait pas en Syrie tant que les Juifs de ce pays n’auraient pas été autorisés à quitter librement le pays.

L’action internationale fut d’une grande intensité. Chaque fois que le président de la République syrienne Hafez el-Assad se rendait en visite dans un pays occidental, nous organisions une manifestation dans la ville où il se trouvait et nous demandions à notre antenne sur place d’intervenir auprès du gouvernement concerné.

Entre 1984 et 1994, 18 parlements ont voté des motions invitant le gouvernement syrien à laisser sortir les Juifs de Syrie. Quatre motions ont été votées par le seul parlement européen, je citerai la résolution B3 1796/91 du 21 novembre 1991 qui dénonçait la situation dramatique des Juifs de Syrie.

Le 10 mars 1993 nous apporta une grande satisfaction, le parlement européen refusa de renouveler la ratification du 4e protocole financier avec la Syrie.

Ce fut une grande victoire qui fut acquise grâce à la persévérance de Nicole Fontaine, au soutien de Valéry Giscard d’Estaing, et aux interventions des responsables des différents groupes parlementaires que j’eus l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises au Parlement de Strasbourg.

Je ne peux oublier les interventions du ministère des Affaires étrangères des États-Unis, de Belgique, Grèce, Canada, Autriche, Australie, Grande-Bretagne, Yougoslavie, Hollande, Suède, des pays d’Amérique latine… Nous avions également demandé l’intervention des ministres des Affaires de la Troïka européenne France – Grèce – Espagne qui s’étaient rendus en Syrie le 13 février 1989.

Le 20 janvier 1989, je rencontrai à Rome le ministre des Affaires étrangères Guilio Andreotti, en présence de M. Toaf, grand rabbin d’Italie, de Raphaelo Fellah de Rome, de Léon Tamman de Londres et du frère de Jacques Lalo qui faisait partie des 6 juifs emprisonnés en Syrie. J’accordais la plus grande importance à cette rencontre parce que Guilo Andreotti avait les meilleures relations avec le président syrien. Toujours à Rome et à l’initiative de Rafaello Fellah je fus invité à prendre la parole devant les 3 000 délégués du Parti radical italien et avec le soutien chaleureux de ses principaux leaders Emma Bonino et Panela.

Je ne peux négliger de citer le précieux soutien de Karl Ahrens, le président du Conseil de l’Europe, d’Amnesty international, de la Fédération internationale des droits de l’homme et aussi de la Licra sous l’impulsion du regretté Jean-Pierre Bloch. Je me rappelle la rencontre à Strasbourg le 5 octobre 1987 avec Messieurs Yung et Oreja, président et secrétaire général du conseil de l’Europe, en présence de Jean Kahn, président de la Communauté juive de Strasbourg.

En janvier 1989, c’est à notre demande persistante qu’un groupe de députés européens s’était rendu à Damas pour se rendre compte de la situation des Juifs de Syrie.

Par contre, la Croix-Rouge internationale s’est révélée totalement passive pendant toutes ces années.

Je n’avais pas manqué de le rappeler à M. Samarunga, président de la Croix-Rouge internationale que j’ai rencontré à Genève.

Naturellement, le gouvernement israélien n’est pas resté inactif et j’y gardais des contacts permanents. D’après l’ancien Ambassadeur d’Israël en Roumanie, Abba Guefen, l’ancien Premier ministre Ménahem Begin aurait proposé en 1982 à la Syrie d’échanger des milliers de détenus palestiniens contre le droit à la libre émigration pour les Juifs de Syrie et la dépouille de l’espion Élie Cohen pendu à Damas en 1965. Cette proposition aurait été transmise au Président syrien Hafez el-Assad par l’intermédiaire du Président roumain d’alors, Nicolae Ceaucescu.

Une rencontre eut lieu le 25 avril 1985 à l’Élysée avec Jean-Louis Bianco, secrétaire général de la présidence de la République, j’étais accompagné de Kalman Sultanik, président de la Confédération mondiale des États-Unis et Albert Israël de Siona. Elle fut suivie d’un entretien avec Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères. J’étais alors accompagné de Théo Klein, président du Crif qui m’a apporté un soutien sans limites. M. Dumas nous promit de transmettre aux autorités syriennes la liste des 35 jeunes filles juives pour qui nous demandions le départ pour la France, prête à les accueillir.

Le 5 novembre 1987, incident diplomatique avec la France.

La Syrie a protesté officiellement contre les propos tenus par le Premier ministre Jacques Chirac. L’agence officielle Sana rapporte que le vice-ministre des Affaires étrangères, Youssef Chakkour, a convoqué l’ambassadeur de France, M. Grenier, pour lui faire part « de la surprise et des profonds regrets de son gouvernement devant les commentaires de M. Chirac au cours de sa visite en Israël à propos de ce qu’il appelle la question des Juifs de Syrie ».

Le Premier ministre français avait déclaré à ses hôtes israéliens qu’il ne se rendrait pas en visite officielle à Damas tant que la situation des Juifs syriens ne s’améliorerait pas et que les 500 jeunes filles ne recevraient pas l’autorisation d’émigrer. Le 27 juin 1989 un autobus de la liberté quitta Sarcelles et se rendit à l’ambassade de Syrie avec une cinquantaine d’élus du Val-d’Oise. Des réunions de sensibilisation aux problèmes des Juifs de Syrie furent initiées dans toutes les écoles juives en France.

À l’initiative de l’artiste Guy Béart, très motivé par la cause des Juifs de Syrie et lui-même originaire du Liban, j’avais tenté de mobiliser les milieux juifs du show business. Dans ce but, j’avais organisé un déjeuner avec Georges Cravenne, Paul Lederman, Charley Marouani, Enrico Macias… J’espérais leur soutien moral et financier. Excepté Enrico Macias et Guy Béart qui ont participé à quelques manifestations à Paris, je ne reçus aucun autre soutien. Cette rencontre resta, à mon grand regret, sans suite et mon espoir de mobiliser les artistes juifs fut totalement déçu.

Organisées par l’Union mondiale des étudiants juifs, des manifestations ont lieu à Paris, Londres, Bruxelles, Bonn, Rome, Helsinki, Copenhague, Berne, Zurich, Stockholm, Sydney, Toronto, New York, Mexico, Jérusalem… Au Canada, le député Jim Petterson, présenta à la Chambre des députés une pétition, signée par 5 000 Canadiens demandant la liberté pour les Juifs de Syrie.

Le harcèlement des autorités de Damas et des ambassades syriennes dans le monde nous valut des réactions surprenantes.

À la suite de notre conférence internationale du 27 novembre 1989 à Bruxelles, l’ambassadeur de Syrie en Belgique écrivit à tous les députés européens leur demandant d’intervenir auprès des autorités israéliennes pour… qu’elles libèrent 27 habitants du Golan (noms à l’appui) supposés détenus par Israël !

Par ailleurs, pour « convaincre » l’opinion occidentale des « vertus démocratiques » de son régime, Hafez el Assad n’hésita pas à la veille des élections pour la présidence de la République le 2 décembre 1991, à faire défiler, sous la conduite du grand rabbin Ibrahim Hamra, 2 000 Juifs avec des banderoles célébrant « le grand dirigeant national ».

Toutes ces interventions internationales ont sans aucun doute joué un rôle déterminant pour la libération des Juifs de Syrie. Il faut cependant reconnaître que le président, le gouvernement et le Congrès des États-Unis ont apporté une contribution prépondérante pour cette libération.

Le Président Clinton nous a apporté un soutien sans limite. L’action aux États-Unis fut d’une immense intensité sur le plan politique et diplomatique. En 1984, une délégation composée de Abraham Foxman et du rabbin Abraham Hecht rencontra à Washington l’ambassadeur de Syrie. D’autre part, sur la proposition du sénateur Daniel P. Moynihan, fut votée au sénat la résolution 94 aux termes de laquelle les sénateurs demandaient au président syrien d’accorder le droit immédiat aux Juifs de Syrie d’émigrer aux États-Unis.

Steve Solarz, membre du Congrès, mena un combat sans relâche. Le secrétaire d’État James Baker intervint à plusieurs reprises auprès des autorités syriennes. 125 membres du Congrès des États-Unis adressèrent collectivement une lettre au Président George Bush lui demandant d’intervenir expressément auprès du gouvernement syrien afin que les Juifs puissent quitter librement le pays.

J’ai eu de nombreuses rencontres avec des interlocuteurs américains à l’Ambassade des États-Unis à Paris, au Département d’État et au Congrès à Washington, notamment avec Dante B. Facell, président de la commission des Affaires étrangères du sénat et Benjamin A. Gilman, président de la sous-commission des droits de l’homme.

Le 13 avril 1990, je me suis entretenu à Washington avec les principaux dirigeants du département d’État, David Newton, directeur du département Moyen-Orient, Michel Matera, directeur du département Syrie et David Rabadan directeur du département des Droits de l’homme.

L’embellie

D’abord par la libération des prisonniers qui suscita un premier espoir. Concernant les frères Sued nous avions décidé, en accord avec leur sœur Léa Hazan, qui habitait en Israël, le kibboutz Hazorea, de mandater un avocat international qui irait sur place assurer leur défense. Me Mario Stasi, que j’ai rencontré à plusieurs reprises accepta cette mission.

Alors qu’il avait effectué les démarches nécessaires auprès du ministre des Affaires étrangères et des autorités syriennes pour organiser son départ à Damas, divine surprise, en avril 1992, les frères Selim et Élie Sued étaient libérés de prison. Le départ de Me Stasi à Damas n’était donc plus d’actualité et nous nous en réjouîmes.

Mais la nouvelle la plus spectaculaire fut « l’entretien surprise » que le président Hafez el-Hassad accorda pour la première fois à une délégation de juifs syriens.

Cette rencontre avait une importance considérable, car depuis sa prise de pouvoir, le président syrien s’était toujours refusé à rencontrer la communauté juive de son pays à qui il manifestait un total mépris. Il ne communiquait avec elle que par l’intermédiaire des moukhabarat, les terribles services secrets syriens.

Et puis les autorités syriennes annoncèrent début 1994 et à notre grande joie, qu’elles accordaient aux Juifs de Syrie « le droit de voyager à l’étranger avec leur famille et de vendre leurs biens ».

Une telle nouvelle était l’aboutissement de notre combat. Cette annonce fut concrétisée par la venue à Paris de la première famille juive syrienne. Quelle satisfaction de recevoir la famille Moussa et Paula Halwani et leurs quatre enfants venue de Damas. Avec l’accord du ministre de l’Intérieur, je pus me rendre à Orly et les accueillir dans la zone de transit. J’eus affaire à des membres de la police des frontières qui furent extrêmement désagréables. Mon fils David qui m’accompagnait fut même menotté sans ménagement sous prétexte qu’il n’avait pas à être là !

Le cas de la famille Halwani est, je crois, un cas exemplaire.

À son arrivée en France cette famille qui n’avait jamais quitté la Syrie ne parlait pas un mot de français. Aujourd’hui, vivant dans un pavillon confortable de la région parisienne, les deux conjoints ont une activité professionnelle. Toute la famille a obtenu la nationalité française et le fils aîné est actuellement étudiant en 5e année de pharmacie.

Après dix ans de durs combats la communauté juive de Syrie avait été sauvée

C’est ce qu’exprimait le message que j’ai adressé aux membres du Comité international, le 10 novembre 1994 :

« Pendant dix ans, nous avons harcelé en permanence le gouvernement syrien à travers des dizaines et des dizaines de manifestions dans le monde, interpellant de nombreux gouvernements, faisant voter des motions par les parlements du monde, allant à l’ONU interroger son secrétaire général, faisant intervenir la Fédération internationale des droits de l’homme, Amnesty international, la Croix-Rouge internationale, la Commission des droits de l’homme à Genève, campant devant les ambassades de Syrie.

Comment oublier le rôle prépondérant qu’ont joué les gouvernements des États-Unis, les Présidents Carter et Clinton. Comment oublier l’action décisive engagée par le Parlement européen sous l’impulsion de Nicole Fontaine et l’aide que nous ont apportée la majorité des groupes politiques au sein du Parlement européen, sans oublier l’appui sans réserve de Simone Veil et Valéry Giscard d’Estaing ni l’intervention du Premier ministre Jacques Chirac, en visite officielle à Moscou, qui invitait publiquement le gouvernement syrien à laisser partir les Juifs de Syrie. Notre mission était aussi de garder un lien permanent avec les Juifs de Syrie. Il fallait qu’ils sachent qu’ils n’étaient plus seuls, que notre vigilance devait dissuader le gouvernement syrien de poursuivre une politique de répression, qu’ils étaient en fait sous la protection de l’opinion publique internationale.

C’est cette action politique et médiatique en tous lieux et de tous les instants qui a conduit Hafez el-Assad à assouplir sa position. Combien de fois ai-je rencontré le rabbin Hamra, grand rabbin de Syrie, à qui je transmettais des messages d’espoir et de solidarité. C’est vrai qu’il hésitait beaucoup à me rencontrer car il avait peur, très peur, de dialoguer avec celui que les autorités syriennes considéraient comme l’un de leurs pires ennemis. En ce novembre 1994, dix ans après, c’est avec une immense satisfaction qu’on pouvait dire : « La communauté juive de Syrie est sauvée ».

« Le miracle s’est accompli, les Juifs sont rentrés à la maison », m’ont dit heureux, émus et graves, quelques Juifs de Damas que j’ai rencontrés au Merkaz Klita de Mevasseret Sion à Jérusalem.

Cette seule phrase est la plus merveilleuse récompense. Il ne restait donc plus que deux cent cinquante personnes dont la majorité s’apprêtait à partir, plus de quatre mille cinq cents Juifs avaient été autorisés à quitter le pays. Ils commençaient une nouvelle vie dans la liberté, en Israël, aux États-Unis et en Europe.

Notre joie fut certes tempérée par une certaine tristesse, quand on se souvenait que cette communauté, installée dans la région depuis plus de deux mille ans, a été longtemps un phare du judaïsme aux plans rabbinique, liturgique et culturel, quand on sait que sur plus d’un million de Juifs qui vivaient au début du xxe siècle dans les pays d’Afrique du Nord et Moyen-Orient, il en reste moins de dix mille actuellement.

Il n’y a plus de Juifs en Égypte, en Irak, en Libye, au Liban, en Algérie… Avec le départ des Juifs du Yémen, dont la moitié est déjà arrivée en Israël, la présence juive en terre arabe aura pratiquement disparu.

Cependant, le serment de notre génération après la Shoah. « Plus jamais ça », n’a pas été vain. Nous nous étions engagés à ne plus tolérer qu’un seul Juif dans le monde puisse être persécuté simplement parce qu’il était juif. Avec le sauvetage de la communauté juive de Syrie, une nouvelle page de l’histoire du peuple juif fut tournée.

Liste des pays ayant adhéré au Comité international pour la libération des juifs de Syrie

Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Brésil, Canada, Chili, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Gibraltar, Grande Bretagne, Grèce, Hollande, Inde, Irlande, Israël, Italie, Luxembourg, Mexique, Norvège, Nouvelle Zélande, Panama, Portugal, Suède, Suisse, Turquie, Uruguay, Venezuela, Yougoslavie.

Le sauvetage secret des Juifs syriens


par Claire Dana-Picard

Le sort des Juifs de Syrie a toujours été très préoccupant et grâce à l’action d’une femme courageuse, plusieurs milliers d’entre eux ont pu quitter le pays entre les années 1972 et 2001. Elle a été décorée par Shimon Pérès.

Il s’agissait d’une opération totalement bénévole et désintéressée, menée par une musicologue juive vivant à Toronto, Judy Feld Carr, qui voulait tout simplement aider ses coreligionnaires. En guise de reconnaissance pour l’action inlassable qu’elle a entreprise, le président de l’Etat d’Israël Shimon Pérès lui a décernéune médaille à Jérusalem.

En fait, Judy Feld Carr a commencé par militer pour les Juifs d’URSS et ce n’est que par la suite qu’elle a découvert le sort tragique des Juifs syriens et décidé de se mobiliser pour en sauver le plus possible. Pendant près de trente ans, elle a réussi à en faire sortir plus de 3 000.

Il s’agissait, bien entendu, d’une opération ultrasecrète.

Judy Feld Carr a confié au Jerusalem Post qu’elle avait entamé ses premiers contacts avec des officiels syriens en 1972, et que la première personne qu’elle avait réussi à faire sortir de Syrie en 1977, en échange d’une rançon, vivait à Alep.

Son action s’est achevée avec les attentats du 11 septembre 2001 contre les Tours jumelles de New York.

Elle a précisé : « J’ai été impliquée dans le sauvetage de 3 228 Juifs sur une population de 4 500 personnes. La tâche était ardue: je ne suis pas d’origine syrienne, je suis une ashkénaze vivant au Canada ! »

Son intérêt pour les Juifs syriens a débuté par l’expédition clandestine de livres de Kodech.

Elle a ensuite eu la visite d’un couple de Juifs syriens venu la voir à Toronto, qui a été déterminante pour la suite de son action. Elle reste d’ailleurs très reconnaissante envers le Canada, qui l’a aidée à mener à bien ses opérations de secours. « J’ai fait mon travail sereinement, ramassant de l’argent pendant 28 ans sans organiser de diners ou de soirées de collecte. Tout l’argent récolté provenait de ma poche et de celle de mes meilleurs amis et de membres d’un comité que j’avais fondé ».

L’argent transitait par sa synagogue où avait été créée une fondation portant le nom de son premier mari, mort d’une crise cardiaque après avoir pris connaissance de menaces de mort à l’encontre de son épouse.

Bien évidemment, elle ne peut pas révéler le secret des transactions mais elle a tout de même cité des exemples: comme celui d’un jeune homme engagé dans les forces aériennes israéliennes, qui a demandé au président de l’Etat de l’époque d’intervenir pour faire sortir sa famille de Syrie. Le secrétaire du président a immédiatement contacté Judy qui a fait le nécessaire.


Les Juifs partaient, soit en secret en s’enfuyant, soit après la remise d’une rançon.

Personne ne la connaissait personnellement et on communiquait avec elle par un nom de code.

Judy a déjà été honorée de plusieurs décorations pour son action en faveur des Juifs de Syrie. Son histoire a été relatée dans un livre écrit par l’historien juif canadien Harold Troper : « The Ransomed of God: The Remarkable Story of One Woman’s Role in the Rescue of Syrian Jews », (Raincoast Books, Malcolm Lester Books, Toronto, 1999).

Aujourd’hui, c’est à Jérusalem, où elle possède un appartement et vit une partie de l’année, que Judy Feld Carr a été récompensée pour sa générosité et son militantisme qui ont permis à de nombreux Juifs de recouvrer la liberté.

Traduction de l’anglais par Pierre Lurçat.
Copyright © Continuum Books.

A suivre…

Lire tous les articles de cette saga sur l’exclusion des juifs des pays arabes


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