Les six feux dans le Talmud Juif et dans le Bundehesh Parsi
Deux mouvements religieux et intellectuels, très différents, mais tous deux très intenses, se sont développés parallèlement dans les contrées formant l’ancien empire de Cyrus.
Durant les douze siècles qui se sont écoulés depuis l’avènement des Achéménides jusqu’à la chute des Sassanides : l’un est le mouvement juif, qui, partant de la Bible, aboutit au judaïsme talmudique; l’autre, le mouvement zoroastrien, qui, partant de l’Avesta, aboutit au parsisme.
Durant cette longue période de temps, mis plusieurs fois et pendant longtemps en contact direct les uns avec les autres, des échanges d’idées, volontaires ou non, conscients ou non, ont dû s’établir à plusieurs reprises entre les Docteurs et les Mages.
Pour nous en tenir aux périodes les plus récentes de cette histoire, le caractère parsi de mainte légende talmudique a frappé depuis longtemps, et inversement le caractère talmudique de mainte idée parsie.
Malheureusement, les rapprochements que l’on a établis entre les deux ordres manquent en général de précision et d’évidence : M. Kohut, le savant qui a le plus fait dans cette direction, a trop bien réussi, car il a su retrouver dans le Talmud à peu près tous les dieux et tous les démons de l’Avesta. Néanmoins, parmi les nombreux rapprochements de son Angelologie, il s’en trouve un d’une certitude parfaite, et comme cet exemple, étudié de près, peut, je crois, nous donner une idée de la nature des emprunts, de la façon dont ils se sont opérés, et de l’époque à laquelle ils ont pu commencer, il ne sera pas inutile de s’y arrêter un instant.
I.
On lit dans le Traité de Yoma, 21 b :
«Les Tanaim ont dit :
» Il y a six feux : il y a un feu qui mange et qui ne boit pas ; il y a un feu qui boit et qui ne mange pas ; il y a un feu qui mange et qui boit; il y a un feu qui mange le vert et le sec; il y a un feu qui repousse le feu ; il y a un feu qui mange le feu.
» — Le feu qui mange et ne boit pas, c’est notre feu (celui dont nous nous servons).
«Le feu qui boit et qui ne mange pas est celui des malades de la fièvre).
» Le feu qui mange et qui boit est celui du Prophète Elie, car il est écrit : «Et la flamme dévora l’eau dans le fossé. »
» Le feu qui mange le vert et le sec est le feu du sacrifice.
» Le feu qui repousse le feu est celui de l’ange Gabriel.
» Le feu qui mange le feu est celui de la gloire divine (la Shekhinah ), car, comme l’on raconte, «Dieu étendit le doigt entre les deux anges et les brûla ».
Quelques explications ne seront pas de trop.
Les deux premières formules sont claires : le feu dont nous nous servons se nourrit d’éléments solides et l’eau l’éteint: il mange et ne boit pas. Le feu des malades, le feu de la fièvre, allume la soif et éteint l’appétit, il boit et ne mange pas.
Le troisième feu, celui qui mange et qui boit, est appelé le feu d’Elie en souvenir du sacrifice du Carmel (I, Hois, xviii).
Les prêtres de Baal ont élevé un autel, égorgé la victime et appellent en vain le feu du ciel: Elie érige un autel au nom du Seigneur, l’entoure d’un fessé, dispose le bois, découpe la victime, fait par trois fois verser quatre barils d’eau sur la victime et sur le bois, l’eau découle de l’autel et remplit le fossé, et à l’heure du sacrifice du soir il invoque le Seigneur, «et le feu de l’Eternel tomba et consuma l’holocauste, et le bois, et les pierres, et la poussière , et dévora Veau qui était dans le fossé (verset 38) . »
Le feu d’Elie a donc mangé et il a bu.
Le quatrième feu, celui du sacrifice1, mange le bois vert et le bois sec.
Le cinquième feu, qui repousse le feu, est celui de Gabriel : Gabriel est l’ange innommé qui tint compagnie aux trois jeunes hommes dans la fournaise (Daniel, m, 25).
L’ange de la grêle, Yorqami, s’était présenté devant le Seigneur pour lui demander la permission de sauver les trois Hébreux ; mais Gabriel l’interrompant : «Il ne convient pas, dit-il, à la grandeur de Dieu qu’il en soit ainsi : tu es l’ange de la grêle et tout le monde sait que l’eau éteint le feu. C’est moi, l’ange du feu, qui descendrai, je refroidirai le feu a l’intérieur, je le rendrai ardent à l’extérieur et je ferai miracle dans le miracle. » — «Va », dit le Seigneur. — Les trois jeunes gens restent en effet sains et saufs au milieu de la flamme, et ceux qui allument la fournaise sont consumés : l’ardeur de la flamme a donc été repoussée tout au dehors.
Gabriel est le feu qui repousse le feu.
Le sixième feu est celui de Dieu, de la Shekhinah. La légende à laquelle le texte fait allusion se trouve contée dans Sanhédrin (38, b) :
«R. Jehouda dit d’après Rab :
» Quand le Saint (béni soit-il!) voulut créer Adam, il créa d’abord un couple d’anges et leur dit : «Voulez-vous que nous fassions un homme à notre image. » Ils lui dirent : «Maître de l’univers, que fera-t-il? » — Dieu répondit ce qu’il ferait. Ils reprirent : «Maître de l’univers ! «qu’est-ce donc alors que le mortel pour que tu songes à lui? Qu’est-ce que le fils de l’homme pour que tu t’en occupes ? » (Psaumes, vin, 5). Dieu étendit son petit doigt entre les deux anges et les brûla. »
Les anges étant eux-mêmes faits de feu, le feu de Dieu, dont la seule approche les brûle, est un feu qui dévore le feu. Dieu est entre tous «le feu dévorant ».
Ce qui frappe tout d’abord dans ce morceau étrange, c’est l’incohérence de la classification, qui comprend à la fois des classes et des individus : le feu du foyer, le feu de la fièvre, le feu de la Shekhinah sont des formes permanentes et par suite rentrent légitimement dans une classification : de même, à la rigueur, le feu du sacrifice qui s’allume régulièrement; mais le feu d’Elie et le feu de Gabriel sont en dehors : ce ne sont pas des forces permanentes, ils n’ont paru qu’une fois, l’un dans le sacrifice du Carmel, l’autre dans la fournaise d’Azariah.
Cette contradiction entre la généralité de la formule {il y a six feux ) et le caractère individuel de deux au moins des feux, laisse supposer que nous n’avons pas ici une forme primitive de la tradition, mais un remaniement, une adaptation nouvelle de formules antérieures et qui étaient peut-être conçues dans un autre esprit.
II.
On lit dans le Yasna, le livre liturgique des Parsis, la série suivante d’invocations au dieu du feu, Atar (xvii, 19, 62) :
«Nous t’offrons le sacrifice à toi, Atar, fils d’Ahura Mazda. » Nous offrons le sacrifice au feu Berezi-savah.
» Nous offrons le sacrifice au feu Vohu-fryâna.
» Nous offrons le sacrifice au feu Urvâzishta.
» Nous offrons le sacrifice au feu Yâzishta.
» Nous offrons le sacrifice au feu Spenishta.
» Nous offrons le sacrifice à l’Ized Nairyô-sanha, qui est dans le nombril des rois.
» Nous offrons le sacrifice à Atar (le Feu), maître de tous les foyers, créé par Mazda, saint, maître de sainteté, ainsi qu’à tous les Atars (toutes les sortes de feux). »
Nous avons ici une énumération de six feux: Berezi-savah, Vohu-fryâna, Urvâzishta, Vâzishta, Spenishta, Nairyô-sanha.
Si nous demandons à la tradition parsie ce qu’elle entend par ces six noms, nous voyons que cette énumération est une classification.
La cosmogonie parsie, connue sous le nom de Bundehesh (Création), contient ce qui suit, au chapitre des Feux (xvn, p. 39) .
«Sur la nature des feux il est dit dans l’Écriture : Il y a cinq sortes de feux, à savoir. :
I- Le feu Berezi-Savah, celui qui brûle devant Auhrmazd, le Seigneur.
2- Le feu Vohu-fryàn, celui qui brûle dans le corps de l’homme et des animaux.
3- Le feu Urvâzisht, celui qui est dans les plantes.
4- Le feu Vâzisht, celui qui est dans les nuages et lutte avec le démon Spenjagar *.
5- Le feu Spenisht, celui dont on se sert dans le monde et qui est aussi celui du feu Behrâm.
Le Bundehesh laisse en dehors le sixième terme de l’invocation du Yasna, Nairyô-sanha, qui d’ailleurs, dans le Yasnamême, n’a pas titre de Feu; c’est un Ized, un Génie, que la mythologie de l’Avesta ne confond pas avec Atar, bien qu’il s’en rapproche étroitement, parce qu’il est de nature ignée. Nairyô-sanha était primitivement un des noms du feu du sacrifice ; comme tel il est devenu dans la mythologie de l’Avesta le messager d’Ormazd, celui qui porte ses ordres, parce que le feu du sacrifice dans les idées aryennes était un médiateur entre l’homme et Dieu, étant sur la terre le représentant de Dieu à qui il porte les offrandes et les prières de l’homme.
Comme représentant d’Ormazd, comme portant ses ordres, sa résidence terrestre est le sein des rois : car, comme dans la mythologie aryenne les races royales sont divines, dans le sens littéral du mot *, le roi est tel parce qu’il a en lui un rayon du feu divin ; et comme cette étincelle se transmet par l’hérédité, l’enfant royal nouveau-né la reçoit en se séparant du sein de sa mère : «elle réside dans le nombril » . Comme ce feu est de nature toute spéciale et presque individuelle, on conçoit que les classifications hésitent à l’admettre : le texte du Yasna laisse la question indécise, tout en en faisant tacitement un feu, puisqu’il l’invoque avant la formule récapitulative où il embrasse tous les feux; le Bundehesh l’exclut; voici un texte parsi qui l’admet :
«Rivayet de Shâpûr Barûji :
«Yoici les noms des feux :
» Le premier est le feu Berezishavangah qui est devant Ormazd.
» Le second est le feu Yohufryân qui est dans l’homme et dans les animaux.
» Le troisième est le feu Urvâjist qui est dans les arbres et dans les plantes.
» Le quatrième est le feu Yâjist qui se manifeste dans l’éclair et lutte avec Pûzarishk.
» Le cinquième est le feu Spenist qui se manifeste dans le monde ordinaire et qui est dans la pierre.
» Le sixième est le feu Nairyôsengh qui est dans le nombril des rois. »
La vieille traduction pehlvie du Yasna dorme les mêmes définitions, sauf qu’elle intervertit les définitions des feux Berezi-savah et Spenishta (le premier et le cinquième); pour elle Berezi-savah est le feu Behrâm et par suite le feu ordinaire ; Spenishta est «le feu qui est auGarotman (au Paradis) devant Ormazd, et de nature céleste ». Elle est dans le vrai et c’est le Bundehesh qui a inter¬ verti l’ordre primitif des définitions ; dans le reste il y a accord.
Le Bundehesh continue :
«De ces cinq feux il y en a un qui boit et qui mange : c’est celui qui est dans le corps de l’homme.
» Il y en a un qui boit et qui ne mange pas : celui qui est dans les plantes, lesquelles vivent et grandissent par la pluie.
» Il y en a un qui mange et qui ne boit pas : celui dont on se sert dans la vie et aussi le feu Behrâm.
«Il y en a un qui ne boit ni ne mange : c’est le feu Vâzisht (le feu de l’éclair) *. »
Le Bundehesh revient ensuite de nouveau sur le feu Berezi-savah, il n’a rien à dire du feu Spenishta, celui qui est devant Ormazd.
III.
Les deux classifications, celle du Talmud et celle des Parsis, ont en commun ce trait essentiel, trop original et trop étrange pour avoir été inventé indépendamment des deux parts, de classer les feux d’après leur appétit. De plus, il y a accord parfait pour l’un des termes (le feu terrestre, qui mange et ne boit pas); et il y a accord dans le nombre des termes.
Considérée en elle-même, celle du Talmud paraît tout d’abord remaniée et secondaire ; celle des Parsis mise en regard, il devient clair que celle-ci est plus primitive. L’idée essentielle une fois donnée, les différents feux connus venaient se ranger naturellement dans ces quatre cadres : boit et mange, boit sans manger, mange sans boire, ne boit ni ne mange. A ces quatre cadres s’en ajoutaient soit un, soit deux d’un autre ordre, pour donner place au feu ou aux feux surnaturels.
Les Tanaïm ont ces quatre cadres : ils ont également deux termes qui n’y rentraient pas et qui appartenaient à la catégorie du mystère. Mais, à part deux, ils ont rempli ces cadres autrement que les Parsis parce qu’ils ne croyaient qu’à deux des six feux parses, le feu terrestre et le feu divin, et que les quatre autres n’avaient de sens que pour des hommes au courant des idées mythiques de l’Iran.
Le feu terrestre mange et ne boit pas : c’est là un fait visible et sensible et c’est sans doute le point de départ de la classification, l’observation qui en a suggéré le principe. Les rabbins pouvaient l’adopter sans modification, c’est ce qu’ils firent.
Comme les Parsis, ils croyaient au feu divin : le feu de la Shekhinah entra donc dans la classification; seulement on le définit avec des traits bibliques ou empruntés au fonds biblique.
Le second feu, celui qui boit et ne mange pas, était pour les Parsis le feu de la plante. Ce n’est pas un feu métaphorique, une image de la vie végétative : les Aryens croyaient qu’il y a dans le bois un feu réel, semblable à celui que nous manions; c’est ce feu caché et latent que l’on peut forcer à en sortir par le frottement de deux bois l’un contre l’autre ; la manifestation de ce feu par le mouvement des aranis est un rite religieux que l’on a retrouvé dans la plupart des cultes aryens. La formule parsie, très claire pour un Parsi, n’offrait qu’un sens vague aux Tanaïm : ils remplacèrent le feu de l’arbre par le feu de la fièvre qui allume la soif et éteint l’appétit, qui boit et ne mange pas.
Le feu qui boit et qui mange était pour les Parsis le feu du corps animal. La science moderne accepterait volontiers cette définition, puisqu’elle réduit la vie à un phénomène de combustion. Les Parsis n’y voyaient pas si loin, et ici encore nous avons, non un essai de théorie scientifique, mais l’expression d’une croyance mythique. Il y avait identité matérielle entre la vie et le feu d’en haut ; c’était un dieu igné, Apâm Napâi, une des formes de l’éclair, qui était le père de la race humaine, et comme la vie humaine se prolonge par les aliments et la boisson, il s’ensuivait que le feu qui est dans l’homme, l’Atar qui réside en lui, mange et boit.
Mais pour les rabbins qui ne connaissaient pas Apâm Napâi ni tous ces enchevêtrements mythiques, il n’y avait de feu dans l’homme que pendant la fièvre. Que faire donc de ce feu qui boit et qui mange ? Leur mémoire agile leur suggéra le verset des Rois, et le feu d’Elie prit la place du feu Vohu Fryâna.
Ils auraient pu garder le feu qui ne boit ni ne mange, l’éclair ; mais ils se dirent peut-être que cette caractéristique n’était pas très nette ; les mythes d’orage occupaient fort peu de place dans leur pensée, et peut-être d’ailleurs pensaient-ils que l’éclair était déjà représenté par ce feu d’Elie, tombé du ciel : on sait qu’Elie, emporté au ciel dans un char de feu, est le personnage dont la légende rappelle de plus près les mythes d’orage des Aryens. Ils le remplacèrent par un feu qui les intéressait davantage, celui du sacrifice. Mais la définition parsie ne convenait pas : comme il s’agit d’un feu destiné exclusivement au bois , on s’empara des mots d’Ezéchiel sur le feu qui consuma la forêt du Juda : «Ainsi parle l’Eternel : Voici que j’allumerai en toi un feu qui dévorera en toi tout bois vert et tout bois sec . »
Restait le feu Nériosengh: si les rabbins, qui empruntèrent la théorie savaient que Nériosengh était le messager d’Ormazd, il était naturel de le représenter par Gabriel, le messager de Jehovah 3: mais je doute fort qu’il y ait eu traduction si scrupuleuse ; il restait un terme à remplir et l’on avait justement dans la légende un feu assez extraordinaire et qui ne méritait pas d’être oublié : on en profita.
IV.
Des rapprochements qui précèdent sortent deux conclusions historiques, l’une intéressant le judaïsme, l’autre le parsisme.
I- D’une part, il suit que l’influence du parsisme proprement dit sur le développement juif ne s’est pas uniquement exercée par contact direct, en Babylonie, à l’époque où cette région fut devenue le centre religieux du judaïsme par l’éclipsé et l’extinction des écoles palestiniennes, mais qu’elle s’est exercée bien avant cette époque, indirectement et à distance, sur les écoles de Palestine même.
Cela n’a pu se faire naturellement que par l’intermédiaire des Juifs babyloniens. Il suit de là qu’il faut faire à l’élément babylonien, dans l’œuvre même des Tanaïm où l’on est porté en général à ne voir qu’une oeuvre exclusivement palestinienne, une part plus considérable que l’on ne fait d’ordinaire.
D’ailleurs une série de faits ou de témoignages historiques prouve que des rapports ininterrompus ont subsisté entre les Juifs de Palestine et ceux de Babylonie, à l’époque même des Tanaïm. Josèphe nous montre les Juifs de Babylonie envoyant leurs offrandes au temple de Jérusalem, aussi régulièrement que les troubles du temps le permettent.
Les rapports entre les deux branches de la famille n’étaient pas tous d’ordre matériel et religieux, mais aussi d’ordre intellectuel. Soit qu’il n’y eût pas encore d’école indépendante en Babylonie, soit plutôt que la renommée des écoles de Palestine fit tort à celles de l’Euphrate, plus d’un étudiant venait de Babylonie écouter les docteurs de Jérusalem ; tel Hillel, qui devait fonder la grande école qui porte son nom et dont la famille devait si longtemps fournir des Nassis aux Juifs de Palestine.
Le Talmud cite parmi les Tanaïm un Joseph de Babel, disciple de R. Shimon ben Gamliel (seconde moitié du IIe siècle); il ne reste de lui que le nom, mais il en est d’autres dont les doctrines ont trouvé place dans la Mishna même ; — le plus célèbre est Nathan le Babylonien ; il appartenait à une famille qui jouait en Babylonie le même rôle que celle de Hillel en Palestine : la dignité de Chef de la Captivité (Nassi des Juifs de Babylone) y était héréditaire. Venu dans un âge mûr à Jérusalem, il fut nommé président du Beth-Din, c’est-à-dire collègue du Nassi; ceci dans la seconde moitié du second siècle.
Un homme comme R. Nathan devait apporter avec lui les idées et les théories qui circulaient aux bords de l’Euphrate. On pourrait imaginer que c’est lui qui apporta de là, la théorie des six feux : la situation de sa famille le mettait naturellement en rapport avec les principaux représentants des religions étrangères qui se rencontraient dans cette région *.
Sans nous arrêter à cette hypothèse, la présence constatée de docteurs babyloniens parmi les Tanaïm nous aide à comprendre comment cette théorie a paru trouver son chemin de Babylonie en Palestine.
Ainsi, à défaut du témoignage direct du Talmud, le témoignage indirect de la Perse prouve que l’influence du judaïsme babylonien, et par son intermédiaire, du parsisme, sur le judaïsme de Palestine est antérieure à la clôture de la période des Tanaïm, à la prédominance des écoles de Babylonie, et qu’elle peut se suivre jusqu’au milieu du IIe siècle.
2- D’autre part, le Talmud fournit ici une date pour l’histoire du développement parsi.
Si la distinction des six feux paraît déjà dans l’Avesta et par suite peut remonter à une très haute antiquité, la théorie même de ces six feux, je veux dire leur classification par aliments, qui en est parfaitement indépendante et qui peut et doit sans doute leur être postérieure, ne paraît que dans le Bundehesh, ouvrage qui, dans sa forme définitive, est postérieur à la conquête arabe.
Or, cette théorie des feux, cette classification par aliments, était connue des Tanaïm, puisqu’elle nous est transmise en leur nom.
La période des Tanaïm se clôt avec la fin du second siècle ; donc le fonds du passage, cité plus haut, du Bundehesh, remonte au plus tard au second siècle, il est antérieur à l’avènement des Sassanides, à la restauration du Zoroastrisme comme religion d’État.
Ainsi à défaut du témoignage direct de la Perse, le témoignage indirect du Talmud nous montre que la période parsie proprement dite, à laquelle ce passage appartient, et qui dure encore, était déjà ouverte au second siècle de l’ère chrétienne.
James Darmesteter
Note de Terre Promise :
Zarathoustra (aussi orthographié Zoroastre) est un grand penseur du monde antique. Il serait né dans une région correspondant à l’Iran ou à l’Afghanistan actuels, au VIIe siècle av. J.-C. Il est le créateur du zoroastrisme, une religion monothéiste.
2000-1800 av. J.-C : Dans la première partie du millénaire, un premier groupe de populations sémites, ancêtre des peuples juifs, originaires de Mésopotamie (Abraham, originaire d’Ur, selon la Torah), s’installent à Canaan.
Aux XIVe et XIIe siècles av. J.-C., ce premier groupe est exilé vers l’Égypte, où va naître le judaïsme, révélé par Moïse, en tant que première religion monothéiste. Vers la fin du XIIIe siècle av. J.-C., le premier groupe de Sémites fusionne avec un second groupe venu plus récemment de Harran en Haute-Mésopotamie, qui adopte aussi le judaïsme comme religion révélée, et ils s’installent en Judée-Samarie, l’actuelle Cisjordanie, une région peu peuplée, à partir de laquelle ils vont rayonner et s’allier à d’autres peuplades sémites de Galilée et de Transjordanie.
Vers 1500-1200 av. J.-C. : migrations indo-européennes (Aryens), sur le plateau iranien.
1232 av. J.-C. : selon la Bible, les Hébreux, sous la conduite de Josué, arrivent sur les bords du Jourdain. Ils se heurtent aux Édomites, Moabites et Amorrites avant d’occuper la quasi-totalité du pays de Canaan.
Selon les données de Wikipédia, il y a plus de chance que le concept des 6 feux provenait des hébreux et aient été repris par Zoroastre…, sans vouloir contrarier Mr Darmesteter, qui a le mérite d’attirer notre attention sur ces similarités.
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