Enjeux de la Torah

Les astronomes juifs du Moyen-âge

Les principales contributions des juiveries médiévales à l’astronomie furent l’établissement rigoureux du calendrier hébraïque, la traduction des travaux arabes et leur diffusion, la création de tables astronomiques et d’oeuvres originales.

Comme ce fut le cas pour les mathématiques, pour les sciences naturelles ou médicales, l’astronomie a joui de tout temps d’un statut privilégié chez les Juifs.

Aux raisons scientifiques propres, il faut d’emblée ajouter le paramètre religieux: pour établir le cycle exact des fêtes juives qui scandent l’année, l’appréhension exacte du calendrier hébraïque (qui est lunaire) s’avérait indispensable.

Il n’est qu’à citer à cet égard la célébration de la néoménie (premier jour de chaque mois qui correspond au renouvellement de la lune).

Nous ne devons donc pas être étonnés de trouver aussi bien dans la Bible hébraïque que dans l’oeuvre gigantesque des Talmud de Jérusalem et de Babylone une grande variété de textes ayant trait aux planètes et à l’astronomie.

Une recension fine et complète reste à faire.

I. LES ORIGINES

Contentons nous ici de rappeler que les savants de l’époque talmudique utilisaient des instruments astronomiques spécifiques (le « shéfoféreth » par exemple, pour l’observation de la lune), qu’ils connaissaient le calcul des solstices, le déplacement des planètes (le rabbin Yohanan ben Zaqaï) et les « chemins du ciel » (le médecin Mar Samuel de Néhardéa, en Mésopotamie), qu’ils affirmaient la rotation des planètes autour du soleil, prénommant la voie lactée « Nehar Dinour » (courant de feu). La connaissance des comètes (notamment celle de Halley) ne semble pas leur avoir échappé.

Johanan ben Zakai sur la menorah de la Knesset

Durant les siècles qui ont suivi la clôture du Talmud de Babylone et avant l’an Mil, nous avons des échos sur l’activité astronomique des savants juifs.

Citons ici deux cas représentatifs : Rabban Sahl al-Tabari qui a traduit en arabe au IXe siècle l’Almageste de Ptolémée, et Shabbetai Donnolo, médecin qui au Xe siècle a rédigé le premier traité astronomique en hébreu : Sefer Tahkemoni.

II. LA TRADUCTION DES TRAVAUX ARABES ET LEUR DIFFUSION

La transmission de la science arabe à l’Occident chrétien est sans doute un des facteurs de l’épanouissement scientifique de la Renaissance et peut-être aussi du retour des humanistes aux sources helléniques.

Le plus clair du savoir scientifique du Moyen-Age occidental (mathématiques, astronomie, physique, médecine) repose soit sur des innovations apparues dans la culture arabe, soit sur un héritage grec enrichi et transmis par celle-ci.

A. L’ESPAGNE

La condition historique et géographique des Juifs d’Espagne les a mis au contact immédiat de ce bagage scientifique. L’arabe était la langue de production des savants juifs vivant au sein de la civilisation islamique. D’autre part, les activités intellectuelles et économiques des communautés juives, leurs positions politiques et parfois leurs expatriements obligés dotèrent certains de leurs membres d’une multiple compétence linguistique. Aussi lorsque l’archevêque Raymond de Tolède, le roi Alphonse X de Castille ou l’empereur Frédéric Hohenstaufen en Sicile voulurent faire traduire en latin ou en langue vulgaire des oeuvres scientifiques arabes, se trouva-t-il parmi les traducteurs une forte proportion de Juifs, éventuellement assistés de Chrétiens.

Et il s’en trouva aussi, en particulier dans le MIDI DE LA FRANCE pour traduire, résumer ou produire des oeuvres scientifiques originales en hébreu, répondant ainsi à des besoins intra-communautaires. D’autres oeuvres furent par leurs soins traduites ou rédigées directement en latin.

L’activité des Juifs d’Espagne est la plus importante et l’on connaît sa double direction : vers des cercles juifs et non juifs.

Pour ces derniers, ils s’occupent de traduire, à deux époques successives : au XIIe siècle et au premier tiers du XIIIe siècle, en plusieurs endroits de la péninsule ibérique, ils collaborent à des traductions à quatre mains, c’est-à-dire-faites par des couples de traducteurs, un juif et un chrétien, suivant une technique qui de l’arabe en passant par la langue vulgaire, aboutit au latin ; plus tard, après 1250, à la cour tolédane d’Alphonse de Castille, les Juifs traduisent généralement seuls et directement en castillan.

Pour les Juifs qui ne connaissaient pas l’arabe, c’est-à-dire ceux installés en Espagne chrétienne et hors d’Espagne, les Juifs espagnols arabisants du XIIe siècle s’efforcèrent de mettre à leur portée les sciences arabes en écrivant des résumés ou des synthèses.

Les exemples les plus significatifs sont ceux d’ABRAHAM BAR HIYYA et d’ABRAHAM IBN EZRA.
Avraham bar Hiyya HaNasi al-Bargeloni

En effet, le plus grand des astronomes juifs qui écrivit en hébreu au début de la période espagnole fut Abraham bar Hiyya (XIIe siècle) dont les travaux marquèrent des générations d’écrivains juifs ; ses préfaces sont significatives :

« Si j’avais trouvé en France un ouvrage en hébreu contenant des règles sur le calendrier, je n’aurais pas pris la peine de composer ce livre… » (Sefer ha-Ibbur) ;

« Ayant longtemps cherché un traité en notre langue… et ne l’ayant pas trouvé, je me sentis obligé de l’écrire. » (Tzurat ha-Aretz).

Sefer Tzuret

Ceux de ses travaux qui furent traduits en latin eurent une grande influence sur le développement de la science européenne.

A partir de ses calendriers astronomiques et de son essai astronomique arabe qu’il traduisit en latin, il écrivit les oeuvres suivantes : un précis de cosmographie intitulé Tzurat ha-Aretz ve tavnit kaddurey ha-rakia (« La forme de la terre et la figure des sphères célestes), son Sefer ha-Ibbur qui comprenait des séries de calcul d’années et des déterminations de nouvelles lunes et de nouveaux cycles, et son Heshbon Ma-Halakhot ha-Kokhavim auquel des commentaires furent ajoutés par Abraham ibn Ezra qui vécut un peu plus tard au XIIe siècle.

L’introduction de ses premières tables astronomiques écrites en hébreu est largement basée sur les travaux d’al-Battani (Syrie, IXe siècle). Il y a aussi, écrites en marge, beaucoup de notes explicatives d’un caractère relativement banal qui sont attribuées à A. ibn Ezra.

On peut citer un autre juif arabisant actif aussi bien en Languedoc qu’en Provence, Lévi ben Abrah (…) Ce dernier composa par ailleurs une introduction à l’astronomie, un traité de l’astrolabe et des tables astronomiques5.

B. LE MIDI DE LA FRANCE

Plus tard « ce travail de traduction d’arabe en hébreu, qui est le principal, service que les Juifs aient rendu au Moyen-Age, s’accomplit tout entier dans le Midi de la France par des familles juives venues d’Espagne qui conservèrent, durant quelques générations, dans leur nouveau milieu, la connaissance de leur ancien idiome ».

En effet, la Provence médiévale (incluant, selon l’acception hébraïque de l’époque, aussi bien le Languedoc que la Provence actuelle) fut le centre majeur de traductions arabes en hébreu aux XIIIe et XIVe siècles, et la plupart des textes qui étaient d’un commun usage en Espagne devenaient accessibles en hébreu en Languedoc et en Provence.

1. Le Languedoc

La transmission en Languedoc est surtout l’oeuvre de deux familles, toutes deux originaires de l’Espagne musulmane ; la première, celle des Kimhi, active à Narbonne au XIIe siècle, s’attela surtout à des travaux de philologie et d’exégèse biblique.

C’est à la deuxième famille, celle des ibn Tibbon, tous médecins, que l’on doit directement ou indirectement la plus grande partie (plus de 90% ?) de l’activité scientifique d’origine arabe en Languedoc.

Judah ibn Tibbon, chassé de son Andalousie natale par les persécutions des Almohades, s’établit à Lunel où florissait une communauté juive d’implantation ancienne, et sous l’impulsion du groupe local des savants, il traduisit au XIIe siècle en hébreu plusieurs ouvrages déjà classiques de la philosophie juive rédigée en arabe.

Judah ibn Tibbon

Son fils Samuel (qu’il admoneste dans son testament, car il lui reproche de ne pas s’appliquer en calligrahies arabe et hébraïque) qui traduira pourtant le fameux Guide des Egarés de Maïmonide, traduira aussi le traité des Météores d’Aristote d’après la traduction arabe de Yahya b. Batriq : il s’agit des Otot ha-Shamayim qu’il acheva de traduire en 1210 ou 1213 (pendant un voyage par mer entre Lampedusa et Pantelleria et auquel il ajouta un certain nombre de notes personnelles).

Le rythme des traductions s’accéléra vite, et le fils de Samuel, Moise ibn Tibbon, va traduire entre 1240 et 1280 plus d’une trentaine d’ouvrages en hébreu.

MOISE IBN TIBBON, l’un des plus grands traducteurs du Moyen-Age : parmi les 37 traductions qui lui sont attribuées, à peu près la moitié sont des ouvrages de philosophie ; le reste doit être partagé en deux groupes : la médecine et les sciences exactes.

Il semble qu’il ait eu une première période d’activité à Naples jusqu’en 1246, et une seconde à Montpellier à partir de 1254. Quatre traductions appartiennent nettement à l’astronomie : il s’agit de deux traités dus à des auteurs grecs (l’Introduction à l’astronomie hipparquienne de Geminus, traduit à Naples en 1246, et les Sphériques de Théodose de Bithynie) qui furent transposées à partir des versions arabes : le choix de Moïse fut judicieux car Théodose avait fait auparavant l’objet de deux traductions latines (par Platon de Tivoli et plus tard Gérard de Crémone).

Ses deux autres travaux furent : un commentaire de l’Almageste de Ptolémée par Ibn Aflah ha-Ishbili (connu aussi sous le nom de Abu-Muhammad Jabir ibn Aflah) ; cet ouvrage d’ibn Aflah (Ki-tab al-Hayd ou « Le livre de l’astronomie ») est important par son approche critique du système ptolémaïque de l’univers, sa version hébraïque était très attendue, et Moïse – comme on le verra plus loin – ne fut pas le seul à l’entreprendre.

D’une façon générale l’oeuvre elle-même de Ptolémée d’Alexandrie (IIe siècle), l’Almageste – treize livres systématisant la structure de l’univers et l’astronomie grecque – domina la pensée astronomique et astrologique pendant 14 siècles, devenant l’autorité en la matière et la source principale pour les traductions et commentaires astronomiques de toute la période médiévale.

Il est à noter d’ailleurs que l’une des premières traductions hébraïques de l’Almageste fut accomplie par Jacob Anatoli (allié aux Tibbonides : gendre de Samuel ?) entre les années 1231 et 1235 : Hibbur ha-Gadol ha-Nikra al-Magesti. Ce même Jacob Anatoli traduisit encore le résumé de l’Almageste d’Averroës sous le titre de Kizzur al-Magesti, et également l’ouvrage de l’astronome arabe du ixe siècle al-Farghani sous le titre ïesodot ha-Tekhunah (en arabe, Kitab fial-Harakat al-Samawiyya ou « Le livre sur les mouvements célestes »).

Quant à Moïse ibn Tibbon, sa quatrième traduction fut celle du « Livre sur l’astronomie » de l’astronome arabe al-Bitruji de Séville et elle sera transposée en latin au XVIe siècle par Calo Calonymos ; cette retraduction latine – même tardive et destinée aux milieux chrétiens – témoigne de l’influence de la version hébraïque de Moïse.

JACOB BEN MAKHIR IBN TIBBON (12367-1304 ?)

Il faut remarquer d’emblée qu’à l’inverse de son oncle Moïse ibn Tibbon dont on a souligné le labeur fort diversifié (médecine, philosophie, etc.) dans l’entreprise de traduction réalisée, Jacob ben Makhir se consacra essentiellement à l’astronomie, livrant ainsi autant des traductions que des ouvrages originaux.

Parmi ses traductions, notons la « Correction » de l’Almageste de Jabir ibn Aflah qui avait d’ailleurs fait l’objet d’une version en hébreu par son oncle Moïse, et le livre « Sur l’astronomie de l’Univers » en 1271 d’ibn al-Haytham (XIe siècle).

A relever enfin qu’il s’est occupé de retraduire en latin, en collaboration avec Jean de Brescia et par le biais d’une langue romane (l’occitan ?) la Sahifa d’al-Zarqali qu’il avait déjà lui-même traduite en hébreu. Cette retraduction latine bénéficia d’un grand succès.

Ce travail de traduction (qui fut réalisé, à l’inverse de ses devanciers, avec une certaine liberté, n’excluant pas des observations personnelles) paraît s’achever, selon les indications des manuscrits conservés, en 1275 ; il est vraisemblable comme le fait observer David Romano, que cette période de traduction fut une étape de préparation et de maturation d’oeuvres originales qui écloront par la suite, avec le succès que nous verrons plus loin.

2. La Provence

KALONYMOS BEN KALONYMOS d’Arles (né en 1287)

De son nom provençal Maestro Calo, ce traducteur – le plus actif en Provence – fit ses études à Salon où vivaient ses deux maîtres Moïse de Beaucaire et Sen Astruc de Noves. Immanuel de Rome ou Manoello, que l’on suppose avoir été l’ami de Dante, ne tarit pas d’éloges sur lui comme traducteur et poète :

« Il connaît – dit-il – Ptolémée par coeur, ainsi que les livres des Chaldéens (ouvrages astrologiques ?), et il est le plus habile pour traduire de l’arabe en hébreu ». Le fait le plus important de la carrière extérieure de Kalonymos fut ses relations avec le roi Robert de Naples. Les travaux que le roi lui demandait se rapportaient non à des traductions hébraïques, mais à des traductions latines.

Kalonymos se servait rarement des traductions de ses prédécesseurs. Hormis ses nombreuses traductions d’ouvrages médicaux (dont Galien, Horsin ibn Ishaq, etc.), mathématiques (Euclide) et philosophiques (Aristote, Averroës), on doit relever en astronomie : sa traduction du traité d’al-Kindi (Abou Yousouf Yacoub Ishaq al-Kindi) relatif à l’influence des corps célestes sur la pluie achevée le 21 eloul 5074 selon le calendrier hébraïque (2 septembre 1314). Dans le manuscrit du Vatican où il n’y a pas de titre hébreu, on a le titre latin De intelligentiis sphoeras moventibus.

Sa traduction du commentaire moyen d’Averroës sur Les Météores d’Aristote, terminée à Arles (en 19 jours !) le 15 novembre 1316.

Sa traduction du traité de Ptolémée intitulé Sur tout ce qui est relatif aux planètes, en deux livres (vers 1317). Kalonymos regrette d’avoir entrepris sa traduction sur un texte défectueux (mais à la demande de ses amis), et il prie ses lecteurs de l’en excuser.

Sa traduction du traité d’al-Kindi Sur les humidités et la pluie.

Son but fut de montrer les folies et les perversités du temps où il vécut ; pour être impartial, i (…)

On peut relever enfin dans son ouvrage satirique Even Bohan (« Pierre de Touche ») qui est un traité de morale composé en 132212 cette appréciation qu’il fait « sur ceux qui se croient de grands savants » ou « ceux qui croient connaître l’astrologie, science aussi vaine que la sorcellerie ».

Un autre traducteur important en Provence fut SAMUEL DE MARSEILLE (né en 1294), fils de Juda, fils de Meschullam.

Il fit un commentaire sur l’Almageste dont il acheva la première partie en octobre-novembre 1330 et la troisième partie en mai 1331 à Tarascon. Et il corrigea la traduction hébraïque faite par Jacob ben Makhir de l’abrégé de l’Almageste d’ibn Aflah. Le long épilogue qui termine cette seconde traduction est édifiant sur la véritable chasse aux manuscrits rares qui se pratiquait à l’époque dans les milieux lettrés provençaux ; en voici la substance, résumée par Renan (qui la livre aussi in extenso en hébreu) :

Comme Kalonymos ben Kalonymos. « Samuel dit qu’à l’âge de 18 ans, il a commencé à s’adonner à la philosophie ; il a étudié l’astronomie à Salon avec le grand maître R. Abba Mari surnommé Sen Astruc de Noves…

Là il s’est rendu familier avec l’ouvrage d’ibn Aflah ; quant au livre qu’Averroës a composé sur le même sujet, il n’a pu en avoir connaissance que par la traduction de Jacob Anatolio, laquelle, à ce qu’on dit, n’est pas correcte, et en outre, difficile à trouver…

A l’âge de 30 ans, il est revenu à l’étude de l’Almageste de Ptolémée… il le lit maintenant avec son frère, En Bondavi de Marseille, très versé dans ces recherches, quoique plus jeune que lui. Ils ont étudié tout l’ouvrage, excepté la dernière partie, car les temps rendent impossibles les travaux approfondis. Ainsi il n’a fait de commentaire que sur les trois premières parties, n’étant pas en force de s’occuper d’un commentaire sur le livre entier, vu les calamités présentes.

C’est à Tarascon que les deux frères s’occupent de cette lecture, leur domicile étant dans cette ville. Samuel avait alors 35 ans. Il trouve qu’Averroës n’a fait qu’extraire de l’ouvrage de Ptolémée, et que tout ce qu’il dit de bon lui vient de son auteur. Les deux frères se rendent à Trinquetaille (faubourg d’Arles) où ils ont pu se procurer un texte arabe très correct ; ils en ont pris copie à la hâte, s’étant retirés dans une des écoles pendant deux jours, vivant de pain et d’eau, car, disent-ils, nous avons hâte de rendre l’ouvrage à son propriétaire et de retourner chez nous pour certaines affaires. La copie a été faite sans ordre, car ils ne savaient pas toujours comment les pages se suivaient, et ils ne possédaient que la huitième partie de l’ouvrage.

Après de grands voyages, Samuel a pu se procurer une traduction de Jacob ben Makhir dont on lui a permis de prendre copie. C’était l’autographe du traducteur. Cependant Samuel croit y avoir découvert des fautes. Enfin il a pu consulter une seconde fois le texte arabe où il a trouvé beaucoup d’endroits peu d’accord avec Jacob ben Makhir.

En outre, dans l’oeuvre de ce dernier, il manque le chapitre sur la voie lactée et d’autres constellations. Samuel a pu corriger les fautes de Jacob et compléter l’ouvrage. Il a appris également que Moïse ibn Tibbon en avait fait une traduction qu’il n’a pu se procurer.

Samuel finit sa tâche à 42 ans, le 17 décembre 1335 à Aix ».

SALOMON DAVIN DE RODEZ traduisit vers la fin du XIVe siècle des ouvrages d’astronomie et d’astrologie.

Plaçons en premier lieu le traité astronomico-astrologique d’Abou-l-Hassan Ali ibn Abi-Ridjal, composé en arabe, traduit en espagnol sur le désir d’Alphonse X par le médecin Juda, fils de Moïse Cohen, en 1256, et sur cette version, en latin par Gilles de Thébaldis de Parme et Pierre de Regio, imprimé à Venise en 1485 et 1525.

C’est sur cette dernière traduction que notre auteur fit la sienne en hébreu. Il dit dans sa préface que l’ouvrage d’Ali étant excellent et en même temps rare, il se décidait à le traduire pour l’avantage de ceux qui étudient ces matières. N’ayant eu qu’un exemplaire incomplet et incorrect, il complètera sa traduction et expliquera les passages douteux dans des notes marginales.

La seconde traduction due à la diligence de Salomon Davin est celle des Tables de Paris accompagnée de ses notes. Salomon se dit ici l’élève d’Immanuel de Tarascon dont on parlera dans les pages suivantes.

Les tables de Paris, basées sur les Tables alphonsines, sont très amples et font usage de doubles arguments pour trouver les longitudes et latitudes planétaires. Quelques textes latins y font relation : le premier ensemble de tables de ce caractère est celui de Jean de Lignières qui travaillait à Paris autour de 1320.

MOSHE BEN ABRAHAM DE NIMES, a traduit du latin les Tables astronomiques d’Alphonse, roi de Castille ; ces Tables dites alphonsines étaient probablement les plus largement utilisées dans l’Europe du Bas Moyen-Age et de la Renaissance.

La forme originale, basée sur des modèles islamiques, fut écrite en espagnol au XIIIe siècle, mais la version latine apparue au début du XIVe siècle, fut davantage connue La forme espagnole ne semble pas avoir survécu.

Un texte hébreu par Isaac Israeli, Yesod olam, fournit quelque information d’arrière plan: Isaac ben Sid, astronome juif qui travaillait pour le roi Alphonse, avait observé une éclipse solaire à Tolède le 5 août 1263, et à la requête du roi, trois éclipses lunaires : les 24 décembre 1265, 19 juin 1266 et 13 décembre 1266. Les écarts entre l’observation et le calcul furent sans doute présentés comme une part de justification pour construire l’ensemble en question de Tables.

Moïse fils d’Abraham de Nîmes traduit donc des Tables en hébreu avec le commentaire de Jean de Nicora composé à Paris, et les Tables de Jean de Saint-Archange d’après le désir de Maestro Crescas Nathan « fils du grand et puissant prince, la lumière de notre captivité, ‘Don Isaac Nathan’» en 1420. Dans sa préface, Moïse dit qu’il a fait cette traduction pour trois raisons : parce qu’elle est l’oeuvre d’un roi, qu’elle est complète, et que les Chrétiens l’ont en grande estime. Ces tables, poursuit-il, sont beaucoup plus exactes que celles de Paris.

Telle est, résumée et schématisée, la somme des traductions réalisées dans ce Midi de la France où des esprits éclairés, à l’affût de la nouveauté intellectuelle s’exerçaient, soucieux de transmettre leur bagage culturel, passionnés de recherche et de vérité scientifique.

Tel Samuel de Marseille dont nous avons présenté le vagabondage intellectuel : de Salon où il étudie (à 18 ans) à Aix où il achève sa traduction (à 42 ans) en passant par Tarascon et Trinquetaille où il parvient à se procurer des textes arabes corrects, n’hésitant pas à reprendre, corriger ou abréger des versions précédentes qu’il juge fautives ou insuffisantes.

Par ailleurs, il n’est pas indifférent de noter que des Chrétiens traduiront au XVIe siècle toutes ces versions hébraïques : l’Almageste et al-Farghani traduits par J. Anatoli le seront par Jacob Christmann (Francfort, 1590) ; Abraham de Balmes (mort en 1524) traduira en latin la version hébraïque de Moïse ibn Tibbon sur le travail de Geminus, aussi bien que celle de Jacob ben Makhir d’ibn-al-Haytham.

III. LES OEUVRES ORIGINALES PRODUITES DANS LE MIDI DE LA FRANCE

JACOB BEN MAKHIR IBN TIBBON

Après les traductions dont on a dit qu’elles avaient pu constituer pour lui une phase de préparation, des ouvrages originaux vont assurer sa renommée :

Ecrit en hébreu, le premier est le Beur ha-keli ha-niqra rova Israel dont lui-même a fait deux rédactions : l’une en 1288 et l’autre, révision de celle-ci, en 1301, et conservée dans sa seule traduction latine. La première rédaction avait été également traduite en latin, avec sa propre collaboration.

Il s’agit d’un ouvrage sur un nouvel instrument astronomique appelé quadrans judaicus et souvent aussi quadrans novus par opposition au quadrans vetus de Robert l’Anglais (1276). Le quadrant de J. XVIe siècle. Il est sans doute supérieur au vetus et sert aux mêmes usages que l’as trolabe ; plus exact, il est en même temps plus difficile à utiliser que celui-ci.

L’autre oeuvre originale de Jacob est celle des Luhot (Tables) compilées pour la longitude de Montpellier. Jacob n’a pas composé de tables astronomiques (en suivant celles de al-Zarqali ou d’Alphonse X) mais un almanach (l’almanach étant une oeuvre tabulaire ou bien des tableaux d’éphémérides, mais non de vraies tables astronomiques), dans lequel il suivit et rectifia les données de l’almanach d’al-Zarqali.

Le fait que les Luhot aient été traduites plusieurs fois en latin (Almanach perpetuum), le nombre de manuscrits conservés (soit en hébreu, soit en latin), les citations élogieuses des grands astronomes du XVIe siècle, témoignent bien qu’il ne s’agissait pas d’une simple adaptation et que Jacob ben Makhir -de la brillante et féconde dynastie des Tibbonides- est l’un des grands astronomes juifs des temps médiévaux.

L’autre est RALBAG (nom formé par les initiales de Rabbi Lévi ben Gerson).

LEVI BEN GERSON (ou GERSONIDE) est sans doute originaire de Bagnols-sur-Cèze (Gard) d’où il tire son nom provençal de Maestre Leon de Bagnols. Il a vécu surtout à Orange, et fait quelques séjours à Avignon.

De sa biographie, on connaît peu, outre le fait qu’il vécut entre 1288 et 1344 dans le Sud de la France. De son activité intellectuelle extrêmement diversifiée (théologie, philosophie, mathématiques…), de nombreux écrits témoignent. Parmi ceux-ci il semble que ses textes astronomiques écrits comme tous les autres en hébreu, mais traduits à quelques reprises en latin, permettent de saisir les diverses dimensions de son personnage scientifique.

Il se situe comme tout astronome de l’époque dans une perspective ptolémaïque et se réfère à des travaux d’auteurs plus récents (al-Battani, A. ibn Ezra, A. bar Hiyya…) pour l’élaboration de ses théories. Ses ouvrages d’astronomie :

Explications du Résumé du traité du ciel achevé en septembre 1321, du traité des Météores clos en décembre 1321, et surtout ses Luhot composées à la demande de personnages importants chré tiens et juifs, vers 1320 à Orange.

L’ouvrage est divisé en cinq parties : sur le caractère des Tables et des Cycles ; sur la conjonction moyenne et l’opposition (du soleil et de la lune) ; sur la vraie moyenne ; sur la position du soleil pendant la conjonction et l’opposition ; sur les éclipses.

Dans ses « Guerres du Seigneur » (Milhamot ’Adonây), ouvrage de philosophie et de théologie, une partie astronomique fut accueillie avec beaucoup de faveur par les savants chrétiens. Appelée Livre d’astronomie ou Partie astronomique, elle répondait si bien aux besoins du temps qu’on en fit une traduction latine dont le début a été publié par le prince B. Boncompagni.

C’est peut-être aussi cette traduction que Kepler et ses correspondants connurent par ouï-dire et désiraient tant voir.

Dans son propos sur l’utilité et les difficultés de l’astronomie, Lévi parle d’un nouvel instrument qu’il a inventé et qu’il appelle Megallé Amoukhot (« Le Révélateur des profondeurs »). Il est probable que cet instrument est celui-là même qui est cité par Johanan Alemanno, écrivain juif italien du xvie siècle, sous le titre de « Bâton de Lévi ».

Cette partie du traité astronomique a été donnée séparément par l’auteur lui-même ou par un anonyme sous le titre « Circonférence des cieux » et l’opuscule ainsi détaché, comprenant tout ce qui concernait l’instrument inventé par Lévi, fut traduit en latin dans le courant de l’année 1342, par conséquent du vivant de Lévi, sur l’ordre du pape Clément VI. C’est l’exemplaire même qui se conservait en 1369 dans la bibliothèque du palais pontifical d’Avignon.

La traduction se termine ainsi : « Explicit tractatus instrumenti astronomie magistri Leonis judei de Balneolis, habitatoris Aurayce, ad summum pontificem dominum Clementum VI, translatus de hebreo in latinum, anno Incarnationis Chr. 1342 et pontificatus dicti Clementi anno primo. »

Le manuscrit latin de Munich renferme une traduction latine du même traité sous le titre de Baculus Jacob ; plus heureux que Képler qui attachait de l’intérêt à ce manuscrit, les Jésuites d’Ingolstadt réussirent à se le procurer, et en firent une copie. On a continué récemment encore à considérer Regiomontanus comme le premier qui se soit servi du baculus pour mesurer la distance des étoiles ; il est prouvé à présent qu’il connaissait une traduction latine du traité de Lévi.

Dans l’ensemble de ce livre V, Lévi expose les inconvénients du système de Ptolémée ainsi que de celui qu’avait inventé « le maître de la nouvelle astronomie » Al-Bitrôdji (Alpetragius), auteur de la fin du XIIe siècle.

Pic de la Mirandole le mentionne plusieurs fois dans ses Disputationes in Astrologiam en s’exprimant ainsi : « Leo Hebraeus, ut insignis et celeber mathematicus, quasi veteribus parum fidens, excogitavit novum instrumentum cujus vidimus canones mathematica subtilitate praecellentes ».

Jusqu’à Philippe de Vitri enfin, auteur dans sa jeunesse de traités de musique, qui eut des relations scientifiques avec Léon de Bagnols en 1343.

Léon l’Hébreu prit ainsi place parmi les classiques de l’astronomie, comme l’a écrit E. Renan : « Voilà donc un ouvrage de science parfaitement rationnelle, quelles qu’en furent les erreurs de détail, qui éclôt dans la première moitié du xvie siècle, au sein des Juiveries du Midi. La Cour d’Avignon, si éclairée pour le temps, en reconnaît la supériorité et se le fait traduire. Personne, à cette époque, ne paraît avoir porté dans la cosmographie mathématique autant de science spéciale et de sagacité », Bernard R. Goldstein, auteur de nombreux travaux sur l’astronomie ancienne et médiévale, a pu ainsi décrire sa démarche :

« Nous avons ici l’exemple d’un astronome médiéval qui recourt à une méthode scientifique très élaborée : il critique avec soin les travaux de ses prédécesseurs ; construit de nouveaux instruments d’observation et en perfectionne d’anciens ; prend en considération tout un ensemble de modèles planétaires possibles ; détermine les paramètres de ses modèles sur base de ses observations propres ; compare les positions prédites à partir de son modèle avec celles qu’il a observées aussi bien qu’avec celles obtenues à partir du modèle de Ptolémée ; modifie enfin ses paramètres à la lumière d’observations ultérieures… ».

Contemporain de Lévi ben Gerson, mais un peu plus jeune, IMMANUEL BONFILS DE TARASCON fit des observations à Tarascon sa ville natale, à Avignon, et à une certaine époque il tint école à Orange, enseignant les mathématiques et probablement aussi la médecine (en 1377).

Ses ouvrages d’astronomie sont : Un Traité sur le cours moyen des planètes, composé à Tarascon autour de 1340.

La 29e pièce du manuscrit de Munich contient une Table pour calculer la déclinaison du soleil, basée sur l’ouvrage « Pierre du Secours » qui ne semble pas – quoiqu’on en ait dit – être d’Abraham bar Hiyya. Le calcul sur la hauteur du soleil est fait pour Tarascon et Avignon.

Le même manuscrit de Munich contient un chapitre intitulé « Table du bon cadeau » sur la Détermination de la planète Vénus de 1300 à 1357.

De la manière de construire l’astrolabe : les latitudes d’Arles, de Tarascon et d’Avignon y sont données (manuscrits de Paris, de. Munich et de Londres au Jewish College). Une note Sur les cycles (manuscrit d’Oxford).

Enfin le célèbre ouvrage d’Immanuel, « Ailes des Aigles » ou Six Ailes, traité astronomique en six chapitres sur les conjonctions, les oppositions, les éclipses solaires et lunaires, etc., fait à Tarascon. Ce traité a été très répandu et a dû avoir un grand succès à en juger d’après le nombre de manuscrits trouvés dans toutes les bibliothèques (en particulier à Oxford). Le manuscrit de Munich indique que ce traité a été achevé à Tarascon en août 1365. Il s’en fit une traduction latine en 1406, sur laquelle Chrysocca composa son commentaire.

Pic de la Mirandole les a probablement connues, à l’aide d’une traduction latine.

Traité sur la valeur de l’inégalité : opuscule qui traite des Inégalités du cours du soleil et de la lune, et de la nécessité de mettre ces inégalités en ligne de compte pour fixer exactement la date des conjonctions, des oppositions, des éclipses, etc., « attendu que les tables astronomiques renferment à cet égard des erreurs considérables ».

Le manuscrit d’Oxford porte la date hébraïque de 5126 (1366) et indique que l’ouvrage a été composé à Tarascon. Immanuel y cite – outre les tables de Lévi ben Gerson, al-Battani, Abraham ibn Ezra – un almanach rédigé par un grand savant et annoté par un contemporain. Il renvoie aussi à son traité des Six Ailes.

JACOB BONET
Jacob, surnommé Bonet, fils de David, fils de Yom-Tob Bonjorn, est l’auteur de Tables astronomiques, faites à Perpignan en 1361. Dans un manuscrit, il est nommé Jacob Poël.

Ces tables paraissent avoir été très répandues, car les différentes bibliothèques en possèdent un grand nombre de manuscrits qui ont fait l’objet de nombreux commentaires.

Dans quelques manuscrits, on en trouve une traduction hébraïque faite sur le latin. Ainsi, dans le manuscrit d’Oxford, on lit : « Vois, j’ai trouvé ceci entre les mains d’un chrétien ; c’est un livre attribué à Jacob, fils de David, fils de Jorn, composé de Tables servant à connaître les conjonctions et les oppositions, etc., que nous avons traduit en notre langue. »

Il n’est pas probable que Jacob ait composé ces Tables en latin en même temps qu’en hébreu. D’après un manuscrit de Parme, notre auteur aurait fait des additions aux tables de Jacob ben Makhir.

MOISE FERRUSSOL BOTAREL est également l’auteur de Tables astronomiques :

Tables sur les conjonctions et les oppositions, avec des canons en six chapitres. Moïse parle d’une éclipse de soleil observée en 1478, calculée par erreur comme une éclipse totale et corrigée dans les Tables d’Alphonse et celles de Maestro Léon (Lévi ben Gerson).

Le point de départ est la nouvelle lune du mois d’iyyar (mars) 1481 à Avignon.

Art fixe, traité sur le calendrier, composé en l’année 1464-1465, sur le désir de Jacob Léon de Cavaillon. Ici, Moïse se dit l’élève de Moïse de Nîmes.

Le Commentaire sur les Tables d’Immanuel de Tarascon composé en 1465 est probablement de lui.

***

En conclusion, il est permis de dire que l’ample travail de traduction auquel se sont livrés les Juifs languedociens et provençaux a été l’un des points de liaison entre les sciences gréco-arabe et les sciences de l’Occident chrétien.

Les exigences pratiques du calcul du calendrier hébraïque désormais satisfaites, il y eut un labeur considérable opéré presque en deux tranches : l’une de prépondérance des traductions, l’autre durant laquelle les traductions ont été de pair avec des oeuvres plus ou moins originales.

On ne peut par ailleurs omettre d’insister sur cette ambition de totalité qui caractérisait le savant juif, héritier là aussi de la tradition arabe et versé dans plusieurs sciences : l’exemple des Tibbonides et de Lévi ben Gerson est à cet égard édifiant.


Cette tendance à l’universalisme dérivait nécessairement de la recherche de la vérité scientifique, indifférente par nature aux affiliations religieuses : Jacob Anatoli qui collabore à Naples avec le savant Michaël Scot, astrologue et traducteur de la Cour de Frédéric II déclarait :

« Le fait qu’il n’appartient pas à notre peuple n’est pas une raison pour réfuter ses vues, dont il faut apprécier la valeur d’après leur vérité intrinsèque et non d’après l’origine de leur défenseur ».

Lévi ben Gerson n’établissait-il pas ses Tables astronomiques « à la requête des grands et nobles personnages chrétiens » ?

Le pape Clément VI n’avait-il pas donné en 1342 l’ordre de traduire son ouvrage de trigonométrie et la description d’un instrument astronomique ?

Gersonide n’entretenait-il pas des relations avec l’évêque de Meaux, Philippe de Vitry destinataire de son traité sur les Nombres harmoniques, et il dut connaître par son intermédiaire Jean des Murs, l’un des maîtres de l’astronomie parisienne. Il témoigne lui-même qu’une nuit de la fête des Cabanes (Soukkot) où il ne pouvait rédiger ses observations astronomiques, il les dicta à un moine qui étudiait sous sa direction la science des astres et qui n’est peut-être autre que ce Pierre d’Alexandrie, traducteur du pronostic qu’il établit en 1345(pronostic qui présageait la conjonction de Saturne et de Jupiter le 28 mars 1345) ; il est vraisemblable que c’est ce religieux augustin qui l’introduisit à la Cour pontificale à Avignon.

Au demeurant, le climat environnant rappelle constamment à l’intellectuel juif qu’il appartient à une minorité menacée : pas un savant qui ne déplore des conditions de travail troublées : Samuel de Marseille n’évoquait-il pas « les calamités présentes » ?

L’écho des troubles de 1320 qui « rendent impossibles les travaux approfondis » se perçoit aussi chez Lévi ben Gerson qui regrette en 1329 « les tracas de l’époque qui empêchent toute spéculation »

Cette culture enfin ne s’est-elle transmise que dans un cercle étroit d’héritiers ? Certes ses premiers hérauts vivent dans la prospérité : Judah ibn Tibbon était engagé dans le commerce maritime, ainsi que son fils.

Il est au surplus clair qu’il faut des moyens pour se consacrer à plein temps à la recherche pure : Jacob ben Makhir, l’arrière petit-fils de Judah, le sait bien qui déclare que l’astronomie « n’est accordée qu’à celui auquel le pain sera donné et l’eau assurée ».

Au XVe siècle, il apparaît bien – au travers des registres de notaires – que cette culture fleurit au sein d’un groupe actif et bien distinct à l’intérieur des communautés : celui des médecins, lesquels par le fait même de leurs autres activités cumulées (commerce, prêt), étaient des porteurs et agents de diffusion privilégiés de la culture scientifique et philosophique.

Hormis cette strate mince et influente des médecins, c’est parmi l’élite des notables (dirigeants communautaires ou baylons, gros prêteurs) que les livres circulent, qu’ils soient achetés, vendus, légués ou collectionnés.

N’est-il pas caractéristique que la juive la plus riche de la cité arlésienne, Venguessone Natane, lègue ses ouvrages en latin à son petit-fils à la condition expressément formulée qu’il continue à apprendre le latin ?.


La taille et la composition de leurs bibliothèques témoignent de la solidité de leur formation ; on donnera pour conclure, l’exemple significatif de la pénétration des sciences dans les couches intellectuelles juives : c’est celui du médecin juif aixois Astruc des Sestiers dont j’ai analysé l’inventaire des biens après décès enregistré chez notaire en 1439.

Sa collection se chiffrait à rien moins que 179 ouvrages dont 36 de médecine, 22 de philosophie, et autant (une quarantaine) d’exégèses biblique et talmudique. Parmi ses ouvrages scientifiques, au nombre de huit dont deux de mathématiques (Euclide), on doit retenir les volumes ayant trait à l’astronomie :

Astruc possédait Abraham bar Hiyya de Barcelone (Forme de la Terre et figures des sphères célestes), Samuel ibn Tibbon qui traduisit les Météores d’Aristote, Abu Yusuf al-Kindi (ouvrage astrologique sur la nouvelle lune) traduit par K. ben Kalonymos, Abraham ibn Ezra (Goralot, sorte de divinations incluant l’astrologie), ibn abi’l-Rijal (Mishpatim ha-Kohavim, astrologie judiciaire), et enfin Rabbi Bonet Bonjorn avec ses Luhot ou Tables astronomiques.

En regard, la bibliothèque du médecin juif Léon Mosconi de Majorque, pour imposante qu’elle fut en 1370 (147 ouvrages), n’est guère mieux pourvue en ouvrages d’astronomie: trois volumes (de Ptolémée, l’Almageste et une dissertation logique ; outre ce grand classique traduit de l’arabe, deux manuels d’astronomie en arabe : ibn Haītham ?, et la célèbre Astronomie de Jacob ben Makhir). Léon Mosconi fut pourtant un érudit qui a composé un supercommentaire du commentaire d’Abraham ibn Ezra sur le Pentateuque et sa bibliothèque a d’autant plus de relief.

En revanche, Astruc de Sestiers d’Aix fut un médecin quelconque, que rien ne situa hors du commun : on peut ainsi sans risque le juger représentatif des lettrés juifs de la Provence médiévale.

AUTEUR : Danièle Iancu-Agou
Chargée de recherche au c.n.r.s. c.e.s.m.-aix-en-provence
© Presses universitaires de Provence, 1983


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