Juifs célèbres

Don Joseph Nassi, Duc de Naxos (1505-1579)

L’histoire de Don Joseph Nassi est fascinante. Riche en aventures, elle est l’histoire du courage et de l’endurance. Mais elle nous rappelle également combien tragique fut la vie des Juifs en ce temps-là, vers la fin du sombre Moyen-âge.

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Joseph naquit en Espagne à l’époque où la cruelle Inquisition était au pouvoir. Les Juifs n’étaient plus libres de servir le Dieu de leurs pères. La plupart de ceux qui désiraient demeurer ouvertement fidèles à leur foi – ce fut le cas du plus grand nombre – avaient été expulsés (1492).

Néanmoins, quelques familles feignirent d’embrasser le catholicisme et furent autorisées à rester dans le pays. On les appela les Marranos. En secret et dans la crainte constante d’être découverts, ils pratiquaient et observaient les coutumes et la foi juives. Parmi eux se trouvait la famille de Nassi ; elle avait changé de nom et pris celui de Mendez.

Elle se composait de trois frères. Le plus jeune fut le père de Joseph. Il mourut quand ce dernier était en bas âge. Le petit orphelin fut élevé par ses deux oncles qui avaient pris des prénoms espagnols : Francisco et Diego. La vie devenant intolérable en Espagne, les deux frères s’enfuirent à Lisbonne, emmenant avec eux leur jeune neveu. Ils avaient sauvé de la débâcle leur immense fortune.

Ils durent cependant continuer à dissimuler leur vraie confession et feindre de n’être pas juifs. Mais ils s’attachèrent à leur foi avec d’autant plus de force que cet attachement devait demeurer secret. Et cette foi, ils l’inculquèrent à leur beau et brillant neveu Joseph. Le garçon apprit ainsi combien grands avaient été ses ancêtres. À l’exemple de ses oncles, il caressait l’espoir qu’un jour ils pourraient tous jeter le masque détesté et revenir ouvertement à la religion de leur peuple. Joseph fit, de plus, le vœu de consacrer toute son existence à aider ses pauvres frères sans défense, et qui vivaient dans un monde où ils n’avaient point d’amis.

Les Mendez étaient des banquiers célèbres dans le monde entier. Avec le concours d’un membre de la famille, Rabbi Abraham Benveniste, ils avaient fondé une succursale à Anvers. Là la vie était relativement plus facile pour les Juifs, et la famille Mendez avait pensé qu’elle pourrait un jour être contrainte d’y chercher refuge. Ce jour ne tarda pas à arriver.

L’Inquisition tant redoutée étendit son action jusqu’en Portugal, rendant la vie intolérable aux Marranos. Les Mendez décident de se transférer à Anvers. Entre temps Francisco, l’aîné des frères, meurt. Sa femme, l’habile et illustre Doña Gracia lui succède à la tête de la fortune familiale et de la banque. Son affection et ses soins feront du petit Joseph un jeune homme d’une éducation accomplie tant sur le plan du savoir que des bonnes manières.

Peu après leur installation à Anvers, Diego, le dernier des frères Nassi-Mendez mourut lui aussi. Don Joseph Nassi-Mendez était maintenant en âge d’assurer la relève et d’assumer la difficile direction de la banque. À l’occasion de ses activités directoriales, Don Joseph eut des contacts avec la plus haute noblesse et même avec des maisons royales de beaucoup de pays d’Europe.

Son charme personnel et sa sagacité lui furent d’un grand secours. Le roi de France emprunta une somme considérable à la Banque Mendez. Un autre client fut la Régente des Pays-Bas, la Reine Marie, sœur de l’Empereur Charles V. Elle prodigua les honneurs à Don Joseph.

On pourrait conclure de ces prémisses que ce dernier fut heureux. Il ne l’était point ; pas plus d’ailleurs que sa tante. L’Inquisition avait le bras long. Ses agents étaient actifs en Belgique, ils entretenaient les Marranos dans une terreur constante. La famille Mendez répugnait aux déguisements. En secret, elle avait sa propre synagogue et venait en aide aux malheureux réfugiés d’Espagne et de Portugal.

Les contacts nombreux que le travail de la banque valait aux Mendez leur permettaient d’être informés avec précision sur la vie des Juifs dans différents pays. C’est ainsi qu’ils savaient que dans l’Empire ottoman, où régnaient des princes musulmans, leurs coreligionnaires vivaient mieux que partout ailleurs. Ceux-ci étaient parmi les conseillers les plus proches du Sultan, et les commerçants israélites jouissaient d’une grande liberté. Doña Gracia et Don Joseph Nassi décidèrent de se transférer en Turquie où ils auraient la possibilité de revenir ouvertement à la foi de leurs pères.

Mettre à exécution un tel plan n’était pas chose aisée. Il ne fallut pas moins de plusieurs années pour que les Mendez pussent régler leurs affaires et quitter Anvers sans se ruiner financièrement. Néanmoins, ils durent accepter de perdre une bonne partie de leur fortune avant de pouvoir partir pour Venise en 1549. Ils avaient conçu leur projet et travaillaient à sa réalisation dans le plus grand, secret.

Charles V soupçonna-t-il ce qui se tramait en silence ? Il faut le croire, car il s’apprêtait à saisir toute la fortune des Mendez quand Don Joseph et sa tante réussirent de justesse à fuir d’Anvers et à prendre le large à la faveur de la nuit, emportant avec eux une part très importante de leurs richesses.

Ils arrivèrent à Venise sains et saufs sous les noms d’emprunt de Juan Miguel et Béatrice de Luna. Là ils tentèrent, afin de venir en aide à leurs frères dans le malheur, d’acheter aux Vénitiens l’une des petites îles avoisinantes. Mais une remarque imprudente échappée un jour à un parent de Doña Gracia révéla leur secret. L’identité de Don Joseph et de sa tante fut connue. On découvrit que la famille Nassi-Mendez pratiquait clandestinement le judaïsme et nourrissait le projet de le faire ouvertement aussitôt qu’elle aurait passé la dernière frontière chrétienne.

Doña Gracia fut prise et jetée en prison. Tout ce qu’ils possédaient, elle et son neveu, fut confisqué. Toutefois, Don Joseph et le reste de la famille réussirent à fuir en direction de Ferrare où régnait le bon et noble duc d’Esté.

L’histoire de Doña Gracia et de Don Joseph, dès qu’elle fut connue, fit sensation dans les milieux influents de plusieurs pays.

Le roi de France qui devait à la Banque Mendez une somme énorme déclara nulle sa dette. Il avait emprunté à des Chrétiens, dit-il, non à des Juifs. Suivant son exemple, d’autres notabilités qui avaient bénéficié de prêts substantiels de la Banque Mendez renièrent elles aussi leurs signatures.

Pour le moment, Don Joseph avait à faire face à des problèmes plus urgents. Il envoya à son ami Rabbi Moché Hamon, médecin personnel du grand sultan Soliman, un message où il le priait d’implorer le souverain afin qu’il délivrât Doña Gracia. Soliman vit aussitôt tout le parti qu’il pourrait tirer de l’affaire. Installer en Turquie tous ces nobles juifs s’accompagnerait d’un grand profit pour le pays. Il envoya un ambassadeur spécial à Venise pour demander la relaxe de Doña Gracia et la restitution de sa fortune ; faute de quoi il entreprendrait une expédition contre la République.

Le Conseil de Venise relâcha aussitôt Doña Gracia. Quant aux biens confisqués à la famille Mendez il ne lui fallut pas moins de deux ans pour se décider à les restituer. Entre temps tous les Mendez revenaient ouvertement à la foi juive et rejetaient leurs noms d’emprunt. Un grand nombre de Marranos qui s’étaient groupés autour d’eux suivirent leur exemple. Le duc, d’esprit libéral et plein de droiture, les protégea et s’opposa à l’extension jusque dans son pays de l’action odieuse de l’Inquisition. En 1552 la communauté entière que composaient les ex-Marranos frétèrent des navires et mirent le cap sur les rives hospitalières de la Turquie.

Une nouvelle vie commençait pour Don Joseph. Plus de « Don Juan Miguel » ou « Mendez » désormais ; il avait repris son vrai nom juif de Joseph Nassi. Il épouse sa cousine, la belle et la pieuse Reyna, la fille de sa tante Doña Gracia. Son activité de banquier international avait été interrompue depuis sa fuite d’Anvers. Il ne tarde pas à renouer avec les grands centres d’affaires qu’il connaissait si bien. En Turquie même, d’excellentes lettres d’introduction, auxquelles s’ajoutait son charisme personnel, lui ouvrent les portes les plus difficiles du pays, y compris celle de la cour du sultan Soliman.

Don Joseph Nassi en avait assez des affaires pleines de risques qui étaient le propre du travail bancaire. Il se mit au commerce, développant à tel point le mouvement d’importation et d’exportation que le sultan se rendit compte bientôt que le nouveau sujet qu’il avait accueilli méritait toute sa bienveillante attention. Don Joseph usa de son influence auprès du souverain pour aider ses frères qui enduraient de grandes souffrances du fait des persécutions qu’encourageait le pape Paul IV à Rome.

Une profonde amitié devait très vite unir Don Joseph et le prince Sélim, fils aîné du sultan.



Quand Bayazhid, un fils plus jeune, commença à comploter pour la succession au trône, Nassi soutint Sélim. De plus, il réussit à persuader le sultan que seule était juste la cause de son fils aîné. Une guerre éclata entre les deux frères. Bayazhid fut vaincu et s’enfuit en Perse. Là, lui et ses fils furent assassinés, ce qui mit fin à la lutte pour le trône. La succession pouvait ainsi être facilement décidée par Soliman, alors en pleine possession de ses forces et maître incontesté de son grand empire.

Vainqueur, Sélim marqua sa gratitude à Don Joseph en le nommant membre de sa garde d’honneur. De plus, il obtint de son père que fût accordé à son ami le territoire entourant le lac de Tibériade en Terre Sainte, alors sous domination turque.

Don Joseph, qui avait toujours rêvé d’accomplir en faveur de ses frères persécutés un geste à la mesure de leurs souffrances trouvait enfin l’occasion d’agir. Il décide de faire de ce don du sultan un lieu de refuge pour les Juifs en quête d’un foyer. Il envoya un ami en qui il avait pleine confiance, Joseph ibn Adereth (un descendant de Rabbi Chlomoh ibn Adereth) à Tibériade avec mission d’y édifier une colonie juive. En même temps, il lança un appel à tous les Juifs persécutés d’Europe.

Un groupe d’Israélites de Campanie y répondit avec joie. Ils vivaient en exil après avoir connu d’odieuses persécutions. On eût pu s’attendre à voir leurs ennemis, qui les accablaient de leur haine, les laisser partir, trop heureux de se débarrasser d’eux à si bon compte. Ils poussèrent, au contraire, la cruauté jusqu’à les empêcher d’émigrer. Néanmoins, nombreux furent ceux qui, par des moyens détournés, réussirent à prendre le chemin du refuge promis. Toutefois, les dangers que le voyage comportait pour des Juifs sans défense étaient multiples.

Les pirates en haute mer guettaient ; beaucoup tombèrent entre leurs mains et furent vendus comme esclaves. Tel fut le sort, par exemple, de cent deux Juifs de Pesaro qui voguaient à destination de Tibériade, qui furent capturés et faits prisonniers jusqu’à ce que la rançon fixée pour chacun d’eux fut payée.

Don Joseph Nassi réussit à en libérer le plus grand nombre. Mais le succès de son entreprise fut gravement compromis par toutes sortes d’obstacles. La nécessité de pourvoir les nouveaux venus de moyens de subsistance en fut un. Don Joseph essaya de le surmonter en créant sur place une industrie de la soie. Dans ce but il fit planter des mûriers dont les feuilles constituent la nourriture des vers à soie. Une autre difficulté fut l’opposition d’un Cheikh arabe du voisinage qui allait prêchant que le projet mettrait en danger rien moins que l’Islam. Ces raisons ajoutées à plusieurs autres entraînèrent peu à peu l’échec de la grandiose tentative.


Le point culminant de la carrière diplomatique et commerciale de Don Joseph fut atteint quand son ami Sélim monta sur le trône à la mort de son père. L’un des premiers actes officiels du nouveau sultan fut de récompenser son fidèle ami juif pour ses services. Il le fit duc de l’île de Naxos et lui offrit en toute propriété quelques autres îles. Celles-ci étaient habitées par des Chrétiens grecs ; aussi Don Joseph ne fut-il pas enclin à y établir sa résidence. Il confia à un de ses amis le soin de gouverner ses possessions, et vécut dans le beau château Belvédère à Constantinople, capitale de l’Empire ottoman.

Don Joseph Nassi avait une grande influence sur Sélim II en dépit de l’obstruction systématique exercée par le grand vizir Sokolli.

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Originaire de Bosnie, c’était un homme dénué de scrupules qui faisait ce qu’il pouvait pour entamer la confiance qu’avait le sultan en son conseiller juif. Les dirigeants des pays européens ne tardèrent pas à se rendre compte de l’importance de Don Joseph dans le puissant empire du sultan et recherchèrent son amitié. Ainsi, l’empereur Maximilien II, désirant la paix avec le souverain turc, donna des instructions à son ambassadeur afin qu’il gagnât les bonnes grâces de Joseph. Non seulement ce dernier refusa tout cadeau qui risquait d’aliéner son indépendance, mais il accorda à l’ambassadeur un prêt à titre personnel.

Un autre monarque qui établit des relations amicales avec Don Joseph Nassi fut le roi Sigismond de Pologne. Grâce à cette amitié, ce dernier traita avec bonté ses sujets juifs.


Vint le jour où Don Joseph tenta de récupérer les sommes prêtées précédemment au roi de France. Celui-ci avait refusé de payer sa dette prenant prétexte du retour du banquier à la pratique ouverte de la foi juive. Le sultan Sélim autorisa Don Joseph à arraisonner tous les navires battant pavillon français et à saisir tous leurs chargements.


Piqué au vif, le roi de France envoya à son ambassadeur l’ordre de comploter en vue de provoquer la chute de Joseph. Grandchamp, diplomate sans scrupules, faillit y réussir grâce à de hautes personnalités dont il avait pu acheter la complicité. C’était l’intrigue classique tendant à convaincre l’adversaire de haute trahison à l’égard du sultan. Don Joseph confondit ses ennemis en prouvant que toutes les accusations dont il fut l’objet étaient fausses. Son amitié avec le sultan en sortait renforcée.

La mort de Sélim II fut le point de départ des revers de Don Joseph. L’influence de Mohammed Sokolli, son ennemi mortel, fut prépondérante à la cour du nouveau sultan, le cruel Murat. Celui-ci n’avait plus besoin des services de Don Joseph qui se retira dans son beau palais de Belvédère pour consacrer sa vie à l’étude et aux actions charitables.

Don Joseph prodigua son aide à la Yéchivah de Constantinople fondée et soutenue par sa noble tante Doña Gracia. Il fit installer dans sa maison une imprimerie hébraïque qui permit la publication d’ouvrages importants. Il possédait une bibliothèque fort riche à laquelle avaient accès tous les érudits. Pour un grand nombre de ceux-ci, il fut un mécène d’une grande générosité.

Il écrivit en espagnol une défense de la religion juive. Un de ses protégés la traduisit en hébreu sous le titre de « Ben Porath Yossef ».

Quand Don Joseph Nassi, duc de Naxos, mourut à Constantinople en l’été de 1579, le monde juif tout entier le pleura. Un seul homme s’en réjouit, ce fut le sultan. Il confisqua l’immense fortune de celui qui avait consacré tant d’efforts non seulement pour le bien de ses frères, mais pour celui du pays. Sa veuve, la généreuse et pieuse Reyna, dut même quitter le beau palais, et l’imprimerie hébraïque disparut.

L’œuvre de toute une vie était ainsi interrompue. Mais le souvenir des grandes actions de Don Joseph et des honneurs qu’elles lui valurent demeura dans toutes les mémoires.


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