Royaume juif de Rouen: l’Ecole des Hautes Etudes Rabbiniques
Une école des hautes études rabbiniques avait existé au Moyen Âge à Rouen, Jacques-Sylvain Klein, ancien adjoint au maire de Rouen et passionné par l’histoire de sa ville, a soigneusement analysé l’abondante littérature publiée sur le sujet.
L’installation de juifs rouennais à Londres (1066)
C’est à l’initiative de Guillaume le Conquérant que des juifs rouennais s’installèrent à Londres aussitôt après la conquête de l’Angleterre (1066).
On ne sait si cette immigration visait à favoriser le développement du commerce maritime entre Londres et Rouen ou, plus simplement, l’intégration à la nouvelle administration normande des juifs qui résidaient déjà en Angleterre.
Quatre ans après la conquête, Guillaume confirma le statut des juifs de son nouveau royaume, au cours d’un concile de nobles et d’ecclésiastiques convoqué par lui, où il leur assura la protection de leur personne et de leurs biens. Il confirma de même, lors d’un concile ecclésiastique tenu à Rouen en 1074, la vieille loi d’église interdisant aux juifs d’avoir des nourrices ou des esclaves chrétiens.
Devenu roi d’Angleterre, le duc de Normandie Guillaume le Conquérant encourage les juifs rouennais à s’installer à Londres et à y fonder une communauté soeur.
Recevant quelques décades plus tard les juifs de Londres, le nouveau roi d’Angleterre, Guillaume Le Roux, les incita même à tenir une controverse avec les évêques, en disant que s’ils surpassaient les chrétiens et les confondaient avec des arguments valables, il rejoindrait leur secte.
La communauté juive de Londres n’acquit toutefois que lentement son autonomie par rapport aux autorités rouennaises.
Ainsi, la charte octroyée en 1190 par le roi Richard aux juifs d’Angleterre et de Normandie a-t-elle été promulguée à Rouen, tout comme le texte de juillet 1199 confiant à un certain Jacob le Juif de Londres le presbytérat de tous les juifs de toute l’Angleterre.
Cela montre l’ascendant conservé par la communauté mère sur sa filiale anglaise jusqu’à la fin du règne des Plantagenêt.
Le pogrom enclenché par la première croisade (1096)
Robert Courteheuse, successeur de Guillaume le Conquérant (mort en 1087), avait décidé de participer à la première Croisade lancée par le pape Urbain II, laissant en gage la Normandie à son frère Guillaume le Roux. La ferveur de ses Croisés ne tarda pas à se tourner contre les juifs.
Dans de nombreuses villes, dont Rouen, le départ de la première Croisade fut marqué par un pogrom contre les juifs et par la destruction de leurs lieux de culte.
Dès le départ de la Croisade, en septembre-octobre 1096, le clos-aux-juifs rouennais fut envahi et leurs habitants massacrés.
Presque contemporain de l’événements, l’abbé Guibert de Nogent raconte que les Croisés rouennais se mirent un jour à relever la contradiction qu’il y avait à franchir de longues distances pour attaquer les ennemis de Dieu vers l’Orient, alors que les juifs, qui, de tous les peuples, sont les pires ennemis de Dieu, se trouvent devant nos yeux. Ceci équivaut à accomplir notre tâche à l’envers.
Sur quoi, les Croisés emmenèrent de force les juifs dans un certain lieu de culte (…) et, sans distinction d’âge ou de sexe, les passèrent par les armes. Seuls y échappèrent ceux qui acceptèrent de se convertir.
Un garçon, connu comme Guillaume le Juif, fut capturé par un noble, baptisé et élevé dans la religion chrétienne. Il devint moine à l’abbaye Saint-Germain-de-Fly et, abandonnant l’hébreu qui avait été sa première langue, rédigea même un traité en latin contre les juifs.
Il est probable que, lors du pogrom de 1096, la synagogue et les institutions culturelles des juifs de Rouen ont été soit détruites, soit réaffectées à l’usage des chrétiens.
Des chroniqueurs contemporains comme Hugues de Flavigny ou Sigebert de Gembloux confirment que des pogroms comparables ont eu lieu un peu partout en France et en Allemagne, à Metz, Trèves, Cologne, Mayence, Prague et Ratisbonne.
Les persécutions rouennaises semblent s’être interrompues après le départ de la Croisade.
En 1098 ou 1099, les juifs de Rouen qui avaient échappé au massacre supplièrent le roi Guillaume le Roux, qui assurait l’intérim de son frère Robert Courteheuse, d’accepter que les convertis de force reviennent à leur foi originelle. Ce que le roi accepta volontiers… moyennant finances.
La conquête Normande (1066) a ouvert le commerce maritime entre l’Angleterre et la France.
Dès le règne d’Henri Ier Beauclerc (1100-1135), les juifs d’Angleterre et de Normandie eurent à nouveau le droit de posséder des terres, des revenus, des hypothèques, des biens matériels, d’avoir leurs tribunaux largement indépendants (sauf en cas de crimes), de jouir de toutes leurs libertés et coutumes et de vivre selon les préceptes de la loi juive.
Cela ressort de la charte octroyée en 1201 par le roi Jean Sans Terre, qui ne fait que confirmer aux juifs de son royaume le droit de tenir de nous tout ce qu’ils tenaient du roi Henri, le père de notre grand-père.
Parmi les droits énumérés dans cette charte, on trouve une exonération de tous les droits de péage et de douane, qui souligne le rôle que les juifs rouennais jouaient dans le commerce maritime entre l’Angleterre et la France.
Royaume juif de Rouen: la résurgence d’une communauté disparue
La construction de l’école rabbinique (vers 1100)
Soucieux d’assurer l’indépendance des juifs d’Occident à l’égard des centres de Bagdad et de Jérusalem qui faisaient autorité en Orient, les dirigeants carolingiens avaient encouragé la création d’instituts d’enseignement supérieur juifs.
Les premiers établissements avaient souvent appartenu à des maîtres privés, ce qui ne garantissaient pas le niveau des études. C’est pourquoi un important synode s’est tenu, vraisemblablement à Rouen, au Xe ou XIe siècle sinon avant, afin de définir les règles qui devaient s’appliquer dans ces écoles rabbiniques (yeshivoth).
Connues comme les Anciennes Règles pour l’Étude de la Torah, les douze ordonnances adoptées par le synode visaient à :
– obliger chaque famille à consacrer un de ses enfants à l’étude approfondie de la Torah (règle 1) ;
– construire à proximité de la synagogue une école, appelée grand midrash16, pour ces étudiants (règle 2) ;
– établir la discipline (très proche de celle en vigueur dans les écoles monastiques chrétiennes) applicable à ces académies et fixer la durée des études. Les étudiants (peroushim = séparés de la communauté) ne devaient pas quitter l’école pendant sept ans (s’ajoutant aux sept que durait l’école élémentaire), devaient y prendre leurs repas et y dormir, ne pas exprimer de vaines paroles et pratiquer le célibat (règle 3) ;
– assurer le financement de ces écoles supérieures, au moyen d’une taxe que chaque famille juive devait acquitter pour payer le salaire des maîtres, acheter les livres et subvenir au fonctionnement de l’école (règle 4) ;
– définir les méthodes pédagogiques applicables dans ces écoles mais aussi dans les écoles élémentaires (règles 5 à 12). En particulier, les enseignants ne devaient pas recevoir plus de dix enfants par classe ; ils devaient appuyer leurs leçons sur des textes écrits et écarter tout enseignement par cœur, traduire en français les textes écrits en araméen -langue du Talmud parlée en Babylonie-, procéder à des révisions chaque quinzaine et chaque semestre.
Par la suite, des précisions ou des compléments, voire des modifications importantes, ont été apportées à ces Anciennes Règles.
C’est ainsi que l’obligation de créer une école supérieure fut imposée dans toutes les villes principales de chaque royaume, avec obligation pour les communautés juives d’en supporter la charge.
C’est à l’été 1976 qu’a été découvert sous la cour du palais de justice de Rouen un édifice monumental, exemple remarquable d’architecture romane dont la qualité et l’élégance, écrit Norman Golb, rendaient soudainement palpable le caractère de la communauté juive rouennaise.
Construit dans la première décennie du XIIe siècle, sans doute à la suite des destructions provoquées par la première Croisade, cet édifice rectangulaire en pierres hachées de Caumont, que Norman Golb a aussitôt identifié comme une école rabbinique de nature communautaire et non privée, était de vastes proportions (9,50 m de large sur 14,10 m de long), orné sur trois côtés de contreforts flanqués de colonnes dont les bases décorées étaient toutes différentes : l’une représente un dragon, une autre un double lion renversé dont les pattes étendues semblent soutenir la colonne.
L’archéologue Maylis Baylé a relevé de nombreuses analogies dans la décoration de l’abbaye Saint-Georges de Boscherville et de l’école rabbinique de Rouen.
Seul le rez-de-chaussée du bâtiment a été entièrement conservé, les étages supérieurs ayant été arasés lors de la construction du palais de justice commencée en 1499. La salle du bas, dallée et éclairée par quatre fenêtres percées dans le mur nord, servait de bibliothèque et contenait, enfermés dans des armoires placées contre les murs, quelque 200 à 300 manuscrits que les étudiants empruntaient pour lire aux étages supérieurs. Ils y accédaient par un escalier en spirale logé dans une tourelle en demi-cercle.
Le premier étage, où l’on a retrouvé des vestiges de banquettes fixées dans les murs, formait probablement la salle d’étude principale, tandis qu’au second étage se trouvaient les pièces réservées aux maîtres, travaillant seuls ou avec de petits groupes d’étudiants.
La douzaine de graffitis en hébreu retrouvés sur les murs évoquent des noms de personnes (Josué, Amram, Isaac…), expriment l’espérance que la Torah de Dieu […] existe [à jamais] ou rappellent une citation du livre des Rois en forme de supplique: Que cette maison soit sublime. Sans doute, faut-il voir là l’expression spontanée d’étudiants cherchant à manifester leur amour des études et l’orgueil de fréquenter cette élégante école ou, plus simplement, voulant laisser à la postérité une trace de leur passage dans cette école prestigieuse.
L’École de Rouen ou Scola Rothomagi -expression qui apparaît pour la première fois dans un texte latin de 1203 pour désigner la yeshiba de Rouen- était conçue pour accueillir un nombre important d’étudiants -50 à 60- venant non seulement de Rouen, mais des autres villes normandes.
Des académies de ce type ont existé dans d’autres villes importantes comme Paris, Reims, Narbonne ou Marseille, mais, en France comme ailleurs, les traces matérielles en ont partout disparu, sauf à Rouen.
Les autorités rabbiniques du XIIe siècle
Passées les persécutions liées à la première Croisade, le premier personnage rouennais connu portant le titre académique de maître (ou rab) est Rabbi Yossi (ou Rubigotsce), si célèbre qu’il restera connu comme Rabbi tout court.
Réputé pour sa sagesse et sa richesse, il avait attiré l’attention du roi Henri 1er Beauclerc : son nom est mentionné pour la première fois dans des documents remontant aux années 1130-1131.
Sous la direction de Maïmonide, l’École de Rouen servit pendant quelques temps d’académie principale des deux communautés normande et anglaise, avant que son fils Abraham ne fonde, vers 1150, la scola judaeorum de Londres et que son petit-fils Yossi ne devienne en 1207 presbytre, c’est-à-dire grand rabbin de la communauté juive anglaise.
C’est peut-être du temps de Rubigotsce, sinon avant, que s’est tenu à Rouen un très important synode, réunissant toutes les communautés juives du nord de la France, pour régler le problème des maris absents.
A la fin du XIe siècle, Rouen était le plus important centre d’affaires et de négoce du nord-ouest de la France, bénéficiant notamment d’un monopole du commerce sur la Seine, jusqu’aux confins de la Normandie.
Cela n’était pas sans soulever, aux yeux des autorités rabbiniques, un redoutable problème : celui des négociants juifs qui, partis pour de longs voyages dans des pays lointains, s’absentaient de leur foyer en laissant leur famille en situation précaire.
C’est pourquoi le synode décréta qu’un mari ne pourrait faire des projets de partir que s’il est d’accord avec sa femme, ni quitter son foyer plus de dix-huit mois sans le consentement de sa femme ou l’autorisation du tribunal de la ville la plus proche. Pendant son absence, il devait subvenir aux besoins de sa famille et acquitter toutes les dettes qu’elle aurait contractées à cette fin. Au cas où quelqu’un transgresserait l’ordonnance, les hommes ne devraient pas lui accorder leur hospitalité, ni le loger.
Cette ordonnance, initialement applicable aux seules communautés juives de Normandie, fut ultérieurement étendue à l’ensemble des juifs du royaume de France lors d’un synode convoqué à Paris dans les années 1160-1170.
Vers 1135, le savant exégète Rashbam succède au célèbre Rubigotsce, dit Rabbi, à la tête de l’école de Rouen.
Auteur de commentaires très réputés de la Bible et du Talmud, le savant exégète Samuel ben (= fils de) Méïr, connu sous le nom de Rashbam, a succédé à Rubigotsce à la tête de l’école de Rouen.
Petit-fils du célèbre Rachi de Troyes (1040-1105), il avait conseillé les communautés juives du nord de la France – prêchant à Paris, à Londres, à Caen, à St Lô – avant de s’installer à Rouen vers 1135 et de diriger l’école rabbinique jusqu’au début des années 1150.
Il eut des discussions suivies avec des savants chrétiens sur des points litigieux d’exégèse biblique. L’importance qu’il accordait à une exégèse directe et non allégorique des Écritures avait valu à Rashbam une renommée considérable, avant même ses tournées à travers les provinces du nord de la France.
Succédant à Rashbam à la tête de l’école de Rouen, l’éminent Pereç Bar Menahem représenta les communautés normandes au synode convoqué à Paris vers 1155-1160 par Rabbénou Tam, un des frères de Rashbam, pour traiter du problème des délateurs.
L’ordonnance adoptée par le synode fut approuvée par de nombreux sages de la France septentrionale et même de Lombardie, mais seuls les dignitaires de Rouen et de Paris y furent qualifiés de nos maîtres.
La venue à Rouen du Pape Innocent II en 1131
Le concile d’Étampes, convoqué en octobre 1130 par le roi Louis VI le Gros, avait consacré le ralliement des évêques français au pape Innocent II durant le schisme qui l’opposa à Anaclet II. La prise de position de Bernard de Clairvaux, le plus éminent ecclésiastique français de son temps, avait pesé lourd dans ce soutien.
Dans les mois qui suivirent, Bernard de Clairvaux chercha à élargir encore les soutiens dont Innocent II pouvait disposer. Il obtint le ralliement du roi d’Angleterre Henri 1er Beauclerc et de l’empereur d’Allemagne Lothaire. Cherchant à se concilier l’appui du clergé rouennais, Bernard profita de la présence du roi Henri 1er dans sa ville pour amener le pape chez son ami l’archevêque Hugues d’Amiens.
Innocent II arriva à Rouen le 9 mai 1131 et, comme l’écrit Guillaume de Malmesbury, le roi l’honora de présents, non seulement de sa part personnelle mais aussi de la part des nobles, et même en plus de celle des juifs.
C’est dire le rôle fondamental que la communauté juive de Rouen jouait alors et l’influence qu’elle pouvait avoir dans la reconnaissance d’Innocent II par les juifs d’Europe occidentale.
Au point d’ailleurs que, dix ans plus tard, dans son traité Contre l’obstination invétérée des juifs, Pierre le Vénérable crut nécessaire de préciser que le Messie annoncé par les juifs ne saurait évidemment s’incarner dans ce roi qu’un certain nombre d’entre vous prétendent avoir à Narbonne et que d’autres prétendent avoir à Rouen.
L’œuvre rouennaise d’Abraham Ibn Ezra (1149-1159)
Tout à la fois poète, exégète de la Bible, astronome et astrologue, mathématicien, grammairien et traducteur, Abraham Ibn Ezra (1089-1165) occupe une place unique dans l’histoire de la culture et de la pensée juive. Cet andalou a en outre joué un rôle essentiel dans la connaissance et la transmission de la culture islamique et judéo-arabe en Europe septentrionale au XIIe siècle.
Après avoir beaucoup voyagé en Italie, au Maghreb, en Égypte et en Provence, Ibn Ezra s’installe à Rouen vers 1149, en pleine maturité de son savoir.
Sans doute, la réputation intellectuelle de Rouen, dont le savant Rashbam dirigeait alors l’école rabbinique, explique-t-elle le choix de cette ville par l’un des plus éminents intellectuels juifs de son temps. C’est là, en 1153 -il avait alors 64 ans- qu’il entreprit son travail fondamental sur l’Exode.
Dans le poème servant de préface à son commentaire, il a lui-même expliqué le choix de ce thème. A Rouen, il était tombé gravement malade, mais Le Seigneur (…) l’a aidé à recouvrer la santé et c’est alors que je fis vœu (…) de commenter la Loi donnée sur le Sinaï.
Pourquoi ce texte ? Parce que le juif rouennais qui l’a soutenu pendant sa maladie, jusqu’à ce que son corps redevienne comme une pousse verte, et à qui il a dédié son ouvrage s’appelait Moïse.
Le colophon de cette œuvre dit assez l’importance qu’Ibn Ezra y attachait : Le livre de l’Exode, écrit d’Abraham, achevé en l’an 4413 (= 1153), précieux comme l’onyx. On y apprend incidemment qu’il y a en longitude une différence de plus de trois heures entre Jérusalem et Rouen.
Deux ans plus tard, il achève un long commentaire des Psaumes et un autre des Douze Petits Prophètes et, quelques années après, un autre commentaire encore du Livre de Daniel.
Après un séjour en Angleterre en 1158, où il rédige le Yessod Mora et l’Épître sur le Sabbat, il revient à Rouen pour y alterner commentaires bibliques (le Livre d’Esther, le Cantique des Cantiques), travaux astrologiques et traductions de traités de grammaire hébraïque d’arabe en hébreu.
Pendant son séjour rouennais, Ibn Ezra a également joué un rôle essentiel dans la propagation de connaissances répandues dans les pays d’Islam, mais dont la rédaction en arabe empêchait la diffusion.
Peut-être est-ce à lui que l’on doit la traduction du Livre des Croyances et Opinions de Sa’adiah Gaon, le grand sage de Bagdad, qui a inspiré Berakhiah, l’auteur rouennais de deux traités d’éthique rédigés à la fin du XIIe siècle. Ce qui est sûr, c’est que, dans son commentaire de l’Exode, Ibn Ezra ne se réfère pas moins de 75 fois aux exégèses de Sa’adiah.
Et beaucoup d’autres penseurs et savants, tant juifs que musulmans, du Proche-Orient, d’Afrique du Nord ou d’Andalousie ont ainsi été découverts grâce à lui par les érudits rouennais.
Mais ses ouvrages abondent également en détails sur les coutumes dans les pays arabes : la cuisson des aliments, la mode vestimentaire, les bijoux féminins, l’accouchement, la condamnation à mort, les rituels.
Ibn Ezra a fait connaître non seulement la littérature et la science de ces pays lointains, mais aussi la vie quotidienne de leurs habitants et l’existence de produits exotiques comme le musc, la fleur de farine ou le riz.
En 1153, Ibn Ezra termine à Rouen les Tables du Ciel, ouvrage d’astronomie qui sera connu à travers toute l’Europe.
C’est aussi à Rouen qu’il donne la forme finale à ses recherches sur l’astronomie et l’astrologie.
En 1153, il achève les Tables du Ciel, regroupant les Tables astronomiques et les Nativités. Ses œuvres étaient connues non seulement des érudits juifs, normands, anglais ou français, qui avaient accès au texte hébreu original, mais aussi des savants non juifs à travers des traductions en latin.
Ainsi, la traduction, dès 1154, des Tables astronomiques laisse penser qu’Ibn Ezra a été en contact avec des savants chrétiens qui, à Rouen, s’intéressaient à l’astronomie.
Par la suite, son œuvre fut étudiée à l’université de Paris, fit l’objet de traductions nombreuses et devint célèbre à travers toute l’Europe.
Les disciples des maîtres : les érudits rouennais du règne d’Henri II Plantagenêt (1150-1189)
Lors de son arrivée à Rouen, Ibn Ezra avait, selon la coutume des poètes andalous, composé un poème à la gloire de son hôte Rashbam, le maître de l’académie rabbinique, dont le commentaire de la Torah est le salut de tous ceux pour qui l’écriture sainte est obscure et dont le regard contemple les secrets du Seigneur. Mais, passé l’enthousiasme de la première rencontre, un fossé s’est rapidement creusé entre ces deux personnalités aux cultures et aux conceptions religieuses radicalement différentes.
Les critiques formulées par Ibn Ezra à l’encontre de la méthode exégétique de Rashbam, fondée sur le sens premier, immédiat, des Écritures, ne pouvaient qu’indisposer ce dernier.
La publication en 1149 de l’épitre sur le Sabbat, où Ibn Ezra prenait la défense du calendrier juif traditionnel contre Rashbam, accusé de vouloir inverser l’ordre de comptabilisation des nuits et des jours durant la Création, allait opérer une rupture définitive entre les deux érudits.
Avec la présence de deux figures aussi remarquables que Rashbam et Ibn Ezra, Rouen, qui était le principal centre d’études juives de l’empire Plantagenêt, attirait de nombreux érudits, venus de tout le nord de la France, qui voulaient se consacrer à l’exégèse de la Bible.
Après le départ de ces deux grands savants, vers 1160, Rouen n’en resta pas moins un centre attractif.
Autour d’Ibn Ezra, gravitaient des disciples qui étaient parfois aussi des mécènes, comme Moïse Ben Méïr ou Joseph de Morville, qui recueillaient, de la propre bouche d’Ibn Ezra, ses commentaires oraux pour les joindre aux manuscrits dont ils assuraient la diffusion.
Parmi les grandes figures d’érudits rouennais, on trouve encore Joseph Bekhor Shor, élève de Tam et rabbin à Orléans, défenseur acharné de la foi juive contre ceux de ses coreligionnaires qui voulaient se convertir au christianisme, polémiquant avec des chrétiens sur des points délicats de la Bible. Il vint s’installer à Rouen entre 1170 et 1182, sans doute pour fuir des persécutions fréquentes en Île-de-France.
Maître Benjamin, élève de Tam et de Rashbam, auteur de poésies liturgiques, interprète de la Bible, a perpétué l’enseignement de Rashbam après son retour en Champagne vers 1160.
Eliezer de Beaugency, en contact personnel avec Rashbam et Ibn Ezra, est l’auteur de nombreux commentaires bibliques où l’on perçoit l’influence de ses deux maîtres.
Citons encore Berakhiah le Ponctuiste, qui appartenait, comme son oncle Maître Benjamin et comme son fils Elie le Scribe, à la famille des Natronaï.
Défenseur des interprétations d’Ibn Ezra et d’Eliezer de Beaugency, il est l’auteur de nombreux et savants commentaires bibliques, en particulier celui sur le Livre de Job (le seul de ses écrits qui ait subsisté), qui sera largement étudié par les générations suivantes.
Il est aussi le prolifique auteur de proverbes (ainsi que d’une version en hébreu des Fables des renards, inspirée d’Ésope) écrits pour partie en poésie et pour partie dans une élégante prose hébraïque rimée d’une légèreté pétillante et destinés à un large public.
Il poursuit aussi l’œuvre scientifique d’Ibn Ezra par un traité sur les joyaux et les métaux, ou encore étudie les liens entre la foi et la morale, allant puiser des leçons de sagesse en Orient comme en Occident, chez les chrétiens, les juifs ou les musulmans comme chez les païens.
LA MAISON SUBLIME de Jacques-Sylvain Klein – Préface de François Zimeray et Pierre Albertini
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