L’exclusion des Juifs des pays arabes aux sources du conflit – 8
Témoignages de l’exode d’Irak et de Syrie devant le tribunal de Washington réuni par la WOJAC
Témoignage de Raymonde Muallem de Bagdad
Je vous prie d’excuser le fait que le compte rendu de certains souvenirs puisse sembler imprécis à certains moments et difficile à comprendre, étant donné la grande souffrance et l’émotion que j’ai éprouvées pour pouvoir apporter ce témoignage, et la nécessité de surmonter la barrière linguistique de l’hébreu et de l’anglais. Je vous remercie de votre compréhension.
Un jour, au cours de l’année 1969, il était 11 heures 30 du matin – 15 minutes avant la pause du déjeuner – la domestique de l’école entra dans la classe et demanda à Raymonde Muallem de rentrer chez elle. Elle affirma que le directeur avait donné son autorisation et que mon frère m’attendait pour m’emmener voir ma mère à l’hôpital.
J’avais tellement peur que je ne savais à quoi m’attendre ni ce qui était arrivé dans ma famille. Je quittai ma place en courant vers la sortie, mais lorsque j’atteignis la porte, voulant savoir ce qui était arrivé et qui était venu, je fus soudain frappée sur la nuque, tout devint noir et je ne sentis plus rien.
Au bout d’un moment j’eus l’impression d’être emmenée dans une voiture ; j’avais les yeux bandés et deux hommes se tenaient à mes côtés. J’avais perdu toute notion du temps, mais l’endroit me parut éloigné.
Lorsque nous arrivâmes à destination, j’entendis quelqu’un mentionner un code de voiture et une porte s’ouvrir, alors que j’étais toujours attachée. Je fus traînée dans un immeuble, on me conduisit dans une pièce et on me fit asseoir sur une chaise. Peu de temps après on me retira mon bandeau.
Je ne savais toujours pas où j’étais ni pourquoi, cette pièce n’avait aucune forme particulière à l’exception d’une table et de quelques chaises.
La chose la plus bizarre que je remarquai était les cordes de différentes tailles qui pendaient au plafond ainsi que les murs et le sol recouverts de cheveux et de sang séché.
La pièce était très sombre, la porte était fermée à clé et j’étais seule, dans l’attente d’un destin inconnu et peut-être fatal, fille de 12 ans recroquevillée sur moi-même, en larmes et ne sachant où je me trouvais, ni pourquoi ni comment…
Environ deux heures plus tard un homme âgé d’une trentaine d’années entra dans la pièce et se présenta comme « Halil ». Il m’expliqua que je me trouvais entre de bonnes mains, entre les mains du parti politique Ba’ath du ministère de la Défense, que tout ce que l’on me demandait était de répondre à leurs questions et que je n’avais rien à craindre.
L’endroit où je me trouvais à présent était appelé « Casa El Lahaia » (la maison de torture), il ressemblait à une prison et les personnes qui y entraient sur leurs deux pieds en ressortaient sur des brancards ou dans un cercueil.
Halil me dit que si je faisais ce que l’on me disait on nous rendrait notre complexe industriel, nous retrouverions notre richesse et tout rentrerait dans l’ordre.
Tout ce que je devais faire était de dire que mon père et ma famille étaient des espions, qu’ils avaient de longues conversations au téléphone avec Israël et que je voulais en informer les autorités, étant une bonne citoyenne.
Il me promit que j’allais devenir célèbre, que je passerais à la télévision, qu’on écrirait des articles à mon sujet dans le journal et que je serais célèbre. Je lui répondis que je ne savais rien de tout cela et que je n’avais pas le droit de mentir car Dieu me punirait et que ma mère me l’interdisait.
Il se mit à rire et son rire me fit mal aux oreilles et m’effraya. Il tenta encore de me convaincre à plusieurs reprises avec des mots agréables mais je répondis « non ! »
Halil sortit de la pièce, et lorsqu’il revint il était accompagné de deux hommes, tous deux grands et effrayants. Il me demanda à nouveau de faire ce qu’il me disait et je répondis « non », quand soudain je reçus un coup au visage qui me projeta à travers la pièce.
Je fus choquée mais ils continuèrent à me frapper. Je voulus crier, mais personne ne pouvait m’entendre. Peu de temps après on m’ordonna de m’asseoir et on me força à manger.
La première fois qu’ils m’avaient frappée cela me fit mal, ensuite je ne ressentis plus tellement la douleur, mais j’avais du mal à voir car le sang dégoulinait sur mon visage.
Mais ce n’était pas encore fini. Ils me questionnèrent à nouveau sur ce que je connaissais du sionisme et d’Israël.
Me frapper avec leurs mains n’était pas la seule chose qu’ils savaient faire. Non, ils avaient encore d’autres ressources : ils m’attachèrent les mains à l’aide d’une corde et me frappèrent avec un gourdin en caoutchouc et avec un clou sur tout le corps (j’ai encore des cicatrices sur la nuque).
J’avais de longs cheveux mais je n’allais pas les garder longtemps. Ils les coupèrent avec un couteau et me les enlevèrent de la tête. Ils continuèrent à me frapper puis m’abandonnèrent dans une petite pièce (un cachot).
Pendant ces événements je perdis toute notion du temps.
Je ne souhaite pas décrire les supplices cruels que l’on me fit endurer, sans parler du viol collectif commis sur une jeune fille juive de 12 ans et de la joie qu’ils exprimèrent ensuite…
Ils me firent entrer dans une pièce en me disant que j’y retrouverais un homme que je connaissais et que j’aurais plaisir à voir, mais lorsque j’entrai dans la pièce je vis un garçon juif d’une vingtaine d’années et je m’aperçus que son corps était recouvert de marques de brûlures. Il n’avait plus de cheveux ni d’ongles, il pouvait à peine respirer et ouvrir les yeux.
Halil me demanda si je le connaissais, je répondis « non ! ». Halil me dit que le garçon était de la famille Dallal. J’avais entendu ce nom mais ne le connaissais pas personnellement.
Le temps passait et ils continuaient à me frapper ; mon corps se recouvrit progressivement de taches noires et bleues, au point que je perdis la vue et l’ouïe, et mon uniforme scolaire était parti en lambeaux (j’étais nue).
J’étais allongée sur le sol quand Halil entra et me dit qu’on allait me ramener chez moi, non sans m’avoir battue à nouveau et m’avoir avertie de ne rien dire à personne, sans quoi ma famille subirait le même sort que moi.
Ce furent les derniers mots que j’entendis et je dus m’évanouir, car quand je me réveillai à nouveau j’entendis des voix et le bruit de voitures. Je savais que j’étais dans la rue, mais je ne pouvais ni voir ni parler. Je ne sais pas comment je me suis retrouvée là-bas, mais on m’amena bientôt à l’école puis à la police, et tout le temps ils murmuraient entre eux.
Au poste de police où la famille m’avait conduite, ils dirent m’avoir trouvée (je ne sais pas exactement où), j’ignore de quelle manière, mais au bout d’un certain temps ma mère vint me chercher et m’emmena à la maison, alors que j’étais toujours incapable de parler ou de voir.
Au bout de quelques jours ma mère retourna à la police pour classer le dossier, mais le commissaire lui dit que le dossier avait déjà été classé.
Mesdames et Messieurs, ce n’est pas un cauchemar que j’ai fait, ni un film que vous imaginez, ou un livre que vous lisez, mais cela s’est vraiment produit à Bagdad, en Irak, dans mon propre corps et dans ma propre chair quand je n’avais que 12 ans.
Je voudrais préciser que j’ai été torturée et maltraitée parce que je suis juive!
Je voudrais également mentionner certains autres cas dans lesquels les circonstances furent similaires.
Un riche Juif membre de la famille Zvida – que tous les Juifs irakiens connaissent – le père, Nissim, fut pris en otage pour être interrogé vers 21 heures et on annonça à sa famille qu’il reviendrait dans quelques heures. Il revint au bout de quelques jours, dans un cercueil, le crâne fracassé.
Un autre Juif fut également pris en otage pour être interrogé, il n’avait que 24 ans quand on l’emmena de chez lui. Au bout de huit mois seulement sa mère fut informée qu’elle pouvait le ramener chez elle car on en avait fini avec lui.
En route vers la prison elle fut arrêtée par une foule excitée, et là-bas elle assista à la pendaison de son fils. (Ils en avaient fini avec lui, effectivement !)
Ce ne sont que certains des souvenirs que je peux raconter sur moi et ma famille.
Aujourd’hui j’ai 30 ans, je souffre de troubles de l’audition et de stérilité. J’ai aussi des problèmes de diabète depuis qu’on m’a enlevé les trois quarts du pancréas, et de nombreux problèmes de santé mentale. Les dossiers médicaux se trouvent à l’hôpital Gehamei, à l’hôpital Tel-Hashomer, à l’hôpital Beilinson, à l’hôpital Poriah et à l’hôpital Charing Cross de Londres.
Ce n’est pas simplement une histoire comme on en voit dans les livres ou dans les films. Ces choses me sont vraiment arrivées – dans mon corps. J’insiste encore sur le fait que vous n’avez jamais entendu d’événements de cette sorte dans aucun film et que nous ne pouvez pas imaginer les expériences horribles auxquelles j’ai survécu.
Témoignage de Herzlia Lokai de Arbil
Mon histoire commence en Irak en septembre 1948, pendant la guerre d’indépendance israélienne.
L’Irak était en guerre contre Israël et bien sûr, tous les Juifs irakiens étaient à la fois excités et effrayés.
Pour le gouvernement irakien nous étions des fauteurs de troubles.
J’étais volontaire dans une organisation juive locale en Irak, travaillant comme enseignante de culture juive. Bien entendu, c’était illégal.
Une réunion était prévue et je m’y préparais avec quelques-uns de mes élèves, quand quelqu’un affirma qu’il y avait un problème avec le lieu de la réunion. Le propriétaire de l’immeuble était très nerveux, car la police recherchait partout des agitateurs juifs.
Arbil était une petite ville. « Jamia », l’organisation juive, était secrète mais les Juifs craignaient que la police ne soit informée.
De fait, la police savait quelque chose et un ami vint vers moi et me dit que la police était chez moi. Craignant pour ma famille, je me précipitai à mon domicile et peu de temps après je fus arrêtée.
En prison, la police me posa beaucoup de questions, mais ne parvint pas à réunir de preuves contre moi.
Cependant, quand mon nom fut transmis à Bagdad, les services secrets irakiens donnèrent des ordres pour que je ne sois pas relâchée.
Je ne le savais pas alors, mais à Bagdad ils avaient intercepté une lettre qui m’avait été envoyée d’Israël.
En prison, il va sans dire que les conditions étaient horribles, mais ce qui aggravait encore la situation était le fait que j’étais la seule femme dans une prison d’hommes.
La police n’étant pas certaine au début de la nature exacte de mes relations avec Jamia, je ne fus pas trop maltraitée, mais on me garda en prison pendant de très longs mois.
Naturellement, les prisonniers me causaient beaucoup de problèmes, toutefois au bout d’un certain temps ils comprirent que je n’étais pas une criminelle et, bien qu’ils fussent arabes, ils finirent par me respecter et me protégèrent même contre les gardiens qui me tracassaient parfois. La seule raison qui me permit de survivre à tout cela fut le fait que ma famille donnait de l’argent à tous les gardiens pour qu’ils me traitent mieux.
Entre-temps, une réponse arriva de Bagdad. Un document trouvé à mon domicile prouvait que j’avais des liens avec Israël.
Les conditions empirèrent considérablement et de nombreuses personnes pensaient que j’allais être pendue.
Je fus emmenée au quartier général des services secrets à Bagdad. Là, je fus torturée et – ce qui était pire encore – isolée. Ma famille ne pouvait plus rien pour moi.
Je fus placée dans une prison pour femmes et forcée à dormir sur le sol, avec quarante-cinq autres femmes.
Il y avait un plan pour me faire évader, mais auparavant une autre jeune femme avait fui en Israël et ils avaient tué son père. C’est pourquoi je ne voulais même pas essayer de m’évader.
Lors de mon procès mon père avait vendu tous ses biens pour me procurer un très bon avocat, et je fus condamnée à un an et demi d’emprisonnement seulement ; nous étions surpris et heureux.
Les conditions en prison étaient bien pires que tout ce que j’avais connu jusqu’alors. Les gardiens me battaient et me crachaient dessus et je fus menacée de mort à plusieurs reprises.
Les prisonniers aussi étaient très méchants. Des criminels et des prostituées, dont beaucoup étaient atteintes de syphilis, vivaient dans la cellule avec moi. Tous les prisonniers étaient contraints de s’habiller de sacs répugnants pleins de poux, et nous étions obligés de travailler entre douze et quatorze heures par jour à nettoyer les vêtements des prisonniers hommes.
Il y avait en prison un petit groupe d’environ quinze jeunes femmes qui étaient des prisonnières politiques.
Elles étaient toutes communistes et bien que certaines soient juives, j’étais la seule sioniste. Les membres de ce groupe ne se considéraient pas comme des criminelles et elles organisèrent une grève de la faim, pour protester contre la crasse et les journées de travail interminables et exiger un meilleur traitement.
Au début, la directrice de la prison essaya de briser la grève par des menaces combinées avec des moyens de persuasion douce, mais cela ne marcha pas. Puis, au bout de trois jours, un groupe de trente-cinq policiers furent introduits dans la cellule, armés de matraques.
Nous fûmes toutes les quinze déshabillées et frappées pendant plus d’une heure et demie. Le sol était une mare de sang. De nombreuses femmes avaient les os brisés.
Mais finalement, la grève se poursuivit.
Au quinzième jour, le médecin décida qu’il fallait hospitaliser trois femmes, dont moi. Nous fûmes placées dans une ambulance et bien que trente minutes auparavant nous n’eussions pas même la force de nous déplacer, lorsque nous comprîmes que nous étions sorties de la prison, nous fûmes soudain remplies d’énergie et commençâmes à hurler et à cogner sur les cloisons de l’ambulance. Nous criions aux gens dans la rue et leur racontions ce qui se passait.
L’histoire fut imprimée dans le journal et le gouvernement commença à s’inquiéter.
Au vingt et unième jour ils nous nourrirent de force en introduisant un tube dans nos narines et en y faisant entrer de la nourriture.
En fin de compte ils comprirent qu’ils ne pouvaient continuer ainsi indéfiniment, et le gouvernement répondit favorablement à nos demandes.
Après la grève nous obtînmes une cellule séparée et fîmes notre propre cuisine, mais je souffrais toujours de crampes d’estomac pour ne pas avoir mangé pendant si longtemps et je continuais de m’évanouir. La directrice de la prison vit l’occasion de se venger et prit prétexte de mes évanouissements pour me placer dans un hôpital psychiatrique.
Ceci était très grave, car dans cet hôpital on pouvait me garder pas seulement pendant un an et demi, mais pour le restant de ma vie. En outre, les patients étaient véritablement fous et plus dangereux encore que les criminels en prison.
Je me mis à réclamer de l’aide à grands cris. Par une chance extraordinaire, un médecin juif travaillait dans l’hôpital et il m’aida à retourner en prison.
Les dix-huit mois d’emprisonnement se passèrent relativement bien et je fus libérée. Lorsque je rentrai chez moi, je rejoignis Jamia et repris mon activité d’enseignante.
Quatre mois après être sortie de prison et rentrée dans ma famille, je partis en Israël avec la quasi-totalité des Juifs d’Irak.
Le prix à payer pour cela fut cependant élevé. Le gouvernement irakien insista pour que nous abandonnions tout notre argent et nos objets de valeur. Nous fûmes fouillés à la frontière et arrivâmes en Israël démunis de tout. Nous vécûmes dans des camps d’intégration, sous la tente, et dûmes accepter n’importe quelle proposition de travail. Même les médecins devaient se contenter des emplois disponibles.
En ce qui me concerne, les premières années furent très difficiles. J’élevai mes trois enfants et étudiai pour obtenir mon diplôme d’enseignante, puis j’entrai à l’université de Haïfa pour étudier les sciences politiques.
Aujourd’hui mes enfants ont fondé leurs propres familles et je travaille dans la politique.
Témoignage d’un Juif de Damas
Mon destin fut de vivre plusieurs années en Syrie. À mes yeux, ces années furent comme une éternité. Mon rêve était de m’échapper de l’horrible prison syrienne dans laquelle j’étais détenu, bien que je n’aie commis d’autre crime que celui d’être né juif à Damas.
Il est vrai que les Juifs syriens ne souffrent actuellement ni de la pauvreté ni de la faim. Mais l’homme n’est-il né que pour manger et dormir ? Est-ce là l’essence de la vie ? Tous les hommes de par le monde vivent-ils comme nous, privés de liberté, sous la menace de la torture et dans la crainte constante d’un avenir incertain ; un avenir sans rapport avec nos actes mais déterminé par chaque conflit ou escalade dans la région, pouvant entraîner une aggravation radicale de notre situation ?
La communauté juive de Syrie se trouve constamment placée sous étroite surveillance.
Toute transaction importante d’achat ou de vente nécessite l’autorisation de la police secrète, la redoutable Mukhabarat. Une absence d’un jour de l’école de la part d’un élève juif se traduit par une visite immédiate de la police à son domicile. Vous pouvez imaginer la terreur de la famille quand un policier frappe à sa porte, à tout moment du jour ou de la nuit, pour vérifier les raisons de l’absence de leur fils ou de leur fille de l’école.
La Mukhabarat a un bureau au cœur même du ghetto, et les habitants juifs vivent sous sa menace permanente.
Je me suis souvent demandé quel crime j’avais commis. Le fait d’être né dans une famille juive me condamnait-il à passer toute ma vie dans cette grande prison, sans avoir le droit de choisir l’endroit où je voulais habiter ?
Mesdames et Messieurs, ce sont mon fervent désir et ma détermination à obtenir la liberté à tout prix qui m’ont permis de comparaître devant vous. Je peux me présenter fièrement, la tête haute, mais j’ai laissé derrière moi en Syrie plus de 5 000 Juifs qui souffrent et qui sont dans l’impossibilité de choisir leur destin. Il est de notre devoir de leur tendre une main secourable, de faire constamment tout notre possible pour les délivrer de l’enfer dans lequel ils vivent. Nous devons les aider à atteindre la liberté à laquelle tout être humain a droit.
Il est vrai que le gouvernement syrien autorise aujourd’hui un petit nombre de Juifs à se rendre à l’étranger pour de brefs séjours, afin de donner l’impression au monde qu’il n’y a pas de discrimination envers les Juifs. Mais même ces quelques Juifs doivent verser une somme d’argent énorme à titre de caution et leurs familles sont retenues en otages pour garantir qu’ils rentreront à temps.
Il y a aujourd’hui en Syrie plus de 300 jeunes femmes juives célibataires qui, en raison du manque de jeunes hommes juifs, ne peuvent exercer leur droit élémentaire à se marier. Le gouvernement syrien reconnaît que ceci constitue un problème humain, mais il ne permet pas d’y apporter une solution.
Les Juifs sont les seuls citoyens de Syrie qui ont leur religion inscrite sur leurs passeports et sur leurs pièces d’identité, autrefois en grosses lettres rouges, aujourd’hui en lettres bleues plus petites : « Mussawi » (« juif »).
Ceci leur impose des restrictions dans tous les domaines de l’existence. Ils ne peuvent vendre de biens sans obtenir une autorisation spéciale de la police secrète, ne peuvent travailler dans l’administration ni dans les institutions publiques, ne peuvent commercer avec des organismes sous contrôle étatique, sinon par le biais d’un intermédiaire non-juif, ce qui est illégal.
Dans les rares occasions où des personnalités mondialement connues sont intervenues en faveur des Juifs de Syrie, afin d’assouplir les lois leur interdisant d’émigrer, la réaction fut totalement négative.
Lorsque le Président français évoqua cette question avec le Président Assad au cours d’une visite officielle il y a quelques années, il lui fut répondu que c’était une question intérieure dans laquelle des étrangers n’avaient pas le droit de s’ingérer.
Permettez-moi, mes amis, de terminer mon intervention par un appel en notre nom à tous, citoyens du monde libre, aux Juifs de Syrie, pour qu’ils ne désespèrent pas. Nous ne les avons pas oubliés.
Nous demandons au Président Hafez el-Assad de laisser partir notre peuple.
Qu’il autorise au minimum la réunification des familles, des parents contraints de vivre séparés de leurs enfants, des mères privées du droit de voir leurs fils et leurs filles pendant de longues années. Président Assad, je vous en prie, laissez les Juifs qui le souhaitent quitter la Syrie. Puisse mon appel ne pas rester vain, et trouver en vous un esprit généreux et un cœur compatissant.
À présent, levons-nous et observons une minute de silence, à la mémoire de Fahra, de Lulu et de Mazal Zeybalk, ainsi que de Hava Sa’ad, quatre jeunes filles de Damas âgées de treize à vingt-cinq ans qui furent violées, assassinées et dont les jeunes corps démembrés furent renvoyés à leurs familles dans des sacs, lorsqu’elles tentèrent de s’échapper de Syrie.
Souvenons-nous également des jeunes hommes assassinés sur leur chemin vers la liberté, et de la jeune Lillian Abadi, âgée de vingt-cinq ans et enceinte, qui fut brutalement assassinée à Alep, avec son fils Joseph, âgé de 6 ans, et sa fille Fanny, de 3 ans, par des agents syriens. Merci.
Traduction de l’anglais par Pierre Lurçat. Copyright © Continuum Books.
La fuite du Yémen
Témoignage de Haïm Bar Yahia Alcheikh (Altwil)
Mon père et mon grand-père Yossef Alcheikh ont quitté leur domicile de Sanaa il y a de nombreuses années.
C’était une année de famine dont le souvenir funeste est resté gravé dans toutes les mémoires.
À cette époque, la guerre faisait rage entre l’imam et les Turcs qui régnaient sur le Yémen au temps d’Idris.
L’imam eut le dessus ; après qu’il eut fait un siège prolongé devant la ville de Sanaa, jusqu’à sa reddition, tous fuirent pour sauver leur vie.
Les soldats de l’imam entrèrent alors dans Sanaa et investirent ses forteresses. La permission fut donnée aux vainqueurs de se livrer au pillage et d’amasser leur butin, sans toutefois s’approcher des maisons des Juifs.
Bien qu’ils eussent été mis en garde de ne pas causer de dommage aux maisons juives, leurs agressions contre les Juifs de Sanaa furent pour ces derniers comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ce fut pour cette raison qu’ils cherchèrent au prix de grands efforts à sauver leur vie en trouvant un nouveau refuge, comme les Juifs l’avaient fait au cours de leur exil, errant d’un lieu à un autre.
Durant le siège, une grande famine régnait dans la ville, soumise à un couvre-feu strict ; nul n’entrait ni ne sortait. Il n’y avait aucune possibilité de faire entrer de ravitaillement dans la ville, et personne ne pouvait la quitter pour aller chercher de la nourriture.
La cherté du grain causa de nombreuses pertes en vies humaines. On pouvait acheter un nefer (unité de mesure), soit un huitième de mesure de capacité. Cela faisait un repas à peine suffisant pour une personne, et comment partager ce repas en plus de quatre, cinq personnes ? C’est pourquoi mes parents partirent au village de Tsafan, à proximité de la grande ville de Menashé.
Au bout de quelques années à Tsafan, mon père se maria avec Banat Slimane Alcheikh, membre éloignée de notre famille de Menashé, et revint au village de Tsafan. Il continua de travailler dans son métier, effectuant des petites réparations sur des narguilés et fabriquant des objets de tôle à partir de récipients vides.
La subsistance était difficile à Tsafan, à un point intolérable. La stabilité du pouvoir était ébranlée, aussi mon père et mon grand-père décidèrent de partir à Menashé. À cette époque j’avais entre trois et quatre ans. Nous entassâmes nos biens sur des ânes, et nous mîmes en route vers Menashé.
Nous arrivâmes au lieu de rassemblement des soldats de l’imam, lieu appelé Sharaf Tsafan. Les soldats s’emparèrent de nous, se mirent à fouiller dans les bagages entassés sur les ânes, et voulurent s’emparer de nos ânes et de ce qu’ils transportaient.
Mon père s’obstina et se mit à crier et à se battre avec énergie, mais les cris n’y firent rien. Ils le saisirent de force et l’étendirent sur le sol, en le menaçant de l’égorger avec un couteau qu’ils avaient placé sur sa gorge. Il prit peur, et ils dévalisèrent tranquillement tous nos biens. Nous revînmes à Menashé, blessés, brisés et démunis. Mon père dut s’aliter, éprouvé par la frayeur qu’il avait eue, et au bout d’un mois il mourut.
Mon grand-père loua une maison à Menashé et ouvrit une boutique, et il continua d’exercer son métier de ferblantier et d’autres activités occasionnelles pour subvenir à nos besoins. Au bout de six ans il rendit l’âme et fut conduit à sa dernière demeure, nous abandonnant, ma mère, ma sœur et moi.
[…] Lorsqu’on lui demandait ce qu’il avait discerné de particulier chez la famille Giat, il répondait qu’il n’était pas le seul à avoir discerné quelque chose de particulier.Tous les habitants de Menashé pouvaient témoigner que chaque jour, à l’heure des repas, matin et soir, une longue file de gens attendaient à la porte de leur maison pour recevoir un repas et une miche de pain.
On leur donnait sans distinction de sexe ou de religion, qu’il s’agisse de Juifs ou d’Arabes des environs qui demandaient l’aumône, ou de pauvres de la ville des deux religions qui attendaient ensemble un repas préparé d’avance. À l’exception des gens de la ville et des personnes âgées qui n’avaient pas les moyens et qui n’osaient pas demander publiquement, auxquels il envoyaient de la nourriture à domicile les veilles de shabbat et de fêtes.
Ce qui était particulier à cette famille était le fait qu’ils ne faisaient pas de distinction entre leurs coreligionnaires et les autres. Ils ne laissaient partir les mains vides aucune personne qui frappait à leur porte.
Cela faisait du tort aux riches Arabes de la ville, car leurs frères démunis étaient entretenus par un Juif, un infidèle.
D’un côté, leurs frères démunis étaient entretenus par un Juif qui, par le mérite de cette bonne action, jouissait d’une grande réussite. Ils voyaient la réussite de la famille Giat, grâce à ces pauvres ; mais d’un autre côté, ils éprouvaient une joie maligne à voir ce Juif dépenser et gaspiller son argent.
[…] Elia Giat endura des épreuves difficiles après le meurtre de l’imam ; les Arabes proches du pouvoir les attendaient pour ainsi dire au tournant. Ils se concertèrent pour venger leur honneur contre cette famille, à l’égard de laquelle se réalisait ce qui est écrit au sujet de Joseph le juste : tout ce qu’il entreprend, Dieu le fait réussir.Ils lancèrent toutes sortes de fausses accusations contre Elia, affirmant qu’il donnait de l’argent aux Juifs en Eretz-Israël pour qu’ils combattent les Arabes ; qu’il réunissait des armes et des bombes pour combattre le Yémen au moment opportun ; qu’il s’appropriait le bien d’autrui par la force et suçait la moelle des commerçants ; qu’il faisait monter les cours artificiellement, et d’autres accusations encore, qui influencèrent le gouverneur.
Ce dernier envoya près de cinquante soldats dans sa maison. Ils cassèrent et détruisirent les murs, fouillèrent et s’emparèrent de tout ce qu’ils trouvèrent, et cela, en dépit du fait qu’il entretenait leurs pauvres et leur faisait la charité comme aux Juifs.
De la détresse vint le réconfort pour les Juifs.
Qui eût cru ou même rêvé que les Juifs riches du Yémen iraient frapper aux portes des pauvres, pour qu’ils aient la bonté de leur permettre d’accomplir la grande mitsva du rachat des prisonniers ! Pour cela, ils devaient accepter un prêt et se rendre en Eretz-Israël et leur payer là-bas.
Cela, bien entendu, sur l’ordre du roi Ahmed, qui savait que le meurtre de son père était dû au fait qu’il était bien disposé envers les Juifs.
Il réalisa en pratique la libération totale des Juifs de l’exil.
Une ordonnance fut rendue au nom du roi Ahmed, en vertu de laquelle les Juifs étaient libres de voyager en tout lieu, et même en Eretz-Israël, et que personne ne devait s’y opposer. Avant cette ordonnance, les Juifs parvenaient à s’échapper et à contourner l’interdiction.
Ils se rendaient à Ta’izz pour se prosterner sur la tombe de Abba Shalom Shabazi, ou à un autre endroit sous un prétexte quelconque, pour gagner ensuite Eretz-Israël.
En punition, leurs maisons et leurs champs étaient transmis au trésor public (Beit Elmael) ; mais le roi avait précisé et posé comme condition que les Juifs vendent tous leurs biens et soient payés rubis sur l’ongle, avant d’obtenir l’autorisation de sortir du pays.
Lorsque nous fûmes informés officiellement de cette autorisation, la confusion et le désordre s’installèrent. Les gens ne prenaient même plus la peine de travailler, ils ne pensaient plus à rien d’autre qu’à vendre leur maison et leurs biens et à se rendre en Eretz-Israël.
De crainte que l’imam ne revienne, à Dieu ne plaise, sur sa parole, ils ne se préoccupaient même pas du prix de la maison. Ils signaient avec l’acheteur illégal, déclarant avoir reçu la totalité du prix de la maison, et celui-ci obtenait la maison et les biens d’un Juif gratuitement, sans rien débourser.
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Elia Giat fit mieux encore que tous les autres ; il envoya des émissaires dans les villages aux environs de Menashé, pour chercher s’il restait un Juif qui n’avait pas été informé de cette nouvelle, ou qui savait mais n’avait pas la possibilité de partir. Il l’envoyait, lui et sa famille, après les avoir munis de provisions pour le voyage et leur avoir fourni des ânes à ses frais.
N’est-ce pas là le plus grand miracle, que se soit réalisé pour nous le verset « nous partirons avec nos enfants et nos vieillards, nos fils et nos filles ».
Nous avons mérité de voir se réaliser la promesse du Saint béni soit-il, « et je vous transporterai sur les ailes des aigles », ce que nos ancêtres n’avaient pas eu le mérite de voir après des milliers d’années de prières et d’attente, pour voir de nos yeux ton retour à Sion.
Par un jour clair, à l’heure propice, nous avons tout abandonné derrière nous et nous sommes allés à Sanaa chez mon oncle, le frère de ma mère, Abraham Mansour. Il eut la bonté de nous prêter une chambre et un coin pour cuisiner, tout le temps nécessaire jusqu’à ce que s’organise une caravane pour faire le voyage jusqu’en Eretz-Israël. Nous sommes passés par Ibb, par Siani, puis nous avons loué un camion jusqu’à Lahadj.
Dans la ville de Lahadj nous avons loué un taxi jusqu’au camp de transit de Géoula, et voilà que nous étions arrivés en Eretz-Israël, Dieu merci ! Je lui ai dit, vraiment vous avez pris un raccourci de Sanaa jusqu’en Eretz-Israël. Alors il a poussé un soupir ; que puis-je répondre, quelles souffrances et quelles fatigues nous avons éprouvées !
À chaque pas on nous bloquait la route et on nous empêchait de passer, jusqu’à ce que nous leur versions un droit de passage. Nous avons payé sans discuter, pour ne pas perdre de temps.
De Sanaa nous avons voyagé jusqu’à Siani, et à Siani nous avons loué un camion et nous sommes arrivés à la ville de Alraada, de détestable mémoire.
Ils ont profané l’honneur de la Torah en déroulant le rouleau de la Torah du début jusqu’à la fin pour chercher si on y avait caché des dinars en or. Ils ont déchiré la couverture de livres sacrés, nous avons payé ce qu’ils exigeaient.
Les conducteurs aussi, voyant que nous nous approchions de la liberté, ont trouvé une méthode nouvelle et cruelle. « Il n’y a plus d’air dans la roue de la voiture, il n’y a plus d’huile. » Et en un clin d’œil il y avait tout ce qu’il fallait, une fois que nous leur avions payé une taxe en plus de ce qui avait été convenu.
C’est la raison pour laquelle les Yéménites sont arrivés en Eretz-Israël démunis de tout, mais riches en esprit.
Combien de livres sacrés, et combien de rouleaux de Torah ils ont amenés avec eux ! Et quand nous sommes arrivés à Hashad, nous sommes restés pendant un mois sous un toit de nattes en paille, en plein air, dans une chaleur comme nous n’en avions jamais connu. Nous avons accepté la peine et la souffrance avec amour, comme l’une des épreuves par lesquelles on gagne la terre d’Israël.
Les listes pour émigrer en Eretz-Israël étaient arrivées, et nous respirâmes à l’aise en pensant que nous pourrions bientôt jouir de la paix chez nous.
Je demandai à Rabbi Haïm, connu pour sa sagesse, d’où étaient venues les listes. En toute naïveté il me répondit : d’Eretz-Israël. Je lui fis part de mes connaissances, car il se trouve que je faisais partie de l’équipe de direction du camp.
Nous procédions à un enregistrement précis : le nom de famille – car les Yéménites ont l’habitude de se désigner par leur prénom, et non par leur nom de famille – comme par exemple Moshe Daoud, Yahia Tsalah, etc., et d’autres noms de ce genre qui sont répandus chez nos frères yéménites, et je ne parle pas de l’âge, car une petite partie d’entre eux connaissaient leur date de naissance exacte.
Une fois que les listes furent mises à jour, on vérifia qui était arrivé au camp en premier, et émigrerait le premier. Et combien de personnes l’avion pouvait transporter, sa date de départ ; puis on établit une liste ordonnée et on appela les noms dans les haut-parleurs et on leur demanda de se rassembler près de la voiture qui devait les emmener à l’aéroport. Puis on procéda à nouveau à l’appel des noms en bas de l’avion.
Au bout de huit heures de vol, nous arrivâmes à l’aéroport de Lod. Heureux l’œil qui a vu tout cela, comment nous sommes descendus de l’avion, chacun tenant dans ses bras un rouleau de Torah, ou un paquet de livres sacrés.
Nous descendîmes en file, embrassâmes la terre d’Eretz-Israël et nous rendîmes à la gare. C’était vraiment comme si nous étions revenus de la procession de réception de la Torah au Mont Sinaï et qu’ils étaient partis au Yémen, et du Yémen ils étaient revenus en Eretz-Israël, en proclamant nous ferons et nous obéirons, et voilà que nous étions là.
Et ensuite ce qui se passa dans la maison pour nouveaux immigrants, cela se déroula sans encombre, et pour tout cela nous devons Le remercier et bénir Son nom.
Car Il nous a délivrés et nous a fait parvenir à une vie agréable et paisible dans le pays de nos pères, un pays bon et spacieux, un pays où coulent le lait et le miel. Un pays dans lequel nous ne mangerons pas notre pain dans la misère. »
Traduction de l’hébreu par Pierre Lurçat, copyright Aharon Kafech.
Notes
[*] Extrait de Aharon Kafech, « Mithalekh betomo tsadik », Bne Brak, 2001.[**] Interview donné dans les années 1980.
A suivre…
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