Diaspora juive

JUIFS en BRETAGNE – 1 Des Juifs en Bretagne au Moyen Âge

1er VOLET (en 7 chapitres) : La présence juive en Bretagne du Ve siècle apr. J.-C. à la seconde guerre mondiale

La présence de Juifs est attestée à partir du IVe siècle en Gaule et leur implantation en Armorique, contemporaine des dernières décennies de l’Empire romain, précéda les migrations bretonnes.

L’intégration de la Gaule à l’Empire romain s’accompagna de migrations de populations du bassin méditerranéen. Soldats, fonctionnaires, marchands s’établirent temporairement ou firent souche dans ces nouveaux territoires.

Parmi ceux qui vinrent jusqu’en Armorique se trouvaient, vraisemblablement, des citoyens romains de religion juive.

Respectueux des lois de l’Empire et sans doute bien intégrés aux populations locales, ils formèrent de petites colonies urbaines qui n’ont guère laissé de traces. Ce ne sont là que des conjectures. Il faut attendre le XIIIe siècle pour trouver les preuves tangibles que des Juifs résidaient en Bretagne.

« Que tous les clercs évitent de manger avec les Juifs et que personne ne les accueille à sa table, parce que, étant donné qu’ils n’usent pas des nourritures communes aux chrétiens, il est indigne et sacrilège que leurs nourritures soient consommées par des chrétiens. Comme ils jugent impur ce que, avec la permission de l’Apôtre, nous prenons, les clercs commenceraient à être inférieurs aux Juifs si nous usions de ce qu’ils servent alors qu’ils méprisent ce que nous offrons1. »

Énoncée lors du Concile de Vannes qui se tint entre 461 et 491 (peut-être vers 465 selon P. Le Méné), cette interdiction faite aux clercs, non de fréquenter les Juifs mais de partager leurs repas à cause des interdits de la cacherout2, est la plus ancienne mention de la présence de Juifs dans cette très vaste circonscription gallo-romaine qu’était la IIIe Lyonnaise.

Les évêques, réunis à Vannes, ne légiféraient pas pour la seule Armorique mais pour un territoire qui couvrait tout l’Ouest de la Gaule et dont la métropole était Tours.

On ne peut donc pas déduire de cette injonction qu’il y avait des Juifs dans la future Bretagne au Ve siècle. On peut toutefois le supposer et, dans cette hypothèse, leur reconnaître un rang notable dans la société qui faisait d’eux les commensaux des clercs.

La condition des Juifs de Bretagne, comme celle des autres Juifs de la Chrétienté, fluctua au gré des mesures arrêtées lors des nombreux Conciles et des dispositions des pouvoirs séculiers à leur égard.

La période carolingienne (VIIIe -IXe siècles) leur fut, sans doute, relativement favorable, mais à partir du XIe siècle leur situation se dégrada dans l’Occident chrétien.

Les croisades s’accompagnèrent de pogroms tandis que se répandait le mythe du meurtre rituel d’enfants chrétiens (1144, en Angleterre, à Norwich ; 1171, à Blois où la communauté juive fut massacrée).

Dans ce climat d’antijudaïsme, Philippe Auguste, en 1182, ordonna la spoliation des Juifs et leur expulsion du royaume, mais le « Royaume de France » n’était encore que le domaine royal, aux dimensions modestes, et les grands vassaux demeuraient souverains sur leurs territoires.

La Champagne, la Bourgogne, la Provence, le Languedoc furent, en 1182, des terres d’accueil pour les bannis ; quant à la présence de Juifs en Bretagne, elle n’est révélée, de façon certaine, qu’au moment où, sous la pression des notables, ils allaient en être chassés.

À l’occasion d’un traité entre le Duc de Bretagne, Pierre de Dreux (dit Pierre Mauclerc), et l’évêque de Nantes, en 1222, le Duc reconnaît à l’évêque les mêmes prérogatives que celles accordées à ses prédécesseurs, y compris à l’égard des Juifs : « Je veux aussi et je conviens que l’évêque ait sur les Juifs résidant dans son fief les mêmes privilèges de juridiction que ses prédécesseurs, ou bien, que d’eux-mêmes ils s’éloignent et se retirent du fief de l’évêque3. »

Il ne s’agit pas là d’établir des règles nouvelles mais d’entériner celles que la présence des Juifs dans le diocèse de Nantes, bien des années auparavant, avait rendues nécessaires. Deux faits, survenus quelques années plus tard, confirment leur établissement durable dans le duché.

En 1231, un terrain, proche des remparts de Nantes, au lieu-dit « le saut des chiens », fut vendu par Guillaume à Théodore, Juif de Rennes, et aux Juifs nantais pour y établir un cimetière. Le vendeur spécifiait qu’il se réservait le droit de creuser les fosses, pour douze deniers, lors des inhumations4.

En 1235, la juridiction de l’évêque conclut un différend entre un clerc, Geofroi, prieur de Donges, et deux Juifs de Guérande, Creisson et Bonostru : le prieur et les domaines du prieuré sont déclarés affranchis de toutes dettes et, ceci, devant témoins, chrétiens et juifs. Ces derniers qui scellent l’acte de leurs sceaux sont : Tristan (ou Triscan), sénéchal des Juifs, Jacob de Nantes et Harane de Segré.

Cet acte, aujourd’hui conservé aux Archives départementales de Loire-Atlantique, est rédigé en latin et en hébreu.

« Sachant tous que le procès pendant entre Geofroi, prieur de Donges, d’une part et, de l’autre, Creisson et Bonostru, Juifs de Guérande, a été arrangé entre eux de cette façon : le prieur, ses cautions et toutes les propriétés du prieuré demeurent libres et affranchis de toutes dettes envers les Juifs susdits et leurs héritiers à tout jamais. Les dits Juifs les en tiennent quittes et en ont donné quittance en présence des seigneurs Guillaume de Derval, chevalier, Main, son frère, Bonabe de Rougé, chevalier et de plusieurs autres. Et pour que cet acte soit ferme et solide, ces lettres ont été scellées du sceau de Triscan, alors sénéchal des Juifs, et de ceux de Jacob de Nantes et de Harane de Segré, Juifs l’un et l’autre.

Donné à Nantes, le lundi après le dimanche où l’on chante Laetare Jérusalem, en l’an 1234 [19 mars 1235 du calendrier grégorien]. »
Traduction d’Arthur de la Borderie.

Était-il justifié de débouter ces créanciers ? Il semble que la décision fut prise dans les règles et que la présence des témoins garantissait les droits des deux parties.

En ce premier tiers du XIIIe siècle existait donc, dans la région nantaise, une communauté juive assez nombreuse pour s’être dotée de structures représentatives et suffisamment intégrée pour envisager une implantation durable, ce que laisse supposer l’établissement d’un cimetière.

Dès 1236, pourtant, l’antijudaïsme se manifesta à l’occasion de la nouvelle croisade prêchée par le Pape Grégoire IX. Les futurs croisés, une fois de plus, porteraient à l’encontre des Juifs l’accusation d’usure pour exiger l’abolition de leurs créances et la restitution des biens mis en gage. Cette année-là, les persécutions semblent avoir commencé après Pâques sous une forme très brutale : pillages, meurtres qu’interprètent différemment deux historiens de Bretagne.

Ironie amère chez Dom Lobineau, en 1707 : « La plus grande et la première expédition de ces croisez [il s’agit des Bretons] fut de massacrer les Juifs qui n’étaient pas la cause du mal que les Sarrazins faisaient souffrir aux chrétiens d’Orient ! »


Deux siècles plus tard, Arthur de la Borderie, en 1899, tout en estimant « regrettables » les excès contre les Juifs, les justifie par « l’ardente exaltation du sentiment religieux qui se tournait aisément en vive colère contre le peuple déicide ».

Il reprend l’argument du Juif usurier : « L’exaspération contre ces usures, s’ajoutant à la haine contre les bourreaux du Christ, faisait alors, de temps à autre, déborder l’indignation populaire […] La foule se jetait sur les Juifs, les pillait, les maltraitait, les tuait5 » ; puis affirme que, malgré tout, « trois ou quatre ans après il en restait encore beaucoup en Bretagne ».

Il en restait, certes, que l’inimitié des notables, davantage que la volonté politique du souverain duc, allait contraindre à l’exil.

Il ne paraît pas, en effet, y avoir eu un projet élaboré d’expulsion des Juifs de la part du Duc Jean Ier le Roux avant la signature de l’ordonnance de Ploërmel, le 10 avril 1240.

Quelques semaines auparavant, en mars, il avait décidé, lors d’une entrevue avec son vassal, Raoul de Fougères, que « en ce qui concerne les Juifs, le Comte de Bretagne [Comes Britanniae] accorde au sire de Fougères que leurs usures cesseront dès le commencement des guerres. Quant aux réclamations de dettes élevées par eux, le Comte veut que le sire de Fougères les juge et qu’il ait sur cette matière la même juridiction exactement dont jouit le sire de Vitré ».

L’existence de communautés juives en Bretagne était donc reconnue, et s’inscrivait dans un système juridique cohérent où les seigneurs justiciers se montraient fort jaloux de leurs prérogatives.

Or, en avril, se réunit, à Ploërmel, l’assemblée des « États de Bretagne » composée de représentants de l’Église (évêques, abbés), de la noblesse et des villes représentées par ces notables bourgeois qui, beaucoup plus tard, au XVIIIe siècle, se montrèrent si hostiles à la concurrence des marchands juifs.

Pour Bertrand d’Argentré dont l’œuvre fut éditée en 1588, il ne fait aucun doute que Jean le Roux céda à la pression des États : « En ce temps, le pays se trouva fort chargé de Juifs habitans en Bretagne, l’inclémence et la cruauté de leurs usures consommaient nobles et marchans et surtout le menu peuple : s’assemblèrent les États et firent instante requête au Duc de les chasser. »

Le 10 avril 1240, le bannissement des Juifs de Bretagne était ordonné :

« A tous ceux qui les présentes lettres verront, Jean, Duc de Bretagne, Comte de Richemont, salut.

Sachez que nous, sur la demande des évêques, des abbés, des barons et des vassaux de Bretagne, ayant examiné avec soin l’intérêt du pays, nous chassons de Bretagne tous les Juifs. Ni nous, ni nos héritiers nous n’en tiendrons jamais un seul sur nos terres en Bretagne et nous ne souffrirons pas qu’aucun de nos sujets en aient sur les siennes. Toutes les dettes contractées envers des Juifs établis en Bretagne, de quelque manière et pour quelque raison que ce soit, nous les remettons entièrement et nous en donnons quittance.
Toutes les terres hypothéquées à des Juifs, tous les gages mobiliers ou immobiliers détenus par eux feront retour aux débiteurs ou à leurs héritiers, sauf les terres et les autres gages qui auraient été vendus à des chrétiens par jugement de notre Cour. Personne ne sera accusé ou mis en jugement pour avoir tué un Juif.

Nous prierons, nous engagerons de bonne foi et de tout notre pouvoir Monseigneur le Roi de France à confirmer par ses lettres la présente assise ou ordonnance, et nous nous portons garant pour notre père et pour nous que les dettes contractées en Bretagne envers les Juifs ne seront jamais payées sur les terres de notre père [….]. Enfin, les évêques, les barons et tous les vassaux de notre duché ont juré et accordé que jamais ils ne recevront ni ne permettront de recevoir des Juifs dans leurs terres en Bretagne. »

Expulsion majeure et définitive dans la mesure où le pouvoir ducal ne revint jamais sur cette décision.

Les lettres de bannissement qui permettaient l’exécution de cette ordonnance furent effectivement promulguées par Jean Ier et envoyées dans toute la Bretagne.

Cette expulsion s’accompagnait de la spoliation de toutes leurs créances et l’amnistie accordée aux meurtriers de Juifs, même s’il ne faut pas y voir un appel au pogrom, était un assez clair avertissement à tous ceux qui auraient été tentés de passer outre.

Quant à la confirmation de « l’assise de Ploërmel » par le Roi de France, elle ne faisait guère de doute alors qu’à Paris se préparait la « disputation », au cours de laquelle quatre des plus savants talmudistes juifs allaient devoir répondre aux accusations de blasphèmes contenus dans le Talmud, portées par Nicolas Donin, Juif converti.

Cette controverse qui se déroula en juin 1240, en présence de la reine-mère Blanche de Castille, aboutit à la condamnation du Talmud et à son « brûlement » en place de Grève en 1242 ou 1244.

Si Louis IX approuva la décision de son vassal, il se garda bien de l’imiter. Après la première expulsion des Juifs du royaume de France sous Philippe Auguste en 1182, celui-ci et ses successeurs durent négocier plus de trente ans, de 1198 à 1231, pour obtenir de tous les seigneurs qui s’étaient empressés d’accueillir les bannis, qu’ils consentent à les renvoyer en France.

Le futur « Saint-Louis » leur imposa le port de la rouelle 6 en 1269 mais ce n’est qu’en 1306, sous Philippe le Bel, que fut ordonnée une nouvelle expulsion, d’ailleurs très provisoire, puisqu’en 1315 les Juifs étaient rappelés dans le royaume.

La politique bretonne à l’égard des Juifs, sans être originale, paraît donc plus radicale en ce siècle où d’autres souverains hésitent entre protection intéressée et répression.

Si l’antijudaïsme des Bretons s’inscrit, en 1240, dans un contexte historique, ils ne firent preuve, à Ploërmel, d’aucune retenue et d’aucun retard, ce que résume l’auteur de La Bretagne ancienne et moderne, Pitre-Chevalier, quand il écrit, en 1844 : « En 1240, les États assemblés à Ploërmel proscrivirent les Juifs de la Bretagne ; et prélats, seigneurs, bourgeois et paysans exécutèrent sans pitié l’ordonnance du Duc à l’égard de ces misérables. »

Quelle signification peut-on donner à cette accusation d’usure mise en avant pour justifier les mesures d’expulsion, en Bretagne comme ailleurs, au XIIIe siècle?

Les circonstances qui présidèrent à la tenue de « l’assise de Ploërmel » peuvent nous éclairer.

La volonté d’exclusion ne semble pas venir du Prince mais des représentants de la société bretonne. Or la Bretagne, comme l’ensemble de l’Europe occidentale et méditerranéenne, connaissait, à cette époque, un essor économique.

Les navires malouins fréquentaient, au moins depuis le siècle précédent, les ports espagnols. Des marchands italiens, des changeurs lombards étaient installés en Bretagne.

La circulation monétaire se développait et les prêteurs juifs, à Nantes, à Guérande et dans les autres villes bretonnes, n’étaient assurément pas les seuls à pratiquer le commerce de l’argent, indispensable au soutien et à la croissance des échanges.

En fait, tous ceux, individus ou communautés, qui avaient des capitaux disponibles, pratiquaient des activités bancaires.

En janvier 1234, à Lamballe, Rolland de Hillion, chevalier, et sa femme contractent un emprunt auprès de l’abbaye de Saint-Aubin: 60 livres qui servent aussitôt à acquitter une dette ancienne à l’égard d’un créancier juif7.

Mais qui empruntait?

Des marchands, souvent eux-mêmes concurrents commerciaux de leurs créanciers ; la banque était rarement l’activité unique, on était « marchands-banquiers ».

L’expulsion des Juifs permettait, à la fois, de se débarrasser de concurrents et d’effacer un passif.

Des seigneurs, des chevaliers, pour qui le capital emprunté restait, le plus souvent, improductif, destiné à faire face à des dépenses militaires, ou somptuaires, ostentatoires et, dans ce cas, l’endettement allait croissant, à moins que le Prince, lui-même parfois partie prenante, ne décrète le bannissement du prêteur et n’accorde, d’autorité, quittance au débiteur.

Les Juifs, comme les Lombards, comme les Templiers sous le règne de Philippe le Bel, furent victimes de ce mécanisme économique mal maîtrisé avec, circonstance aggravante pour les premiers, l’accusation éventuelle de déicide, propice au déchaînement des foules, mais pas toujours invoquée.

Leur élimination de Bretagne en 1240 ne fut peut-être pas étrangère à la pénurie monétaire qui affecta l’économie du duché aux XIVe et XVe siècles8.

Ducrest de Villeneuve, dans son Histoire de Rennes (1845), suppose qu’après l’ordonnance de Ploërmel, la ville ne fut « absolument désertée » de ses Juifs que pour quelque temps, car les bannis « ne devaient pas tarder à rentrer un à un, sans bruit et […] moyennant finances au Duc de Bretagne ».

En réalité, il semble qu’il faille attendre le XVe ou le XVIe siècle pour voir des Juifs revenir en Bretagne, à Nantes, à Saint-Malo et, sans doute, épisodiquement et en très petit nombre.


La situation politique ne leur était d’ailleurs pas favorable en cette fin du XVe siècle. La Duchesse Anne, devenue Reine de France, encourageait Louis XII à maintenir et faire respecter l’édit du 17 septembre 1394, par lequel le Roi Charles VI avait décrété l’expulsion générale des Juifs du royaume.

Au cours des guerres d’Italie, Louis XII, vainqueur à la bataille d’Agnadel (1509), occupe Bergame d’où il chasse aussitôt les Juifs protégés, auparavant, par les Vénitiens.

.À la mort d’Anne de Bretagne, en 1514, son confesseur, Guillaume Parvi, prononçant l’éloge funèbre, exalta la reine vertueuse qui avait consacré sa vie aux pauvres, aux veuves et aux orphelins « et avait travaillé à l’expulsion des Juifs9 ». Il rappela qu’elle en avait aussi converti et, dans ce cas, pensionné, comme le fut « Charles de Creil, naguère juif10 ».

Du XVe au XVIIe siècle, esquisse d’une localisation de la présence juive ancienne en Bretagne, toponymie et inscriptions hébraïques

Dans l’état actuel des connaissances, il est bien difficile d’écrire l’histoire des Juifs en Bretagne de 1240 à la fin du XVIIe siècle. Officiellement, l’ordonnance de Ploërmel met un point final à leur présence et, même si l’on peut supposer que certains revinrent s’établir dans le duché, ils n’y furent jamais en situation de reconstituer des communautés nombreuses et structurées.

Si les textes officiels et les chroniques du temps ignorent désormais les Juifs, d’autres témoignages peuvent être sollicités, avec prudence, sachant que l’interprétation d’un toponyme est souvent délicate et sujette à caution quand il est source unique.

Nous n’avons retenu, pour établir cette carte qu’un nombre restreint de lieux-dits ou de toponymes actuels ou passés.


Certains sont des témoins indiscutables puisque corroborés par d’autres sources : ce sont les « rues des Juifs » et « de la juiverie », ou, bien entendu, le « cimetière juif » de Nantes. Par contre le « cimetière aux Juifs » de Saint-Igneuc, dans les Côtes-d’Armor, nom d’une parcelle figurant dans les registres de la Cour des comptes de Bretagne en l’année 1658- 11, reste hypothétique et ignoré, aujourd’hui, des historiens locaux.

L’existence de certains toponymes, comme « la Palestine » ou « la Judée » observés à Quimper, à La Roche-Maurice, à Saint-Divy ou, en Ille-et-Vilaine, au Vivier-sur-mer, peut n’avoir aucun lien avec la présence de Juifs. Quelle signification, enfin, accorder à cette « rue au Juif » de Collinée ?

Le séjour, au moins momentané, de petits groupes ou d’individus isolés, aux XVIe et XVIIe siècles, est plus sûrement attesté grâce à la découverte, vers 1900, de deux stèles, gravées d’inscriptions en hébreu, dans le Finistère 12.

La première était une stèle d’albâtre dont l’épitaphe, datée de « l’année 5334, le 11 Av » (29 juillet 1574), était dédiée au « Sieur Salomon, fils de R. Jacob Semas ». Elle fut retrouvée à Quimperlé dans une maison ayant appartenu à un entrepreneur en menuiserie qui l’avait probablement récupérée sur un chantier de démolition. La qualité de l’épitaphe rimée, la finesse de la sculpture faisaient penser, écrit Moïse Schwab, à un travail hollandais. Qui était « Salomon, fils de Jacob Semas » ? Où vivaient ses parents ou amis qui lui firent l’hommage de cette stèle précieuse ?

La seconde inscription fut retrouvée à Landerneau, ornant une dalle de granit scellée dans le sol de la chapelle de l’hospice des sœurs de Saint-Joseph. Ces bâtiments ont été rasés à la fin du XXe siècle et il semble que, malheureusement, cette dalle ait disparu. Le texte était bilingue, hébreu et portugais, en voici la double traduction :


De l’hébreu : « Le jeune Isaac Machoro de Leon qui fut tué pendant la guerre des Français le 6e jour du mois de Av de l’année 5454 de la création du monde. Que son repos soit respecté. Que son âme soit reliée au faisceau des vivants. »


Du portugais : « S [pour sépulture ?] du malheureux Ishack Machoro de Leon que les Français ont tué lors de la défense de l’Ile le 6 de Av de l’année 5454. Que Dieu, dans sa compassion, recueille son âme. »

Les circonstances de la mort de ce jeune Juif portugais le font entrer dans l’histoire des guerres de Louis XIV.

Le 18 juin 1694, une flotte anglo-hollandaise de 35 vaisseaux, chargés de troupes sous le commandement du duc de Malborough, « s’en va-t-en guerre » et attaque Brest que Vauban a eu le temps de fortifier. Elle est détruite devant Camaret. Or, Isaac a été « tué pendant la guerre des Français » dit le texte hébreu. Il fut tué par les Français précise l’épitaphe en portugais.

Il combattait donc sur un des navires assaillants où il dut être blessé, sa mort survenant trois semaines plus tard (6 ou 7 juillet soit le 6e jour du mois de Av 5454). Isaac était-il un marin du pays léonard, connaissant bien la rade de Brest et, à ce titre, « appelé comme pilote sur l’un des navires lancés à l’effet de forcer le goulet situé à l’entrée du port » ?

C’est la thèse de Moïse Schwab qui pose plus de problèmes qu’elle n’en résout : Comment aurait-il été recruté ? Pourquoi aurait-il prêté main-forte aux assaillants ? N’était-il pas plutôt un descendant de ces Juifs expulsés du Portugal, émigrés en Hollande et, à ce titre, enrôlé dans les équipages des navires hollandais de la flotte ? Seuls les hasards de la guerre l’auraient alors fait mourir sur la presqu’île de Camaret. Dans ce cas, « Machoro de Leon » témoignerait de ses origines familiales, aux confins de l’Espagne et du Portugal ; mais qui prit la peine de faire graver son épitaphe ?

LES JUIFS EN BRETAGNE – ve-xxe siècles – Claude Toczé et Annie Lambert – Mémoire commune

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A suivre…

Voir tous les articles de la série : Juifs en Bretagne

NOTES
  • 1 P. Le Méné, Histoire du diocèse de Vannes, Vannes, 1888, tome I, p. 44.
  • 2 Ensemble des prescriptions alimentaires rituelles du judaïsme.
  • 3 Traduction du texte latin cité par Léon Brunschwig dans « Les Juifs en Bretagne au XVIIIe siècle », Revue des Études Juives, n° 33, 1897.
  • 4 Archives du prieuré de Moutiers et de Saint-Cyr de Nantes, inventaire de 1593, citées par Léon Brunschwig dans « Les Juifs en Bretagne », Revue des Études Juives, n° 49, 1904.
    Les différents volumes de la Revue des études Juives (REJ) cités dans ce chapitre et les suivants peuvent être consultés à la Bibliothèque de L’Alliance Israélite Universelle, à Paris.
  • 5 A. de la Borderie, Histoire de Bretagne, 1899, t. III, p. 337.
  • 6 Signe distinctif, de forme ronde, cousu sur le vêtement.
  • 7 Anciens évêchés de Bretagne, Saint-Brieuc, 1864, t. III
  • 8 J.-P. Leguay et H. Martin, Fastes et malheurs de la Bretagne ducale (1213-1532), Rennes, Éd. Ouest-France/Université, 1982, p. 239.
  • 9 P. Levot, Biographie bretonne, t. I, 1852, p. 30, ADMO.
  • 10 AN – « Argenterie de la Reine Anne de Bretagne », 1492/1493 – KK83.
  • 11 Léon Brunschwig, REJ, n° 49, 1904, article cité.
  • 12 Moïse Schwab, « Inscriptions hébraïques en Bretagne », REJ, n° 43, 1901.

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