Le christianisme

Syméon Bar Kochba. le dernier Messie terrestre – Comment naquit le Christianisme chapitre 16

Les 28 chapitres de l’oeuvre d’André Wautier sur les débuts du Christianisme. Un monument intense d’érudition, et la source de multiples polémiques.

CHAPITRE 16 : Syméon Bar Kochba. le dernier Messie terrestre

Comme on l’a vu au chapitre XIII, le gnostique Elchassaï avait prêché une doctrine curieuse combinant des éléments chrétiens et nazaréens (1). Mais il avait aussi prédit une grande bataille eschatologique, qui aurait lieu aux confins de la Syrie et de l’empire des Parthes. Cette prophétie parut se réaliser lorsque l’empereur romain Trajan, qui avait succédé à Nerva en 98, porta la guerre en Mésopotamie en 115. Aussi des troubles se produisirent ils, d’abord au sein de la colonie juive de Cyrène, en Afrique du nord, puis en Egypte, en Palestine et enfin en Syrie.

Cette fois encore, les armées romaines eurent le dessus. Elles annihilèrent cette nouvelle révolte, qui prendra définitivement fin en 117, et les romains édifieront à Jérusalem un autel consacré à Sérapis. Une fois de plus, les espérances messianiques juives s’évanouissaient.

Il fallut réviser certaines apocalypses: « L’auteur du IIe livre de Baruch récrivit le IVe livre d’Esdras pour le mettre à jour », écrit Grant. « Alors que le IIe livre d’Esdras avait professé que le péché universel serait la cause de la chute de Jérusalem, le IIe livre de Baruch semble avoir soutenu que, si la dernière en date des révoltes avait échoué, c’était parce qu’elle avait été dirigée par des pécheurs » (2).

Car, cependant que le nazaréisme et le paulinisme évoluaient de la façon qu’on a vue aux chapitres précédents, ce dernier devenant de plus en plus gnostique et anti-Juif, tandis que le premier interprétait ses textes sacrés d’une façon de plus en plus matérialiste, le messianisme juif, de son côté, ne désarmait pas. Il devait même s’opposer violemment, comme on le verra plus loin, non seulement aux occupants romains, mais aussi aux chrétiens. Rien d’étonnant à cela: les chrétiens, on l’a vu, ou bien rejetaient totalement, comme Cerdon, la Loi juive, ou bien, comme les gnostiques alexandrins, l’interprétaient dans un sens très différent du sens traditionnel ; de toute façon, les uns et les autres avaient converti en un sens spirituel les espérances très matérielles et très concrètes des sicaires et des zélotes: la royauté que ceux-ci attendaient, c’était le Royaume de Dieu, certes, mais sur Terre et avec un vicaire de la lignée de David , un descendant donc de Juda de Gamala – non un Jésus céleste, fils au surplus d’un Dieu supérieur à leur dieu national Jéhovah.

Depuis les Asmonéens et la chute de leur royaume éphémère, il y avait toujours eu en Judée un parti nationaliste dont le but était de préserver la nation et le culte juifs des influences étrangères, hellénistiques puis romaines. D’où la naissance de l’essénisme, qui s’était ramifié en diverses branches, parmi lesquelles les sicaires et les nazaréens. D’où aussi un messianisme issu de l’orthodoxie, que ses défaites successives abattaient chaque fois momentanément, mais qui finissait toujours par relever la tête. Les levées de Juda de Gamala, puis de Jean-Dosithée, avaient participé de ces mouvements, bien que le second eût pris un tour très particulier, y associant notamment les samaritains. Il y avait eu ensuite la rébellion de 47, qui avait abouti à la crucifixion, à leur tour, de Jacques et de Simon, deux des fils de Juda de Gamala, puis la guerre de 66, sous l’impulsion de Menachem, le dernier de ceux-ci; enfin le soulèvement de 115, sans compter d’autres révoltes de moindre importance dans les intervalles (3).

Au fil du temps cependant, comme l’a noté Jean Magne, « la réunion de la royauté et du souverain pontificat dans la personne des princes hasmonéens fait désirer à certains la séparation des pouvoirs civil et religieux, et espérer à côté du messie davidique et royal un messie sacerdotal et lévitique » (4). D’où, d’une part, l’apparition de la croyance en une double parousie, déjà notée plus haut (5), et, d’autre part, la spiritualisation progressive du messie sacerdotal, laquelle aboutira à la conception d’un Messie sauveur des hommes, selon une évolution magistralement retracée par Paul-Louis Couchoud dans son « Histoire de Jésus » (6).

C’est ce messie spirituel qui trouvera son expression la plus parfaite dans la doctrine des chrétiens gnostiques de Syrie, laquelle a été analysée au chapitre XIII.

Quant au terme de l’évolution de la notion de messie guerrier, ce sera un autre descendant encore de Juda de Gamala, appelé Symeon, qui l’accomplira.

En 131, l’empereur Hadrien, successeur de Trajan, manifesta l’intention de faire construire sur le site de Jérusalem, ravagé par les soulèvements de 66 et de 115, une cité de style grec, avec notamment un temple dédié à Jupiter Capitolin : une fois de plus, l »‘abomination de la désolation » allait s’installer « là où il ne faut pas »! Une fois de plus aussi, les peuples de la Palestine se soulèveront donc en masse sous la direction d’un chef davidique, auquel se rallia d’emblée le plus célèbre des rabbins de son temps, Aquiba ben Jossef, disciple du rabbin Eliézer, autre docteur célèbre (7), et collègue du guère moins célèbre rabbin cabaliste Symeon Bar Iochaï.

Ainsi était reconstitué le couple désormais traditionnel du messie guerrier assisté d’un chef religieux, comme avaient été associés Juda le Gaulonite et Sadoq, comme l’avaient été peut-être un temps Jean et Jésus (8).

Aquiba lui-même était censé être monté au Ciel et en être redescendu sans encombre (9) . C’est lui qui donna le surnom de Bar Kochba, c’est à dire « fils de l’Etoile », conformément à ce qui était prescrit dans le Testament de Juda (XXIV, 1)(10), à ce Symeon, dont on ne sait pas bien quel était le véritable patronyme (peut-être Cozeba ou Kouzeba). Peut-être aussi ceux qui les suivirent voyaient ils en lui l »‘homme béni » annoncé dans le 5e et dernier livre des Oracles sibyllins ou encore le Messie prédit dans le IVe livre d’ Esdras (VII, 28-29, et XII, 31-34), écrit peu après la prise de Jérusalem par Titus : ce Messie devait régner 400 ans, après quoi devrait avoir lieu le jugement dernier.

Toujours est il que ce Symeon prit lui-même le titre de Nasi Israël (Prince ou Chef d’Israël), ainsi que cela résulte de documents et de pièces de monnaie de l’époque, et qu’il connut d’abord d’éclatants succès militaires, réussissant à tenir les armées romaines en échec pendant trois ans et demi (11). Il chassa aussi des synagogues et massacra ceux des nazaréens et des chrétiens qui n’avaient pas pris parti pour lui (12).

C’est d’alors sans doute que date la rupture définitive des juifs orthodoxes avec les nazaréens, les ébionites et les autres disciples de Jésus le Nazarénien (13).

Puis, soudain, une série de revers vint mettre fin à l’insurrection. Ce ne fut pas sans mal cependant que les légions romaines en vinrent à bout. Elles durent forcer cinquante forteresses avant de pouvoir mettre le siège devant Jérusalem, puis devant Bether (ou Bittir), où Symeon s’était retranché et où il mourut au cours des combats qui aboutiront à la prise de cette localité en 135. Les derniers partisans du Nasi enfin seront exterminés peu après dans les grottes de Nahal et de Mourrabaat (14).

Les représailles furent terribles. Aquiba, qui avait été fait prisonnier, eut les chairs déchirées tandis qu’on le faisait brûler lentement (15). Jérusalem fut complètement rasée. « Les romains dévastèrent tout », a écrit à ce sujet l’homme l’état israélien David Ben Gourion. « Ils répandirent du sel autour de Jérusalem , comme ils l’avaient fait à Carthage. Et, comme à Carthage encore, ils donnèrent au pays un nouveau nom pour effacer jusqu’au dernier souvenir de ses habitants. Que la minuscule Judée ait connu le même sort que la puissante Carthage est en soi un honneur, même si cela ne paraît pas évident… »

A la place de Jérusalem en effet, on reconstruisit une cité toute nouvelle, que l’on rebaptisa Aelia Capitolina, d’après le nom de l’empereur Hadrien (Publius Aelius Hadrianus), avec des temples dédiés à Jupiter, à Sérapis, à Bacchus, à Vénus… (16) Le nom même de la Judée disparut de la terminologie officielle romaine, celui de Palestine, qui avait été inventé par Hérodote, mais qui n’avait guère été usité jusqu’alors, désignant désormais seul l’ensemble des provinces romaines au sud de la Syrie.

Enfin, défense fut faite, tant aux juifs de naissance qu’aux chrétiens originaires de la Judée, non seulement de mettre les pieds sur le site d’Aelia Capitolina, mais même de s’en approcher à moins d’une certaine distance (17). Aussi un grand nombre d’entre eux émigrèrent-ils, constituant ainsi une nouvelle vague de la Diaspora, de la dispersion.

Un groupe important se réfugia à Ephèse (18), comprenant notamment le rabbi Tarphon, qui devait y soutenir avec Justin une controverse célèbre (19), et le rabbi Papias, qui se convertit alors, au contraire, au johanisme, comme on l’a déjà signalé (20) : on y reviendra dans un instant.

Ce Papias avait été cabbalien, lui aussi, et il avait participé à la rébellion aux côtés de Symeon et d’Aquiba: dans un des traités qui constituent le Talmud de Jérusalem, les Berachôt (n° 62), il est raconté qu’il fut emprisonné avec Aquiba et qu’il assista à ses derniers moments (21). S’étant, après cela, enfui ou ayant été libéré, Papias doit être de ces juifs qui, après cette nouvelle défaite, durent se dire que les chrétiens avaient sans doute raison d’affirmer que les Messies annoncés par les Prophètes étaient déjà venus ; que le Messie guerrier avait été Dosithée et le sacerdotal, soit Jésus le Nazaréen, soit Téouda.

S’étant donc converti, sa foi nouvelle fut apparemment trouvée suffisamment fervente pour qu’il méritât d’être nommé peu après évêque de Hiérapolis par un des successeurs de Jean l’Apôtre, le patriarche Joseph. Dans cette ville, où se trouvait le tombeau de Matthieu, il eut peut-être encore l’occasion de rencontrer l’une ou l’autre des filles du diacre Philippe, qui s’y étaient établies avec leur père , venant de Césarée, probablement au moment de la guerre de Judée en 70.

Papias était ainsi particulièrement qualifié pour tenter un rapprochement entre toutes les sectes se réclamant d’un Christ ou d’un Jésus. C’est dans cette vue sans doute qu’il écrira notamment cinq livres de Commentaires des « Dits relatifs au Seigneur » dont il attribuait la rédaction à Matthieu et qui ne sont autres probablement que le livre qu’écrivit ce dernier en hébreu après la mort de Jésus (22).

A part quelques rares citations d’Irénée, ces commentaires sont malheureusement tout à fait perdus et on n’en connait approximativement le sens que par des allusions qu’y fait Eusèbe de Césarée dans sa peu fiable « Histoire de l’Église ».

On peut supposer que c’est ensuite que Papias, sans doute arrivé alors à un âge assez avancé, refondit en un seul texte deux ou trois apocalypses pour en faire celle qui est maintenant attribuée intégralement à Jean l’Apôtre, introduisant notamment dans sa compilation une vision millénariste pour laquelle ledit Eusèbe le tournera en ridicule, le traitant notamment d’esprit borné (smikros) parce que, pour lui, le règne de mille ans du Christ devait être « matériel et avoir lieu sur la Terre » : c’est ainsi sans doute que Papias interprétait, dans ses Commentaires, la prophétie apocalyptique de Jésus, celle que Jean-Marc lui aussi avait rapportée dans son évangile et dans sa propre apocalypse.

L’attribution à Papias de la version définitive de l’Apocalypse chrétienne peut surprendre. A l’examen, elle est beaucoup moins extravagante qu’il y paraît (23). Telle qu’elle se présente dans son état actuel en tout cas, cette oeuvre est indubitablement, comme la plupart de celles qui composent le Nouveau Testament, une oeuvre composite combinant, d’ailleurs assez maladroitement (24), plusieurs textes antérieurs. C’est pourquoi notamment l’on y discerne des influences nombreuses.

L’ensemble est fondamentalement d’inspiration juive, cabalistique même, mais avec quantité de connotationsnazaréennes, chrétiennes et même païennes. C’est ainsi que l’Etoile du matin, allégorie que s’applique à lui-même (assez curieusement, car c’est aussi l’un des attributs de la planète Vénus) le Christ en Apoc. II 28 et XXII 16, vient d’Egypte, où elle désignait le pharaon, lequel était censé ressusciter pour monter au Ciel sous cette forme (25); mais elle constitue ici sans doute aussi une allusion à Bar Kochba, Fils de l’Etoile.

Car, dans l’hypothèse de l’attribution à Papias, en outre, les mystérieux « deux témoins » dont on a parlé déjà au chapitre XIV (26) ne seraient sans doute pas, comme on l’a supposé, les fils de Zébédée, mais Symeon Bar Kochba et le rabbi Aquiba. Le premier, en effet, passait pour avoir le pouvoir de cracher le feu (27) et on a vu plus haut quel supplice subit le second, supplice qui peut être comparé à celui de Jésus.

De plus, dans l’Apocalypse johannite sont évoqués à plusieurs reprises des événements qui durent « deux temps, un temps et la moitié d’un temps », expression d’ailleurs reprise à Daniel (XII 7) et qui peut se comprendre trois ans et demi (car, en araméen, le même mot signifie « temps » et « année »), soit 42 mois, exactement ce qu’avaient duré, tant l’occupation de Jérusalem par les soldats d’Antiochus Epiphane que l’épopée de Bar Kochba … et aussi le ministère de celui qui est appelé Jésus dans l’Évangile selon Jean…


Remarquables sont, par ailleurs, les rapprochements que l’on peut faire entre l’Apocalypse chrétienne et les écrits esséniens découverts près de la Mer Morte, telles les analogies que l’on trouve entre la première et l »‘Hymne E », où il est question de deux femmes en proie aux douleurs de l’accouchement, l’une devant donner naissance au « prince de la paix » qui rétablira le trône de David, l’autre devant être la mère de l »‘Aspic pervers », c’est à dire Bélial, nom que les esséniens donnaient parfois à Satan.

Ces deux enfants sont destinés à se combattre, mais le second sera vaincu et les portes du Shéol se refermeront sur lui, “des verrous éternels » l’emprisonneront avec toutes les puissances infernales (28).

Il est vrai que cette lutte entre un successeur de Juda détenteur du « bâton de justice » (qui rappelle la « verge de fer » d’Ap. II 27 et XII 5) et Bélial qui doit être précipité dans le feu à jamais se retrouve aussi dans les Testaments des douze Patriarches (Test. Juda, XXIV et XXV). Ainsi également la prédilection du compilateur final pour le nombre sept, qui se rencontre déjà, il est vrai, dans le livre des Secrets d’Hénoch, où il y a 7 cieux; où, dans le septième ciel, on voit 7 phénix, 7 chérubins et 7 êtres volants(XIX 6) et où l’homme est fait de 7 parties et de 7 essences (XXX, 8-9), mais que l’on retrouve aussi dans « La Guerre des fils de lumière contre les fils de ténèbre » des esséniens de Coumrâne (29).

Or, pour Papias, les principaux disciples du Seigneur avaient été sept: André, Pierre, Philippe, Thomas, Jacques, Jean et Matthieu (30), ce qui, cette fois, ne concorde pas avec le IVe Évangile, où il n’est pas question de Mathieu et où Jacques et Jean, les fils de Zébédée, ne sont mentionnés que tout à la fin, dans un chapitre visiblement rajouté au reste, cependant qu’inversement, un des premiers à suivre Jésus est un certain Nathanaël, dont ne parlent, ni Papias, ni les Évangiles synoptiques : cela prouve, entre autres choses, que Papias ne connaissait pas l’Evangile « selon Jean » dans sa forme actuelle, pour lui d’ailleurs, “L’Evangile », c’était probablement l’Apocalypse elle-même (31).

Mais le fondateur du cabbalisme, le rabbi Symeon Bar Iochaï, avait lui aussi sept disciples, qui étaient appelés ses yeux : c’étaient les rabbis Eléazar (son propre fils), Abba, Iéhouda, Josse, Jessé, Isaac et Hiya. Or, l’Agneau d’Apoc. V 6 a sept cornes et … sept yeux! « qui sont les sept esprits de Dieu en mission par toute la Terre ».

En outre, la subdivision en 22 chapitres de l’Apocalypse n’est sans doute pas fortuite : le nombre 22 est, lui aussi, fort prisé par les cabaliste, étant le nombre des lettres de l’alphabet hébreu. Enfin, les citations les plus fréquentes de l’Ancien Testament sont tirées d’Ezéchiel, que les cabaliste dénomment Mercaba, le Char, et qui est un de leurs livres de prédilection, avec la Genèse et le Cantique des Cantiques. Tout cela permet de conclure que le compilateur final était certainement cabbalien, ce que fut effectivement, on l’a vu, Papias.

On retrouve enfin dans le « Psaume 37 » des manuscrits de la Mer Morte l’expression de « serviteurs de Dieu » pour désigner les prophètes (Apoc. X 7) et aussi le millénarisme, auquel croyait, on l’a déjà dit, Papias lui aussi. Se conformant aussi aux préceptes des pharisiens de l’époque, selon lesquels les apocalypses ne devaient plus assigner de date précise à la venue du Messie (32), le compilateur final de l’Apocalypse johannite prophétise en effet le futur règne de Dieu pour mille ans sans préciser, même approximativement, la date à laquelle commencera ce millenium: la Jérusalem terrestre contemporaine a été détruite, mais Dieu fera descendre un jour sur Terre la Jérusalem céleste, qui prendra sa place et où il régnera mille ans, entouré de 144 000 justes. .

Papias s’efforcera de gagner à cette espérance, tant les nazaréens de l’Asie mineure et de la Syrie que les gnostiques johannites d’Ephèse, ainsi que ceux des disciples de Luc qui étaient, comme encore Cérinthe, restés fidèles à Jean le Baptiseur, ne rejetant que ceux qui, à la suite des nicolaïtes, voulaient couper totalement le christianisme de ses racines juives. La croyance en un règne matériel de mille ans de Dieu sur la Terre, croyance qui n’était, en l’occurrence, qu’un perfectionnement de l’enseignement de Jean le Baptiseur (dont il échet de rappeler ici qu’il avait été essénien), n’était pas non plus inconnu de la littérature apocalyptique juive et même perse (33); elle devait rester longtemps un objet de foi pour les chrétiens (34), même si c’est l’opinion défendue plus tard par Eusèbe de Césarée qui finira par prévaloir. Elle a d’ailleurs gardé des adeptes jusqu’à nos jours (35).

C’est que cette croyance trouve un appui solide dans le texte même des Évangiles. Les premiers disciples de Jésus le Nazaréen ont peut-être réellement cru qu’il se proposait d’être le messie guerrier qui délivrerait Israël. Le livre de Raoul Roy, « Jésus, guerrier de l’indépendance » (36) montre de façon frappante que plusieurs des paroles que Jésus aurait prononcées ou qui lui ont été attribuées peuvent être interprétées dans ce sens. Aussi est il peut-être vrai aussi que certains voulurent le faire roi, ainsi que cela est dit dans plusieurs textes, comme les versions slaves de « La Guerre des Juifs contre les Romains » de Josèphe, l’évangile dit des douze apôtres et l’Evangile selon Jean (VI 15).

Mais tant la Halosis que Jean ajoutent qu’il refusa. Après la lapidation de Jésus, c’est sans doute pour répondre a cette espérance que Jean-Dosithée entreprit alors de repasser, comme l’avait fait son père Juda, à l’action directe, ainsi qu’on l’a vu au chapitre III. Plusieurs des disciples du Nazaréen qui se rallièrent à lui considérèrent alors Jean sans doute comme Jésus « ressuscité » ou comme leur Seigneur.

Mais, la tentative de Jean-Dosithée ayant échoué, il fallut trouver une autre explication aux paroles de Jésus. (Les Évangiles disent très souvent que les disciples de Jésus les comprenaient de travers). D’autre part, la prédication de l’apôtre Paul ne répondait guère à ces aspirations et enfin, les défaites désastreuses des juifs devant les romains en 70 et en 135 constituaient , à cet égard, de nouvelles déceptions. Plus qu’aucun autre, Papias, qui avait vu Symeon Bar Kochba mourir au combat et qui avait assisté au supplice atroce d’Aquiba, devait souhaiter le retour du Messie et s’écrier: Marana tha! ( ……. …..), « Reviens, seigneur ! »

Notons, à ce propos, que selon les Mormons, la future Jérusalem nouvelle sera bâtie en Amérique du nord (37). Dans le premier livre de leur prophète Néphi, dont le père Léhi est censé avoir traversé l’Océan à l’époque de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor, avec tous ses enfants et ses serviteurs, Néphi lui-même prédit, en des termes qui rappellent L’Ascension d’Isaïe (38), que Jean, l’un des disciples de celui qu’il appelle l’Agneau, écrira un livre sur la fin du monde (I Néphi XIV, 18-27) (39).


Or, les mormons sont des gnostiques, car s’ils croient en un Dieu de lumière, le Père éternel, ainsi qu’en son Fils et en le Saint-Esprit, ils ne croient pas que ce Père, ni aucune de ses émanations, ait créé l’univers matériel qui serait l’oeuvre de Jéhovah, démiurge qui a aussi créé l’homme (Mormon IX, 11-12) mais qui est distinct de Dieu (40), et ils disent que les méchants périront par le feu. Cependant, leurs écritures
particulières, qu’ils appellent « Le Livre de Mormon » ne mentionnent pas une nouvelle émigration en Amérique au IIe siècle…

On a pourtant découvert en plusieurs endroits des Etats-Unis et du Brésil des pièces de monnaie romaines datant du IIe siècle et aussi des pièces portant des inscriptions hébraïques remontant à la révolte de Bar-Kochba (41), preuve qu’il y eut en tout cas des émigrants juifs qui arrivèrent à traverser l’Atlantique à cette époque. La foi en le Dieu de leurs pères avait, on l’a vu, été fortement ébranlée chez beaucoup de juifs par les échecs répétés des soulèvements contre les romains (42), échecs dont le dernier apparaissait bien comme définitif. Pour plusieurs d’entre eux, Bar Kochba, qui s’appelait peut-être Symeon Bar Couzeba, du nom de son père, devint Bar-Cozêb: Fils du Mensonge.

Sans doute les juifs qui émigrèrent au delà de l’Atlantique à ce moment avaient-ils adhéré à une forme de gnosticisme chrétien subordonnant Jéhovah au Dieu parfaitement bon et jugèrent ils nécessaire de récrire la Bible à partir de la première prise de Jérusalem, transférant sur celle-ci la ruine définitive de la Ville sainte en 135. Si divers indices prouvent en effet que les premiers livres du « Livre de Mormon » ne sauraient avoir été écrits à la date qu’ils sont censés porter, il ne s’ensuit pas pour autant que l’oeuvre entière constitue un faux écrit par le fondateur de la secte, Joseph Smith, dont il n’est matériellement pas possible qu’il ait pu rédiger à lui seul les quelque 500 pages de texte serré sur lesquelles elle s’étend, d’autant plus que les premiers livres sont censés avoir été écrits en « le langage des égyptiens » (I Néphi I, 2)(donc en copte ?…) et d’autres « en les caractères qui sont appelés parmi nous l’égyptien réformé, qui nous ont été transmis et ont été adaptés par nous selon notre manière de nous exprimer… » (Norm. IX 32).

Il n’est d’ailleurs pas impossible, il est même probable, que ces émigrés juifs en Amérique y aient trouvé d’autres sémites, notamment phéniciens, qui y étaient parvenue auparavant (43). Les analogies que l’on trouve en effet entre les civilisations amérindiennes, tant du sud que du nord, et celles de l’Europe, de l’Afrique du nord et de l’Asie, sont nombreuses et troublantes (44). Elles ne s’expliquent que, soit par une origine commune (c’est l’hypothèse d’Hyperborée ou celle des Atlantes), soit par une émigration d’une contrée à l’autre. Quoi qu’il en soit, il est certain que Christophe Colomb n’a pas vraiment « découvert » l’Amérique, mais qu’il n’a fait que rendre public ce que beaucoup d’initiés savaient déjà depuis longtemps. Ces sujets, à eux seuls, mériteraient assurément de longs développements. Mais ils sortiraient de notre propos, car ils n’ont guère d’importance sur l’évolution du christianisme à ses débuts en Europe et au Proche Orient.

Après 135, c’est à Rome, une fois de plus, que va se jouer le destin de la religion nouvelle qui finira par se constituer en fusionnant en une seule plusieurs des sectes qui révéraient un Jésus. Quant au messianisme juif, il connaîtra en Khazarie, au XIIe siècle, une nouvelle résurgence, dont Arthur Koestler a excellemment retracé l’histoire (45).

Notes:

(1) V. ci-dessus, chapitre XIII, p. 146.

(2) Robert GRANT, « La Gnose et les origines chrétiennes » (traduction de Jeanne Marrou, Seuil, Paris, 1964), p. 34. V. aussi, sur le IIe livre de Baruch, Pierre BOGAERT, « L’Apocalypse syriaque de Baruch » (Cerf, Paris, 1969).

(3) V. plus haut, chapitre Ier, p. 8, note 2.

(4) Jean MAGNE, « La Naissance de Jésus-Christ » (Cahiers du Cercle E.Renan, Paris, n° 83, décembre 1973), p. 23. Sur la littérature messianique, v. aussi André RAGOT, « L’essénisme dans les apocryphes » (Cahiers du Cercle E.Renan, Paris, n° 74, février 1972) et Erich von DäNIKEN, « Mes Preuves » (J’ai lu, Paris, 1982), pp. 222 & suiv.

(5) V. ci-dessus, chapitre XIV, pp. 164-165.

(6) P.L. COUCHOUD, « Histoire de Jésus » (P.U.F., Paris, 1944), pp. 15-33.

(7) V. not. à leur sujet Roderic DUNKERLEY, Beyond the Gospels, chapitre VI, n° 4 à 8.

(8) Voy . Paul-Louis COUCHOUD, op . cit ., pp . 1 88-191 . Cette tradition paraît être d’origine celtique: voy. Jean MARKALE, « Le Druidisme » (Payot, Paris, 1985), pp. 38 et suiv.

(9) Voy. Robert GRANT, op. cit., p. 59 et la note 71.

(10) Sur l’étoile, symbole de royauté dans tout l’Orient, v. not. Robert VAN ASSCHE, « Hist. de la fête de l’Epiphanie » (Cahiers du Cercle E.Renan, Paris, n° 87, oct . 1 974 ), pp . 20-24 .

(11) Voy. P.L. COUCHOUD, op. cit., p. 189; Raoul ROY, « Jésus guerrier de l’indépendance » (Parti-pris, Montréal, 1975), pp. 287-288.

(12) Justin, Ier Apol. XXXI 6, et Eusèbe de Césarée, Hist. eccl. IV 8. Cf. à ce sujet Robert AMBELAIN, « Les lourds secrets du Golgotha » (Laffont, Paris, 1974), p. 1 77.

(13) Louis ROUGIER, « La genèse des dogmes chrétiens » (A.Michel, Paris, 1972), p. 264; « La civilisation de l ‘ Antiquité et le Christianisme » (La Pensée et les Hommes, Bruxelles, octobre 1973, p. 143). V. aussi F.LOUSKY, « Antisémitisme et Mystère d’ Israël » (A.Michel, Paris, 1955), pp. 126 et 518.

(14) Mourrabaat n’est pas loin de Coumrâne et des manuscrits analogues à ceux qui y furent trouvés y ont également été découverts.

(15) Voy. Robert AMBELAIN, op. cit., p. 173; Raoul ROY, op. cit., p. 208.

(16) Elle sera détruite à son tour en 614 par Chosroès, roi de Perse.

(17) Voy. Emil LUDWIG, « Le Fils de l’Homme » (Payot, Paris, 1928), p. 323; F. LOVSKY, op. cit., pp. 71-72.

(18) Voy. Paul-Louis COUCHOUD, « Le dieu Jésus » (Gallimard, Paris, 1951), p. 229.

(19) V. plus loin, chapitre XX.

(20) V. plus haut, chapitre XIV, p. 164.

(21) On trouve aussi son nom associé à celui d’Aquiba dans le livre cabalistique du Bahir: n° 121.

(22) V. plus haut, chapitre IV.

(23) Cf. Daniel MASSE, « L’Apocalypse et le Royaume de Dieu » (Sphinx, Paris, 1935), IIe partie, chapitres II et III, et IIIe partie, chapitre premier.

(24) Dans sa « Clef de l’Apocalypse » (Talence, 1975), P.E. GUILLET a, pp. 45- 48, relevé plusieurs incohérences particulièrement caractéristiques.

(25) Voy. Henri STIERLIN, « La Vérité sur l’Apocalypse » (Buchet-Chastel, Paris, 1972), pp. 65-67.

(26) V. plus haut, chapitre XIV, p 163.

(27) Voy. Henri Delafosse (ps. de Joseph TURMEL), « Les Écrits de saint Paul », IV, (Rieder, Paris, 1928), pp. 54-55; Robert AMBELAIN, op. cit., pp. 174-177.

(28) Pour plus de détails sur ces analogies, voy. André RAGOT, « De l’essénisme au christianisme » (Cahiers du Cercle E.Renan, Paris, n° 73, déc. 1971), pp. 5-8.

(29) Philon d’Alexandrie a traité, lui aussi, de l’excellence du nombre sept, not.dans La Création du Monde, 99-127.

(30) Ainsi que cela résulte d’un passage de son oeuvre reproduit dans l »‘Histoire de l’Eglise » d’Eusèbe (III, 39, 4) et traduit en latin dans le
De Viris Illustribus de Jérôme (XVIII).

(31) V. plus haut, chap. X, p. 96, et chap. XI, pp. 105-107. Cette conception aura cours longtemps encore, notamment chez les juifs: une des versions des Toldôt Iéshou, parlant de “l’évangile », précise qu’il y est question d’une bête qui a dix cornes et dont le nombre est 666.

(32) Voy. Israël ABRAHAMS, « Valeurs permanentes du Judaïsme » (Rieder, Paris, 1925), pp. 48 & s.

(33) Voy. Charles GUIGNEBERT, « Le Monde juif vers le temps de Jésus » (A.Michel, Paris, 1969), pp. 155 & s.

(34) Voy. Jean TORRIS, « Royaume intermédiaire et millénarisme” (La Pensée et les Hommes, Bruxelles, février 1973, p. 391).

(35) Voy. mon article « Résurgence du millénarisme » (La Pensée et les Hommes, Bruxelles, mai 1973), p. 508.

(36) Éditions Parti-Pris, Montréal, 1975.

(37) V. leur livre d’Esther XIII, 4-12.

(38) V. plus haut, chapitre XIII, p. 150.

(39) Notons aussi que, dans le 2e livre de Néphi, le jeune frère de N~hi, nommé Jacob, prophétise la venue et la crucifixion de Christ en Judée (II Néphi X, 3-5), prophétie répétée à plusieurs reprises dans « Le Livre de Mormon », not. en II Néphi XXV, 12-14 ~ 19 (où sont annoncées aussi sa résurrection et la guerre de Judée) , et que, dans le 3e livre de Néphi, qui est censé être écrit par un descendant du premier, portant le même nom, Jésus-Christ lui-même apparaît aux néphites en Amérique un an après sa résurrection (comme cela
avait été prédit en II Néphi XXVI, en Mosiah VII 5, en Alma V 48, etc.) et il y fonde la vraie Église.

(40) Voy. RAVIGNANT & MARIEL, « Les Maîtres spirituels » (C.A.L., Paris, 1972), p. 20.

(41) Voy. Cyrus GORDON, « L’Amérique avant Colomb », traduit par P. Chort (Laffont, Paris, 1973), pp. 197 & s., et p. 215, note 21; Jacques BERGIER et Ronald WILLIS, « Le Livre de l’inexplicable » (J’ai lu, Paris, 1975), pp. 32 & s.

(42) V. à ce sujet Robert GRANT, op. cit., pp. 35 & s. V. aussi Michael BAIGENT, Richard LEIGH & Henry LINCOLN, « Le Message » (Pygmalion, Paris, 1987), pp. 135-136.

(43) Voy. A. BRAGHINE, « L’ Enigme de l’Atlantide » (Payot, Paris, 1952), pp. 180 & s.; Charles BERLITZ, « Le Mystère de l’Atlantide » (J’ai lu, Paris, 1975), pp. 51 et s.

(44) Voy. A.D. GRAD, « Le temps des kabbalistes » (La Baconnière, Neuchâtel, 1967), pp. 29 & s.; Jean SENDY, « Les Cahiers de cours de Moïse » (J’ai lu, Paris, 1970), pp. 217-220 & 267 & s.; Marcel HOMET, « A la poursuite des dieux solaires » (J’ai lu, Paris, 1974), passim; Jean-Yves CASGNA, « Ulysse au Triangle des Bermudes » (De Vecchi, Paris-Lugano), 1977), pp. 120 & s.; Charles BERLITZ, op. cit., pp. 76-77. Sur la dispersion des juifs dans le monde, v. not. aussi Raoul RûY, op. cit ., pp. 240-243 & les notes.

(45) Arthur KOESTLER, « La treizième tribu » (Calmann-Lévy, Paris, 1976), pp. 167- 170.

A suivre ….


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