Diaspora juive

L’exclusion des Juifs des pays arabes aux sources du conflit – 7

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Témoignages du désastre

L’inexistence d’un terme pour désigner le cataclysme qui s’est abattu sur le monde sépharade du sud et de l’est de la Méditerranée est un signe de la défaillance de la mémoire collective à son propos qui ne trompe pas.

Après une longue errance terminologique (Holocauste, Génocide, Extermination, Destruction, Shoah, Judéocide…), elle aussi significative, le monde ashkénaze a fixé la tragédie qu’il a traversée dans les deux termes – qui ne clarifient cependant rien – de « Shoah » ou d’« Holocauste ».

Par mimétisme, les Palestiniens ont inventé la « Nakba » (la « catastrophe ») qu’ils opposent à la Shoah des Juifs pour désigner l’Exode, consécutif à la création de l’État d’Israël qui les a frappés.

L’opération est ici clairement idéologique et la symétrie, trompeuse.

S’il est vrai que les Palestiniens ont vécu objectivement un drame à cette occasion, ses causes ne sont en aucune façon comparables à celles de la Shoah.

Le départ des Palestiniens est le résultat du refus arabe de partage de la Palestine mandataire, décidé par l’ONU et accepté par le mouvement national juif et surtout d’une agression violente de tous les États arabes contre l’État d’Israël qui venait à peine d’être proclamé et qu’ils ambitionnaient de détruire en éradiquant la population juive de la région.

Les Palestiniens, masses et dirigeants, se comptaient eux-mêmes parmi les alliés des États agresseurs et agissaient de concert avec eux dans l’attaque (sans oublier leur alliance avec le nazisme contre les Juifs quelques années auparavant).

Leur départ s’inscrit dans cette perspective de déclaration de guerre. Par chance pour Israël, le sort des armes ne leur a pas été favorable. La « Nakba » désigne ainsi en vérité les conséquences de la défaite militaire d’un agresseur projetant une extermination.

Comment pourrait-on désigner le vécu de la fin du monde sépharade?

Shoah comme Nakba signifient la « catastrophe ». Ce fut également une catastrophe qui s’abattit sur un monde plus que millénaire.

Le fait qu’il n’existe plus aujourd’hui et que son avenir identitaire et culturel soit devenu un problème dispense de toute démonstration à ce propos. Le terme hébraïque de Assone, qui désigne la même chose que la catastrophe et qui est resté « libre » de toute connotation, pourrait être retenu.

Comment désigner cette expérience qui fond sur vous avec soudaineté et brusquerie et vous arrache à votre milieu naturel et humain pour vous projeter en l’espace de quelques jours, voire de un ou deux jours, dans un tout autre monde où vous resterez toute votre vie fondamentalement un étranger?

C’est ce que, en de très nombreux endroits du monde arabe, les Juifs ont vécu, que ce soit sous la menace et les coups ou sous la pression de l’environnement. Presque tous sont partis en abandonnant tout derrière eux, biens et souvenirs, au terme d’une période alanguie où les lumières de leur monde s’éteignaient une à une, jusqu’à l’extinction finale.

Ce pourrait être le sens même du mot « désastre », « né sous un mauvais astre ». Il y aurait eu un équivalent en judéo-arabe avec le terme (en fait hébraïque) de Gzeira, qui désigne couramment une catastrophe, un malheur qui s’abat sur vous sans crier gare et face auquel on reste sans force. À vrai dire, sa signification hébraïque désigne la décision « dure » du Tribunal Céleste, contre laquelle on ne peut rien sinon se recueillir dans la prière. Mais, adopter ce terme sous ce jour-là, ce serait déjà entrer dans l’interprétation du fait objectif : le désastre qui a ravagé et détruit le monde sépharade.

Au fond, ce monde a connu une expérience de ce type-là quelques siècles auparavant avec l’exclusion d’Espagne, le Giroush, un terme désignant l’expulsion, le divorce, la répudiation.

Cet épisode qui constitua, sans doute, l’événement majeur de l’histoire des sépharades pourrait bien nous fournir un modèle explicatif, susceptible de réunir toutes les modalités de l’exclusion des Juifs des pays arabes. Giroush Arav.

La crise du judaïsme espagnol dura presque un siècle.

Elle fut la conséquence d’un changement de pouvoir dans la péninsule Ibérique qui vit les royaumes de la Reconquista prendre le dessus sur les pouvoirs établis par l’invasion arabo-islamique.

Le départ des Juifs connut alors différentes modalités : de l’exclusion rampante qui pousse au départ à l’expulsion sous la menace ou la conversion forcée, quand ce ne fut pas le pogrom et la persécution, jusqu’à l’Édit d’expulsion décrété par les « rois catholiques ».

Les choses se passèrent plus vite et moins clairement dans le départ des Juifs du monde arabe.

Il y eut tout d’abord une série de circonstances différentes dans un espace géographique immense, allant de l’Atlantique à l’Iran…

Mais les événements brutaux qui en règle générale sonnèrent l’heure de la fin avaient été préparés aussi par un siècle de pouvoir colonial européen qui avait bouleversé la condition des Juifs.


Il n’y eut pas d’édit d’expulsion dans toutes les situations si ce n’est en Irak, en Égypte, au Yémen, en Syrie… Partout il y eut une atmosphère hostile et revancharde qui faisait des Juifs des ennemis, au moins potentiels, de la Umma islamique et des États-nations arabes en lutte contre le colonialisme et le cosmopolitisme que celui-ci avait introduit dans la société arabo-islamique.

L’adoption de l’islam comme religion d’État par tous les pays arabes valut cependant comme un équivalent de l’Édit d’expulsion des rois très catholiques…

L’avenir dira si cette mémoire sépharade du désastre trouvera à se cristalliser dans un terme global. Assone, Gzeira, Giroush ? Ce qui est sûr c’est qu’il y eut bien là un désastre.

Quitter Alexandrie

par Minou Azoulai

Nous avons tous constaté, à travers les conflits et les déplacements de populations qui jalonnent le monde et l’actualité, que subir l’exclusion de sa terre natale est un terrible traumatisme.

Défilé de Bat- Mitzva à Alexandrie

Certains adultes ont la faculté de pouvoir pleurer ou déprimer pour se libérer, mais les enfants, eux, affichent un mutisme souvent durable et à la mesure de leur souffrance. Ils subissent un flot d’images, de mots, de sensations et de sentiments qui envahissent leur imaginaire au point de l’obstruer.

Autant les adultes peuvent et s’autorisent à rêver d’une vie meilleure, autant les enfants restent rivés sur un présent qui leur échappe et un passé qu’ils ne maîtrisent pas encore. Ce n’est que plus tard, beaucoup plus tard qu’ils trouvent l’apaisement.

Ceux qui choisissent l’écriture, télévisuelle ou littéraire, ce qui est mon cas, ceux-là savent que le verbe, les mots, le récit aident à rassembler les morceaux épars d’une personnalité qui s’est lentement désintégrée. Parce que, lorsque l’exil surgit dans une vie, le je devient un autre.

À tel point que j’ai écrit la première version de mon récit « Murmures d’Alexandrie » à la troisième personne. Je n’ai pu employer le je qu’une fois le récit achevé et oublié pour un temps. Il fallait absolument mettre à distance cette partie de ma vie pour pouvoir la retrouver et la réinventer.

Décrire l’exclusion est donc un désir, ou une nécessité de revenir à soi, pour comprendre le clivage opéré avant et pendant le départ de la terre natale. Publier le livre, c’est enfin accepter de partager une douleur qui s’éloigne et affirmer une intégration réelle, qu’elle soit provisoire ou définitive.

Mais je voudrais revenir au départ. À ce moment clé d’une vie qui chamboule tous les repères de temps et d’espace. Qu’il soit annoncé ou pas le départ est une rupture. Surtout lorsqu’il est brutal, et imposé par ceux-là mêmes qui faisaient partie de votre vie et lui donnaient la saveur de l’insouciance.

Le fait d’être juive est bien sûr important historiquement, mais cela ne change rien au chaos émotionnel provoqué chez l’enfant que j’étais.

Lorsque je vivais à Alexandrie, je ne savais pas que j’étais juive, je ne me posais même pas la question.

J’étais sans doute trop jeune et surtout emportée dans le cercle cosmopolite et chaleureux qui caractérisait la communauté juive des années 1950. Au sein de cette communauté nous parlions français, arabe, anglais italien ou grec. Chaque langue, chaque culture apportait sa pierre à l’édifice d’une idendité individuelle et collective.

Le monde arabe était mon monde, ma famille, mes racines…

Nous avions des échanges quotidiens, nous mangions ensemble, nous travaillions ensemble… Jusqu’au jour où ce même monde est devenu hostile.

Nous ne parlions plus la même langue et les différences sociales apparaissaient nettement. Les signes du changement étaient perceptibles à tous les niveaux de la vie quotidienne. Ceux qui nous servaient n’étaient plus Fahima ou Mahmoud, mais les domestiques. Ils étaient tristes, nous étions effondrés.

Le cocon rassurant de l’école se fissurait par des absences inexpliquées et une tension palpable. Les adultes chuchotaient leurs conversations, les gens dans la rue nous regardaient autrement. Mais nous aussi nous les regardions différemment.

Les rues qui nous étaient si familières devenaient étranges presque menaçantes.

Nous saisissions au vol des mots tels que guerre, espions, ennemis, Israël et France. Même les titres des journaux que nous ne lisions pas étaient des indices puisqu’ils grossissaient chaque jour un peu plus. Et tout cela nous paraissait, à nous les enfants, vide de sens.

C’est alors qu’est apparue dans le langage la différence entre les Juifs et les Arabes. Nous n’étions plus les uns avec les autres, mais les uns à côté des autres ou les uns contre les autres.

Le couvre-feu nous terrorisait.

Il nous renvoyait à la maison et il signifiait que nous devions nous cacher. Que notre appartenance allait changer de camp. La légitimité de tous s’effritait. Nous devenions étrangers sur notre propre terre Le pire est qu’il fallait rester digne, ravaler sa peur, ses questions, ses doutes et résister à la suspicion ambiante.

La peur qui s’emparait de la communauté juive était à l’origine de toutes les colères, de toutes les frustrations et d’un comportement vindicatif, dans tous les cas généré par la douleur.

Nos plus fidèles amis devenaient des ennemis potentiels.

Nous leur en voulions de cet état de choses sans chercher à savoir s’ils en étaient directement responsables.

Notre exil intérieur avait commencé avant l’annonce du départ qui pourtant était imminent.

Des hommes de notre entourage disparaissaient, des familles entières partaient précipitamment, sans donner d’explication. Elles laissaient derrière elles des traces d’amertume, des souvenirs et des biens que personne ne pouvait ni protéger, ni sauvegarder.

C’était un chaos moral et matériel que les enfants subissaient sans comprendre.

Le refoulement s’opérait tout à fait inconsciemment, le présent était suspendu, le passé intouchable et l’avenir plus qu’improbable. Le départ pose une chape de plomb sur tout. Même l’identité. Elle devient floue puisque la terre natale vous rejette et vous suspecte.

Quand on est enfant on ne pense plus qu’à une chose : imprimer dans sa mémoire des images, des sons et des couleurs pour les thésauriser. On ne sait pas ce qu’on va en faire mais on en a un besoin vital. Plus tard, beaucoup plus tard elles affleurent à la conscience, et nous permettent de nous réconcilier avec nos origines et donc avec nous-mêmes !

La garantie de survie passe par l’école, la mer, les odeurs, les petits bonheurs du jour, bref tout ce qui fonde le meilleur de l’enfance. On ne sait pas encore que tous ces petits bouts de la terre natale vont nourrir l’immense nostalgie des premières années d’exil. On ne sait pas non plus qu’ils vont préparer le travail de l’écriture.

Je dois avouer que longtemps très longtemps j’ai oublié ce départ et tout ce qui l’a précédé.

J’ai quitté l’Égypte sans m’en rendre compte, portée par la houle du paquebot, par la douleur et les regrets de mes parents. J’ai oublié mon pays pour pouvoir m’adapter à celui qui m’accueillait. C’était tout à fait indispensable pour continuer à grandir normalement. Je ne posais aucune question mais j’étais attentive aux conversations des adultes et je saisissais toutes les bribes d’information concernant et le départ et cette enfance que j’avais laissée en suspens et en friche.

Refouler pour ne pas souffrir.

C’est un classique de la psychologie et de la survie. Mais l’inconscient n’a évidemment aucune notion du temps. Il travaillait pendant que je m’appliquais à oublier et à m’intégrer. Non sans mal puisqu’il fallait que je gomme mon accent que je ressemble à toutes les petites Françaises de mon âge, et que je réussisse à l’école pour prouver que j’existais aussi bien face à mes parents que face à la société dans laquelle j’évoluais.

Le problème est que nous étions les exclus des Arabes, mais nous devenions aussi les exclus des Français. Vous noterez que ce terme d’exclus est souvent employé au pluriel…

L’inconscient, donc, opérait en moi pendant que j’agissais. Heureusement, il m’a permis de revenir à ces images que j’avais bravement occultées. Il m’a permis, par un travail de fourmi, de reconstituer ce départ grâce à la mémoire collective, à celle de mes parents et à l’émergence de mes propres émotions.

Ce n’est qu’à ce moment-là, c’est-à-dire, une fois devenue femme que j’ai pu d’abord retourner en Égypte, revisiter les lieux de mon enfance, les filmer. Ensuite seulement j’ai pu écrire comme s’il fallait graver ou regraver des images pour pouvoir les décrire.

Cela prouve aussi que l’émotion empêche de trouver le mot juste, elle est un obstacle à l’écriture lisible par tous. Et tant mieux car on ne lirait que des livres d’amour ou des livres de haine. Tant mieux encore pour les exclus qui ne pourraient dire ou écrire que leur rancœur.

Autrement dire écrire son exil, c’est le vivre comme un enrichissement après l’avoir perçu comme une dépossession. Revenir sur sa culture originelle c’est la conjuguer à sa culture d’adoption sans succomber à la culture de la haine. En respectant la concordance des temps bien sûr, au sens littéral du terme.

J’espère que notre effort de mémoire donnera à d’autres l’envie d’apaiser les conflits intérieurs, propres à chacun, pour enfin résoudre ceux qui minent les populations en les excluant de la paix.

La fin de Babylone

par Naïm Kattan

Les vestiges de la dernière synagogue d’Irak abritant le tombeau du Prophète Nahum.

Yom Kippour. Je quitte la synagogue Méir Toeg. J’ai seize ans.

Nous habitons le quartier de Battawiyeen autrefois un jardin : Boustan el Khass, le jardin de la laitue. Au-delà du centre de la ville, les quartiers de Torate (torah) de Kamber Ali, de Akouliah, on a construit des villas à l’ouest de Bab el Charqui (La Porte de L’Est) au flanc de la rue Abou Nouas qui longe le fleuve Dijla (Le Tigre).

Quand Méir Toeg, un riche négociant, mourut sans progéniture, léguant un fonds pour construire une synagogue qui porterait son nom, on murmura dans la communauté : pour qui l’édifie-t-il?

On savait alors que les Juifs n’étaient plus là pour longtemps. Hasard triste, cette synagogue servit en 1950 de bureau de tasquite où les Juifs se démettaient de leur nationalité irakienne, et par conséquent de tous leurs biens, pour quitter le pays, partir en Israël après une escale à Chypre.

Il semble que cette ultime synagogue est devenue aujourd’hui un restaurant libanais.

Vivant dans l’angoisse de l’adolescence, pressentant des bouleversements, sachant tacitement que je n’allais pas faire ma vie en ces lieux, je longeais, ce Yom Kippour, Chare’e Al Rachid, la rue centrale avant de regagner le Tigre par la rue Abou Nouas. Ville muette, silencieuse.

Vêtus de blanc, les hommes quittaient la synagogue, éprouvés par le jeûne, souffrant surtout de la soif, car, dans cette ville torride, l’été est interminable. Les cinémas étaient clos et les magasins avaient, sauf quelques exceptions, dès la veille, baissé leurs rideaux de fer.

Dans cette ville où plus du quart de la population est juif, on sait que c’est un jour solennel, de jeûne et de prière. On y sent encore davantage la présence des Juifs que le jour du Chabbat quand, pourtant, la vie se déroule au ralenti, les magasins et les souks en grande partie désertés.

L’été n’en finit pas de finir. Nous dormons encore sur le toit et le matin, avant le lever du soleil, mon frère me réveille pour que je l’accompagne à la baignade. Nous traversons le Tigre à la nage et rentrons pour le petit déjeuner.

Ce lendemain du Kippour, nous nous levons plus tard que d’habitude et ma mère nous sert un maigre repas. La vie recommence, la ville est à nouveau ouverte, retrouve ses fonctions.

À l’époque de Pourim, les lettres, les cadeaux parvenaient d’un peu partout.

Notre communauté compte des enfants dans de nombreux lieux. D’abord dans les villes les plus proches, Beyrouth, Alep, Alexandrie, Le Caire et surtout Téhéran. Depuis la fin du xixe siècle, dans le sillage de l’empire britannique, sur la route des Indes, des Juifs d’Irak ont fondé des communautés avec des synagogues, des écoles et des clubs sociaux : à Bombay, Calcutta, Shanghai, Singapour, Mandalay.

Ils n’étaient pas poussés par l’antisémitisme ni par une quelconque persécution.

Depuis Abraham ils étaient des nomades, à l’instar des populations ambiantes, sauf qu’ils dotaient d’un sens leur pérégrinations sur les routes du monde : chercher des oasis de fortune dans l’infini désert, et ne se contentant pas de camper, ils s’installaient. Juifs ils étaient et juifs ils demeuraient.

Périodiquement, un jeune homme revenait, affirmant son âge adulte et sa richesse, cherchant pour femme une fille de la communauté. Certains, pères de famille, jouissant des bienfaits du destin, n’oubliaient pas la grande famille d’origine, les Sassoon, Kaddourie ou Shahmoun, qui faisaient construire dans le Bagdad de leur naissance, des écoles, des synagogues, des dispensaires…

Quand les heures tragiques sonnèrent, nous nous sommes souvenus de nos oncles et de nos cousins qui, dans leurs villes lointaines et sûres, nous ouvriraient les portes de leurs foyers, nous assureraient un abri.

Nous sommes en 1941.

Un gouvernement pro-nazi, présidé par Rachid Ali al Gaylani, prend le pouvoir et déclare la guerre à la Grande-Bretagne qui « protégeait » l’Irak et disposait de deux bases militaires, fermées au public.

Hitler n’envoya que de symboliques émissaires, se contentant de bonnes paroles d’encouragement, car c’était le moment précis où ses brigades allaient s’engouffrer dans les steppes de Russie.

Les Britanniques obtinrent leur unique victoire de l’année. Mais leurs bataillons attendaient la fuite des alliés d’Hitler pour faire leur entrée dans la capitale. Ainsi, pendant deux, trois longues journées, Bagdad fut sans gouvernement.

Des hordes de bédouins, d’habitants des quartiers populaires, se sont abattus dans les rues où s’aggloméraient les Juifs, violant, assassinant et faisant main basse sur les biens.

C’était le Farhoud, un pogrom sans précédent dans l’histoire d’une communauté qui se trouvait là avant toutes les autres, qui habitait ces terres avant la naissance du christianisme et l’apparition de l’Islam.

Prisonniers de Nabouchadnetsar à Babylone, première communauté de la diaspora, ces Juifs étaient les porteurs du Livre et s’étaient employés pendant des siècles à en commenter les paroles, rédigeant ainsi le Talmud.

La propagande nationaliste, appuyée par les nazis, a atteint un sommet d’effervescence dans les années 1930.

Les Juifs, jusque-là inébranlables dans leur appartenance au pays, commençaient à perdre confiance en leur avenir. Davantage considérés comme groupe ethnique que comme communauté religieuse, ils éprouvaient les mêmes difficultés dans leurs rapports avec les autres et notamment avec la majorité sunnite régnante que les Chaldéens, Arméniens, Kurdes, Assyriens…

Bagdad était un agglomérat de communautés, d’ethnies, vivant chacune dans son quartier et ne se mêlant aux autres que par nécessité.

Bien sûr, les écoles publiques accueillaient indifféremment les enfants de tous les groupes mais les Juifs fréquentaient en grande majorité leur propres écoles où, en plus des programmes officiels, ils dispensaient un enseignement religieux et, dans certaines écoles comme celles de l’Alliance israélite universelle l’on donnait un enseignement du français et l’école Shamash celui de l’anglais.

Le Farhoud dépassait les conflits religieux et ethniques.

Le front nationaliste introduisait dans nos rues et nos maisons la guerre qui faisait rage en Europe.

Vingt-cinq siècles d’histoire furent balayés.

Les empires naissaient et disparaissaient et les Juifs étaient toujours là poursuivant leurs vies et leurs prières. Le choc fut dévastateur, profond et le traumatisme durable.

Le grand maître juif de Bagdad

Fin mai, début juin, il faisait chaud et nous dormions sur le toit. Nous entendions les coups de feu s’approcher.

Les hordes avaient envahi les quartiers les plus pauvres, Souk Henouni, Abou Sifaine, puis se sont avancées jusqu’à Senak. Pas d’accalmie. On tuait, pillait, dans l’impunité.

Pendant des mois, voire des années, nous avions pris l’habitude des invectives dans les journaux pro-nazis, des insultes dans la rue, des mauvais traitements des fonctionnaires, des harcèlements des autorités.

Nous rétorquions rarement, passions notre chemin, payions des commissions. Une mauvaise période qui finirait par passer ! Nous avions encore quelques amis, quelques alliés, des associés, des partenaires sur lesquels nous pouvions compter.

J’allais avoir treize ans. Je m’éveillais au monde et celui-ci était opaque, me cernait de son hostilité.

Sur le toit, nous nous blottissions les uns contre les autres, comme si, ainsi, nous atténuions les bruits, éloignions la menace et échappions au danger. Puis, quittant le toit, nous nous réfugiâmes dans la chaleur étouffante d’une chambre.

Mon père, démuni, ne disposait d’aucune arme. Pour résister, il récitait des psaumes qu’il connaissait par cœur, la voix de plus en plus haute, comme pour couvrir, assourdir les sons de coups de feu de plus en plus proches.

Victimes sans défense et, pourtant, mon père récitait sans désemparer les psaumes, un appel, un cri de confiance. L’attente reculait l’heure fatidique et annonçait une impossible délivrance. Les coups de feu s’atténuaient momentanément puis recommençaient de plus en plus fort. Ma sœur plongeait dans le sommeil et ma mère, me tapotant le dos, me conviait à suivre son exemple. Il y avait un homme dans la maison, un père, qui ne savait rien faire d’autre qu’entonner une prière.

Finalement, les pilleurs et les assassins ayant eu probablement trop de meubles à déménager, firent halte et n’atteignirent pas notre rue.

Le lendemain du Farhoud, nous ne pouvions plus voir nos voisins musulmans de la même manière.

Des amis nous avaient protégés contre les hordes ; restaient les inconnus, les visages lointains qui, à tout moment, pouvaient surgir de l’ombre pour s’attaquer à nos foyers.

Redevenue loyale à la monarchie elle-même alliée des Britanniques, l’armée irakienne reprit la ville en main. Un soldat kurde était posté devant notre maison. Nous lui apportions à boire et à manger, ne sachant si nous ne vivions qu’un intermède, si, sans prévenir, il ne se retournerait pas contre nous.

Nos voisins musulmans furent les premiers à oser quitter leur maison puis, le lendemain, les vendeurs de fruits et de lait recommencèrent à chanter leurs marchandises. La radio affirmait que le cauchemar était fini, que la vie recommençait.

J’ai attendu quelques jours, pour, bravant les préventions de ma mère, aller frapper aux portes de mes amis Naji et Elie. Ils étaient bien vivants, le premier victime de pillage, le second, indemne.

Nous avions longtemps vécu dans une hostilité intermittente qui allait jusqu’au harcèlement mais nous ne nous attendions pas à un tel déchaînement.

La corde était rompue et la rupture consommée. On ne se contentait plus de nous insulter, de nous faire peur. On attentait à notre vie.

J’ai retrouvé, l’an dernier, à Jérusalem, un camarade de classe, le peintre Nissim Zelayet.

Il me conduisit à son studio. Un de ses tableaux évoque, dans une fantasmagorie semi-abstraite, l’horreur des journées du Farhoud. Il avait été blessé alors et avait réussi à s’enfuir ; cinquante ans plus tard, sa blessure était aussi vive. Pour nous tous, le traumatisme effroyable dure, dure encore.

Bagdad était notre ville, nous y étions avant tous les autres.

Nous y avions vécu la montée et la chute des puissances, et n’avions jamais cessé de célébrer la mémoire de nos ancêtres, Ezéckiel et Ezra, nos compagnons d’histoire, toujours vivants parmi nous. Mais là c’était la cassure, le début de la fin.

Sur la route de Jérusalem, à Or Yéhouda, j’ai visité le musée érigé en célébration de notre communauté.

On y rappelle, pour les vivants, une mémoire où, tout au long des siècles, les bonheurs du quotidien illuminaient les existences. Célébration des vivants, car cette communauté a survécu même si elle s’est fondue dans la grande communauté de la terre retrouvée. Là, les noms eux-mêmes ont changé.

Souvent, on me demandait, en Israël, si mon nom Kattan, à l’instar des autres Katan ou Catan, n’était pas une traduction de Klein. Non. Ma famille n’est pas passée par l’Europe même si, souvent, on choisissait des prénoms à consonance anglaise.

J’ai lu récemment, dans un journal britannique, le compte rendu de la visite d’un correspondant à Bagdad. Il est allé à la seule synagogue qui subsistait. Il ne restait dans cette ville qu’une centaine de Juifs, dont deux savaient encore lire l’hébreu. Je le savais. J’ai dû le savoir, j’aurais dû le savoir. Mais là, devant la photo des deux hommes, je n’ai pu réprimer mes larmes.

J’étais en face des uniques traces des descendants des rédacteurs du Talmud, les seuls héritiers des prophètes et des rabbins.

De tous ceux qui, comme mon père, savaient humblement, naturellement réciter les psaumes, il ne reste que deux hommes, vieux, sans descendance.

J’ai eu l’occasion de visiter ou de voir de l’extérieur des synagogues, à Tunis et à Casablanca. Grâce à l’aide d’une femme ashkénaze de Montréal, on reconstruit la synagogue Ben Ezra du Caire. Des Juifs tunisiens, marocains, égyptiens visitent les lieux de leurs ancêtres.

Mais depuis cinquante ans aucun juif de Bagdad n’a remis les pied dans sa ville natale.

Il y a quelques années, des juifs irakiens de Montréal m’ont suggéré, moi l’écrivain, l’ancien pratiquant de l’arabe, d’écrire de ma plus belle plume une lettre à Saddam pour qu’ils nous autorise à récupérer, fût-ce en les rachetant, nos anciens sefers torah. C’est tout ce qui nous est resté de vingt-cinq siècles de vie sans interruption. Je ne l’ai pas fait car, disais-je, cela aurait été inutile mais, à y réfléchir plus à fond, je crois que j’étais réticent car notre communauté, comme toute communauté juive, n’a jamais vécu de ses reliques.

À Montréal, une famille appartenant à notre synagogue espagnole et portugaise a fait calligraphier par un Irakien, en Israël, un sefer torah, enveloppé d’argent comme nous avions l’habitude de le faire à Bagdad.

J’aurais tellement voulu qu’on retrouve nos anciens rouleaux où était inscrite non seulement la parole toujours vivante mais aussi une mémoire séculaire.

Puis, je me dis, peut-être pour me consoler, que du moment que la parole est à nouveau recopiée, inscrite, lue et cantilée, la mémoire demeurera, impérissable. Pourtant, il ne suffit pas d’une affirmation aussi simple pour passer à côté d’une mémoire bannie et oublier les lieux perdus et interdits. La tristesse de la mort me hante, je chante, pour la surmonter, la poursuite de la vie qui continue mais comment oublier un départ qui fut un définitif adieu?

Le Pape entend inaugurer le deuxième millénaire chrétien par un pèlerinage à Ur en Chaldée, non loin de Bagdad, lieu de naissance d’Abraham. Chrétiens et musulmans se réclament de la paternité d’Abraham.

Mais, nous, ses premiers descendants, ses héritiers directs, nous n’avons pas accès à son lieu natal. Est-ce, encore une fois, une manière de me consoler, quand je répète ce que Dieu a enjoint au premier patriarche : lekh lekha, pars.

Et nous voilà, nous ses descendants, qui, à notre tour, partons.

J’ai visité divers pays et il m’arrive parfois de me demander si ce nomadisme involontaire n’est pas aussi une tentative de suivre la tradition de la communauté mais aussi un rêve de rechercher, de retrouver, de rassembler les fragments et les vestiges d’une mémoire dispersée.

Il y a quelques années, envoyé en mission par le gouvernement de mon pays le Canada, à Chang-hai, je fus logé à l’hôtel de l’Amitié, là, me dit-on où eut lieu la rencontre entre Nixon et Chou En Lai. Poursuivant mon interrogation. J’appris que cet hôtel fut construit avant la prise du pouvoir par les communistes, par Albert Sassoun, un Juif de Bagdad.

La boucle est bouclée, me dis-je. J’ai beau faire le tour du globe, je me retrouve constamment dans mon passé.

Puis, à Hong Kong encore britannique, j’avais rendez-vous avec Lord Kaddourie Il possédait près de la moitié de la ville : l’électricité, les tramways, un palace.

Devant moi, cet ancien élève de l’Alliance, tout Lord qu’il fut, avait l’allure d’un Juif du café Mochi au bord du Tigre. Il me fit visiter son trésor : la plus belle collection de sculptures chinoises en ivoire. Il souhaitait me recevoir parce que j’avais raconté, dans un roman, l’histoire des Juifs de Bagdad. Puis, le regard nostalgique, il me demanda si on m’avait fait visiter à Chang-hai le Palais de l’enfance. Oui, dis-je, on me l’a décrit comme l’une des fiertés de la ville. Eh bien, me dit-il, c’était ma maison. Ses rapports avec les Chinois du continent étaient cordiaux. Il était respecté autant pour sa richesse, sa philanthropie que pour sa connaissance de l’art chinois.

Ainsi Bagdad s’étendait, s’étendait, et j’ai cherché les traces de ma communauté dans tous les pays qu’il m’était arrivé de visiter : le Brésil, l’Angleterre, l’Australie, les États-Unis, Israël.

Il y a quelques années, un camarade de classe eut l’idée de réunir chez lui à New York, les élèves de notre classe terminale de l’Alliance.

Pendant près de deux ans, il a cherché les adresses, complétant laborieusement la liste pour lancer finalement les invitations. Nous étions une quinzaine, venus d’Israël, de Londres, de Boston, de Montréal et de New York, à faire le voyage.

Nous nous retrouvâmes, tous, enfants de parents qui n’étaient ni particulièrement riches ni ostensiblement pauvres. Nous étions médecins, ingénieurs, avocats, instituteurs, employés de banque. J’étais l’écrivain et on me pressait d’être le chroniqueur du groupe.
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Nous revenions à nos professions, nos familles pour aboutir à ce qui nous réunissait : notre jeunesse, nos professeurs, nos frasques, nos promenades au bord du fleuve jusqu’au moment où la douleur commune nous empoignait par nos évocations du Farhoud.

Que nous restait-il de Bagdad ? Les années que nous croyions heureuses de notre enfance puis la nuit noire, la ligne de partage, le passé englouti, le Farhoud. Nous étions tous alors à l’âge où nous prenions conscience de notre existence, où nous commencions à faire des projets de vie. Puis, subitement la corde s’était rompue, l’avenir bloqué, notre pays n’était plus le nôtre, notre départ était désormais inscrit en lettres de feu sur un écran invisible que nous nous interdisions de voir tant que nos valises n’étaient pas prêtes. Désormais notre mémoire sera ensevelie dans la nostalgie, la douleur ou l’embellissement.

De passage à Melbourne, j’ai appelé un camarade de classe devenu avocat. Repas à l’irakienne. Sa fille, étudiante en lettres, s’émerveillait de mes rencontres avec des écrivains australiens.


Bagdad était le monde de son père, enfoui dans une mémoire de plus en plus opaque. La famille de mon ami avait fui peu après le Farhoud. Nous étions heureux de nous retrouver. Notre enfance nous paraissait si lointaine qu’elle revêtait un air d’insolite. Tout en parlant de Melbourne et de Montréal, villes à maintes ressemblances et dont les rues portaient les mêmes noms britanniques, nous revenions avec acharnement au passé, comme si nous cherchions vainement, désespérément, à inscrire une vie engloutie dans le présent, à en enregistrer les vestiges. En nous quittant, nous étions silencieux, tacitement contents que la vie ait pris le dessus, même si son triomphe était entouré d’ombres.

Je viens de lire en arabe un ouvrage d’un journaliste irakien (musulman) de ma génération : Aziz al Hadj : Bagdad, dhalikal zaman (Bagdad en ce temps-là) où l’auteur évoque les années 1940 et 1950. Il y consacre un chapitre à la communauté juive et cite les noms des écoles, le nombre des élèves, mentionne les notables juifs : ministre, sénateurs, juge à la cour suprême, députés, hauts fonctionnaires, professeurs, écrivains, journalistes.

Une admiration nostalgique se dégage de ces pages ainsi que le regret de la fin d’un monde, la disparition d’une dimension de la société. Je me suis dit, en le lisant, que nous étions entrés dans l’histoire, faisant partie d’un document qui évoque « ce temps-là », une histoire enfermée dans un texte dont aucun témoin ne revisite les lieux.

Il y a deux ans, une poétesse libanaise Sabah Zwein a traduit en arabe mon premier livre Le réel et le théâtral qui fut publié par une maison d’édition fondée par un exilé irakien (musulman) à Cologne. Distribué dans les pays arabes, le livre fit l’objet d’articles à Beyrouth, à Damas…

Ce fut un choc de lire, dans ma langue natale, ce que j’avais écrit en français justement à propos du changement de langue et de culture. Cette langue fut la mienne. Je l’ai vécue, écrite. Le français s’y est superposé sans l’effacer. Qu’en reste-t-il ? Un monde qui est mien s’éloigne. Il me fut enlevé.

Dans mon premier roman Adieu Babylone, j’ai tenté de raconter l’histoire de ma communauté. Ni chant funèbre, ni hymne de louange. Une histoire. Ce livre aussi doit paraître bientôt en arabe. Il appartient, me dis-je, à l’Histoire.


Les écrivains irakiens que je rencontre dans leurs exils européens et américains me racontent un pays meurtri, dont la mémoire est une blessure béante.

Lors d’une rencontre d’écrivains d’origine arabe à Carthage, il y a quelques années, un jeune journaliste irakien m’interviewa et me dit, innocemment, que j’appartenais à l’histoire. Inconsciemment, il référait davantage au destin d’une mémoire qu’à mon âge. Cette mémoire, je continue à la vivre et il ne me suffit pas de l’écrire. Je persiste, peut-être vainement, naïvement, à ne point la reléguer à l’histoire. Elle vit en chacun de nous, et chacun de nous vit sa propre histoire, vit sa mémoire comme histoire.

Des Irakiens musulmans, dont la majorité est née après notre départ, réclament cette mémoire comme une dimension de leur propre histoire, mais la nôtre est de nouveau fragmentée, se doublant désormais de mémoires israélienne, britannique, américaine, canadienne. Nous ne sommes pas des êtres doubles car tout chemin de retour est clos. Nous ne pouvons même pas revoir, en visiteurs, un pays que nous avons investi de vingt-cinq siècles de notre vie.

Nous sommes devenus les chroniqueurs, les lecteurs et surtout les témoins des récits de notre mémoire. Comment, dès lors, la transmettre aux autres et d’abord, qu’allons-nous transmettre ? Une cassure, une fin tragique ? Ou plutôt des siècles de lecture, de répétition du texte, d’étude du Livre, de commentaire de la Parole que nous portions dès notre exil premier ? Ou bien les vies reconstituées, reconstruites ailleurs, le retour à la terre des ancêtres ? Ce retour ne fut pas facile. Que de drames, que de destins tronqués !

Je revois encore mon oncle en 1952 dans une maabara près de Tel-Aviv. Il habitait dans un srif, une cabane dont le sol, les jours de pluie, était jonché de seaux pour recueillir l’eau qui traversait le toit.


A Bagdad, il occupait le poste de directeur des changes qui fut, surtout pendant les années de guerre, un centre névralgique, une source possible de prébendes occultes. Contrairement à tant d’autres, mon oncle refusait tout argent qui sentait l’odeur de la corruption. Le voici en Israël, âgé, sans ressources, sans pension.


Des voisins, aussi démunis que lui, le narguaient, lui reprochaient d’avoir laissé passer une si belle et si facile occasion de s’enrichir. Au nom de quoi ? Par loyauté envers un pays qui le rejetait en le dépouillant ? Humble, entêté, il répondait : J’ai le privilège de me regarder tous les jours sans honte dans la glace. Une existence honnête parmi d’autres, vouée au service et totalement ignorée.

En ce temps mon frère avocat commençait à plaider en hébreu. Il n’en reste pas moins que les existences volées se reconstituent difficilement Et je me dis, me répète, qu’en Israël au moins, ces Juifs ont rejoint une mémoire séculaire, celle d’Abraham, de Daniel, d’Ezékiel et d’Ezra. Mais où sont passés les vingt siècles d’une civilisation souvent lumineuse qui furent vécus dans l’humilité et la piété du quotidien ?

En Israël je retrouve, parmi mes amis de Bagdad, ceux qui ont consacré leur vie à la réflexion et à l’écriture. Comment fais-tu, me demandent-ils, au Canada et en français, pour ne pas oublier ? Et toi, dis-je à l’un ou à l’autre, comment fais-tu pour continuer à écrire encore en arabe alors que tu vis en Israël ? Nous débattons interminablement du sens de la loyauté et de la fidélité. Nous sommes vivants et nous sommes juifs. Remercions Dieu de nous avoir préservés et de permettre à ceux parmi nous qui le souhaitent de L’invoquer.

Nous fûmes des bâtisseurs du temps.

Comment faire pour que celui-ci ne nous échappe pas, sans qu’il soit reconnu, comme s’il n’avait pas été vécu. Loin de nous les affres de l’exil et les séductions de la nostalgie. Notre mémoire demeure, et nous n’allons pas l’ensevelir dans l’opacité de la nuit du temps. Espérons qu’au moins quelques-uns parmi nous auront la volonté et le talent de l’évoquer afin qu’une civilisation de vingt-cinq siècles ne soit pas enterrée dans l’oubli ou, pire, l’indifférence.

Note
[*] Une version de cet article est parue dans « La mémoire sépharade, entre l’oubli et l’avenir », Hélène et Shmuel Trigano (éd.), Pardès 28/2000, Éditions In Press.

A suivre…

Lire tous les articles de cette saga sur l’exclusion des juifs des pays arabes


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