Isaac et Daniel Carasso: la saga Danone
« Il me surnommait affectueusement ; Danon -petit Daniel- en Catalan » évoquera Daniel Carasso se souvenant de son père Isaac, qui en 1919 donnera le diminutif de son fils au produit qu’il vient de créer : Danone.
Il est alors loin d’imaginer qu’il vient, non seulement de fonder un futur géant du monde alimentaire mais qu’il sera aussi, le pionnier des alicaments.
Les vertus du lait caillé ou fermenté, le « yaourt », synonyme de longévité en bulgare, sont connues depuis des temps immémoriaux dans les régions turco-mongoles dont il est originaire.
L’histoire raconte qu’au 16ème siècle, un médecin juif dépêché en France par Soliman le Magnifique soigna les troubles intestinaux chroniques du roi Francois 1er à l’aide de lait de brebis fermenté.
Mais le troupeau ramené de Constantinople succombant au froid parisien, le médecin juif repartira avec son secret.
Le breuvage sombre alors dans l’oubli pour réapparaître à Paris au début du 20e siècle, à l’Institut Pasteur, sous le microscope du prix Nobel de médecine juif, Elie Metchnikoff.
C’est à ce savant que revient le mérite d’avoir démontré scientifiquement les bienfaits du yaourt sur la flore intestinale en isolant les deux bactéries lactiques spécifiques le constituant et dont les propriétés retarderaient aussi le vieillissement. Ce fondateur de la gérontologie lance ainsi, en 1904, le thème des « centenaires bulgares » pour en favoriser la consommation. Mais ce laitage au statut ambigu reste méconnu, d’autant qu’une production sûre et régulière s’avère difficile.
Cependant, à Barcelone, un négociant en huile d’olive à la retraite, Isaac Carasso (1874-1939), va s’intéresser de près aux travaux de Metchnikoff.
Descendant des Juifs d’Espagne qui se réfugièrent en Grèce après l’expulsion de 1492, il avait quitté Salonique pour Barcelone en 1912. Esprit ouvert et curieux des progrès scientifiques, Isaac croit en les vertus des ferments lactiques pour lutter contre les affections intestinales fréquentes chez les petits Catalans.
Avec un neveu et deux employés, Isaac se lance dans l’aventure en 1919.
Dès le départ, voulant son produit sophistiqué, il s’allie le conseil de médecins et introduit dans ses yaourts des ferments lactiques provenant de l’Institut Pasteur.
Les débuts sont difficiles.
En effet, basée sur la qualité, la fabrication sera laborieuse car empirique. « Sans le savoir mon père pasteurisait le lait et stérilisait les pots » témoignera plus tard son fils. Les réfrigérateurs n’existant pas encore, le produit est livré dès le lendemain.
Energique et imaginatif, Isaac a déjà le sens du marketing. L’emballage : porcelaine décorée. Un nom : celui en catalan de son fils, Danone. Et surtout, publicité avec le créneau : santé.
En 1919, l’Espagne découvre Danone. Vendu d’abord en pharmacie, il franchit rapidement la porte des crèmeries puis des magasins d’alimentation.
Malgré une fabrique ouverte en 1923 et une implantation à Madrid en 1927, le marché espagnol reste limité, et les habitudes alimentaires difficiles à changer.
En 1929, Daniel Carasso, né en 1906, entre en scène.
Après des hautes études de commerce et un stage de bactériologie à l’Institut Pasteur à Paris, il décide de suivre les traces de son père en donnant à Danone une nouvelle dimension.
« Délicieux et sain, Danone est le dessert des digestions heureuses » avec ce premier slogan, Daniel qui vient d’implanter Danone en France, en plein krach de 1929, complète l’œuvre paternelle en rajoutant au créneau santé celui du plaisir.
« Je ne voulais plus voir, comme en Espagne, des hommes remuer des pelles pour évaporer le lait » expliquera Daniel qui en avance sur son temps, ouvre, en 1932, la première usine moderne à Levallois-Perret, et innove en lançant en 1937 le premier yaourt aromatisé aux fruits.
1939 : Isaac, le fondateur, décède.
La deuxième guerre mondiale contraint Daniel à se réfugier en Amérique. Pour protéger des nazis un « Danone » florissant, il en confie la direction à deux amis.
A New York, son alicament séduit un médecin juif soucieux d’apprendre aux Américains à mieux se nourrir. C’est ainsi que, sans un sou, en apportant sa marque et son savoir-faire, Daniel lance le « dannon » américain en 1942.
« J’ai toujours pensé que Danone était un enfant qui devait être choyé par sa mère et non par une nurse » croit à tord Daniel.
En effet, après la guerre, l’expansion fulgurante de Danone durant les ”trente glorieuses” (entrée en bourse en 1953) pose des problèmes de logistique et oblige Daniel à faire appel à des intermédiaires pour assurer la distribution.
Son partenaire sera Gervais, fabricant de fromages frais. Jugeant leurs produits complémentaires, les deux groupes fusionnent en 1967, devenant le numéro un des produits laitiers en France, Gervais-Danone.
Le groupe se diversifie en rachetant plusieurs groupes alimentaires dont Panzani grâce auquel le groupe devient le premier producteur de pâtes en France.
1972 est pour Daniel l’année d’une rencontre déterminante : celle d’Antoine Riboud, dirigeant de BSN, leader de la bière et des eaux minérales. Le courant passe. Les compétences sont complémentaires, l’ambition commune, ils fusionnent.
De 1973 à nos jours, sous l’impulsion des deux hommes, Danone devient un produit universel et la première marque mondiale de produits laitiers frais.
En Israël, le groupe Strauss doit son ascension prodigieuse à Daniel Carasso, grand ami de la famille Strauss.
Durant la décennie que dure leur partenariat, Daniel leur envoie les meilleurs experts pour les initier aux méthodes modernes de fabrication.
Mais, dès la fusion avec BSN, les Arabes menacent de boycotter Danone s’il ne rompt pas ses liens avec le groupe israélien.
Danone se sépare alors de Strauss.
Connu pour être fier de sa judéité, Daniel regrette de ne plus être seul maître à bord. Toutefois, grâce à son appui, Strauss obtient le droit de continuer à utiliser le nom Danone, mais uniquement en hébreu et Danone continuera à jouer un rôle dans son développement en lui transmettant son savoir-faire… en toute discrétion…
Contentant un public friand de nouveautés en tous genres, Daniel multiplie alors les innovations sur le marché « santé » (Actimel, la gamme bio…) grâce à Vitapol Danone ou le centre de recherche Daniel Carasso.
En partenariat avec la communauté scientifique, Vitapol identifie sans cesse différents probiotiques* donnant naissance à de nouveaux produits et possède à ce jour un patrimoine riche de plus de 3000 souches. Le consommateur d’aujourd’hui aspirant à vivre sainement, les probiotiques sont en vogue. Avec Danone, Carasso père et fils, sont donc sans conteste les pionniers de cette classe d’aliments.
Isaac aurait été fier de ce que son « Danon’ » a fait de son Danone dont plus de 80 millions de pots de yaourts sont consommés chaque jour dans le monde.
Jusqu’à son décès en 2009 à l’âge de 103 ans, Daniel fut un président d’honneur très actif et énergique à la tête de Danone.
Le secret de cette longévité ? Facile à deviner…
*micro-organismes vivants (souvent des ferments) exerçant des effets bénéfiques sur la santé (rééquilibrage de la flore intestinale, meilleure digestion, facilitation du transit, équilibre du système immunitaire…)
Perla Amiel
Partagé par Terre Promise ©
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