JUIFS en BRETAGNE – 5 Le peuplement juif en Bretagne au XIXe siècle
1er VOLET (en 7 chapitres) : La présence juive en Bretagne du Ve siècle apr. J.-C. à la seconde guerre mondiale
Pour l’ensemble de la France, sous le Premier Empire, la population juive était estimée à 47 000 personnes, soit 0,16 % des 29 millions de Français. Soixante ans plus tard, vers 1870, elle atteignait 90 000 âmes dans un pays qui comptait alors 38 millions d’habitants.
Il s’agit là d’approximations ; nous avons vu les difficultés auxquelles se heurtèrent les préfets de 1808 pour mener à bien les opérations de dénombrement. Toutefois, la qualité statistique des recensements s’améliore au fil du XIXe siècle et ils adoptent un rythme quinquennal, rompu seulement par la défaite de 1871 qui contraint à reporter les opérations à l’année suivante. Ils sont une source précieuse d’informations sur l’évolution quantitative de la population juive dans la mesure où ils prennent en compte l’appartenance religieuse, ce qui est le cas de 1851 à 1872, à l’exception de l’année 1856 où aucune mention de culte n’est faite.
Le premier « dénombrement » général de la population eut lieu en l’an VIII (1799-1800), première année du Consulat, mais il ne comportait que trois colonnes : le sexe, l’âge et la qualité éventuelle de « défenseur de la Patrie vivant ». Peu à peu les informations collectées s’étoffèrent, mais l’absence de question relative à la confession mettait l’administration en difficulté dans la mesure où l’État, depuis la signature du Concordat, avait la charge financière des cultes catholique et protestant. La répartition des subsides entre les différentes Églises supposait une connaissance, au moins approximative, de leurs influences respectives.
La monarchie de Juillet ayant décidé d’étendre cet avantage au culte israélite à partir de 1831, le gouvernement se heurta à un vide statistique que souligne la circulaire du ministre de la Justice et des Cultes qui, le 3 octobre 1840, demande aux préfets de recenser, à nouveau, la population juive de leurs départements, car :
« les documents que l’administration possède à cet égard remontent à une époque trop ancienne pour qu’elle puisse compter sur leur exactitude actuelle… [or]… depuis que la loi du 8 février 1831 a mis à la charge du trésor public les frais du culte israélite, plusieurs rabbins ou ministres officiants, qui se prétendent dans les conditions déterminées par l’ordonnance du 6 août suivant, ont demandé qu’un traitement leur fût assigné, conformément aux dispositions de cette ordonnance.
L’état de la population générale où le ministre réside, combiné avec celui de la population israélite qu’il dessert, y est indiqué comme règle de la proportion des traitements à allouer1 ».
Il ne s’agit encore que d’une enquête spécifique réalisée en dehors des opérations du recensement général de la population qui se déroula en 1841.
Ce n’est que dix ans plus tard (1851), sous la IIe République, que les agents recenseurs sont invités à remplir une colonne « Cultes » : « Catholiques romains ; des Églises réformées de France ou Calvinistes ; de la Confession d’Augsbourg ou Luthériens ; Israélites ; autres cultes ou communions. »
Les pouvoirs publics semblent avoir craint que cette innovation ne suscite quelque réticence de la part des administrés, ou ne soit considérée comme une atteinte à l’article X de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui garantit la liberté « d’opinions, même religieuses ».
Le ministre de l’Intérieur, dans sa circulaire aux préfets, leur rappelle « qu’il importe que l’administration connaisse exactement le nombre des coreligionnaires des divers cultes, Églises ou communions existant en France, […] vous recommanderez [aux maires des villes où la “différence des cultes continue à produire des rivalités fâcheuses”] d’apporter dans cette statistique spéciale tous les ménagements qu’exigent les dispositions des esprits2 ».
Le préfet des Côtes-du-Nord, dans son bulletin d’instructions à « MM. Les Maires du département », explique ce qu’il convient d’entendre par « ménagements » :
« Dans notre département où généralement la religion catholique est professée, vous n’aurez que rarement à porter des chiffres dans les colonnes réservées aux autres cultes, et ce renseignement ne sera bien probablement relatif qu’à des étrangers.
Du reste, Messieurs, en le leur demandant, vous aurez bien soin de leur faire remarquer que c’est une simple indication qui a pour but de compléter, sous le rapport du culte, la statistique générale de la France, et de fournir, dans certains cas, au gouvernement, les données qui lui sont nécessaires pour servir de base à la création de nouvelles circonscriptions religieuses, telles que succursales3, vicariats, églises consistoriales, consistoires israélites, etc.4. »
Ces précautions étaient superflues ; les registres de Rennes ou de Nantes comportent très rarement la mention « a refusé de répondre ».
Le recensement de 1851 fait figurer l’appartenance religieuse sur « l’état nominatif des habitants » de chaque commune, cas unique, les suivants n’en feront qu’une exploitation statistique. La colonne « cultes » disparaît des états nominatifs dès 1861 (le critère religieux ne fut pas retenu en 1856) et les renseignements fournis par chaque « ménage » sont seulement consignés, globalement, dans les « états récapitulatifs numériques » au tableau « population générale par culte ».
La procédure ne sera plus modifiée jusqu’en 1872, dernière année, avant octobre 1940, où il est possible de connaître l’importance relative de la population juive, en France, par commune, arrondissement, département.
Les divers recensements de 1840 à 1872
Octobre 1840, le dénombrement demandé par le ministère de la Justice et des Cultes ne concerne encore que les « Israélites » et précède de peu le recensement général de la population qui fut organisé au premier semestre de l’année suivante. De si peu que certaines communes furent débordées, ce dont se plaint le sous-préfet de Vitré qui, le 5 juillet 1841, adresse une circulaire aux maires de son arrondissement :
« Parmi les renseignements réclamés antérieurement de l’administration et dont plusieurs communes ne m’ont point fait l’envoi, se trouvent ceux sur le mouvement de la population israélite5. »
Ces lacunes n’avaient pas empêché la préfecture d’adresser un « état néant » au ministère dès le 18 mai.
Aucun Juif ne résidait plus en Ille-et-Vilaine en 1840 puisque la seule famille juive de Rennes « celle du Sieur Couëme, marchand résidant à Rennes depuis plus de 20 ans […] a embrassé le catholicisme il y a déjà plusieurs années ».
Nulle trace ne subsiste de cette opération en Loire-Inférieure mais un échange de courrier entre la municipalité de Nantes et le ministère des Cultes, en février 1842, révèle que « d’après le tableau de recensement que vous m’avez transmis le 28 mai 1841, on ne compte à Nantes que 154 Israélites6 ».
Ce résultat fut d’ailleurs contesté par les représentants de la communauté juive nantaise qui prétendirent que les enquêteurs avaient omis plusieurs familles.
Les Archives des Côtes-du-Nord restent muettes concernant l’enquête de 1840, mais le très petit nombre de résidents se déclarant « israélites » lors des consultations ultérieures, puis leur disparition à partir de 1866, laisse à penser que la situation de ce département était identique, alors, à celle de l’Ille-et-Vilaine.
Même absence d’information, dans le Finistère mais compensée par l’existence de deux dossiers, l’un daté de 1820-1821, l’autre de 1853. Ils prouvent le maintien d’une communauté, aux pratiques religieuses établies, où demeure un noyau de familles déjà présentes en 1808.
De 1851 à 1872, les recensements généraux de la population donnent, quant à eux, les résultats suivants :
Ces 45 Juifs sont tous domiciliés à Nantes. Les deux autres données chiffrées sont extraites de l’état nominatif du recensement de la ville de Nantes. Les décomptes partiels, par cantons, inscrits sur le registre de 1851, totalisent 105 Nantais juifs ; mais le pointage, nom par nom, vérifié plusieurs fois, n’en donne que 94. Ces « fantaisies » arithmétiques justifient, peut-être, les réserves exprimées, à plusieurs reprises, par les représentants de la communauté, quant à la fiabilité des comptages.
En Ille-et-Vilaine, seules Rennes et Saint-Malo font état de la présence de Juifs en 1851 9.
À Rennes, ils sont 8 mais 7 d’entre eux appartiennent à la « population comptée à part », en l’occurrence les régiments en garnison : au 55e régiment de ligne, sur un effectif de 1 557 hommes, il y avait 3 Juifs ; 1 Juif au 3e escadron du train ; 3 Juifs au 10e régiment d’artillerie (1 260 hommes). Ce régiment, près d’un demi-siècle plus tard, en juillet 1899, fut le théâtre d’un incident au moment où allait s’ouvrir le procès en révision du capitaine Dreyfus. Mécontents d’une observation que venait de leur faire un sous-officier juif, deux cuisiniers l’insultèrent : « Sale Juif ! À bas les Juifs ! ».
Dans la « population municipale » n’apparaît qu’un « Israélite », Jacob Khunn, Allemand, âgé de 21 ans, marchand rue Vasselot.
À Saint-Malo où la « rue des Juifs » est toujours mentionnée, résident un couple de commerçants et leur commis : Michel Hesse, 28 ans, marchand de confections et Caroline Robinson, « sa Dame », 19 ans. Leur commis est Adolphe Montel. Tous les trois figurent dans la colonne « Français d’origine ».
En 1861, sur les 19 Juifs recensés dans le département, 13, au moins, vivent à Rennes. Ils sont comptabilisés sur les trois seuls « états numériques » conservés aux archives municipales10.
Cinq ans plus tard, 2 femmes « israélites » furent signalées à Saint-Malo ; 5 hommes et 4 femmes à Rennes. Il est probable que sur les 29 Juifs recensés en 1872 (1 dans l’arrondissement de Vitré, 28 à Rennes dont 8 militaires), quelques-uns furent concernés par les instructions relatives aux « personnes nées en Alsace-Lorraine qui désirent conserver leur qualité de Français ».
Rennes demeura donc longtemps, dans la première moitié du XIXe siècle, une ville sans Juif. Une autre source le confirme.
En 1850, le Consistoire israélite de Paris demanda au maire un état des Juifs de la ville, précisant « l’époque de leur établissement ». Cette lettre, conservée aux Archives Municipales, porte la mention : « renvoyé à Monsieur le commissaire en chef pour renseignements ». Celui-ci s’informa auprès de « Madame Broue, dame israélite [ayant] embrassé la religion catholique ». Il en conclut que « à part des Israélites de passage qui logent d’habitude […] à l’auberge des “Quatre bœufs”, rue d’Antrain, il n’y en a pas un seul à avoir élu domicile à Rennes ».
Ce n’est pas avant le dernier quart du siècle que des familles juives revinrent à Rennes, militaires en garnison comme les parents de Jules Isaac ou commerçants comme Messieurs Sexer et Edmond Samuel dit Albert. Ce dernier faisait partie de ces Alsaciens et Lorrains qui optèrent pour la nationalité française et durent quitter les territoires annexés par l’Allemagne à la suite du traité de Francfort, en 1871. Ville universitaire, Rennes accueillit aussi plusieurs professeurs juifs dont Victor Basch et Henri Sée. À ce moment il n’est plus possible d’en connaître le nombre, toute mention relative aux opinions religieuses des citoyens disparaissant des formulaires administratifs.
Le Finistère : à la richesse des archives relatives à l’application des décrets napoléoniens, dans ce département, de 1808 à 1812, succède une longue période, muette quant à l’évolution de la petite société juive brestoise. Une exception, toutefois, en 1820 et 1821, une liste de 17 contribuables qui, comparée aux états des patentes de la décennie précédente : 19 en 1810, 17 en 1811, 16 en 1812, révèle, non seulement une certaine stabilité démographique et sociale, mais une relative sédentarité : parmi ces contribuables, 8 sur 17 avaient été recensés en 1808.
Une note concernant « Le Sieur Louis Bernard, marchand épicier à Recouvrance » atteste de l’ancrage, des notables au moins, dans la bourgeoisie locale. En 1821, il sollicite une réduction de sa quote-part à l’impôt dû au Consistoire ; sa fille, veuve d’un chirurgien de la marine, étant désormais à sa charge. Le refus qui lui est opposé prétexte une fortune « solidement établie », composée, entre autres choses, de « plusieurs propriétés », ce que confirme sa situation de « rentier » mentionnée sur la liste des contribuables établie la même année11.
À partir de 1851, les recensements enregistrent la présence de quelques dizaines de citoyens qui revendiquaient leur judaïsme. Comme au début du siècle, la plupart d’entre eux résidaient à Brest : 59 en 1866, les cinq autres ayant été recensés à Quimper ; 54 en 1872, contre 8 à Quimper et 2 à Quimperlé. Durant toutes ces années, aucun Israélite à Morlaix que la « légende du mineur » désignait pourtant comme leur fief.
La seule preuve de la pérennité d’une vie communautaire est fournie par trois documents conservés aux Archives Municipales de Brest. En 1853, une lettre de la souspréfecture, adressée au maire, témoigne de l’existence d’un « temple israélite » et de la présence d’un « ministre officiant ». Certes, ce temple est un oratoire, mais installé dans un local et non plus chez l’un ou l’autre des membres de la communauté. Le ministre officiant peut y enseigner et sa charge ne lui laisse que peu de temps pour exercer une profession rémunératrice. L’objet du courrier qui le concerne est, justement, de lui faire obtenir une subvention du ministre de l’Instruction Publique et des Cultes :
« Brest, le 22 avril 1853.
J’ai l’honneur de vous communiquer une demande formulée par M. Lecerf, Ministre officiant près le temple israélite de Brest, à l’effet d’obtenir un secours sur les fonds de l’État.
Je vous prie, en me renvoyant cette demande, d’y joindre des renseignements précis sur la situation de fortune du pétitionnaire, sur l’importance de son service, sur sa conduite et sur les titres qui peuvent le recommander à la bienveillance du gouvernement12… »
M. Bernard Lecerf devait répondre à toutes ces conditions car, deux mois plus tard, le ministre lui accordait « une somme de cinquante francs, à titre de secours ». L’année suivante, une délibération du Consistoire israélite de Paris fut consacrée à la communauté de Brest ; il y fut décidé, le 8 février 1854, que M. Léonard Hallmann serait « délégué par le Consistoire […] pour remplir les fonctions de commissaire administrateur ».
Si la communauté juive du Finistère peut donc être considérée comme la première communauté de Bretagne née au XIXe siècle, ses faibles effectifs lui interdirent un développement et un rayonnement comparables à ceux qu’allait connaître Nantes.
En effet, les 100 à 130 Juifs de Loire-Inférieure, bien implantés, presque tous à Nantes, élaborèrent des structures communautaires pour assurer le maintien des rites et des traditions.
Ayant surmonté toutes les difficultés, ils aboutirent, à la fin du Second Empire, à la création d’un rabbinat et à la construction de la première synagogue de Bretagne.
Nantes, la naissance d’une communauté
En avril 1835, quelques Juifs nantais demandèrent au maire l’autorisation « d’ouvrir un temple, rue Franklin n° 7, Maison Loyen, pour l’exercice de leur culte ». Ils soulignaient que le Consistoire de Paris avait accepté de nommer « Monsieur Abraham Lévy, surveillant délégué de la synagogue projetée à Nantes13 ».
Le préfet, consulté, se déclara favorable, dans la mesure où le Consistoire central avait donné son accord, et il transmit, au ministre des Cultes, « la liste des individus professant la religion juive dans cette ville ». La réponse du ministre, à défaut des noms, fait état de 21 fidèles et leur donne satisfaction, d’autant que « la demande […] ne doit d’ailleurs entraîner aucune dépense pour l’État ».
La première synagogue nantaise vit donc le jour dès 1835, même s’il ne s’agissait que d’un modeste oratoire dans une maison de la rue Franklin.
« Aucune dépense pour l’État », cela restait à voir. En fait la communauté nantaise n’avait pas les moyens de rétribuer dignement un ministre officiant et se trouva, longtemps, trop peu nombreuse pour justifier la création d’un rabbinat qui aurait pu bénéficier d’un financement officiel. Il fallut, très tôt, solliciter les autorités municipales et ministérielles pour tenter d’obtenir des subsides.
Paradoxalement, ce sont les difficultés financières de cette petite communauté, obstinée à vouloir conserver puis, le temps passant et la communauté s’étoffant, développer la structure religieuse, gage de sa cohésion, qui permettent, aujourd’hui, d’en reconstituer l’histoire.
De 1835 à 1869, plus de trente ans de relations épistolaires s’établissent entre les Juifs de Nantes et l’administration, sous trois régimes politiques successifs : la monarchie de Juillet, l’éphémère IIe République, le Second Empire.
Il n’est pas sans intérêt d’observer la qualité des échanges, entre les représentants politiques locaux (mairie, préfecture) et nationaux d’une part et, d’autre part, une communauté juive ultra minoritaire (une centaine de membres en 1851 dans une ville de plus de 82 000 habitants), sans notables influents pour la représenter, ni aucun des moyens économiques ou politiques qui auraient pu faire d’elle un « groupe de pression ».
C’est à partir de 1839 que les problèmes financiers d’Abraham Lévy, premier « ministre officiant du culte israélite à Nantes », semblent être devenus très préoccupants. Dans la supplique qu’il adresse à l’Hôtel de ville, il se présente comme ancien commerçant ruiné par « plusieurs banqueroutes » où il fit toujours « honneur à ses engagements par le sacrifice de tout ce qu’il possédait ». Il sollicite un traitement et une indemnité de logement. Le maire transmet au ministre des Cultes. En exprimant son soutien à Abraham Lévy dont « les droits me paraissent incontestables et dont la position est vraiment digne d’intérêt », il regrette que le budget municipal ne puisse assumer cette charge, qui revient à l’État, sinon il y aurait discrimination par rapport aux autres religions.
Après la signature du Concordat de 1801, le Premier Consul Bonaparte avait, en effet, décidé d’étendre aux Cultes protestants une partie des avantages et des obligations négociés avec l’Église catholique.
Les « articles organiques » de 1802 leur conféraient le statut de Cultes « reconnus » officiellement par l’État. Ce régime fut, plus tard, accordé également au Culte israélite dont l’entretien, toutefois, restait à la charge des communautés. Nous avons vu comment, en 1831, la monarchie de Juillet, plus libérale, transféra cette obligation à l’État.
Le 29 octobre 1832, une circulaire aux préfets précisait les conditions de prise en charge des dépenses des cultes catholique, chrétiens non catholiques et israélite : « Pour les ministres du culte israélite, l’installation sera constatée par le Consistoire départemental ou par les administrateurs du Temple dans les communes hors du chef-lieu consistorial14. » Le traitement des ministres du Culte prenait effet le jour de l’installation.
Le principe de subsidiarité était ensuite appliqué pour le contrôle de la présence effective des titulaires : « L’absence temporaire […] des ministres des Cultes protestants et israélite du lieu où ils sont tenus de résider pourra être autorisée par les consistoires sans qu’il en résulte décompte sur le traitement, si l’absence ne doit pas excéder huit jours. » Au-delà, l’autorisation du ministre de l’Instruction Publique et des Cultes devenait nécessaire.
Les droits d’Abraham Lévy semblaient donc « incontestables ». Le ministère, cependant, rejeta la demande en se retranchant derrière une loi du 8 février 1831 qui ne faisait obligation à l’État de rétribuer « les rabbins communaux ou ministres officiants » que si « la population israélite atteint le chiffre de 200 ». Ce seuil n’était pas atteint à Nantes.
Contestant cette décision, Abraham Lévy ouvrit un long débat. Le 3 avril 1840, il affirmait que « dans la ville de Nantes le nombre des Israélites excède ce chiffre d’une quantité assez considérable… ». Sans chercher à polémiquer, le ministère proposa un compromis. Il accorda, non pas un traitement, mais « une indemnité de 150 F […] pour service fait dans l’année 1839 ».
M. Lévy revint à la charge l’année suivante en exposant au préfet les raisons pour lesquelles, selon lui, la population juive de Nantes avait été sous-évaluée. Les commissaires de police, chargés d’enquêter, n’avaient pas compté « plusieurs familles […] presque continuellement en voyage pour leur industrie commerciale », mais résidant officiellement à Nantes, « dans des chambres garnies ».
Une telle méthode excluait de la société ces Juifs qui « n’auraient plus de domicile du tout et pourraient être regardés comme vrais vagabonds et gens sans asile et, quoique Israélites et Français, ne compteraient dans aucune population […]. Je maintiens donc [concluait-il] le chiffre que j’ai porté à 240 individus pour les Israélites faisant partie et fréquentant ordinairement le temple de Nantes ».
Abraham Lévy rappelait ensuite le rôle que, dès cette époque, jouait Nantes pour tous les Juifs dispersés de l’Ouest.
La « synagogue » de Nantes était la seule qui existât « depuis Paris jusqu’à Brest ». À ce titre elle était fréquentée, « surtout aux fêtes solennelles », par des Juifs venant des départements voisins. Nantes, enfin, possédait « le seul cimetière juif de Bretagne15 ». Sa zone d’influence religieuse s’étendait donc bien au-delà du seul espace municipal. À cette longue lettre, M. Lévy joignait la liste des Juifs « oubliés » par les enquêteurs en 1840.
« Supplément au recensement des Israélites nantais :
Père Guerchem, marchand, femme et 3 enfants, 5 individus, à Nantes depuis 5 ans ;
Samuel Deuf, marchand, femme et 2 enfants, 4 individus, à Nantes depuis 10 ans ;
Michel Cahen, lunetier, femme et 2 enfants, 4 individus ; Raphaël Barcanan, rue des Halles, “a été porté à 3, ils sont 8” ; Lobel Brak, agent d’affaires, femme et 2 enfants, 4 individus, “voyage” ; Jacob Strauss, revendeur, femme et 1 enfant, 3 individus, “voyage” ; Jacob Varin, femme et 1 enfant, 3 individus, “a été déclaré n’être pas Israélite, vient au Temple !” ; La famille Dennery, 10 individus, “Le père étant mort, ne se disent plus Israélites” ; Abraham Brille, femme, 2 individus, “voyage” ; Bernard et famille, 6 individus, “en arrestation” ; Loeb Weill, femme et 2 enfants, 4 individus, “Le mari a été porté seul” ; Gaspard Dreyfus, femme et 3 enfants, 5 individus, “voyagent” ; Dalheim, 1 individu, “voyage” ; Veuve Tobias, 1 individu, “voyage” ; Joseph Lévy, marchand de vernis, femme et 2 enfants, 4 individus ; Salomon Lévy, pédicure, 1 individu ».
62 Juifs (52 en respectant la volonté de la « famille Dennery ») n’auraient pas été pris en compte à Nantes en 1840. Il faut se rappeler qu’il ne s’agissait pas d’un recensement général. Les enquêtes furent confiées à des commissariats de police qui n’eurent, peut-être, ni le temps, ni le personnel suffisant pour prendre physiquement contact avec les intéressés, négligeant de revenir aux domiciles des absents ou se contentant de recueillir des renseignements plus ou moins exacts auprès de voisins.
Quoi qu’il en soit, la protestation d’Abraham Lévy fut vaine. Un an plus tard, une lettre du ministre des Cultes au préfet de Loire-Inférieure mettait un terme au débat : « D’après le tableau de recensement que vous m’avez transmis le 28 mai 1841, on ne compte à Nantes que 154 Israélites. »
240 ou 154 ? Au-delà d’éventuels et probables « oublis », la différence d’estimation portait davantage sur le critère retenu.
Pour l’administration, seuls comptent les Juifs nantais stricto sensu. Pour le ministre officiant prime la communauté religieuse présente lors du Shabbat, quelle que soit la commune de résidence des fidèles.
La décision ministérielle mettait Abraham Lévy en situation difficile. Il ne pouvait pas prétendre à la rétribution de « rabbin communal », ou « ministre officiant », soit 300 F par an pour une communauté de 200 à 600 personnes. Une indemnité de 100 F lui fut allouée en 1842, si insuffisante que le maire, l’estimant « en situation de détresse », intercéda en sa faveur et obtint que lui soient attribués 300 F, en 1844 et 1845, « à titre de secours ».
Le recensement de 1851, à l’issue duquel 105 Nantais s’étaient déclarés « Israélites », ne donna lieu à aucune contestation. Ses résultats durent pourtant en surprendre plus d’un, à commencer par les membres du Consistoire central qui estimaient, le 24 mars, les conclusions du recensement n’étant pas encore connues, la population générale de Nantes à 36 000 habitants (au lieu de 82 219) et sa population israélite à 138 -16.
Les Juifs nantais se répartissaient en 16 familles (couples avec ou sans enfants) et 34 célibataires. Deux familles étaient mixtes : Esther Delbonne avait épousé un catholique, le couple n’avait pas d’enfant. Abraham Hirtz et son épouse catholique avaient 3 enfants ; leur fille, Mathilde, 11 ans, est déclarée catholique, les deux garçons, Arthur, 9 ans et Emmanuel, 3 mois sont juifs.
Cette population était relativement jeune, 31 enfants et adolescents avaient moins de 18 ans, 19 adultes seulement avaient plus de 40 ans. Elle résidait en majorité dans le 5e canton : passage Pommeraye, quai de la Fosse, quartier Graslin et quartier du Calvaire17. Curieusement, aucun des noms figurant sur la liste établie, dix ans plus tôt, par A. Lévy, n’apparaît sur le registre de 1851.
Même réduite à 105, cette petite communauté n’en reste pas moins dynamique. Le 31 décembre 1854, son « commissaire surveillant du culte israélite, administrateur du Temple », Léon Blum, organise une réunion à la « Maison Verger, place de la Monnaie, n° 1 » pour élire « la nouvelle administration pour le Temple existant dans la ville ». En septembre 1856, c’est à la « Maison du Temple, impasse Rosière » que la communauté est invitée à se rendre pour l’élection de quatre membres du Consistoire israélite de Paris ; tandis qu’en 1865, Mayer Marx, « président d’administration de la communauté israélite de Nantes », prépare l’élection de deux délégués qui « concourront à la nomination du Grand Rabbin de France ».
Pendant tout le Second Empire les relations avec les pouvoirs publics semblent avoir été bonnes ; en témoigne cette note du commissaire central de Nantes jointe à une requête du ministre officiant, Benjamin Lévy, en 1857. Le fonctionnaire souligne le dévouement de M. Lévy à l’Empereur et « sa conduite et moralité qui lui ont attiré l’estime publique ».
Estimé mais impécunieux, comme son prédécesseur, le pauvre « rabbin », avec « six enfants en bas âge », tente d’accroître quelque peu ses revenus en donnant des leçons d’hébreu.
Le soutien de M. Marx qui demande que « notre ministre officiant soit salarié par l’État, suivant la loi », se heurte toujours au statut particulier de sa fonction au service d’une trop petite communauté. Ce problème matériel, récurrent, ne sera vraiment résolu que par la création officielle d’un rabbinat, perspective qui prend corps en 1866, année où la communauté demande à la municipalité une subvention de 12 000 F pour « acheter un terrain et édifier un Temple en rapport avec l’augmentation de la communauté, surtout les jours de grandes fêtes qui réunissent à Nantes un grand nombre de coreligionnaires des départements voisins ».
L’argument, avancé déjà par le premier ministre officiant, 25 ans plus tôt, reste valable ; Nantes est un pôle religieux qui confère à son rabbin, et à sa synagogue, une influence régionale que méconnaissent les règlements administratifs.
Devançant d’éventuelles hésitations, compte tenu de la somme demandée, les signataires font observer que « les Israélites de Nantes n’ont jamais été à la charge de l’administration, ils pourvoient eux-mêmes aux besoins de leurs pauvres ».
En marge de cette requête figure une note griffonnée au crayon : « D’après Monsieur Marx, les Israélites habitant Nantes sont au nombre de 194. 50 habitent, en outre, le département mais ne peuvent suivre les cérémonies de leur culte qu’à Nantes. Examiner la législation et voir si la demande du conseil israélite est fondée. »
Il y aurait donc eu 244 Juifs en Loire-Inférieure en 1866.
Le recensement de 1861 en signalait 133 (tous résidant à Nantes) ; celui de 1866, dont les résultats n’étaient sans doute pas encore connus lors de l’intervention du « conseil israélite », en compte 121. Le suivant, qui se déroulera en 1872, 122 dont 102 à Nantes, 10 dans l’arrondissement de Saint-Nazaire et, sans doute, 10 dans celui de Savenay, seul arrondissement dont l’état numérique, mentionnant cette information, manque aux archives départementales. Une grande stabilité caractérise les effectifs de la communauté et contredit les estimations de son président.
Estimations avancées peut-être imprudemment et dans la chaleur d’une conversation, pour convaincre son interlocuteur, car elles ne figurent pas dans le texte officiel remis à la municipalité.
La ville ne se lança d’ailleurs pas dans une querelle de chiffres. En 1867, le conseil municipal vota une subvention de 6 000 F soumise à deux conditions : la première, que la communauté établît « qu’elle jouit, à Nantes, d’une existence légale » ; la seconde, que le temple à édifier constituât une propriété communale. Ce qui nécessitait d’envisager la rétrocession du terrain à la ville. Cette seconde exigence donna lieu à un compromis. La communauté entendait rester propriétaire de son terrain, situé 16 rue Copernic, mais accepta que l’édifice fût propriété communale.
Restait un dernier obstacle. Le seuil, théoriquement exigé, de 2 000 Israélites habitant la circonscription d’une synagogue, ne pouvait être invoqué même si l’on en repoussait les limites jusqu’à Brest. Une dérogation du ministère de la Justice et des Cultes devait donc être sollicitée pour remplacer ce qui n’était encore qu’un oratoire par une synagogue. L’autorisation fut accordée le 19 juin 1868, la procédure pouvait alors suivre son cours. L’enquête publique, pour l’achat du terrain de la rue Copernic (Ill. A), officialisa le projet mais suscita quelques réactions hostiles. Des Nantais s’inquiétèrent, puis s’indignèrent.
Ce fut d’abord, ni datée, ni signée, une « note à Monsieur le Préfet » sur la « création d’un rabbinat » :
« Les Juifs sont en très petit nombre ici et n’ont aucune influence. Sur 201 qu’on dit être domiciliés à Nantes, plus de 80 n’ont pas encore 20 ans. Je ne sais pas s’il y a beaucoup d’électeurs parmi les autres, mais il n’y a pas lieu de le présumer d’après la liste ci-jointe où on ne voit guère figurer que des femmes ou des individus exerçant des professions un peu suspectes.
Dans cet état de choses et comme, d’un autre côté, la création d’un rabbinat paraît devoir produire un fâcheux effet dans l’esprit de beaucoup de monde, Monsieur le Préfet ne pense-t-il pas qu’il y a lieu de surseoir à l’expédition de cette affaire ? »
Nous sommes à la fin de l’année 1868 ou au début de la suivante. Cette période est délicate pour l’Empire qui évolue vers un régime libéral, parlementaire, face à une double opposition républicaine, bourgeoise et ouvrière.
L’approche des élections législatives de mai 1869 ne pouvait que susciter l’inquiétude parmi les fonctionnaires municipaux et préfectoraux et, à l’évidence, l’auteur de cette note appréhende de mécontenter des électeurs. Le cynisme de son raisonnement est exemplaire. Peu nombreux (mais la « liste cijointe » n’existe plus), en majorité non électeurs (femmes ou jeunes garçons de moins de 21 ans), ces Juifs n’ont aucun poids dans la ville. Sacrifier leur projet, aussi légitime soit-il, serait de bonne politique. La sèche réponse en marge, ce « NON » que l’on peut attribuer au préfet est, dans ce contexte, d’autant plus honorable.
Y avait-il vraiment « beaucoup de monde », à Nantes, en 1869, pour désapprouver l’érection d’une synagogue?
Le seul document qui témoigne du « fâcheux effet » de cette nouvelle est une longue lettre de sept pages, adressée à « Monsieur le Préfet de Loire-Inférieure » et signée par 23 notables, « propriétaires et contribuables ». Ils précisent d’emblée leurs revendications:
« Des propriétaires et contribuables de Nantes demandent :
Le rejet, du budget municipal, d’une allocation de 400 F pour indemnité de logement à un ministre israélite non reconnu par l’État.Le refus d’approbation d’un vote du conseil municipal tendant à la création, à Nantes, d’un rabbinat et à la construction d’une synagogue pour le culte israélite. »
Pour justifier ces exigences, les signataires invoquent le trop petit nombre de Juifs concernés, mais surtout, le fait que la création d’un rabbinat ferait sortir Nantes de la juridiction du Consistoire de Paris, en violation des décrets de mars 1808. Ils prétendent ne contester que les faiblesses juridiques du projet et assurent qu’ils « ne sont mus par aucun esprit d’hostilité contre le culte israélite ».
La suite du discours contredit cette apparente sérénité :
« Le Conseil municipal a été sans doute entraîné par des idées de tolérance qui l’ont conduit beaucoup trop loin […]. S’il existait à Nantes un Consistoire et un Rabbinat, il en résulterait que l’exercice du culte juif y serait reconnu publiquement. Dès lors, les Juifs auraient comme le demandent déjà les Protestants, le droit de réclamer que l’exercice public du Culte catholique fût supprimé. Par suite, plus de processions de la Fête Dieu, plus d’enterrements publics, défense de porter par les rues le Viatique aux malades, etc. »
Juifs et Protestants, Juifs et hérétiques ennemis de l’Église, soupçonnés a priori de mauvaises intentions ; intolérance séculaire, mais les auteurs de la lettre ne s’en tiennent pas là. Oubliant les Protestants, ils concentrent leurs attaques sur les Juifs :
« On verrait, chose inouïe, une centaine de Juifs, venus de Lorraine, interdire à cent dix mille Catholiques l’exercice public de leur culte dans la ville la plus populeuse de l’ancienne Bretagne si renommée pour sa foi religieuse. Ainsi des Catholiques euxmêmes, sous prétexte de tolérance, auraient amené l’oppression de leur culte par une infime minorité d’individus étrangers à la cité de Nantes. »
« Venus de Lorraine, étrangers à la cité… », argument curieusement anachronique dans la France unifiée et centralisée du XIXe siècle ; en réalité, pour ces notables nantais, les Juifs restent des étrangers, non parce qu’ils sont lorrains, ils ne l’étaient d’ailleurs pas tous, mais parce qu’ils sont juifs.
Cela leur suffit pour mettre en demeure le préfet : « de refuser formellement votre approbation […] à la création, à Nantes, d’un Rabbinat et d’une Synagogue à laquelle n’ont aucun droit les quelques Juifs étrangers qui habitent depuis peu notre ville ». Une bien longue argumentation pour aboutir à cet aveu de xénophobie.
Le préfet transmit cette lettre, pour avis, au maire qui rejeta les arguments de ses concitoyens. Le nombre de Juifs susceptibles de fréquenter la synagogue, parmi lesquels il incluait les Juifs du Morbihan et du Finistère, pouvait être estimé à 233, assure-t-il.
La modestie de cet effectif écartait, justement, tout risque de voir Nantes se séparer du Consistoire de Paris puisque le décret napoléonien imposait un quota de « deux mille âmes » pour l’établissement d’une « synagogue consistoriale ». La fondation d’un rabbinat n’aurait aucune incidence à ce sujet. Le maire conclut en qualifiant « d’exagérées et peu sérieuses » les autres craintes des notables et avisa le préfet qu’il n’y répondrait pas.
Ainsi, les deux représentants du pouvoir central (le maire était alors nommé par le gouvernement et non élu) se rejoignaient dans une volonté commune d’agir, envers la communauté juive, selon la loi et l’équité, à égalité de traitement avec les autres communautés religieuses, en refusant toute manœuvre discriminatoire.
Forts de ce soutien officiel, les Juifs de Nantes pouvaient réaliser leur rêve, au prix toutefois d’un effort financier non négligeable.
Le coût de la construction s’éleva à 42 000 F. Si les subventions, accordées par l’État et la municipalité, en assumèrent la plus grosse part, il resta néanmoins une dépense d’environ 8 000 F que la communauté, par souscription, prit à sa charge.
En novembre 1871, la synagogue de la rue Copernic était achevée.
Onze ans plus tard arrivait à Nantes un jeune rabbin de 27 ans, Samuel Korb. Il y demeura 47 ans, associant à sa fonction celle de « professeur d’instruction religieuse pour les enfants israélites » au lycée où il est nommé en 1883.
Est-ce à son attitude, face à l’antisémitisme si présent, et si violent, à Nantes, à la fin du siècle, que l’Inspection Académique faisait allusion, lorsque, en 1905, elle motivait sa proposition de lui attribuer la distinction d’Officier d’Académie en rappelant que « dans un milieu difficile, Monsieur le Rabbin Korb n’a suscité aucune difficulté à l’administration du lycée18 »?
Nantes, Brest et, à la fin de la période étudiée dans ce chapitre, Rennes, mais dans une moindre mesure, furent donc les trois principaux pôles d’implantation de familles juives en Bretagne au XIXe siècle.
Leur nombre n’évolua guère, proche de 200 individus, entre 1851 et 1872. Cependant, le traitement de l’information relative aux cultes dans les recensements, se réduisant à un récapitulatif numérique, sauf en 1851, il n’est pas possible d’observer les déplacements au sein de ce groupe.
Le silence des archives, à l’exception de celles des départements où l’élaboration de structures cultuelles et culturelles donne lieu à un dialogue entre les autorités et les représentants des communautés, peut être interprété comme une preuve de la bonne insertion des Juifs de Bretagne dans la cité ; conséquence d’une volonté politique affirmée, à l’échelon national, depuis la Restauration (Louis XVIII révoquant le « décret infâme » de Napoléon), puis confirmée par les Régimes postérieurs. À partir de 1846, l’égalité devant la Loi entre Chrétiens et Juifs est totale et le loyalisme de ces derniers à l’égard du pouvoir politique, exemplaire.
Insertion favorisée aussi, comme dans le reste de la France, par l’évolution sociale des populations juives. Les activités professionnelles se diversifient : le commerçant sédentaire remplace peu à peu le colporteur ; sept Juifs sur huit présents à Rennes, en 1851, sont des militaires ; à Nantes travaillent deux agents d’affaires, un relieur, un lunetier, un « artiste ».
En France, de plus en plus de familles juives appartiennent à la classe moyenne ; cette évolution touche aussi les familles résidant en Bretagne, l’effort financier consenti lors de la construction de la synagogue de Nantes en témoigne.
Cette intégration, encouragée par les pouvoirs publics, a pu laisser croire aux Juifs de France qu’ils étaient définitivement adoptés par leurs compatriotes, en réalité elle restait fragile. L’hostilité manifestée à leur encontre, à Nantes, en 1869, était encore le fait d’une minorité, elle n’eut pas de conséquence. Quinze ans plus tard, la Bretagne comme le reste de la France, allait être confrontée à l’antisémitisme.
LES JUIFS EN BRETAGNE – ve-xxe siècles – Claude Toczé et Annie Lambert – Mémoire commune
A suivre…
Voir tous les articles de la série : Juifs en Bretagne
NOTES
- 1 ADIV, 6 M 28 – Instructions et correspondance concernant les recensements de l’an VIII à 1876.
- 2 ADCA, 6 M 44 – Statistiques des cultes.
- 3 « Succursale » ou « église succursale » : église qui supplée à l’insuffisance de l’église paroissiale.
- 4 ADCA, 6 M 4 – Instructions et correspondance concernant le recensement de 1851.
- 5 ADIV, 6 M 28 – Instructions 1841-1846.
- 6 ADLA, 83 V art. 1.
- 7 Les statistiques en italiques sont extraites de « The modernization of French Jewry, Consistorial and Community in the Nineteenth Century » par Phillys Cohen Albert. Elles demandent à être vérifiées.
- 8 L’état numérique du recensement de 1872 concernant la répartition de la population entre les différents cultes, n’existe pas aux ADMO. On peut toutefois supposer que la plupart des 20 Juifs, présents six ans plus tôt, tous de l’arrondissement de Lorient, y résidaient encore.
- 9 ADIV, série 6 M/443 à 445 pour Rennes, 6 M/550 pour Saint-Malo.
- 10 Rennes NE, Rennes NO : 1re et 2e partie.
- 11 Archives Municipales de Brest, cote P. 9.
- 12 Idem.
- 13 L’ensemble des documents cités qui concernent la naissance de la communauté juive de Nantes au XIXe siècle et l’établissement de la synagogue sont conservés aux ADLA sous la cote 83V – art. 1 – culte israélite (1806-1895).
- 14 ADM, 1V412 – circulaires sur les cultes non catholiques (1830-1832).
- 15 En réalité, il existait aussi un cimetière juif à Brest mais, en 1840, il n’y restait plus guère de places disponibles pour de nouvelles inhumations (cf. supra chap. 3, p. 54).
- 16 Archives du Consistoire central, « Inventaire 1808-1899 », Dossier 1A 9-12.
- 17 ADLA, 2 MI-535 « Nantes, recensement de la population en 1851 ».
- 18 ADIV, cote 10T92 – archives du rectorat, dossiers des professeurs.
Partagé par Terre Promise ©
Bonjour à tous. Vous pouvez assurer la continuité de ce site de plusieurs manières : En partageant les articles que vous avez aimé, sur vos réseaux sociaux. En faisant un don sécurisé sur Paypal.
Même 1€ est important ! |