40 ans après Entebbé. Ce qu’ont révélées les archives diplomatiques
Au cours de l’été 1976, avait lieu une prise d’otages qui allait tenir le monde en haleine pendant près d’une semaine: le détournement d’Entebbé.
Quatre terroristes pro-palestiniens détournaient sur l’Ouganda un avion d’Air France reliant Tel-Aviv à Paris avec plus de 240 passagers à son bord.
Leur revendication : la libération d’une cinquantaine de prisonniers.
Après une semaine de négociations, où les yeux du monde étaient rivés sur l’Ouganda, l’armée israélienne effectuait contre toute attente un raid sur l’aéroport d’Entebbe, libérant la quasi-totalité des otages et tuant tous les terroristes. Le retentissement de l’affaire fut immense et la plupart des pays occidentaux saluèrent la prouesse militaire de l’Etat hébreu.
Aujourd’hui, grâce à l’ouverture des archives diplomatiques sur le détournement d’Entebbe, de nombreuses informations sont devenues accessibles. Certaines d’entre elles viennent donner une lecture différente de plusieurs aspects du récit de la prise d’otages, tel qu’il avait été établi il y a quarante ans.
« L’opération dramatique de sauvetage des otages à Entebbe a soulevé la stature d’Israël dans le monde et a donné au peuple israélien une immense fierté, » écrit Benyamin Netanyahu au sujet de la mission légendaire de 1976.
Effectivement Entebbé est entré dans la légende…
La prise d’otages d’Entebbe est un drame en cinq actes.
Le premier raconte l’enlèvement de 240 personnes au-dessus de la Méditerranée, le dernier voit la communauté internationale consacrer leurs libérateurs. Ce drame met en scène des personnages forts, tels qu’un libraire allemand reconverti en pirate de l’air, un dictateur ougandais qui a voulu tirer parti d’une situation qui lui a échappé, un commandant de bord prêt à mettre sa vie en danger pour ses passagers ou encore un soldat israélien mort pour rendre la liberté à ses compatriotes.
Pour chacun de ces actes, Le Monde propose une analyse sur un des aspects du récit qui pose question : le degré de connivence d’Amin Dada avec les terroristes, le sens du tri entre les passagers, les complicités dont a bénéficié Israël, les pertes ougandaises, le côté obscur du raid, vous saurez tout sur ces histoires dans l’histoire.
Acte I : Le détournement
L’histoire d’Entebbe commence à 10 000 pieds d’altitude, quelque part au-dessus du canal de Corinthe. Le vol Air France 139 reliant Tel-Aviv à Paris vient de décoller d’Athènes, où il faisait escale, le 27 juin 1976 en fin de matinée, avec à son bord 246 passagers et 12 membres d’équipage.
L’avion continue de s’élever dans les cieux quand trois hommes et une femme quittent leur siège, se mettent à crier, dévoilent leurs armes à feu et déclenchent la panique à bord. Les passagers sont priés de se lever et de garder les mains derrière la tête. Le chef des pirates (…) pénètre dans le poste de pilotage, s’assoit à la place du copilote et s’empare du micro pour délivrer un message : « Ceci est un détournement. Nous venons de prendre le contrôle du vol. L’avion est rebaptisé Haïfa. »
L’homme s’appelle Wilfried Böse.
Fondateur de la librairie Etoile rouge de Francfort, il fait partie, avec son acolyte Brigitte Kuhlmann, de la Fraction armée rouge, également appelée la « Bande à Baader », organisation terroriste allemande d’extrême gauche.
Les deux autres pirates de l’air sont de jeunes Palestiniens issus du FPLP (Front populaire de libération de la Palestine).
Böse affirme avoir posé des charges sur les issues de secours et ordonne au commandant de bord, Michel Bacos, de se diriger vers la Libye. L’avion se pose donc une première fois à Benghazi, pour y faire le plein de kérosène. Là, une passagère anglo-israélienne laisse croire qu’elle est sur le point de faire une fausse couche et, sous prétexte de l’urgence de la soigner, parvient à être débarquée.
Escale à Benghazi
L’Airbus repart donc avec une otage en moins et trente-cinq tonnes de carburant en plus. Direction le sud de l’Afrique. Vers 4 heures du matin le 28 juin, alors qu’il tournait sur lui-même depuis plus d’une heure, l’appareil atteint enfin sa destination finale : l’aéroport d’Entebbe, en Ouganda, situé à une trentaine de kilomètres de la capitale Kampala.
Longtemps sommés de rester à bord, les otages finissent par être évacués et transportés dans un terminal désaffecté, escortés par des soldats ougandais en armes.
C’est Idi Amin Dada lui-même, le dictateur de l’Ouganda, qui leur fournit de l’eau, de la nourriture et de quoi vivre dans des conditions décentes.
Acte II : Le tri entre passagers
A Entebbe, les quatre auteurs du détournement sont rapidement rejoints par trois complices palestiniens.
Les sept terroristes diffusent alors un communiqué dans lequel ils énoncent leurs exigences : la libération de 53 prisonniers pro-palestiniens détenus pour la plupart en Israël mais aussi en Allemagne de l’Ouest, au Kenya, en France et en Suisse. Parmi eux se trouvent Kozo Okamoto, responsable de la mort de 26 personnes dans le massacre de Lod en 1972, et l’archevêque Hilarion Capucci, arrêté pour avoir transporté des armes en Cisjordanie, mais aussi des membres de la RAF comme Fritz Teufel ou Inge Viett.
Ces revendications faites, les ravisseurs libèrent, le 30 juin, 47 passagers, principalement les femmes, les enfants et les personnes âgées, et fixent un ultimatum : si leurs demandes ne sont pas satisfaites avant le 1er juillet à 15 heures, ils feront sauter l’avion et tous les otages restants.
Mais face à l’impossibilité pour les pays concernés de respecter ce délai, ils se ravisent le lendemain : l’ultimatum est repoussé au 4 juillet à 11 heures et un second groupe de passagers est libéré : 100 autres personnes quittent Entebbe saines et sauves, en majorité celles qui ne possèdent pas de passeport israélien.
L’équipage d’Air France est un cas particulier : aucun de ses membres ne possédait un passeport israélien. Mais quand le commandant de bord, Michel Bacos, a appris que des otages seraient libérés, il a rassemblé ses collègues et leur a dit : « il est hors de question que nous quittions nos passagers, nous avons le devoir de rester avec eux jusqu’à la fin quoi qu’il arrive », avant d’informer Wilfried Böse de sa décision.
Il reste alors 106 otages dans le vieux terminal de l’aéroport.
Jusqu’alors, le gouvernement israélien, fidèle à sa politique, s’était montré inflexible, refusant de discuter avec les ravisseurs. Mais ces deux vagues de libération, ajoutées à la forte mobilisation des familles des otages israéliens, allaient changer la donne.
Pour la première fois de son histoire, Israël semble prêt à négocier avec des terroristes.
Acte III : Des négociations à la préparation du raid
A la table des négociations pour la libération des otages d’un côté, et des prisonniers de l’autre, il y a trois catégories distinctes de protagonistes.
Les terroristes du FPLP et de la RAF nomment comme porte-parole l’ambassadeur de Somalie, M. Hasni Abdullah Farah, parce qu’il est « le doyen des ambassadeurs arabes » du pays.
Les gouvernements concernés, dont la France et Israël, sont représentés par l’ambassadeur de France en Ouganda, M. Pierre-Henri Renard. Quant à Idi Amin Dada, présent lui aussi, il joue le rôle de « médiateur » et prétend œuvrer pour l’intérêt des otages.
Les négociations progressent péniblement : le 1er juillet, M. Renard transmet à M. Farah un message du gouvernement israélien destiné aux terroristes : celui-ci est prêt à libérer « un certain nombre de prisonniers » et propose que les négociations s’établissent sous l’égide des Nations unies.
Deux suggestions refusées le lendemain par les terroristes, qui affirment avoir fait suffisamment de concessions avec la libération de 147 otages et la prolongation de l’ultimatum. Le 3 juillet, Israël dit avoir commencé le processus de libération des prisonniers et demande que l’aéroport d’échange se trouve en territoire français.
Une proposition une fois encore rejetée par le FPLP. Ce nouveau refus pourrait bien avoir décidé le gouvernement israélien à opter pour l’alternative qu’il envisageait. Car, en réalité, depuis le début de la prise d’otages, ce dernier ne préparait pas seulement la libération des prisonniers : il préparait également, dans le plus grand secret, un raid militaire visant à libérer les otages retenus à Entebbe.
Une opération rendue envisageable par deux éléments : la description des lieux et des forces en présence faite par les otages libérés, dont plusieurs avaient été interrogés par le Mossad après leur libération, et un fait pour le moins insolite : l’ancien terminal où se trouvaient les otages avait été construit par une compagnie israélienne, qui en avait fourni les plans détaillés à l’armée. Forte de ces informations capitales, l’armée israélienne était en mesure de tenter, à 4 000 kilomètres de ses bases, une mission de sauvetage.
Acte IV : Le raid militaire israélien
Le 3 juillet en fin d’après-midi, sur décision du premier ministre Yitzhak Rabin, l’armée israélienne déclenche l’opération « Thunderbolt ». Trois avions de transport militaire C – 130 Hercules décollent de la base de Charm El-Cheikh (Egypte), à l’époque sous contrôle israélien, avec une centaine d’hommes à leur bord.
Le chef du commando n’est autre que Jonathan (…) Nétanyahou, le frère aîné de l’actuel premier ministre.
Pour tromper les radars, les appareils volent à basse altitude et coordonnent leur trajectoire avec un vol régulier d’El-Al qui reliait Tel-Aviv à Nairobi (Kenya), quelques milliers de pieds au-dessus d’eux.
Arrivés au niveau du lac Victoria, les trois avions se séparent : deux d’entre eux restent à la verticale du lac pour laisser un peu d’avance au troisième et lui permettre de se poser discrètement.
Vers 23 heures, après près de huit heures de vol, le premier C – 130 atterrit à Entebbe, sans rencontrer de difficulté particulière.
Immédiatement, trois véhicules en sortent, remplis de soldats israéliens : deux Land Rover et une Mercedes noire.
L’usage de la Mercedes était une ruse : l’armée israélienne savait qu’Idi Amin Dada utilisait ce type de véhicule lorsqu’il rendait visite aux otages et espérait ainsi se faire passer pour lui auprès des soldats ougandais qui surveillaient l’aéroport.
La tactique s’avère payante : le convoi n’est pas inquiété avant d’atteindre l’ancien terminal.
Dans la salle où sont retenus les otages, c’est encore le calme plat. Les passagers sont couchés sur des matelas, certains dorment, d’autres sont trop inquiets de l’approche de l’ultimatum et de l’attitude irritée des terroristes pour trouver le sommeil. Soudain, des coups de feu retentissent : le commando israélien fait irruption dans la pièce.
L’effet de surprise est total et le raid foudroyant : en à peine vingt minutes, les 7 terroristes sont tués et 102 des 105 otages restants mis en sécurité.
Un seul soldat israélien est tué dans l’opération : le chef du commando, Jonathan Nétanyahou, vraisemblablement atteint par des balles ougandaises. Un autre est grièvement blessé et restera paralysé à vie.
Trois otages perdent également la vie : Jean-Jacques Mimouni, Pasco Cohen et Ida Borochovitch. Quant à l’armée ougandaise, elle subit de graves pertes humaines et des dégâts matériels importants. Le commando s’était en effet assuré d’endommager suffisamment les avions de ligne ougandais pour ne pas risquer d’être suivi.
Acte V : Les suites
La retentissante affaire de la prise d’otages d’Entebbe ne se termine pas avec la libération des otages.
Derrière lui, le commando israélien laisse de nombreux morts parmi les soldats ougandais, une force aérienne abîmée, un maréchal-président courroucé. Il a également laissé derrière lui une otage : Dora Bloch, une Anglo-Israélienne de 73 ans, transportée à l’hôpital de Kampala à la suite d’un étouffement. Enfin, l’Airbus d’Air France se trouve toujours à l’aéroport d’Entebbe et Amin Dada réclame une compensation au gouvernement français.
Dans les jours qui suivent le raid, l’Ouganda, soutenu par l’Organisation de l’unité africaine, convoque une session du Conseil de sécurité des Nations unies, afin d’obtenir une condamnation de l’intervention israélienne pour violation de sa souveraineté nationale.
Les débats font rage pendant plusieurs jours à New York, Idi Amin se posant notamment comme une victime dans cette affaire, lui qui avait accueilli l’Airbus « pour des raisons humanitaires » et avait œuvré pour la libération des otages.
Mais l’initiative ougandaise est finalement rejetée par le Conseil, qui estime que l’action israélienne n’avait « pas pour but de nuire à l’Ouganda, mais de libérer leurs ressortissants, menacés de mort par des terroristes ».
Ce n’est qu’à l’issue des discussions qu’Idi Amin, face à l’insistance de la diplomatie française, se décide enfin à restituer l’Airbus à la France, apparemment sans concession.
Quant à Dora Bloch, le silence de l’Ouganda face aux multiples sollicitations des Britanniques, inquiets pour leur citoyenne, fait craindre le pire. Pierre-Henri Renard soupçonne qu’elle a été tuée par des soldats ougandais au lendemain du raid. Une version qui sera confirmée près d’un an plus tard par le ministre de la santé, Henry Kyemba, lors d’un entretien au journal anglais London Sunday Times.
L’affaire Dora Bloch aura eu pour conséquences la rupture des relations diplomatiques entre la Grande-Bretagne et l’Ouganda.
Marc Ouahnon pour : https://www.lemonde.fr/
Des documents français, récemment « déclassifiés », montrent que l’ancien président ougandais, Idi Amin Dada, loin d’être de mèche avec les pirates de l’air, a joué un rôle utile, après le détournement d’un avion d’Air France, en 1976.
Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976, l’armée israélienne lance une audacieuse opération commando… A leur retour en Israël, ces militaires sont acclamés.
Selon Israël, cette opération s’imposait parce que le président de l’Ouganda, Idi Amin Dada, était de mèche avec les ravisseurs qui se réclamaient d’une faction du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
« Nous avons été obligés d’entreprendre cette action car nous sentions que les négociations s’empêtraient vu l’implication du président déséquilibré de l’Ouganda avec les terroristes impatients », explique le ministre israélien des Affaires étrangères, Yigal Allon, dans un message confidentiel adressé, dans la nuit du raid, à son homologue français, Jean Sauvagnargues.
Cette lettre fait partie des archives que le ministère français des Affaires étrangères a récemment communiquées à RFI. Ces documents sont souvent en contradiction avec le récit israélien de l’opération Entebbe, notamment sur le rôle d’Idi Amin.
Une opération sensationnelle
L’opération Entebbe est, certes, spectaculaire. Pour éviter toute détection, des Hercules israéliens survolent la mer Rouge à très basse altitude, puis l’Éthiopie et le Kenya, avant de gagner les rives du lac Victoria. Une fois sur place, « l’affaire » est bouclée en moins d’une heure et demie. Les otages israéliens et français, notamment l’équipage d’Air France, sont évacués sur Nairobi, puis Tel-Aviv.
Pourtant, le bilan mortel est élevé. Tsahal abat quatre ravisseurs et dix-sept militaires ougandais postés aux abords de l’aéroport. Trois otages tombent sous des balles israéliennes ; une quatrième personne, hospitalisée à Kampala pour un problème respiratoire, avant le raid, sera enlevée et assassinée par des éléments des forces de sécurité ougandaises.
La diplomatie française s’oppose à la thèse israélienne selon laquelle le maréchal Amin (décédé en 2003) était de connivence avec des pirates qui auraient été « attendus » en Ouganda.
« C’est plutôt la France qui presse Kampala d’accueillir le vol 139, détourné alors qu’il effectuait la liaison Tel-Aviv-Paris », précise l’ambassadeur Pierre-Henri Renard dans ses télégrammes.
Détourné dans l’espace aérien grec, l’Airbus s’était d’abord posé à Benghazi, dans l’est de la Libye, pour y faire le plein. « Trente-quatre tonnes de carburant, s’ajoutant aux dix tonnes dans le réservoir, lui donnent une autonomie de quatre heures et demie de vol », comme l’explique un télégramme de l’ambassade de France, à Tripoli.
Recherche d’un pays ami
Paris souhaite un atterrissage dans un pays où il pourra peser de toute son influence, comme l’Ouganda.
L’ambassadeur Renard téléphone alors au ministère ougandais de la Défense en pleine nuit.
« J’ai dû réveiller le secrétaire permanent à la Défense pour lui demander l’autorisation d’atterrissage », explique-t-il, dans un télégramme. La raison invoquée (carburant) suffit à expliquer que l’autorisation ait été donnée aussitôt.
Pendant toute la durée de la prise d’otage, Paris cherchera d’ailleurs à empêcher l’avion de faire le plein.
« Il paraît préférable que, jusqu’à la libération complète des passagers et de l’équipage, les négociations se poursuivent en Ouganda plutôt que dans un autre pays qui pourrait nous être plus hostile », souligne le ministère français des Affaires étrangères dans un message adressé à son ambassade de Kampala.
Les relations entre le commando palestinien et le président Amin ne sont pas d’emblée cordiales.
Arrivé sur le tarmac d’Entebbe deux heures après l’atterrissage, le maréchal « se serait vu refuser l’accès de l’appareil par le commando auquel il désirait s’adresser directement », écrit l’ambassadeur Renard.
Tentative de « neutralisation » des pirates
Le président ougandais à vie obtiendra des pirates que l’avion soit évacué.
Les passagers et l’équipage s’installent donc dans l’ancien terminal où les conditions de détention sont plus tolérables qu’à bord. On leur fournit des cartes à jouer. Des équipes de bridge se forment.
L’évacuation, obtenue par le maréchal, facilitera le raid israélien, d’autant plus qu’Israël dispose des plans du terminal, ce qui explique pourquoi l’opération est aussi rondement menée. Disposant des plans du terminal, Tsahal fait même construire une maquette à l’identique pour mieux roder son intervention.
De son côté, Israël accepte – « concession capitale », selon l’ambassadeur Renard – de négocier avec les pirates, par l’entremise de la France et du président Amin qui était aussi à l’époque président en exercice de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA).
Les ravisseurs, qui menacent de tuer les passagers si une cinquantaine de prisonniers ne sont pas libérés, veulent échanger leurs otages contre des détenus en Israël, en France, en Allemagne, en Suisse et au Kenya.
Pour l’Etat hébreu, les négociations visent uniquement à gagner du temps.
Il n’empêche que les pourparlers avancent à grands pas. Les Israéliens vont jusqu’à préciser qu’ils souhaitent que « l’aéroport de l’échange soit en territoire français », écrit Maurice Ulrich, haut fonctionnaire au cabinet du ministre des Affaires étrangères qui deviendra chef de cabinet du futur Premier ministre Jacques Chirac.
Les ravisseurs, de leur côté, sont représentés par l’ambassadeur de Somalie, à Kampala, Hashi Abdullah Farah, lequel peine à mettre les pirates d’accord.
« M. Farah a évoqué le désordre qui règne chez les Palestiniens, leurs hésitations, leurs oppositions, non sans s’étendre avec complaisance sur le caractère parfois bon enfant de la détention », rapporte l’ambassadeur Renard avant d’ajouter « mais il n’a pas caché qu’il y a dans le commando des éléments résolus qui ne lâcheront pas prise facilement ».
Israël n’est pas le seul à envisager une solution militaire. Le président ougandais révèle à l’ambassadeur Renard qu’il a lui-même cherché à « neutraliser » les pirates.
« Au cours de notre entretien d’hier [le 30 juin], le président Amin m’a « confié » qu’il avait cherché, lors du transfert des passagers, le premier jour, à faire encadrer, pour les neutraliser, les commandos [palestiniens] par ses soldats. Mais la manœuvre avait été déjouée », écrit l’ambassadeur de France en Ouganda.
Pour soutenir le maréchal, l’Allemagne de l’Ouest dépêche, à Kampala, son chef de la brigade antiterroriste créée après le massacre des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich, en 1972.
Bonn mettra cet expert militaire à la disposition du maréchal s’il y a « la moindre indication que le chef de l’État envisage de recourir à la force », souligne l’ambassadeur Renard.
Les tortueuses relations israélo-ougandaises
Les diplomates savent bien qu’Idi Amin, tantôt bonhomme, tantôt ombrageux, est imprévisible. Il est même capable de revirements spectaculaires. Les Israéliens le savent bien, eux qui en ont fait les frais.
Après son arrivée au pouvoir, à la faveur d’un coup d’État, en 1971, « l’homme fort » s’est vite rapproché de l’État hébreu qui lui a offert un appareil Jet Commodore de fabrication israélienne et mis à sa disposition un équipage israélien. Cette année-là, accueilli en Israël par le général Moshe Dayan, Idi Amin a même rencontré la Première ministre, Golda Meir.
A l’époque, l’État hébreu fournit armes, blindés et avions à l’Ouganda. Ses conseillers militaires et parachutistes forment l’armée ougandaise, notamment son armée de l’air sur 14 avions Fouga Magister français fabriqués en Israël.
En 1972, toutefois, le président Amin ferme l’ambassade d’Israël à Kampala, accusée d’activités subversives, expulse les ressortissants de ce pays et se rapproche de la Libye et du camp arabe.
L’Ouganda soutient désormais l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui, elle aussi, tentera de peser sur la prise d’otages, à Entebbe, qu’elle a tôt fait de dénoncer.
Là encore, l’ambassadeur Renard s’inscrit en faux contre ceux qui condamnent l’OLP pour son rôle dans le détournement.
« Bien que des Palestiniens s’entraînent militairement en Ouganda, il n’y a pas de preuves qu’ils se soient trouvés présents au moment de l’atterrissage», soutient-il à l’issue du raid israélien. « Ils sont apparus progressivement et ont permis de créer un environnement non hostile qui a pu favoriser l’ouverture d’un dialogue », ajoute-t-il.
L’ambassadeur Renard va jusqu’à évoquer une « situation de relative sécurité » consolidée grâce à « l’harmonie » qui règne entre le chef du bureau de l’OLP, les ravisseurs et l’armée ougandaise :
« Une certaine impression de « connivence » a pu apparaître, reconnaît-il, mais celle-ci n’était pas nécessairement préétablie et les passagers qui la dénoncent en ont été les principaux bénéficiaires. »
Des négociations condamnées au succès?
Aux yeux de l’ambassadeur, il est vrai, le raid israélien mettra un terme à une solution négociée, bien amorcée, de son point de vue, puisque la majorité des otages – plus de 140 personnes, presque toutes non israéliennes – avaient été relâchés :
« Les deux libérations massives intervenues les 30 juin et 1er juillet créaient les prémisses favorables à un règlement négocié. L’on était condamné au succès pour peu que chacun y mît du sien. C’est cet enchaînement qui a été tragiquement rompu le 4 juillet [par le raid israélien], alors qu’étaient apparus ni perspective d’impasse, moins encore de risques physiques nouveaux. »
Dans la foulée du raid, l’Ouganda a saisi le Conseil de Sécurité des Nations unies. Avec le soutien de pays africains, Kampala souhaite faire adopter une résolution condamnant Israël pour une atteinte à sa souveraineté, ce que la Libye du colonel Kadhafi qualifiera « d’agression sauvage ».
« Jauger aujourd’hui des degrés de ‘connivence’ n’a de sens que pour l’histoire ou pour ceux qui désirent faire le procès du chef de l’État ougandais dans l’espoir d’épargner une condamnation d’Israël, écrira l’ambassadeur Renard alors que le débat fait rage à l’ONU. La question me paraît plutôt de savoir quel usage, bon ou mauvais, il a fait de ses responsabilités et à quel prix final, à partir d’une situation donnée. La réponse ne me paraît pas douteuse. »
Si les diplomates s’entendent sur la résolution des ravisseurs, et tout particulièrement des Allemands qui menacent de faire exploser l’aéroport, les documents ne permettent pas de se faire une idée précise sur l’importance de leur arsenal.
Les pirates « disposent d’armes et d’explosifs […] dans la salle d’attente de l’ancienne aérogare », indique un message non signé de l’ambassade de France à Kampala daté du 28 juin 1976.
A l’issue du raid d’Entebbe, un haut fonctionnaire du ministère israélien de la Défense dira, toutefois, à l’ambassadeur de France à Tel-Aviv, Jean Herly, que « les terroristes n’avaient pas d’explosifs ».
Gratitude du président Valéry Giscard d’Estaing
Son point de vue emporte l’adhésion à Paris. Après le raid d’Entebbe, le président français, Valéry Giscard d’Estaing écrira à son homologue ougandais pour le remercier de son rôle dans la négociation et sa décision, malgré l’humiliation subie, de rendre à la France son Airbus.
« Au moment où vous venez de remettre à la compagnie Air France l’avion Airbus que de douloureux événements avaient immobilisé à Kampala, je tiens à vous exprimer ma gratitude pour l’action que vous avez menée », lui écrit le président français dans une lettre datée du 23 juillet 1976.
Ce dernier lui avait envoyé, le 28 juin 1976, une missive lui disant toute son estime :
« Je sais la part très active que vous prenez vous-mêmes aux négociations en vue de mettre un terme au détournement de l’avion d’Air France immobilisé à l’aéroport d’Entebbe. Je tiens à vous en exprimer mes remerciements personnels et à vous assurer de ma pleine confiance pour obtenir la libération de toutes les personnes, passagers et équipages, victimes de cet attentat dont le caractère odieux suscite la réprobation et appelle la fermeté.»
La France, cependant, ne soutiendra pas le point de vue de l’Ouganda au Conseil de Sécurité. S’il y a eu violation de sa souveraineté, cela n’a pas été pour porter atteinte à l’intégrité territoriale mais « uniquement pour sauver des vies humaines en danger », estimera Paris.
Le raid d’Entebbe laissera, malgré tout, un parfum d’amertume entre Paris et Tel-Aviv qui a mis le Royaume-Uni au parfum. L’ambassadeur britannique à Kampala se trouvait même à l’aéroport pendant l’opération.
Dans cette histoire, l’ambassadeur français à Tel-Aviv reproche peut-être surtout à Israël d’avoir fait cavalier seul :
« Je n’arriverai pas à fléchir la volonté fermement ancrée d’ignorer délibérément que nos compatriotes représentaient presque le tiers des otages car, bien entendu, il n’est jamais question des doubles-nationaux, remarque l’ambassadeur Herly. Tous sont des Israéliens à part entière. »
Il souligne que, dans ces conditions, il n’ira pas aux obsèques du lieutenant-colonel Netanyahu : « Je n’y suis d’ailleurs pas invité. »
Michel Arseneault sur https://www.rfi.fr/
Dossier réalisé à partir de plusieurs sources citées.
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