L’exclusion des Juifs des pays arabes aux sources du conflit – 14 et fin
La confrontation des deux revendications
L’éclairage des mœurs internationales sur les échanges de populations
par Raphaël Israéli
Traduction de l’anglais par Pierre Lurçat
Les mouvements de population sont une constante de l’histoire humaine, et jusqu’à l’instauration récente de quotas d’immigration dans les pays d’accueil et la fermeture des frontières des pays d’émigration totalitaires, des vagues humaines n’ont jamais cessé d’affluer sur les rives de tous les continents habités, modifiant leurs caractéristiques culturelles, politiques, économiques, démographiques et sociales.
(La création de deux Etats souverains distincts, l’Union Indienne d’une part et le Pakistan d’autre part, entraine de 1947 à 1950, les migrations de quinze à vingt millions de personnes. Des réfugiés musulmans essayaient par tous les moyens de rejoindre le Pakistan lors de l’exode en 1947)
Au cours des dernières décennies également, des migrations de population importantes se sont produites pendant ou après les guerres, qui ont été dans de nombreux cas intégrées aux arrangements conclus après la guerre.
Dans la plupart des cas cependant, les pays d’émigration acceptaient, avec empressement parfois, de laisser partir les migrants, tandis que les pays d’immigration acceptaient également de les intégrer, parfois à contrecœur.
Cette période passée, il est progressivement devenu « immoral » de déplacer ou d’échanger des populations, sauf de manière individuelle et avec l’accord des migrants et des pays de départ et d’accueil.
Ces nouvelles normes sont vraisemblablement le résultat de la stabilisation des frontières et des rivalités nationales pour de petits territoires qui ont fait suite à la Seconde Guerre mondiale, de sorte que toute tentative de modification des frontières suscite immédiatement le courroux international.
Transfert de population : les précédents
Le facteur sous-jacent à toutes les migrations de population, qu’elles soient forcées ou volontaires, est l’aspiration humaine à l’homogénéité linguistique, religieuse, ethnique ou culturelle ; le désir de se rapprocher de ses semblables et de s’associer à eux, de s’attacher à la terre ancestrale et de souscrire à certaines croyances ou valeurs, à des systèmes de pensée et à une culture politique.
En d’autres termes, les hommes recherchent un sentiment d’appartenance, ils veulent faire partie de la tendance dominante, partager la culture et le régime politique de la majorité, se percevoir comme un élément d’un système sociopolitique plus vaste.
Lorsqu’ils sont en minorité, ils éprouvent à divers degrés un sentiment de séparation, d’aliénation, de rejet et même d’hostilité de la part de leur environnement et à son égard. Lorsque ce sentiment devient intolérable, les hommes choisissent de migrer volontairement, pour rejoindre un groupe plus familier avec lequel ils peuvent s’identifier plus facilement.
Il peut aussi arriver que l’écart entre la majorité et la minorité devienne trop important, notamment en cas de conflit national, et que la majorité prenne des mesures pour éloigner les « étrangers » de son sein, au point de les « transférer » ailleurs. C’est d’autant plus vrai lorsque la minorité (nationale, ethnique, religieuse, culturelle ou linguistique) est suffisamment importante pour constituer un danger imminent pour l’hégémonie de la majorité et de son système de valeurs spécifique.
Dans ce cas, la minorité risque de devenir suffisamment sûre d’elle-même pour revendiquer l’égalité et la parité, au point de faire sécession ; et la majorité peut se sentir menacée par la virulence de la minorité au point de décider de se séparer d’elle ou de la contraindre à partir.
Ce processus est plus rapide et plus accentué dans les sociétés ouvertes et démocratiques, où la minorité peut donner libre cours à ses revendications, et où la majorité peut évaluer le niveau et l’intensité de la menace pour son hégémonie.
Le processus s’accélère parfois lorsque les revendications de la minorité sont satisfaites et que de nouvelles revendications sont présentées, avec une insistance accrue, en invoquant les règles du jeu démocratique. La société d’accueil est alors partagée entre ceux qui cèdent constamment aux revendications de la minorité, au nom de la démocratie, de l’humanisme, de la largesse de vue, des droits civiques et du pragmatisme, et ceux qui préfèrent durcir leur attitude en renforçant les moyens de coercition, en exigeant l’accomplissement des obligations nationales et l’identification rituelle à l’État comme conditions préalables à l’égalité des droits, en invoquant l’ordre public et en préconisant un contrôle accru de la minorité rebelle.
Dans les sociétés prédémocratiques et non démocratiques, les choses étaient beaucoup plus simples, et les dilemmes moins nombreux.
Les minorités fuyaient le danger et cherchaient refuge parmi leurs proches. Lorsque la majorité au pouvoir se sentait menacée, elle ordonnait simplement aux fauteurs de troubles de faire leurs bagages et de partir. Parfois, on appelait cela « échange de populations », parfois « exode », « transfert », « migration », « réunion » ou « mouvement de réfugiés ».
Les Balkans
Les Balkans pendant la Première Guerre mondiale sont un cas d’école : les Grecs, les Turcs et les Bulgares erraient à travers la péninsule, une minorité entraînant une autre dans une réaction en chaîne.
Lorsque la Bulgarie fut vaincue, aux côtés des puissances centrales, les réfugiés bulgares affluèrent de Thrace et de Macédoine vers la Bulgarie, craignant la domination grecque et le nouvel État de Yougoslavie. D’autres les rejoignirent, venant de Turquie, de Roumanie et de Russie.
Au total, ce furent près de 200 000 réfugiés qui affluèrent en Bulgarie, tandis que des membres des minorités grecques et slaves en nombre plus réduit quittaient la Bulgarie pour se réfugier dans les États voisins.
En vertu du traité de Neuilly (novembre 1919), la Bulgarie fut contrainte d’accepter un « échange volontaire de minorités », en application duquel les Bulgares devaient quitter le territoire annexé par la Grèce dans le cadre des modifications territoriales de l’après-guerre.
Une commission gréco-bulgare fut constituée pour effectuer l’« échange » et indemniser les émigrés pour les biens qu’ils avaient abandonnés. L’accord fut appliqué à l’ensemble des réfugiés grecs et bulgares ayant été déplacés entre les deux pays depuis 1900.
L’« échange de populations » gréco-turc concerna un plus grand nombre de personnes et fut plus controversé et amer.
En vertu de la convention de Lausanne, la Grèce renonça à toutes ses revendications territoriales envers la Turquie, mais un échange de populations fut accepté qui excluait les Grecs d’Istanbul et les Turcs de Thrace.
Cet « échange », en y ajoutant les nombreux réfugiés qui se déplacèrent dans un sens et dans l’autre pendant ces années (1923-1933), concernait environ 1,3 million de Grecs et 400 000 Turcs. Lorsque l’échange fut achevé, les relations entre les deux pays s’améliorèrent et ils signèrent un traité d’amitié en 1930. Tous deux signèrent ensuite les accords des Balkans de 1934 et 1954, et devinrent membres de l’Otan en 1951-1952.
Chypre
Le problème de Chypre empoisonna à nouveau leurs relations. A la fin des années 1950, alors que le terrorisme grec se développait et que les Anglais s’apprêtaient à quitter l’île, les Turcs exprimèrent leur opposition tant à l’Enosis (union de l’île avec la Grèce) qu’à la domination du nouveau pays par la majorité grecque.
Il s’agissait à nouveau d’un problème de population : la minorité turque, vivant dans la partie septentrionale de l’île, s’opposait à toute domination grecque.
Les Turcs exprimèrent leur opposition en termes stratégiques, en affirmant leur crainte que l’île ne soit conquise par les communistes.
Les accords de Zurich et de Londres en 1959-1960 accordèrent finalement l’indépendance à l’île, en vertu d’une constitution qui devait protéger les droits nationaux des Turcs. Cela permit à nouveau une amélioration notable des relations entre la Turquie et la Grèce.
En 1963, des émeutes éclatèrent entre Grecs et Turcs après que le président Makarios eut fait part de son intention de modifier la constitution. Une confrontation directe entre la Turquie et la Grèce fut évitée grâce à l’envoi sur l’île d’une force de maintien de la paix des Nations unies, mais les parties ne parvinrent pas à se mettre d’accord sur un règlement définitif.
En 1974, les Turcs débarquèrent un corps expéditionnaire important dans la partie septentrionale de l’île, entraînant sa division de facto entre les Turcs au nord et les Grecs au sud – ce qui provoqua de nouveaux flux de réfugiés dans les deux sens.
Ce fut une leçon pour l’avenir : lorsque les problèmes nationaux ne sont pas résolus au niveau national, mais considérés comme des problèmes « communautaires », de « réfugiés » ou d’« échange de populations », les blessures demeurent ouvertes.
Le transfert des Juifs
Un précédent encore plus intéressant de transfert massif de populations est celui des réfugiés juifs d’Europe en Palestine entre les deux guerres mondiales.
Indépendamment de l’idéal sioniste d’installer les Juifs en Palestine pour encourager et exprimer le renouveau du nationalisme juif, de nombreux penseurs et dirigeants européens considéraient le déplacement des Juifs au Moyen-Orient comme impératif du point de vue européen.
Des projets furent d’ailleurs élaborés à cette époque pour envoyer les excédents de population des pays surpeuplés d’Europe dans de nouveaux villages agricoles de pays moins peuplés, sous l’égide de la Société des Nations.
Il est vrai que, lors des pogromes antijuifs, notamment celui de Kishinev en 1903, les sionistes évoquèrent la recherche d’un abri provisoire pour les réfugiés, ce qui impliquait que les Juifs pouvaient trouver refuge dans n’importe quel endroit où leur sécurité serait assurée.
C’est dans ce contexte que fut conçu le projet de l’Ouganda, visant à installer des Juifs européens en Afrique orientale. Cependant, le sionisme demeura en fin de compte fidèle à l’idée d’une patrie juive en Palestine.
À la fin de la Première Guerre mondiale, seuls 55 000 Juifs étaient installés en Palestine, et tous n’étaient pas sionistes.
C’est seulement après la Déclaration Balfour de 1917 et la conférence de paix de Paris en 1919 que les sionistes se mirent à demander avec insistance une patrie juive en Palestine sous mandat britannique ; la Société des Nations ayant officiellement reconnu les liens historiques entre le peuple juif et la Palestine et chargé les Anglais de faciliter l’établissement d’un foyer national juif.
De fait, malgré les conditions de vie difficiles en Palestine dans les années 1920, quelque 37 000 Juifs affluèrent dans le pays pendant les années 1919-1923, un grand nombre fuyant la guerre civile, les pogromes, la révolution et les bouleversements en Europe orientale.
Toutefois, près de la moitié des nouveaux arrivants retournèrent en Europe dès que les troubles parurent se calmer (et alors que les émeutes se développaient en Palestine).
Dès le début du pouvoir mandataire, l’immigration juive en Palestine fut soumise aux intérêts politiques de la puissance dominante.
En réaction aux violentes manifestations arabes de 1921, les Anglais limitèrent l’immigration juive à la « capacité d’absorption » du pays.
L’Organisation sioniste était responsable du choix des personnes qui immigreraient en vertu des quotas fixés par les Anglais. En dépit de ces limitations, toutefois, la Palestine demeura un refuge pour les Juifs européens dans les années 1920 et au-delà.
À la fin des années 1920, l’importante population juive de Pologne fut victime d’agressions aux motifs à la fois nationalistes et économiques. Les Juifs polonais auraient sans doute immigré en Amérique, comme beaucoup l’avaient fait avant eux, si les portes du Nouveau Monde ne s’étaient pas refermées.
Plus de 32 000 Juifs polonais fuyant les persécutions et le harcèlement gagnèrent la Terre Sainte, portant la population juive de Palestine, le Yichouv, à environ 154 000 personnes à la fin de la décennie.
Ces réfugiés furent accueillis avec des sentiments mitigés : les sionistes encourageaient l’immigration juive, mais il n’étaient pas enthousiasmés par l’« embourgeoisement » de l’esprit pionnier du jeune pays.
Aussi, bien que le pays fût pratiquement le seul refuge ouvert aux réfugiés juifs, les sionistes étaient quelque peu embarrassés par cette nouvelle vague d’immigration, étant apparemment plus intéressés par la qualité que par la quantité des nouveaux arrivants.
D’autres Juifs furent réinstallés en Crimée et en Ukraine, après leur déplacement au cours des bouleversements de la révolution russe.
Dans les années 1920, environ 100 000 Juifs habitaient dans les nouvelles colonies agricoles – 112 en Ukraine et 105 en Crimée – dans le cadre du projet désigné sous le nom d’American Jewish Joint Agricultural Corporation, financé par les Juifs américains et mené à bien en étroite collaboration avec le nouvel État soviétique.
Le régime nazi en Allemagne entraîna des mouvements massifs de réfugiés juifs.
Au cours des années 1933-1938 environ 150 000 Juifs allemands fuirent la terreur nazie. La plupart d’entre eux se rendirent en France et dans d’autres pays européens. L’exode des Juifs s’accrut considérablement après septembre 1935, quand les lois de Nuremberg privèrent les Juifs de la nationalité allemande et de leurs droits politiques et économiques.
Parmi les 100 000 réfugiés Juifs allemands qui émigrèrent à cette époque, 43 000 gagnèrent la Palestine. Mais ces chiffres sont bien faibles par rapport aux millions de réfugiés jetés sur les routes de l’Europe après l’invasion de la Pologne par Hitler en septembre 1939, et aux personnes prises de panique qui se mirent à fuir les villes soumises aux bombardements impitoyables de la Luftwaffe allemande.
Beaucoup partirent vers le sud, en Hongrie et en Roumanie ; d’autres vers la France ; d’autres encore rejoignirent la Palestine en passant par l’Iran, l’Angleterre et la France.
Quelque 300 000 Juifs, 10 % du judaïsme polonais, fuirent la Pologne occidentale lorsqu’elle tomba sous domination allemande, en direction des territoires occupés par les Russes à l’est, avant que les frontières de la Pologne coupée en deux ne fussent hermétiquement fermées.
Pologne et Lettonie
Au cours de l’hiver 1939-1940, les Soviétiques entamèrent un transfert massif d’une partie de la population polonaise se trouvant sous leur contrôle vers l’arrière-pays russe, afin de les isoler de leur pays natal et soi-disant pour diminuer leur hostilité envers l’État soviétique.
De nombreuses familles polonaises furent déchirées et des centaines de milliers de personnes furent exilées dans des agglomérations et des camps isolés, en Sibérie et ailleurs.
Près de 30 000 Polonais étaient acheminés chaque jour vers l’est, effectuant un voyage de 9 650 kilomètres dans des conditions inhumaines.
En 1941, le gouvernement polonais en exil affirma que près de 1,8 million de Polonais avaient été déportés en Union Soviétique.
Un déracinement de population encore plus massif s’ensuivit lorsque les Russes décidèrent d’envahir l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie pour les annexer.
En 1940-1941, près de 35 000 Lettons disparurent sans laisser de traces et des dizaines de milliers d’autres rejoignirent les Polonais exilés au fin fond de l’Union soviétique.
Le destin des Juifs d’Europe orientale fut similaire, ou pire. Beaucoup d’entre eux furent transformés en réfugiés par les Soviétiques, après avoir été chassés vers l’est par l’invasion nazie en 1939.
Au total, environ 2 millions de Juifs, certains réfugiés de Pologne, d’autres habitant la Pologne sous domination soviétique, d’autres encore vivant dans les États baltes, se trouvèrent sous domination soviétique. Ceux qui fuyaient les territoires occupés par les nazis furent particulièrement harcelés et persécutés par le KGB, accusés du « crime » d’entretenir des relations avec leurs familles restées dans l’Europe sous occupation nazie.
En conséquence, les Juifs réfugiés en Union soviétique furent déportés plus à l’est ; au total, le nombre de Juifs polonais qui émigrèrent en Russie fut évalué à 400 000.
D’autres Juifs, en nombre beaucoup plus restreint, se dirigèrent vers l’ouest, dans les territoires sous occupation allemande, ignorant les horreurs nazies et fuyant le communisme ou voulant renouer les liens avec leurs familles en Pologne.
La confusion était telle, le choc consécutif à la guerre et aux privations si profond et l’ignorance des conditions sur le terrain si totale, que des trains transportant des réfugiés juifs se croisaient, les uns se dirigeant vers les territoires occupés par les Allemands, les autres vers les régions occupées par les Russes.
La Finlande
Il y eut également des réfugiés du territoire finlandais sous occupation soviétique, où plus de 400 000 personnes furent déplacées de leur domicile, faisant ainsi de 10 % de la population finlandaise des réfugiés dans leur propre pays.
Par surcroît, les Russes incarcérèrent les Finlandais vivant dans les territoires russes et les envoyèrent dans des camps au-delà du cercle polaire arctique.
Les réfugiés finlandais entreprirent de retourner dans leur pays en 1941, lorsque la Finlande profita de l’invasion de l’Union soviétique par les Allemands pour réclamer son territoire envahi. En 1944, ils devinrent à nouveau réfugiés, quand les Russes inversèrent la tendance de la guerre en réoccupant l’isthme de Carélie et la région du lac Ladoga.
L’Europe centrale
Dans l’Europe de l’après-guerre, la redistribution des groupes ethniques affecta quelque 18 millions de personnes et entraîna le déplacement de minorités allemandes totalisant près de 12 millions de personnes en Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie, Roumanie et Yougoslavie.
Tous furent réinstallés en Allemagne. Les Sudètes en Tchécoslovaquie et les territoires à l’ouest de la Pologne, qui avaient été peuplés d’Allemands, furent repeuplés par des Tchèques, des Slovaques et des Polonais.
D’autres transferts de population eurent lieu entre l’Union soviétique, la Pologne et la Tchécoslovaquie, dans le cadre d’accords fondés sur des « compromis territoriaux ».
En conséquence, quelque 2,5 millions de personnes furent transférées, réunissant ainsi les minorités ukrainienne, russe blanche et lituanienne dans leurs républiques soviétiques d’origine où leurs peuples étaient principalement concentrés.
La Pologne devint presque entièrement habitée par des Polonais, ce qui accrut son homogénéité et sa stabilité. Il faut ajouter à cela le transfert forcé de 154 000 Turcs de la Bulgarie européenne, slave et chrétienne vers la Turquie musulmane et asiatique.
L’Asie
En Asie également, on a assisté à des transferts internationaux de populations et à des migrations internes.
C’est ainsi qu’en 1931, un septième de la population de Malaisie occidentale était constituée d’Indiens, venus de Madras et parlant le tamil. La plupart avaient été importés pour répondre à la demande locale de main-d’œuvre, et ils s’étaient installés avec leurs familles.
Des Chinois émigrèrent également vers la péninsule malaise au sud, où ils constituent aujourd’hui 33 % de la population.
Dans le cas de l’Asie toutefois, le processus fut inverse de celui des migrations européennes : alors que l’Europe réalisait des transferts pour résoudre les problèmes de minorités ethniques et apporter plus d’homogénéité et de stabilité aux États, l’Asie créa des problèmes en perturbant l’uniformité ethnique et religieuse locale par des apports massifs de migrants étrangers.
De fait, ces pays ont connu de plus en plus de turbulences depuis que leur équilibre social et démographique a été perturbé par les populations migrantes.
En 1940, quelque 15 millions de Chinois avaient émigré vers d’autres pays asiatiques ou vers des pays occidentaux.
Des minorités chinoises importantes existent dans presque tous les pays de l’Asie du Sud-Est, et dans de nombreux cas leur présence, et les jalousies qu’ils suscitent au sein des populations locales « autochtones », ont engendré des troubles, des massacres, des actes discriminatoires et du sectarisme.
Au cours des années 1941-1944, huit minorités nationales furent déportées en Sibérie et en Asie centrale par l’Union soviétique, alors qu’elles vivaient souvent sur leur territoire national depuis plusieurs siècles.
Au total, ce sont au moins 1,5 million de personnes qui furent concernées par ces transferts, justifiés par des motifs de trahison – réelle ou potentielle – en temps de guerre.
Aujourd’hui, profitant d’une politique un peu plus libérale, certains réclament l’autorisation de rentrer dans leur patrie, comme les Tatars de Crimée.
Le débat théorique sur les transferts de population
Joseph Schechtman, autorité incontestée en matière de réfugiés, est favorable au transfert des groupes ethniques pour résoudre les problèmes de nationalité qui se sont avérés insolubles de toute autre manière, si injustifiables qu’aient été certains des cas abordés dans son étude.
Il souligne également que certaines des épreuves et des souffrances accompagnant le transfert pourraient être allégées par des accords et par une organisation, comme cela a été fait dans le cadre de la conférence de Potsdam.
Dans le contexte de cette expérience de grande envergure en Europe, Schechtman semble faire preuve d’indulgence à l’égard des déplacements forcés de populations minoritaires, lorsqu’ils sont motivés par la nécessité d’écarter un danger pour la stabilité de l’État et une incitation aux aspirations irrédentistes de la part des pays voisins.
Les expulsions sont toutefois injustifiables, lorsqu’elles sont motivées par un profond ressentiment envers le rôle joué par des minorités pendant la guerre. Si compréhensible que puisse être ce sentiment d’amertume – et il l’est beaucoup plus que le désir de « punir » les coupables – il ne saurait justifier selon Schechtman une mesure aussi radicale que l’expulsion massive de minorités entières.
La notion de culpabilité et son corollaire, le châtiment, sont à ses yeux des catégories essentiellement individuelles, et donc inapplicables à des collectivités.
Il soutient que la culpabilité doit être établie à l’égard de chacune des personnes concernées, car même si la majorité d’un groupe ethnique est coupable d’un délit spécifique, le groupe dans sa totalité ne saurait être tenu pour légalement ou moralement responsable du délit commis par ses membres.
Ainsi, l’idée sous-jacente au transfert forcé de groupes de population entiers n’a rien à voir avec la culpabilité ou la punition, ni même avec la justice ; il s’agit par essence d’une mesure préventive et non d’une mesure de représailles.
Lorsque des fractions importantes d’une minorité ethnique au sein d’un État refusent avec insistance leur allégeance à cet État, créent régulièrement des frictions et des conflits, négligent leurs devoirs civiques élémentaires, font allégeance à leur État national étranger, nourrissent des tendances irrédentistes et mettent ainsi en danger l’intégrité de l’État, et lorsque toutes les tentatives pour concilier cette minorité et l’intégrer au sein d’une structure étatique commune échouent, alors – et seulement alors – le recours au transfert de population est possible.
Schechtman affirme encore que, l’existence d’une telle minorité au sein de l’État concerné représentant un danger permanent, seule l’élimination de cette source dans sa totalité – c’est-à-dire le déplacement du groupe ethnique tout entier – peut faire disparaître cette menace.
La suppression ou l’expulsion d’un nombre, même très important, de personnes directement coupables d’activités nationalistes anti-étatiques ne peuvent répondre à cet objectif, car elles ne suppriment pas la racine du problème : la présence d’une entité ethnique dont les opinions et les objectifs se sont avérés incompatibles avec la survie ou la sécurité de l’État, auquel ses membres appartiennent à contrecœur.
À moins de détacher le territoire sur lequel vit la minorité de l’État en question, il semble n’y avoir d’autre alternative que le transfert massif de la population déloyale en direction de l’État auquel elle fait allégeance.
Il s’agit d’une mesure prophylactique et non pas punitive : d’une question d’intérêt supérieur de l’État et non de châtiment. Schechtman exprime un profond respect pour l’esprit indomptable d’un groupe minoritaire refusant de vivre sous l’autorité étatique d’un autre peuple et luttant pour être réuni à un État voisin, car de telles tendances irrédentistes n’ont rien de répréhensible.
Toutefois, lorsque celles-ci deviennent un danger manifeste, qui ne peut être écarté par un autre moyen, la mesure préventive et éthiquement neutre du transfert doit être employée.
Dans certains cas de transferts de population, les principes énoncés ci-dessus ne furent pas respectés, comme dans le cas du transfert forcé des minorités allemandes de Yougoslavie et de Hongrie.
Il ne s’agissait pas de minorités faisant face à un État allemand au-delà de la frontière et aspirant à lui être réunies, et il n’existait aucun danger irrédentiste, ni aucune menace tangible pour l’intégrité du territoire national. Ces minorités constituaient toutefois une source de frictions et agissaient parfois comme une cinquième colonne. Néanmoins, comme elles ne représentaient aucune menace immédiate pour la sécurité de la Hongrie et de la Yougoslavie, ni pour la paix de leurs régimes, Schechtman considéra que le transfert était une mesure trop sévère. Le déplacement de ces groupes, ainsi que celui des Allemands de Roumanie, était dénué du caractère préventif décisif pour justifier tout projet de transfert.
Au lieu de cela, ces exemples exprimèrent la vengeance contre les Allemands et causèrent des épreuves et des souffrances inutiles. Les cas des Allemands de Pologne et de Tchécoslovaquie avaient par contre une justification inattaquable.
Les transferts de populations en Europe ont été de deux sortes : échange bilatéral de populations (Polonais-Soviétiques, Soviétiques-Tchécoslovaques, Hongrois-Tchèques), ou déplacement unilatéral (Allemands de Tchécoslovaquie, Pologne, Roumanie, Yougoslavie et Hongrie). Le cas polonais incluait le transfert des Allemands des « territoires récupérés ».
Les échanges de populations bilatéraux incluaient tous les trois des traités entre États et prévoyaient le droit de choisir pour les populations concernées. Les transferts unilatéraux concernant les Allemands étaient quant à eux obligatoires et découlaient d’une décision arbitraire des gouvernements des territoires à partir desquels ils furent effectués. Toutefois, les transferts forcés depuis les Sudètes tchèques, les territoires récupérés par la Pologne et la Hongrie furent entérinés par les trois grandes puissances à Potsdam.
L’arrangement concernant les Sudètes et les territoires récupérés par les Tchèques et les Polonais fut volontaire. De manière générale, le transfert forcé est considéré par les juristes comme incompatible avec le concept démocratique des droits de l’homme. En effet, la perte de sa terre, de sa maison, de ses biens et de ses racines et la réinstallation dans un nouveau pays constituent une tragédie individuelle dans la plupart des cas.
Schechtman affirme en termes non équivoques que la clause d’option conventionnelle, lorsqu’elle est adoptée, constitue une menace pour l’efficacité de toute opération de transfert. Même si les membres du groupe minoritaire souffrent dans leur situation présente, ils seront vraisemblablement si peu enclins à subir le traumatisme de la réinstallation, qu’ils choisiront de rester de manière explicite, ou implicitement en éludant la décision de partir.
Le cas s’est déjà produit qu’une petite minorité seulement des candidats à la « réinstallation » manifeste activement sa volonté de partir. Lorsqu’on laisse prévaloir l’inertie, l’existence de la minorité dans les régions disputées se perpétue et l’objectif du transfert n’est pas atteint. Ainsi, lorsque la décision du transfert est laissée entre les mains de la population, qui doit se prononcer officiellement en faveur du transfert avant sa réalisation, il risque de ne pas se produire, les personnes concernées ayant tendance à se cramponner au statu quo, si insatisfaisant qu’il soit.
Dans l’ensemble, constate Schechtman, les traités relatifs au transfert en temps de guerre qui incluaient une possibilité de choix se sont soldés par un échec ou bien ils ont perdu en fait leur caractère volontaire.
Les thèses favorables au transfert de population étaient très répandues en Europe au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Pour certains de leurs promoteurs, il incombait à la Société des Nations de remédier au chaos entraîné par le mélange des populations, et de conduire au bonheur de tous par la redistribution des populations.
Dans les années qui précédèrent immédiatement la Seconde Guerre mondiale, de nombreux hommes d’État, écrivains et savants aboutirent à la conclusion que la séparation ethnique des minorités était la seule solution pour échapper au dédale des territoires et des minorités en Europe.
D’autres rejetèrent catégoriquement cette idée, pour des motifs moraux, pratiques ou politiques. Certains estimaient que le principe du transfert était contraire aux valeurs démocratiques, d’autres exécraient la perturbation humaine qu’il engendrait.
D’autres encore se raccrochaient aux idées utopistes de « fraternité humaine », de « compréhension entre les peuples » et « d’amour universel ».
Les moralistes prétendaient que les transferts soumettaient les droits individuels aux droits de la collectivité, réduisant ainsi les personnes à de simples atomes du groupe ethnique auquel elles appartenaient. Les démocrates craignaient que le transfert, même le plus humain, ne soit incompatible avec les droits des individus au sein des démocraties établies.
Certains opposants au transfert n’hésitaient pas à le qualifier de « criminel », même s’il permettait de résoudre les problèmes complexes liés au mélange des groupes ethniques, religieux et des autres minorités, car il imposait des épreuves à ceux qui devaient subir ce processus douloureux.
D’autres redoutaient que les énormes injustices et les épreuves personnelles occasionnées par le transfert n’aboutissent à la création d’États uninationaux, lesquels développeraient à leur tour un nationalisme exclusif, voire chauvin.
Les États multiethniques, par contre, encourageaient la coopération, la collaboration, le vivre-ensemble, le partage, la compréhension et la tolérance, et ils étaient enrichis dans leurs caractères sociaux, intellectuels et psychologiques.
Les réfugiés du Moyen-Orient
En dehors des avantages et inconvénients du transfert de population, et indépendamment des projets et rêves sionistes de voir un État juif homogène émerger en Palestine, une réalité est apparue au Moyen-Orient :
De nombreux réfugiés se sont déplacés dans un sens et dans l’autre, ajoutant une dimension humaine douloureuse au conflit israélo-arabe déjà complexe.
Après la création de l’État d’Israël en 1948, des centaines de milliers de Palestiniens ont cherché refuge dans les pays voisins ; d’autres ont été déplacés lors de la guerre de 1967. Ils sont devenus la plus importante population de réfugiés encore existante, et ont été aidés par l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for the Near East).
La plupart d’entre eux vivent aujourd’hui en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Cisjordanie et à Gaza. D’autres sont partis dans des pays plus lointains du golfe Persique, aux États-Unis et en Amérique du Sud. L’UNRWA est chargée de pourvoir à l’éducation, à la santé et aux services sociaux des réfugiés palestiniens, mais son aide s’adresse principalement aux enfants d’âge scolaire, aux personnes âgées, aux handicapés et autres personnes dépendantes.
La plupart des Palestiniens sont cependant devenus indépendants économiquement, et ils ne dépendent de l’UNRWA que pour obtenir les services que leurs pays d’accueil ne fournissent pas.
Lorsque l’UNRWA a commencé son activité en 1950, la majorité des réfugiés qui avaient quitté la Palestine lors de la création de l’État d’Israël habitaient sur la rive occidentale, laquelle avait été rattachée à la Jordanie.
En 1967, quand Israël occupa la rive occidentale et Gaza, une nouvelle vague de réfugiés afflua en Jordanie, portant leur nombre en Palestine orientale à près de 650 000.
En 1987, le chiffre officiel publié par l’UNRWA était de 800 000 réfugiés en Jordanie, parmi lesquels un tiers vivaient encore dans des camps, les autres ayant été intégrés à la société jordano-palestinienne.
Ces derniers Palestiniens, constituant plus de la moitié de la population de la Jordanie, ont reçu la nationalité jordanienne et ont largement contribué à la vie économique, politique et intellectuelle du pays. Toutefois, malgré leur identification avec leur pays d’accueil, ils considèrent toujours la situation comme non résolue, en attendant un règlement du conflit israélo-arabe.
En Cisjordanie, sous domination israélienne depuis 1967, quelque 350 000 réfugiés bénéficient encore des services de l’UNRWA ; ils représentent près du tiers de la population totale de cette région. Mais moins de 100 000 vivent encore dans des camps, les autres s’étant fondus dans la population palestinienne locale.
Plus de 400 000 réfugiés vivent toujours dans la bande de Gaza, dont 250 000 dans des camps, dans des conditions plutôt sordides ; mais ceux qui ont quitté la condition de réfugiés ne sont guère mieux lotis, en raison de la densité de population à Gaza et des conditions économiques lamentables.
Les quelque 250 000 réfugiés palestiniens vivant en Syrie sont principalement concentrés dans les environs de Damas. Ils incluent les personnes dépossédées par les guerres de 1948 et 1967, mais aussi les réfugiés de la guerre de 1973, et ceux qui ont été déplacés lors de l’incursion israélienne au Liban en 1982.
La Syrie, plus que les autres pays, insiste sur le caractère provisoire de la présence palestinienne dans leur pays, et refuse en conséquence de prendre toute mesure qui pourrait être interprétée comme donnant un caractère définitif à leur installation.
Le Liban, déchiré depuis 1975 par une guerre civile dans laquelle les Palestiniens ont pris parti, ne constitue guère un abri pour eux.
La désagrégation de l’État et les combats incessants entre les différentes milices dans la région de Beyrouth ont chassé les 270 000 réfugiés palestiniens vers les villes du Sud-Liban, ou vers Tripoli au nord, où ils doivent subvenir à leurs propres besoins.
La désorganisation des services a contraint l’UNRWA à fournir des soins médicaux et des vivres à de nombreux réfugiés palestiniens dans le besoin au Liban.
Il y a eu une tentative israélienne de « transfert » interne limité des réfugiés palestiniens de Gaza vers les collines inhabitées de la rive occidentale en 1971.
Durant l’été de cette année, le grand projet du ministre de la Défense, Moshe Dayan, fut appliqué, quand les premiers réfugiés arrivèrent avec leurs familles pour s’installer dans des camps militaires abandonnés, au nord de Ramallah en Judée et dans les monts de Jénine, en Samarie. Deux agglomérations devaient être construites sur ces sites, avec une infrastructure permettant d’accueillir 200 000 réfugiés. L’idée était de transférer la majorité des réfugiés de Gaza vers la rive occidentale, pour maintenir la population de la bande de Gaza au niveau de 250 000 personnes.
Les nouveaux arrivants éprouvèrent des difficultés à s’adapter à leur nouvel environnement, notamment en raison de l’accueil que leur réserva la population locale, qui les regardait avec suspicion et une certaine hostilité.
En fin de compte, la plupart des familles retournèrent à la misère et au surpeuplement de Gaza, donnant ainsi le coup de grâce au projet de « transfert humanitaire » qui partait pourtant de bonnes intentions.
Le 1er août 1982, le gouvernement israélien créa une commission ministérielle pour résoudre la question des réfugiés au Moyen-Orient, chargée d’établir des principes, des méthodes et des moyens en vue d’une solution de réinstallation.
La commission était dirigée par Mordechai Ben Porat et comprenait plusieurs ministres importants. Elle devait agir à deux niveaux : d’abord, en demandant aux États arabes d’accepter et d’intégrer les réfugiés vivant sur leur sol, parallèlement à l’intégration par Israël des réfugiés juifs des pays arabes ; deuxièmement, en répondant aux problèmes socio-économiques des réfugiés dans les Territoires, afin de les réinsérer dans leur lieu actuel de résidence ou à proximité.
Ces projets se heurtèrent au rejet arabe, car la politique arabe avait consisté à perpétuer le problème des réfugiés en les maintenant dans leur condition.
De leur point de vue, les camps étaient le symbole des réfugiés et le lieu où s’enracinait leur problème. Démanteler les camps, selon l’opinion arabe, compromettrait la perpétuation de ce problème.
C’est pourquoi les Palestiniens ont donné naissance au problème de réfugiés le plus ancien et le plus douloureux depuis la Première Guerre mondiale. Ses implications ont dépassé depuis longtemps l’aspect humanitaire de la réinstallation socio-économique, pour en faire un enjeu politique du conflit israélo-arabe. Le statut prolongé de réfugiés des Palestiniens et l’absence d’espoir de solution ont eu des conséquences psychologiques d’une grande portée pour ce peuple.
Israël est également un pays de réfugiés. Il n’a pas seulement intégré les victimes de l’Holocauste fuyant l’enfer nazi, mais a aussi été un refuge pour les Juifs persécutés du monde entier, depuis sa création et même auparavant.
Si nous admettons que les réfugiés ne sont pas seulement les personnes déplacées par les guerres (comme les Palestiniens en Israël ou les Juifs en Europe), mais aussi les victimes de persécutions et de discriminations religieuses, ethniques, communautaires, politiques ou autres, alors nous devons inclure dans cette catégorie les Juifs en terre d’Islam, qui ont fui en masse vers Israël.
Ces Juifs, dont le nombre égalait ou dépassait à la première génération celui des réfugiés palestiniens à la même époque, sont devenus comme leurs homologues palestiniens partie intégrante du combat politique israélo-arabe.
Car, s’ils refusent d’admettre le lien historique, moral et religieux entre les Juifs du monde entier et Israël, et considèrent par conséquent l’arrivée des réfugiés juifs européens comme une « invasion » de leur pays par des étrangers, les Palestiniens comprennent que le problème des Juifs des pays arabes ne peut être séparé de celui des réfugiés au Moyen-Orient.
Les réfugiés juifs européens qui se sont établis en Israël sont souvent comparés par les Arabes aux croisés du Moyen Âge, qui s’étaient installés par la force en terre islamique, mais furent finalement chassés du pays par les musulmans unis derrière Saladin.
La conclusion est claire : lorsque les Arabes seront en situation de débarrasser leur terre sainte de cet envahisseur, ils le feront. La charte nationale palestinienne aborde cette éventualité en termes non équivoques. Le statut de réfugiés des Juifs européens n’a pas assoupli la position des Arabes, qui ont avancé l’argument selon lequel on ne pouvait les contraindre à payer le prix des crimes perpétrés en Europe contre les Juifs.
Le cas des Juifs des pays arabes est totalement différent. Environ 800 000 d’entre eux vivaient dans ces pays en 1948, mais en 1976 la plupart des communautés juives y avaient disparu ou avaient été réduites à des nombres insignifiants.
La fin abrupte de ces communautés juives anciennes, dont l’histoire avait dans certains cas (Yémen, Irak, Afrique du Nord, Égypte) précédé la conquête arabe, fut en grande partie provoquée par une longue chaîne d’intolérance, de discriminations, de législations avilissantes et souvent aussi de persécutions et de pogromes perpétrés par les pays d’accueil arabes.
C’est un fait reconnu qu’il y eut des périodes au cours desquelles les Juifs jouirent d’un certain degré de tolérance et de protection sous la loi islamique, et qu’ils atteignirent même dans certains cas des situations bien en vue ; mais ces périodes constituèrent l’exception et non la règle. Même si le traitement réservé aux Juifs était beaucoup plus tolérant dans l’Islam médiéval que dans la chrétienté européenne, il laissait cependant beaucoup à désirer.
La proclamation de l’État d’Israël, entité juive au Moyen-Orient, entraîna une intensification et une légitimation des mesures antijuives dans les pays arabes, mais elle fut aussi, paradoxalement, l’occasion de laisser tacitement partir les Juifs.
Certains pays arabes fermèrent les yeux sur les activités sionistes clandestines, encourageant ainsi de manière indirecte le départ de leurs Juifs. Avec l’escalade du conflit israélo-arabe, cette tendance se renversa, certains pays arabes comprenant qu’ils pouvaient retenir les citoyens juifs comme des otages politiques.
L’État d’Israël devint un refuge pour la plupart de ces Juifs, qui arrivèrent individuellement ou dans le cadre d’opérations de sauvetage collectif menées par Israël et les communautés juives à travers la diaspora. C’est ainsi que les Juifs yéménites et irakiens furent transportés par pont aérien en Israël entre 1948 et 1951, et que des Juifs d’Afrique du Nord furent organisés et évacués massivement de ces pays, de manière clandestine, au cours des années 1950 et 1960.
Au total, quelque 600 000 Juifs arrivèrent en Israël en provenance des pays arabes, les autres émigrèrent en Europe et en Amérique. Ils constituent aujourd’hui avec leurs descendants près de 50 % de la population juive d’Israël.
Ces réfugiés juifs furent hébergés provisoirement dans des camps dans tout Israël, alors que le pays sortait tout juste de la guerre d’Indépendance et avait doublé sa population en l’espace de trois ans (1948-1951) grâce aux vagues de réfugiés.
En 1951, 256 000 nouveaux immigrants, pour la plupart des réfugiés des pays arabes, habitaient encore dans des tentes et des camps de fortune ; ils constituaient près du cinquième de la population israélienne. En dépit des épreuves qu’ils subirent et des efforts énormes qu’ils imposèrent à l’État d’Israël, ces réfugiés se fondirent au sein de la société ; ils devinrent des citoyens israéliens, reçurent une instruction, des appartements, des vêtements et une formation professionnelle.
Aujourd’hui il est impossible de les distinguer du reste de la population ; les souffrances qu’ils ont endurées ne sont plus perceptibles et les problèmes qu’ils ont rencontrés en tant que réfugiés appartiennent désormais à l’histoire.
Les Juifs des pays arabes se considèrent naturellement comme des victimes des persécutions arabes et du conflit du Moyen-Orient, et demandent en conséquence réparation pour leurs biens personnels et communautaires confisqués par les gouvernements arabes.
Ces revendications ont ensuite été présentées par l’Organisation mondiale des Juifs des pays arabes (WOJAC), qui a soutenu l’idée d’un « échange de populations » ou d’une indemnisation mutuelle.
Les réfugiés palestiniens ont présenté une revendication parallèle de réparation pour leurs biens à l’encontre d’Israël, revendication qui s’est notamment exprimée dans des documents de l’ONU et dans les déclarations politiques palestiniennes et arabes.
Il existe par conséquent deux voies possibles pour un règlement. Chaque partie pourrait indemniser l’autre : les biens des Palestiniens arabes en Israël sont évalués à 2 milliards de dollars (en valeur de 1948), tandis que les Juifs des pays arabes réclament 10 milliards de dollars.
L’autre moyen de régler cette question serait de conclure un accord, en vertu duquel les réfugiés juifs et palestiniens se compenseraient mutuellement et seraient considérés comme un échange de facto de populations, en laissant aux gouvernements actuels des pays d’accueil l’obligation d’héberger et d’intégrer les réfugiés.
Le droit à réparation a été reconnu par les résolutions 237 et 242 du Conseil de sécurité en 1967. La résolution 237 du 14 juin 1967 concerne la sûreté, le bien-être et la sécurité des habitants des zones où des opérations militaires ont eu lieu lors de la guerre de 1967, ainsi que la protection des minorités dans les États impliqués dans le conflit.
Le secrétaire général a affirmé que les dispositions de la résolution concernant les minorités pouvaient « être convenablement interprétées comme s’appliquant au traitement, au moment de la guerre récente et en conséquence de cette guerre, des personnes tant arabes que juives, dans les États directement concernés en raison de leur participation à la guerre ».
Le gouvernement israélien a fait part à cette époque de sa préoccupation à l’égard du traitement des minorités juives dans les États arabes depuis le déclenchement des hostilités.
La Résolution 242, qui est toujours considérée comme l’instrument principal pour le règlement du conflit israélo-arabe, stipule qu’un accord de paix global doit nécessairement inclure « un juste règlement du problème des réfugiés ».
L’ambassadeur des États-Unis auprès des Nations unies, Arthur Goldberg, qui a participé à la rédaction de cette résolution, a précisé que les mots « arabe » et « palestinien » avaient été délibérément omis du texte de la résolution, indiquant ainsi que les revendications des réfugiés juifs des pays arabes devaient également être prises en compte.
Les revendications des réfugiés juifs des pays arabes ont été reconnues et débattues par d’autres voies : c’est ainsi que le traité de paix israélo-égyptien de mars 1979 prévoyait une commission conjointe pour traiter les revendications des réfugiés juifs d’Égypte. Israël a adopté pour politique officielle la résolution du problème des réfugiés par l’acceptation de l’état des choses actuel comme un échange de facto de populations.
Différentes éditions du Journal officiel du 100e Congrès des États-Unis contenaient des résolutions concernant le sort tragique des Juifs des pays arabes, illustrant la reconnaissance internationale de la validité de leurs revendications. En outre, Israël a proposé de résoudre la situation critique des réfugiés palestiniens sous sa domination en les réinstallant.
Cependant, des pays qui n’étaient pas du tout disposés à voir la question des réfugiés palestiniens résolue – le Bangladesh, Cuba, l’Égypte, l’Inde et d’autres – soumirent le 28 novembre 1983 un projet de résolution à la commission politique spéciale concernant les réfugiés palestiniens en Cisjordanie.
Lors de cette séance, la plupart des orateurs accusèrent Israël de « vouloir retirer la question palestinienne de l’ordre du jour » ou « d’effacer le problème et la situation des réfugiés arabes par leur réinstallation dans la vallée du Jourdain et la destruction de leur entité ».
La résolution adoptée par la commission exprima son « horreur en apprenant le projet israélien visant à l’expulsion des réfugiés de Cisjordanie, à leur réinstallation et à la destruction de leur identité », et elle fut adoptée par 145 voix contre 2 (les États-Unis et Israël). Les médias arabes annoncèrent leur « victoire » devant le fait qu’une commission des Nations unies avait contrecarré, une fois de plus, une tentative sérieuse de soulager les souffrances palestiniennes.
En somme, le problème des réfugiés arabes au Moyen-Orient est devenu tellement politisé qu’il n’a guère de chances d’être résolu autrement que dans le cadre d’un accord global.
En attendant, il semble que l’échange de populations intervenu entre Israël et les Arabes soit devenu irréversible, et qu’il doive donc être pris en compte dans tout règlement éventuel.
Reste la question douloureuse et apparemment sans espoir de faire cohabiter Juifs et Arabes en Palestine dans la paix et l’harmonie.
L’illusion de la coexistence a finalement volé en éclats lors des événements de l’Intifada, qui ne sont pas autre chose que l’éruption à la surface d’un processus qui se tramait depuis de nombreuses années.
D’un autre côté, malgré la justification d’un transfert de la population arabe vivant sous domination israélienne, dans la mesure où sa présence est opposée à l’entité juive israélienne et lui porte atteinte, et où elle risque d’entraîner de plus en plus de troubles et de menaces pour l’existence même de l’État, le monde ne permettrait pas une migration forcée des Arabes d’Israël, et la plupart des Israéliens ne supporteraient pas non plus de voir des familles arabes forcées de partir vers l’est, sous la menace des armes.
Dans le cas de la Cisjordanie et de Gaza, la migration volontaire des Arabes palestiniens est inimaginable, en raison des obstacles existant tant dans les Territoires que dans les pays d’accueil potentiels.
Dans les Territoires, les Palestiniens, en particulier les réfugiés de 1948 et de 1967, cultivent la vertu de sumud (opiniâtreté), qui les pousse à se cramponner à leurs terres et à leurs maisons jusqu’à la « libération ».
La rhétorique et l’état d’esprit de 1948, qui enjoignaient aux Palestiniens de s’enfuir en attendant la victoire, ou les incitaient à partir de leur propre initiative, pensant que le retour était assuré après la guerre, ne sont plus de mise. Et même si les Palestiniens décidaient d’émigrer, il n’y a pas de pays pour les intégrer.
Il est possible que les accords prévoyant des échanges de populations et les justifications des transferts forcés appartiennent au passé, et c’est pourquoi Israël doit chercher par d’autres voies le moyen de résoudre cette situation intenable.
Les victimes des « victimes des victimes »…
La concurrence des victimes au fondement du droit?
par Shmuel Trigano
L’enjeu de la confrontation des perspectives générées par les thèses de l’« exclusion des Juifs des pays arabes » et du « droit au retour » des Palestiniens est immense.
Il faut, pour l’apprécier, l’aborder à partir du discours palestinien qui fait concrètement « loi » en la matière, ne serait-ce que dans l’opinion publique.
C’est en effet la revendication mémorielle et politique autant que morale qu’il véhicule qui vient raviver la mémoire sépharade de l’« exclusion », jusqu’ici en apparence enfouie – du moins depuis 20 ans –, en tous cas globalement méconnue. Le problème ici soulevé commande la réponse à des questions clefs pour comprendre la nature du conflit arabo-israélien et surtout du statut que l’on reconnaît à l’État d’Israël et plus largement au peuple juif.
Le récit palestinien dominant implique en effet une assignation symbolique autant que politique des Juifs à une position spécifique qui les met en jeu sans que leur avis ni leur parole n’aient été sollicités.
Son examen permet d’évaluer également la validité de l’argument moral palestinien contre Israël.
On peut le résumer dans les termes d’Elias Sanbar :
« L’expulsion des Palestiniens de leur patrie en 1948 est le nœud originel du conflit, le « péché originel d’Israël » selon de nombreux auteurs. De ce fait elle est l’expression, la perpétuation aussi d’une injustice fondamentale commise à l’égard d’un peuple.
Elle constitue également l’abcès de fixation permanent du conflit dans la mesure où, par delà les pertes matérielles et les malheurs quotidiens de l’exil, elle a fourni la base concrète de la négation d’existence du peuple palestinien : quoi de plus facile d’affirmer la non-existence d’un absent [1]? »
« Les Israéliens sont convaincus au plus profond d’eux mêmes que reconnaître que leur entreprise “juste” s’est accompagnée d’une autre “injuste”, commise cette fois à l’encontre des Palestiniens, équivaudrait à déligitimer l’État d’Israël…
Ce blocage est extrêmement difficile à dénouer et il en sera ainsi tant que les attributs d’absolu associés au statut de victime “éternelle” ne seront pas dépassés, tant que les Israéliens refuseront de reconnaître ce qu’ils savent au plus profond d’eux mêmes, à savoir que tout être humain, toute communauté, toute nation peut s’avérer, selon les circonstances, victime ou bourreau et parfois même victime et bourreau [2]. »
Dominique Vidal résume bien cette position :
« Ce qui est mis à nu c’est bel et bien le “péché originel” d’Israël. Le droit des survivants du génocide hitlérien à vivre en sécurité dans un État devait-il exclure celui des fils et des filles de la Palestine à vivre eux aussi en paix dans leur État ? La réponse à cette question concerne le passé mais aussi le présent. Car l’injustice commise ne peut être réparée qu’en réalisant avec plus d’un demi siècle de retard le droit des Palestiniens à une patrie [3]. »
Le contexte idéologique et moral
C’est moins la sollicitude à sens unique pour les « réfugiés » palestiniens, au mépris de toute considération pour les réfugiés juifs du monde arabe, en nombre bien plus important, qui compte ici que la justification du discours palestinophile en fonction d’une moralité tirant ses ressources de la « concurrence des victimes ».
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi ce récit s’est imposé.
Le mythe de l’échange entre la Shoah et l’État d’Israël (qui n’aurait été créé que comme compensation à la Shoah et pour trouver un refuge aux rescapés) l’explique.
Bien avant l’Intifada, on a vu se développer toute une littérature glauque – notamment en France et pas seulement avec le livre de Norman Finkelstein – accusant l’État d’Israël et les communautés juives de tirer « prestige, profit et pouvoir » [4] de la mémoire de la Shoah. Elle constitue ce que l’on peut appeler la version « noire » et négative de la théorie de l’État d’Israël comme « compensation » (morale et humanitaire) de la Shoah, la version « blanche », positive, courante dans l’opinion publique occidentale.
La controverse sur les réparations des spoliations économiques subies par les Juifs durant la deuxième guerre mondiale vînt donner, dans les années 1990, un semblant de réalité à la « compensation » comme « argent » et donc profit et intérêt.
La légitimation morale et humanitaire de l’existence d’Israël s’inversait alors en « excès » et abus de la culpabilité et de la repentance de l’Europe par un peuple juif dont Israël était la figure de proue [5].
Derrière la question de l’« usage » utilitariste de la mémoire de la Shoah se posait en effet une question bien plus grave : celle de la définition et de la reconnaissance des Juifs comme peuple jouissant donc d’une stature politique dans le concert des nations.
Ce que démontre, en effet, la Shoah, c’est la faiblesse de la modernité politique et de l’Émancipation à assurer l’existence du peuple juif. À Auschwitz, des Juifs, citoyens individuels de leurs pays respectifs ont été assemblés en masse, comme s’ils appartenaient à un peuple étranger au cœur de l’Europe pour être exterminés.
La déroute de l’Émancipation a pour revers la mise en valeur de l’auto-émancipation, le sionisme politique, le sionisme politique, le seul mouvement historique ayant pris en charge avec succès le destin collectif des Juifs.
C’est la conscience sourde de cette équivalence qui fonde la théorie de la « compensation ».
La reconnaissance de l’État d’Israël n’était en vérité ni une compensation hautainement concédée à des victimes, en dédommagement de leur tragédie, ni une solution humanitaire pour abriter des réfugiés, mais la reconnaissance que les démocraties ne pouvaient assurer le destin des Juifs, en tant qu’ils sont des citoyens individuels et qu’il fallait donc envisager la création d’un État des Juifs pour réparer cette défaillance de la modernité.
Ce double processus conscient-inconscient sous-tend la théorie de la compensation, qui est aussi à comprendre comme déculpabilisation de la conscience moderne occidentale envers le sort réservé aux Juifs dans les murs de sa civilisation.
Une telle masse de morts devient si insoutenable qu’on les exorcise en finissant par reconnaître la légitimité d’un peuple juif qui avait toujours été voué à la condition de paria [6], même (et surtout) quand les individus juifs s’étaient vus favorisés dans le cadre de l’émancipation citoyenne.
Le discours du « droit au retour » s’inscrit justement dans ce cadre là, très complexe.
Son articulation est évidente : les idéologues palestiniens ne manquent pas de rappeler systématiquement combien ils ne sont pas coupables du péché de l’Europe envers les Juifs victimes de la Shoah si bien qu’ils ne comprennent pas comment la compensation qu’elle a donné aux Juifs puisse signifier pour eux leur déracinement, la perte de leur terre et l’exil de leur peuple.
Edward W. Saïd a très bien formulé cette manipulation idéologique simplificatrice et angéliquement accusatrice, en écrivant (Le Monde, 27 mai 2000) que les Palestiniens sont les « victimes des victimes ».
Angélique, car si les Juifs sont « victimes », E. W. Saïd compatit à leur souffrance comme il compatit à la souffrance des Palestiniens. Or si ces derniers sont victimes, c’est du fait des premières victimes (celles qui obsèdent l’Europe) qu’ils le sont, c’est-à-dire du fait de leur mutation en « bourreaux ».
Pas n’importe lesquels : les Nazis.
L’État d’Israël est ainsi idéologiquement reconstruit comme la résurgence du nazisme.
Ce renversement dialectique permet, de cette façon, à la mauvaise conscience européenne de s’alléger de son sentiment de culpabilité devenu acte d’accusation de ceux que l’on avait désignés comme victimes et qui s’avèrent être (ou pouvoir devenir) des monstres.
C’est l’État d’Israël qui est ici désigné mais derrière lui les Juifs comme peuple. On a vu pourquoi.
Le peuple juif peut-il être autre chose que victime ou bourreau dans la conscience moderne?
La question est posée aujourd’hui.
Ainsi la conscience européenne se forge le sentiment d’avoir été trompée par les Juifs ou de s’être trompée à leur égard. Cela surélève consécutivement le statut du « peuple palestinien », qualifié de « peuple en danger » par ses supporters, campé dans les traits du « divin enfant », innocent et massacré par des monstres qui se faisaient passer pour des victimes.
Cette dimension du « peuple » est capitale ici, on le comprend, car ce « peuple » est substitué au « peuple » juif dans le système symbolique de l’idéologie commune.
La reconnaissance des Juifs comme peuple (fondant la légitimité de l’État d’Israël, consécration de son autodétermination) est donc perçue comme le synonyme de la dénégation des droits du peuple innocent, peuple réel, lui, chassé de sa terre, les Palestiniens.
Pour racheter sa faute, l’Europe doit donc rétablir ce peuple pour se libérer de sa culpabilité de la Shoah, voire l’inscrire au cœur même de la démocratie européenne pour reconnaître et réparer son incapacité à faire une place au peuple juif.
C’est ce qui explique les origines de la mystique bizarre qui pousse à mettre le « peuple palestinien » en tête des préoccupations des milieux les plus divers et les plus incongrus, comme on l’a vu depuis la deuxième Intifada.
L’innocence du peuple palestinien que majore l’invocation du « droit au retour » (des malheureuses victimes des victimes) est d’autant mieux mise en valeur que l’on insiste sur l’innocence totale des Palestiniens et du monde arabe au regard de la solution finale et de la Shoah.
S’identifier à ce peuple innocent envers les Juifs et pis, victime des Juifs, ouvre une voie royale à l’auto-innocentement des consciences coupables…
Nous venons de décrire là le cadre psycho-idéologique qui gouverne le rapport d’une grande partie de l’opinion publique aux affaires d’Israël et du Moyen-Orient.
Du mythe à la réalité
Bien évidemment, il y a ici une version dévoyée des faits. Elle est très « originale » – soulignons-le d’emblée – car elle perpétue le « discours du maître » tout en définissant le maître par la vertu et le sens moral, en fait la condition victimaire qu’elle reproche à Israël, et non par le pouvoir seul. Invention d’un maître-victime !
Cela s’entend clairement dans le discours d’un Sanbar :
« Israël sait qu’il ne suffit pas d’être légitime pour ses citoyens, que la vraie légitimité, celle à laquelle il affirme aspirer, dépend du pardon que seule sa victime, le peuple arabe de Palestine peut donner. Or ce pardon passe par la reconnaissance de la responsabilité israélienne dans l’immense injustice commise en 1948, et par voie de conséquence du droit au retour [7]. »
Les choses ne correspondent pas « tout à fait », en effet, à ce récit mythique.
Qu’est-ce qui, dans la réalité, tout d’abord a rendu possible l’invocation d’un « droit au retour »?
Non pas l’« invasion sioniste » que représenterait l’établissement du Foyer National Juif en 1917, mais le refus arabe et palestinien permanent du partage de la Palestine mandataire en deux États, prôné par l’ONU.
Les réfugiés ont quitté les lieux ou ont été expulsés des territoires israéliens en 1948 des suites d’une guerre lancée par tous les États arabes de la région visant à détruire le nouvel État d’Israël.
Ils appartiennent au camp de l’agression vaincu. Ils ne sont pas innocents du drame qui leur est arrivé. Et ils ne le sont pas devenus depuis, tant du côté des États arabes qui ont maintenu les réfugiés dans des camps pour en faire des armes contre Israël, que du côté des Palestiniens dont le discours exprime – même depuis Oslo – le projet final indéfectible de détruire « l’entité sioniste ».
Toute l’argumentation palestinienne est fondée sur la dénégation aux Juifs du statut de « peuple » (cf. la Charte Palestinienne [8]), sur la dénégation du lien historique plus qu’évident des Juifs avec cette terre, sur son droit à l’autodétermination.
Les tenants de la théorie de la compensation, en tant que « discours du maître » s’imaginent ainsi qu’il a suffit d’un coup de baguette magique de l’ONU pour créer un État, une société, une culture, un peuple…
Bien avant la reconnaissance de l’ONU, il y avait sur ce territoire une société très réelle et structurée, le Yishouv, et une administration quasi étatique, une langue et une culture nationales.
Quant au peuple juif, ses rois trônaient à Jérusalem, 2 500 ans avant qu’on ait entendu parler des Palestiniens, pour paraphraser une célèbre expression de Benjamin Disraéli. L’ONU ne fait alors que reconnaître ce qui existe déjà et le peuple juif autant que l’État d’Israël ne tirent pas leur existence de cet acte là.
Quant à l’innocence du monde arabe sur le plan de la Shoah, elle est plus que douteuse. Edward W. Saïd a la mémoire très sélective.
La politique pronazie menée par le Mufti el Husseini engagea tout le mouvement palestinien. Le Grand Mufti de Jérusalem n’était pas n’importe qui. Oncle de Yasser Arafat, aïeul de Fayçal El Husseini, son ministre décédé en 2002, il est aujourd’hui exalté comme un héros national.
À la tête d’un axe panarabe de soutien à Hitler il avait organisé des légions arabes dans les Balkans (en 1943 il y avait 20 000 musulmans sous le drapeau allemand) et décrété la guerre sainte contre l’Angleterre.
Rendant visite à Hitler il « visita » Auschwitz où il enjoignit les gardes des chambres à gaz à être plus efficaces.
L’impact du nazisme fut très fort dans le monde arabe. Il laissa sa marque en Syrie-Liban, en Égypte où les milieux militaires d’où allaient venir les dirigeants ultérieurs comme Nasser et Sadat étaient en rapport avec le pouvoir hitlérien.
Après guerre, nombre de nazis notoires trouvèrent refuge dans le monde arabe et aujourd’hui il n’est que de voir l’importance de l’édition de Mein Kampf ou des Protocoles dans ces pays pour mesurer la tendance…
La veille de la visite du Pape en Terre Sainte, le Grand Mufti de Jérusalem, Sheikh Ekrima Sobri déclara « le chiffre de 6 millions de Juifs tués pendant l’holocauste est exagéré et se voit utilisé par les Israéliens pour obtenir un soutien international, ce n’est pas mon problème. Les musulmans n’ont rien fait dans toute cette histoire. C’est le fait d’Hitler qui détestait les Juifs ».
Cette mythologification a en fait deux finalités pratiques : la dépolitisation du conflit et l’anhistoricisation d’Israël. On en comprend l’utilité pragmatique car en scotomisant l’histoire réelle, les Palestiniens réussissent à se déresponsabiliser de leur passé politique qui n’a rien de particulièrement édifiant, tout en délégitimant Israël dont la nature et l’origine sont fantastiquement reconstruits pour complaire aux intérêts palestiniens.
Si Israël se voit dénier par eux toute légitimité historique sur la terre d’Israël, c’est pour mieux faire écran à la faiblesse de leurs prétentions historico-politiques sur cette même terre [9].
Et de fait, ils fondent avant tout leur légitimité sur une doctrine victimaire.
Celle-ci a pour avantage de ne plus poser les termes du conflit dans des termes politiques mais mythiques : « victimes », « compensation », « culpabilité », « péché originel » et non plus décisions politiques, déclarations de guerre exterminatrices, responsabilité politique…
Par le biais de cette dépolitisation, ils rattachent la figure d’Israël à la symbolique antijuive qui a eu en Europe ses lettres de noblesse, en ressuscitant les plus vieux fantasmes antisémites, ceux que l’on voit se déployer depuis la deuxième Intifada. En Orient islamique, cette manipulation symbolique inscrit inévitablement le conflit hors du politique, c’est-à-dire dans le domaine de la guerre sainte et de la haine religieuse.
L’islamisation du mouvement national palestinien relève ainsi d’une évolution naturelle.
Au nœud de ce syndrome : les Juifs des pays arabes
L’analyse qui précède montre spontanément à quel point l’exclusion des Juifs des pays arabes est occultée et refoulée de façon majeure par la doctrine du « droit au retour » et sa finalité politique : la délégitimation et l’éradication de l’État d’Israël. Dans les termes moralistes de Sanbar cela donne :
« S’agissant enfin de ce que des pseudo-historiens décrivent comme “le long cauchemar du séjour des juifs en terre arabe”, il suffit de préciser que les juifs ne séjournaient pas chez les Arabes, dans la mesure où… ils étaient “chez eux”, Arabes ou arabisés, habitant leurs propres patries ; que le statut de minoritaire, partagé d’ailleurs avec d’autres communautés, si inégalitaire qu’il fut, n’a absolument rien à voir avec l’antisémitisme occidental auquel on tente en vain de l’assimiler ; qu’enfin les problèmes graves n’apparurent qu’à l’approche fatidique de 1948, lorsque le travail des émissaires sionistes qui œuvraient à provoquer le départ des juifs arabes vers Israël s’alimenta de la politique imbécile de certains régimes arabes qui, en quête de boucs émissaires pour pallier leur propre incapacité à préserver la Palestine, mirent désormais en doute l’allégeance nationale de leurs administrés juifs [10]. »
Il n’est pas dépourvu de sens que ce soit un Arabe chrétien qui écrive ces mots, c’est-à-dire le membre d’une nation dhimmie qui a su ce que cela signifiait d’être un « protégé » de l’islam.
Comment écrire que les Juifs, ou les chrétiens, étaient « chez eux » alors que le fondement même du statut de dhimmi est la dépossession de la terre qui, des suites de la conquête, devient un bien de l’islam (une terre fay, un butin collectif perpétuel pour les musulmans) dont l’ancien propriétaire devient le « locataire » et paie le kharadj, un impôt foncier ?
Les Arabes chrétiens assument souvent ce rôle de faire-valoir de l’idéologie palestinienne comme pour témoigner a contrario de l’ouverture et de la tolérance de la société islamique, opposée au racisme et au fondamentalisme d’Israël ou au colonialisme de l’Occident.
C’est un trait caractéristique de la psychologie classique du dhimmi qui célèbre son dominateur pour sa « tolérance », en un acte d’allégeance au pouvoir islamique qu’exige de lui le statut de dhimmi.
Un terme qualifie aujourd’hui cette psychologie : le syndrome de Stockholm.
Remarquons ici l’usage du référent de l’Occident : son invocation par le camp arabe condamne Israël quand on explique sa naissance par l’antisémitisme européen (aux dépens des Palestiniens) et il absout le monde arabe quand il est question de juger son rapport aux Juifs.
À l’inverse de ce discours mythologique, l’histoire des Juifs des pays arabes constitue un rappel direct de la dimension politique du conflit.
Les sépharades des pays arabes ne sont pas des rescapés de la Shoah – qui a pourtant manqué de peu de les détruire – et ils constituent pourtant une majorité d’Israéliens. Premier enseignement : l’État d’Israël n’est pas la compensation promise aux survivants des camps.
Les sépharades ont été dépouillés par les pays arabes et exclus de leurs États nations, en vertu d’une épuration ethnique de type nationaliste. Ils sont victimes des États arabes. Il y a donc des Juifs, victimes du conflit et de surcroît victimes d’Etats arabes responsables et donc, eux « aussi », porteurs d’un « péché originel ».
En se réfugiant en Israël, en en devenant des citoyens, les sépharades ont mis en œuvre l’auto-émancipation et l’autodétermination d’une minorité éthnico-politique dominée du monde arabo-islamique. L’État d’Israël qu’ils constituent en tant que citoyens n’est donc pas étranger à l’histoire de la région et du monde arabe ni téléporté d’Europe : il naît aussi de l’histoire même de la région. Il constitue un acte de libération face à un système politico-religieux dominateur, incapable de reconnaître la liberté subjective aux non-musulmans.
Jusqu’à ce jour, les États arabes et les Palestiniens leur refusent toujours la reconnaissance et le droit à l’autodétermination.
Bien au contraire, ils propagent le mythe de la coexistence judéo-arabe pour rendre incompréhensible le fait qu’il n’y a aujourd’hui quasiment plus de communautés juives dans le monde arabe et accuser en retour le sionisme d’en être responsable. Ils ne se rendent même pas compte de la condition d’hommes dominés que les Juifs ont subi dans leurs pays. Israël n’est donc pas un fait colonial.
Les sépharades ont été les colonisés de ceux qui sont devenus par la suite des colonisés. C’est la venue du pouvoir colonial qui les libéra de leur condition. Dès que ce pouvoir se retira, leur condition d’hommes libres n’était plus assurée dans ces pays. Démonstration par l’absurde de la condition dominée du Juif dans le monde arabo-islamique. Les ex-colonisés ne sont pas indemnes de la volonté de domination.
La décolonisation des Juifs concomittante à la création de l’État d’Israël, se produit à l’âge même de la décolonisation et de l’accession à l’indépendance d’État arabes qui se créent alors.
L’État d’Israël n’est pas un vestige du colonialisme. Ou alors tous les États arabes en sont… L’État d’Israël émerge de l’histoire de la région.
Les sépharades sont la preuve vivante que les non-musulmans n’ont pas trouvé leur place dans les États arabes qui, de fait, ont fait de l’islam leur religion officielle avec toutes les conséquences imaginables pour les dhimmis, les peuples dominés de l’islam.
Réversiblement, un cinquième de la population israélienne est palestinienne et citoyenne. Il y a aujourd’hui des partis politiques arabes et islamiques au Parlement israélien. On ne peut pas en dire autant des autres pays arabes…
Le judaïsme n’est pas la religion officielle de l’État d’Israël qui est ainsi le seul État démocratique de la région, une démocratie adaptée à l’héritage historique de la région où le droit des personnes a été régi par les instances religieuses du fait de l’interpénétration des populations dans un univers où il n’y a pas eu d’États-nations.
Par contre l’OLP demande le démantèlement des établissements juifs en « Territoires occupés », c’est-à-dire qu’elle projette un État palestinien où les Juifs seraient interdits, mais aussi les chrétiens, qui quittent en masse le territoire qu’elle est censée administrer.
Israël n’envisage pas d’expulser ses citoyens arabes et chrétiens. La politique palestinienne n’est pas indemne de la propension à l’exclusion ethnique.
On comprend que ces vérités dérangeantes soient l’objet d’un intense refoulement et d’une dénégation radicale par le camp arabe et ses thuriféraires internationaux, par la mouvance néo-tiersmondiste, les antimondialistes, mais aussi par une part importante de l’opinion publique juive et israélienne.
Cette dernière dimension demande à être explicitée. On peut bien sûr évoquer à ce propos l’ignorance dans laquelle cette opinion est restée quant aux faits historiques. C’est un fait mais qui ne fait qu’aggraver la chose car rien ne justifie cette ignorance ou plutôt cet escamotage d’une histoire somme toute contemporaine.
Elle fut en effet aussi l’objet d’un refoulement dans le monde juif, dont certaines idéologies modernes définissent la condition juive en la détachant de l’histoire et de a politique.
Le sionisme politique – dans ses écoles les plus radicales – a voulu rompre avec la diaspora et le judaïsme afin de donner naissance à un nouveau peuple, le peuple israélien, dans le cadre d’un projet volontariste typiquement moderne. Cette perspective favorisait l’anhistoricisation de l’être juif, la coupure avec son passé, encore plus quand il était marqué par la religion et qu’il était le fait d’une population juive non européenne, ce qui était le cas des sépharades.
Remarquons qu’aucun des « intellectuels de gauche » israéliens qui s’opposèrent au discours du « droit au retour » d’Arafat (Amos Oz, David Grossman par exemple) n’a évoqué la mémoire de l’exode sépharade à ce propos pour ne se fonder que sur l’argument du réalisme politique (la disparition programmée de l’État d’Israël sous cet afflux de population : quatre cinquièmes de la population israélienne). La gauche israélienne a toujours congénitalement méconnu cette histoire [11].
Ce travers existentiel inhérent à la modernité juive (et aujourd’hui en crise) se voit encore plus renforcé quand on prend en considération le phénomène israélien des « Nouveaux Historiens », une mouvance idéologique ultra-gauchiste et post-moderniste, résolument antisioniste qui, en fait, milite contre tout État national et toute identité nationale (en l’occurrence Israël), qualifiés de fascistes… Leur propension à la dépolitisation de l’identité israélienne est évidente.
Ce sont eux qui ont dressé le procès du « péché originel » d’Israël, coupable d’avoir chassé les Palestiniens pour s’installer à leur place, en faisant abstraction de la guerre déclenchée contre Israël par les États arabes (et dont étaient parties prenantes les Palestiniens) et en oubliant (ethnocentrisme ? mépris ? gauchisme tiers-mondiste ?) tout simplement que la plus grande partie de leurs concitoyens avaient été chassés, eux aussi, du monde arabe, qu’ils gardent indemne, lui, de toute culpabilité…
Mais voient-ils seulement le peuple israélien, tout occupés qu’ils sont à le nier et à le stigmatiser ? Eux aussi, comme les Palestiniens (ou les Juifs assimilés) dénient l’existence d’un peuple juif [12].
Et se rendent-ils compte que « l’État de tous ses citoyens » qu’ils prônent à la place de l’État d’Israël dont ils rêvent la disparition serait demain sous l’empire de la Sharia et de l’arabisme?
L’histoire oubliera vite ceux qui jouent le rôle peu glorieux des « idiots utiles » du camp arabe.
Palestine et monde arabe dans le prisme de la comparaison
Dans la comparaison que nous mettons en œuvre, il faut se confronter à une objection qui concerne le critère même de la mise en parallèle du destin des sépharades (l’exclusion) et des Palestiniens (exil ou expulsion).
En quoi ces deux populations sont-elles comparables?
Les sépharades sont originaires de nombreux pays, les Palestiniens d’un seul pays. Tout le problème c’est qu’à l’époque où cet échange objectif de populations se produit, il n’y a pas encore de réels cloisonnements étatiques qui se sont fait jour. Les États arabes viennent d’être créés ou vont l’être.
Les Palestiniens n’ont jamais constitué une entité nationale et encore moins une souveraineté.
Ils font corps avec la « nation arabe » du nationalisme au point de déclarer dans leur charte, adoptée 16 ans après, qu’ils sont une partie de la nation arabe.
De même, pendant très longtemps après les indépendances, les États arabes vont chercher à se forger une unité transnationale qui, toujours, échoua. L’arabisme, mouvement du nationalisme arabe (et anti-islamique), en effet, dès le début pensa à l’avenir du monde arabe sous le signe de l’unité ou de la fédération…
Il y a à cette époque, autour des années 1980, confrontation de la masse du monde arabe et de la masse du monde juif et c’est à ce titre que les États arabes punissent leurs résidents juifs des actes de l’État d’Israël.
Par ailleurs, comme on l’a vu [13], la population palestinienne est en grande partie immigrée des pays arabes…
C’est bien plus tard, au contact (réactif) d’Israël, qu’une identité palestinienne se forgera, en tous points mimétique de l’identité israélienne.
La comparaison est donc tout à fait plausible. On peut objectivement parler d’un échange de population.
Une condition cependant pour fonder ce jugement : il faut accepter l’hypothèse que les sépharades ne sont pas un ramassis de peuplades exotiques et disparates ni des « Arabes de confession juive » et qu’ils appartiennent à un peuple juif qui comprend le judaïsme ashkénaze. La réunion de ces deux ensembles est justement l’illustration de la réalité de ce peuple (et sa difficulté). C’est l’État d’Israël qui en est justement l’illustration.
L’enjeu éthique
On le voit, l’enjeu moral ne se situe pas là où on le croit couramment (la dite « concurrence des victimes »). Il est esquivé si l’on fait l’impasse sur le politique, car c’est dans l’épreuve du politique que, le jugement des responsabilités et des dommages étant fait, le contentieux pourra être un jour apuré et une entente mise en œuvre.
Il ne fait aucun doute aujourd’hui, au bout de deux ans d’Intifada, que c’est la question de la reconnaissance du sujet politique juif confronté au refus arabo-musulman qui se pose avec centralité.
La reconnaissance de l’identité palestinienne pour le monde juif ne fait objectivement pas de doute, même si son opportunité politique apparaît, après la deuxième Intifada, plus que problématique.
La restauration de l’aspect politique du conflit doit écarter la pollution mentale qui découle de la morale victimaire et de la légitimation sacrificielle des sujets qu’elle impulse.
Nul n’a besoin d’être une victime – ni de se sacrifier – pour avoir le droit d’exister.
Quand la souffrance est mise en avant c’est pour cacher l’inexistence d’un droit ou une existence jugée inconsistante ou honteuse. C’est dans l’arène du politique, à l’épreuve du politique, que doit se jauger la moralité.
Le discours du maître derrière le discours de la victime
« Droit au retour » et transfert des Juifs
Les militants de la cause palestinienne évoquent de façon constante le « transfert » des Palestiniens (en fait leur déportation dans les territoires arabes voisins d’Israël) que fomenterait l’État d’Israël en quête du moment le plus propice pour mettre un terme aux bases mêmes du conflit (l’existence des Palestiniens) ou qu’il aurait déjà perpétré en 1948 (cf. « le péché originel » de l’État d’Israël).
L’habituelle diffamation d’Israël que cette crainte charrie implicitement (le thème du « transfert » des Palestiniens ne concerne en effet qu’une faible part de l’extrême droite israélienne [14]) recouvre en fait une vérité inavouée et pieusement cachée : le « transfert » des Juifs que programment officiellement et textuellement les deux principales forces palestiniennes en guerre avec Israël : l’OLP (devenue « Autorité Palestinienne ») et le Hamas.
Nous avons là les bases inavouables mais factuelles du discours du « droit au retour ».
La dénégation de l’existence du peuple juif
La charte de l’OLP [15] , adoptée en mai 1964, lors de la fondation de l’OLP (définie comme sainte « alliance » car c’est le terme anglais de Covenant (désignant l’alliance biblique) que traduit notre mot charte) et modifiée en juillet 1968, n’a jamais été formellement annulée, quoique les membres du Conseil national palestinien y aient « renoncé » à l’occasion d’un vote à main levée, à l’occasion d’une visite de Clinton à Gaza.
Dans un reportage de Charles Enderlin, sur France 2, le 2 novembre 2002 [16], on voit Yasser Arafat dire au Conseil national palestinien, en présence de Clinton :
« Nous sommes ici pour poursuivre le chemin de la paix et pour respecter les engagements que nous avons déjà pris. C’est pourquoi je vous demande de lever la main pour montrer votre accord ». Tous lèvent la main.
Le commentaire de Charles Enderlin :
« Sous le regard du président des États-Unis, le CNP vote l’abrogation des articles de la charte de l’OLP qui stipule la destruction d’Israël » [17] est fantaisiste car l’article 33 de la Charte palestinienne stipule que ladite charte ne peut être amendée que par un vote des 2/3 des membres du Congrès national de l’OLP devenu Conseil national palestinien, réuni à cet effet.
En fait, en avril 1996, le parlement palestinien avait voté la possibilité de procéder à un vote annulant la charte. Cette possibilité a été reconnue mais ce vote n’a jamais eu lieu. Yasser Arafat lui-même l’a récemment reconnu qu’il ne l’avait pas abrogée et que personne n’avait le pouvoir de l’abroger.
Les présupposés de la charte de l’OLP
Les Israéliens n’existent pas
Article 6. « Les Juifs qui résidaient normalement en Palestine jusqu’au début de l’invasion sioniste seront considérés comme palestiniens. »
Le même Conseil national stipule dans une résolution que « l’agression dirigée contre la nation palestinienne et sa terre a commencé avec l’invasion sioniste de la Palestine ».
Or le début de « l’invasion sioniste » commence avec la Déclaration Balfour, en 1917 (cf. infra, article 20), de sorte qu’il faut donc comprendre que les Juifs arrivés après 1917 (et donc la troisième génération après eux) devront quitter les lieux et regagner leurs pays d’origine (sic). Ils ne pourront pas devenir des citoyens palestiniens.
C’est ce que laissaient entendre les précédentes versions de l’article 6 de la Charte : « les Juifs d’origine palestinienne seront considérés comme palestiniens s’ils sont disposés à s’efforcer de vivre loyalement et pacifiquement en Palestine ».
Ceux arrivés après 1917 ne sont pas dans ce cas puisqu’ils sont des envahisseurs. « Effacer les traces de l’agression » doit donc signifier effacer toute trace d’agression depuis le début de l’invasion sioniste et non depuis la guerre de juin 1967.
Ce traitement est donc formellement discriminatoire pour les Juifs parce qu’il les exclue de la « Palestine démocratique » en fonction d’un critère différent du critère qui définit le Palestinien arabe selon l’article 5 : « Les Palestiniens sont les citoyens arabes qui habitaient en permanence en Palestine jusqu’en 1947, qu’ils en aient été expulsés par la suite ou qu’ils y soient restés. Quiconque est né de père palestinien après cette date, en Palestine ou hors Palestine, est également palestinien. »
On voit donc très bien, à ce propos, que palestinité et arabité sont identiques et fondent la citoyenneté palestinienne, ainsi définie en fonction de critères ethniques fort peu « démocratiques ».
Signalons l’anachronisme qui évoque des citoyens arabes habitant en permanence dans une Palestine qui n’a jamais constitué un État et où une « citoyenneté » politique était donc encore moins possible.
Les Juifs ne sont pas un peuple
La gravité du projet de l’expulsion des Juifs, c’est-à-dire de la quasi-totalité des citoyens israéliens, venus après 1917, par le futur État palestinien, fonde son « évidence » et sa « moralité » sur quelques astuces rhétoriques de la même charte qui dénie à l’État d’Israël toute légitimité, à la fois en tant qu’État et en tant que peuple et qui décrète ce que sont et doivent être les Juifs : pas un peuple mais une religion.
L’article 19 décrète que : « Le partage de la Palestine de 1947 et la création de l’État d’Israël sont nuls et non avenus, quel que soit le temps écoulé depuis cette date, étant donné qu’ils ont été opérés contre la volonté du peuple palestinien et son droit naturel à sa patrie et qu’ils sont en contradiction avec la Charte des Nations Unies, particulièrement quant aux droits des peuples à disposer d’eux mêmes. »
L’article 20 : « La déclaration Balfour, le mandat sur la Palestine et tout ce qui en découle sont réputés nuls et non avenus. Les prétentions fondées sur les liens historiques et spirituels des Juifs avec la Palestine sont incompatibles avec les faits historiques et avec une juste conception des éléments qui concourent à constituer un État. Le judaïsme étant une religion révélée, il ne saurait constituer une nationalité ayant une existence indépendante. De même les Juifs ne forment pas un seul et même peuple ayant une identité spécifique mais sont les citoyens des États auxquels ils appartiennent. »
C’est donc au nom du judaïsme, une religion, que le sionisme est décrété « artificiel » et voué légitimement à l’éradication : l’article 22 : « le sionisme est un mouvement politique organiquement lié à l’impérialisme international… raciste… fanatique… agressif, expansionniste et colonialiste… fasciste ». Israël est défini comme l’ennemi du genre humain « source constante de menaces à la paix… dans le monde entier. »
Une déclaration de guerre au monde juif
Article 23 : Les Palestiniens « requièrent de tous les États soucieux de maintenir des relations amicales entre peuples et de veiller à la loyauté de leurs citoyens à leurs pays respectifs, de considérer le sionisme comme un mouvement illégal et d’en proscrire l’activité ».
Une déclaration de guerre au judaïsme mondial ne ferait pas mieux car on met les États du monde entier en garde contre leur « cinquième colonne » juive. Le sionisme s’y voit défini comme l’instigateur d’un complot mondial.
Dénégation de la légalité internationale
La légalité, quant à elle, en prend un coup au passage car la Charte transgresse deux documents du droit international : la Déclaration Balfour, le mandat britannique sur la Palestine voté par la Société des Nations et le partage de la Palestine voté par l’ONU. Quant au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la Charte le refuse royalement aux Juifs pour se l’attribuer avec un chauvinisme exclusiviste.
L’épuration ethnique
C’est sur la base de ce tour de passe passe que le futur État « garantira la liberté du culte en permettant à chacun de s’y rendre (sauf donc aux Juifs venus après 1917 !) sans distinction de race, de couleur, de langue ou de religion ».
Mais il est clair que le peuple palestinien à venir est « le peuple arabe palestinien » (article 21), rejetant « toute solution de remplacement à la libération intégrale de la Palestine ».
La charte du Hamas : les Juifs sont des dhimmis
Même tonalité dans la charte du Hamas. Il n’y est fait aucun mystère de ce qui attend les Juifs. Faisant de la guerre contre les Juifs l’axe même du Djihad de tout l’islam mondial, il est décrété que « la terre de Palestine a été un waqf islamique… personne ne peut y renoncer ni la partager ni l’abandonner en totalité ou en partie » (article 11).
Ainsi, l’article 13 déclare : « il n’y a de solution au problème palestinien que le djihad ».
Les Juifs n’ont donc de condition possible que celle du dhimmi.
L’article 31 décrète dans cet esprit : « dans l’ombre de l’islam il est possible pour les trois religions (islam, christianisme, judaïsme) de coexister dans la sécurité. Il n’y a de sécurité qu’à l’ombre de l’islam, l’histoire récente et ancienne en est le meilleur témoignage. Les membres des autres religions doivent s’abstenir de toute lutte avec l’islam concernant la souveraineté de cette région. Car s’ils devaient l’emporter le combat, la torture et le déracinement s’ensuivraient ».
En somme, l’État d’Israël doit être détruit car sa terre est sacrée et islamique.
Les Juifs qui subsisteraient parce qu’ils se seraient soumis à la loi islamique seraient rétrogradés au statut de soumission du dhimmi.
Si un dhimmi (juif ou chrétien) se démet de sa soumission naturelle, la violence et l’extermination lui est réservée. Faut-il un commentaire ?
La validité de la charte de l’OLP, après Oslo
L’Observatoire du monde juif [18] a publié un florilège de citations récentes de Yasser Arafat et de leaders palestiniens (mis au point par le Dr Emmanuel Navon) qui démontrent que les présupposés de la charte de l’OLP sont de facto à l’œuvre dans le discours palestinien, même après Oslo et sa pseudo abrogation (« Je mentirais si je vous disais que je vais l’abroger. Personne ne peut le faire » (Conférence donnée par Yasser Arafat à Harvard).
La dénégation du peuple juif
« Il n’y a pas de preuve tangible qu’il y ait la moindre trace ou le moindre vestige juif que ce soit dans la vieille ville de Jérusalem ou dans le voisinage immédiat » (Communiqué publié par le ministère palestinien de l’Information, 10 décembre 1997).
« Le mur d’Al-Buraq [Mur des Lamentations] et sa place sont une propriété religieuse musulmane… [Il fait] partie de la mosquée Al Aqsa. Les Juifs n’ont aucun lien avec cet endroit » (Mufti de Jérusalem, nommé par Yasser Arafat, Al Ayyam [journal de l’Autorité palestinienne], 22 novembre 1997).
« Le mur d’Al-Buraq est une propriété musulmane et fait partie de la mosquée Al Aqsa » (Le ministre des Affaires religieuses de Yasser Arafat, Hassan Tahboob, dans une interview accordée à l’agence de presse, IMRA, le 22 novembre 1997).
« Ce n’est pas du tout le mur des Lamentations, mais un sanctuaire musulman » (Yasser Arafat, Maariv, 11 octobre 1996).
« Tous les événements liés au roi Saul, au roi David et au roi Rehoboam se sont déroulés au Yémen, et aucun vestige hébreu n’a été trouvé en Israël pour la bonne et simple raison qu’ils n’y ont jamais vécu » (Jarid al-Kidwa, historien arabe, au cours d’un programme éducatif de l’OLP, en juin 1997 et cité dans Haaretz le 6 juillet 1997).
« Jérusalem n’est pas une ville juive, en dépit du mythe biblique qui a été semé dans certains esprits. Il n’y a pas d’évidence tangible de l’existence juive d’un soi-disant « Temple du mont Era », on doute de l’emplacement du mont du Temple, il se peut qu’il ait été situé à Jéricho ou ailleurs » (Walid Awad, directeur des publications pour l’étranger du ministère de l’Information de l’OLP, interviewé par l’agence de presse IMRA, le 25 décembre 1996).
« Abraham n’était pas juif, pas plus que c’était un hébreu, mais il était tout simplement irakien. Les Juifs n’ont aucun droit de prétendre disposer d’une synagogue dans la tombe des patriarches à Hébron, lieu où est inhumé Abraham. Le bâtiment tout entier devrait être une mosquée » (Yasser Arafat, cité dans le Jerusalem Report, 26 décembre 1996).
Le plan « par étapes » de la destruction d’Israël
Mai 1994 : Discours à la mosquée de Johannesburg. Yasser Arafat compare les accords d’Oslo au pacte de Houdaibiya. 2 mai 1998.
Interview dans un journal égyptien : « le sort des accords d’Oslo ne sera guère différent des accords avec les Quoreish. »
Novembre 1998 : « La paix d’Oslo est une paix à la Houdabiya » (15 novembre 1998. Discours prononcé devant des membres de la branche jeunes du Fatah).
Novembre 1994 : « Seul un État palestinien est capable de poursuivre la lutte à mener pour chasser l’ennemi de toutes les terres palestiniennes » (Jerusalem Post, 18 novembre 1994).
Juillet 1995 : « C’est le programme par étapes que nous avons tous adopté en 1974, pourquoi vous y opposez-vous ? » (Yasser Arafat, en réponse aux critiques de ceux qui sont opposés aux accords avec Israël).
Septembre 1995 : « Oslo II applique, en la différant, l’une des étapes du plan par étapes de l’OLP de 1974 » (A-Daysur [journal jordanien], 19 septembre 1995.
« La lutte contre l’ennemi sioniste n’est pas une question de frontières, mais touche à l’existence même de l’entité sioniste » (Bassam-abou-Sharif, porte-parole de l’OLP, Kuwait News Agency – Agence de presse koweïtienne, 31 mai 1996).
« Le but stratégique est la libération de la Palestine, du Jourdain à la Méditerranée, même si cela signifie que le conflit doive durer encore mille ans ou pendant de nombreuses générations à venir » (Faisal Husseini, interview accordée à Al-Arabi [Égypte], 24 juin 2001).
« La bataille ne se terminera pas avant que la totalité de la Palestine ne soit libérée » (Yasser Arafat, Voice of Palestine – La voix de la Palestine –, novembre 1995.
« Bénie sois-tu, Jaffa, tes fils reviennent ; Jaffa, Lod, Haïfa, Jérusalem – vous revenez » (Yasser Arafat, cité dans Maariv, 7 septembre 1995.
« Après l’établissement d’un État palestinien dans la totalité de la Cisjordanie et de Gaza, la lutte contre Israël continuera » (le député de la Knesset, Ami Bishara, supplément hébdomadaire de Haaretz, 22 mai 1998).
« [Notre but est] d’éliminer l’État d’Israël et d’établir un État qui soit entièrement palestinien » (Yasser Arafat, session privée avec des diplomates arabes en Europe, 30 janvier 1996. Cité dans le Middle East Digest, 7 mars 1996).
« Nous perdrons ou nous gagnerons, mais notre regard restera fixé sur notre but stratégique ; à savoir la Palestine du [Jourdain] à la mer » (Marwan Barghouti, chef du Fatah de Cisjordanie, New Yorker, 2 juillet 2001).
« Nous avons décidé de libérer notre patrie par étapes. Si Israël continuait, alors, pas de problème. Si Israël dit « assez », lorsque cela arrivera, nous aurons de nouveau recours à la violence. Mais cette fois ce sera avec 30 000 soldats palestiniens armés et à partir d’une terre » (Nabil Shaath, responsable palestinien de premier plan, dans un discours fait à Naplouse [Schem], janvier 1996).
« Tout ce que vous voyez et que vous entendez aujourd’hui a des raisons tactiques et stratégiques. Nous n’avons pas renoncé à nos armes. Nous avons toujours des bandes armées dans ces régions et si nous n’obtenons pas notre État nous les sortirons de nos cachettes et nous reprendrons la lutte. » (Faisal Husseini, discours à l’université de Bir-Zeit, le 22 novembre 1993).
La Palestine essentialiste
Face à l’anhistoricisation du peuple juif, déniant à Israël tout droit d’exister, l’identité palestinienne est définie, par contre, dans des termes essentialistes. La charte déclare ainsi dans cet esprit :
Article 1 : « La Palestine est la patrie du peuple arabe palestinien ; elle constitue une partie inséparable de la grande partie arabe, et le peuple palestinien fait partie intégrante de la nation arabe ».
Article 4 : « L’identité palestinienne constitue une caractéristique authentique, essentielle et intrinsèque : elle est transmise des parents aux enfants ».
Article 2 : « La Palestine dans les frontières du mandat britannique, constitue une unité territoriale indivisible ».
La « Palestine historique »
Pour fonder le « droit au retour », le discours palestinien oppose ainsi l’authenticité de la condition de peuple des Palestiniens à l’artificialité de la collectivité israélienne.
Il reconstruit par besoin une origine mythique aux Palestiniens afin qu’ils jouissent des attributs de permanence, de continuité, d’enracinement, d’autochtonie en un mot, qui feraient un peuple authentique à l’inverse de la condition d’étranger, de réfugié, de déraciné – et donc de colon (la version nouvelle du « Juif errant ») – des Juifs.
On entend ainsi parler aujourd’hui – et à cette occasion – du concept de « Palestine historique », d’un peuple et d’un pays qui auraient existé de toute éternité et qu’une invasion étrangère aurait dépossédée, rendant ainsi « juste » sa reconstitution à l’ancienne.
Dans l’éradication de l’État d’Israël. Tel est le discours même de l’antisionisme du début du xxie siècle.
L’entité géographique
Or telle ne fut pas l’histoire de la « Palestine historique ».
Le terme lui-même de Palestine – qui le sait ? – fut donné par l’empereur Hadrien au territoire des Royaumes de Juda et d’Israël (oui, « Judée » et « Samarie » sont les noms de lieux historiques de la « Cisjordanie ») occupés par l’Empire romain, après l’échec de la révolte juive de Simon Bar Kokhba, en 135 après J.-C.
D’où venait ce nom ? Des pires ennemis du peuple juif de l’Antiquité, les Philistins. Qui étaient les Philistins ? Des envahisseurs venus des îles grecques et établis sur la côte, entre Ashdod et Gaza.
Origine du mot « philistin » ? De la racine p-l-sh, « envahir ». En somme, le terme de Philistin, d’où dérivent Palestine et Palestinien, désigne l’invasion de ce territoire tant convoité. Une tradition midrachique nous dit en effet que les sept peuples canaanéens « originels » étaient eux-mêmes des envahisseurs qui avaient éradiqué du pays les premiers habitants, un peuple de géants…
Le mandat britannique sur la Palestine, décrété par la SDN prend la suite de l’Empire ottoman dont le pouvoir allait de la Perse au Maroc et sous lequel il n’y eut jamais d’entité palestinienne.
Comme il n’y en eut pas durant la brève période de l’empire islamique et des dynasties qui lui succédèrent (ommeyade, abasside, mongole, mamelouk).
Il n’y eut jamais d’entité palestinienne spécifique historico-politique, séparée du cadre arabo-islamique.
La région faisait partie géographiquement de la Grande Syrie.
L’épisode des royaumes croisés constitue le seul exemple d’autonomie de ces territoires. Quant au mandat britannique (l’empire britannique sous supervision de la SDN succède à l’empire ottoman, lui-même héritier du bref empire islamique, successeur de l’empire byzantin, héritier de l’empire romain qui avait pris possession du royaume juif des Macchabées), il concernait à l’origine les deux rives du Jourdain.
Ce n’est qu’en 1922 que la Transjordanie (la Jordanie actuelle) fut créée et détachée de la Palestine mandataire dont elle était partie intégrante, pour servir les intérêts de la politique britannique auprès de l’émir Abdallah, fondateur de la dynastie hashémite de la future Jordanie.
(À ce propos, le doute plane sur les réelles intentions de l’État palestinien vis-à-vis de l’actuelle Jordanie dont la majorité de la population est palestinienne mais de citoyenneté jordanienne car, dans son article 2, la Charte palestinienne décrète de façon floue « la Palestine dans les frontières du mandat britannique, constitue une unité territoriale indivisible ».)
Si un État palestinien n’est pas né après guerre, c’est parce que les États arabes, y compris les Palestiniens, n’ont pas accepté le partage de l’ONU et ont attaqué l’État d’Israël qui venait d’être proclamé, conformément à la décision de l’ONU.
La Jordanie eut le temps d’envahir la Cisjordanie et l’Égypte la zone de Gaza, occupant des territoires désormais de statut incertain.
L’entrée d’Israël, après la guerre des 6 jours provoquée par le monde arabe, asseoit une occupation sur une autre.
L’occupation de ces territoires ne date donc pas de cette époque. Mais c’est alors que se lève la revendication arabe qui auparavant avait été réprimée sous la férule de fer de la Jordanie et de l’Égypte, puissances occupantes.
L’entité démographique
La singularité identitaire des Palestiniens qui s’est aujourd’hui affirmée au contact d’Israël ne fut pas dès le départ, et peut-être n’est toujours pas dissociée de l’identité arabe globale, la « nation arabe » dans sa version nationale, ou la « Oumma » islamique, dans sa version religieuse. C’est à cette dernière que fait appel Arafat quand il invoque la « guerre sainte », le djihad pour motif de sa guerre. L’article 1 de la Charte palestinienne soulignant que le « peuple palestinien fait partie intégrante de la nation arabe » le signifie bien.
Mais il n’y a pas que le territoire ou l’identité qui soient rétrospectivement historicisés.
Le « peuple palestinien » lui-même est une invention récente, sans guère plus d’« authenticité » que les immigrants juifs du début du sionisme, si l’on veut comparer, à l’aune des critères de l’OLP elle-même.
Mais, par contre, en rapport direct avec cette immigration qui fit du Foyer national juif un bassin économique attirant vers lui des vagues d’immigration venues de nombreux et divers pays arabes, jusqu’aux années 1940 (un courant migratoire qui commença en fait dès le début du xixe siècle).
Une forte immigration musulmane et arabo-chrétienne venant des pays voisins (Liban, Syrie, Bédouins) profitèrent de la promulgation en 1858 d’un Code foncier autorisant la colonisation des terres vierges et « mortes ».
Les riches bourgeoisies arabes s’approprièrent les terres qu’elles firent travailler aux fellah ou aux Bédouins.
La population musulmane de Haïfa est ainsi originaire des Syriens du Djebel Druz. Les Arabes, sujets ottomans, pouvaient en effet s’installer sur ces terres.
De 1831 à 1840, le pays était sous la juridiction de Mehemet Ali, vice roi d’Égypte : six mille colons égyptiens s’installèrent à Haïfa, et en Galilée. La vague migratoire égyptienne continua avec régularité, après coup, à Jaffa, Gaza, Tulkarem, dans les vallées du Huleh et de Beit Shean, dans la vallée du Yarkon, en Samarie, à Naplouse et la zone du « petit Triangle ».
Les partisans de l’émir algérien Abd El Kader le suivirent au Liban en 1856 et s’établirent en Galilée, à Jaffa, Ramlah et Jérusalem au point qu’en 1948 la plus grande partie de la population de Safed était d’origine algérienne.
En 1878, des Circassiens quittent le Caucase, annexé à la Russie, pour la Galilée. Des Bosniaques fuirent l’Autriche et s’installèrent en Galilée, sur le Carmel et dans la plaine côtière.
On compte aussi des émigrations du Maroc, du Yemen, du Soudan, du Kurdistan, d’Iran…
En 1917, le port de Jaffa comportait une population musulmane originaire de 25 pays musulmans.
Le flot migratoire continua bien sûr sous le mandat britannique.
Si l’immigration juive était limitée, l’immigration arabe ne l’était pas.
Elle représenta environ 40 % de l’immigration totale, surtout en provenance de Syrie et du Liban. La population arabe des villes juives augmenta de façon considérable entre 1922 et 1946. Plus de 216 % à Haïfa, plus de 134 % à Jaffa, plus de 90 % à Jérusalem, ville à majorité juive dès 1889 [19].
Entre 1922 et 1942, la population rurale arabe connût un accroissement de 65 %.
Dans les villes spécifiquement arabes, on ne constate pas bien sûr une augmentation démographique aussi prononcée, ce qui témoigne de l’importance du facteur économique juif dans la motivation migratoire.
Les Britanniques consignèrent l’expulsion de 95 Juifs immigrants illégaux pour 1 001 arabes.
En 1938, 30 Juifs contre 703 arabes : ce qui donne une idée de l’ampleur de la vague migratoire arabe, car il ne s’agit là que des clandestins capturés par une police aux faibles moyens.
Cette réalité, déprimante pour le discours de la Palestine, transparaît dans l’étonnante inégalité des critères de définition de la palestinité que met en œuvre la Charte palestinienne fixant le seuil à 1917 pour les Juifs et 1947 pour les Arabes.
Si le seuil de l’identité de ces derniers avait été fixé, lui aussi, à 1917, gageons qu’il n’y aurait plus eu de « peuple palestinien historique »…
Il y a donc une manipulation idéologique à opposer un peuple palestinien historique et enraciné à des groupes d’immigrants juifs étrangers, sans liens entre eux ni avec Eretz Israel.
Jéricho : le mensonge palestinien et la vérité historique
A Munich, lors de la dernière Conférence sur la Sécurité, Saeb Erekat, le représentant de l’Autorité palestinienne, a déclaré que les Palestiniens ne pouvaient accepter Israël comme « Etat juif » car « le peuple palestinien a vécu dans cette région du monde bien avant les Juifs ».
Dans le contexte du débat actuel sur l’avenir de la vallée du Jourdain, Erekat a affirmé que ses ancêtres étaient « les véritables descendants des Cananéens », affirmant sans rougir : « ils vivaient ici, il y a plus de 5 500 ans, bien avant Josué [Yéoshoua Ben Noun ] ».
Ce n’est pas la première fois que des officiels palestiniens, et notamment leur président Mahmoud Abbas, soulignent la présence de « Palestiniens » en Terre Sainte avant même celle des Hébreux.
Pour argumenter sur des questions politiques il est bien facile pour eux de falsifier l’Histoire et les Ecritures. Ainsi osent-ils tromper l’opinion publique internationale.
Rappelons que la conquête arabo-musulmane en Terre sainte a eu lieu plus de six siècles après notre ère, en l’an 634.
Sur quel fait historique et sur quel document se base Erekat?
Bien entendu ses propos sont insensés et infondés, mais il est aussi regrettable et étonnant que les politiciens et les journalistes ont été rares à relever cette falsification grotesque de l’Histoire.
La présence juive dans notre pays est incontestable sur tous les plans, elle remonte à plusieurs millénaires. Les preuves, nombreuses, sont irréfutables : à Jéricho précisément, dans la première ville conquise en pays de Canaan par Josué, existe une synagogue du nom de Shalom al Israël. Découverte avec sa magnifique mosaïque en 1936, elle a été construite durant la période byzantine. Non loin de là, à Wadi Kelt est située une autre synagogue datant de l’an 75 avant notre ère, à l’époque des Hasmonéens.
Selon Moshe Gil, auteur de l’ouvrage L’Histoire de la Palestine (634-1099) publié à Cambridge University Press :
« la population juive en Palestine au moment de la conquête musulmane fut composée des descendants directs des Hébreux installés dans le pays depuis Josué » ; en d’autres termes, soit presque 1 500 ans avant l’ère chrétienne.
Plus encore, on apprend par d’autres historiens et chercheurs, dont par Baron Wittmayer dans son Histoire des Juifs publiée chez Columbia University Press, que le calife Omar avait en 634 expulsés 20 000 Juifs de Khaybar, ces Hébreux venus s’installer au nord de l’Arabie saoudite précisément en provenance de Jéricho.
Cette affirmation est aussi confirmée par des théologiens musulmans.
Ils racontent qu’après la célèbre bataille de Khaybar la plupart des Juifs de la ville saoudienne sont repartis s’installer dans la région de Jéricho et dans le nord de la Samarie.
La présence juive dans le pays est attestée par de nombreux témoignages et écrits et par des découvertes archéologiques datant de plusieurs millénaires, tandis que les revendications à caractère politique faites par les dirigeants palestiniens pour tenter de réfuter la longue et riche histoire du peuple juif dans notre région n’ont aucune preuve tangible.
Le CAPE de Jérusalem
Notes
[*] Une autre version de ce texte est parue in Raphaël Israeli Palestinians between Israel and Jordan. Squaring the triangle, Praeger New York, copyright Raphaël Israeli. [1] Cf. Farouk Mardam-Bey et Elias Sanbar (éd.), Le droit au retour, le problème des réfugiés palestiniens, Sindbad Actes Sud, 2002, p. 378. [2] Idem, p. 382. [3] Cf. Dominique Vidal avec Joseph Algazy Le péché originel d’Israël, Éditions de l’Atelier, Éditions Ouvrières, 1998. [4] Selon l’expression de Jean Michel Chaumont, La concurrence des victimes : génocide, identité, reconnaissance, La Découverte, 1997. [5] Cet abus donna son titre au livre de Tzvetan Todorov, thèse reprise par Paul Ricœur dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, Le Seuil, 2000. [6] Cf. S. Trigano L’idéal démocratique à l’épreuve de la Shoah, Odile Jacob, 1999. [7] Cf. Le droit au retour…, op. cit., p. 389. [8] Voir infra, annexe. [9] Voir infra, annexe. [10] Le droit au retour…, op. cit., p. 384. [11] Elias Sanbar rapporte les lignes essentielles du document israélien présenté lors des négociations de Taba en janvier 2001. On y découvre avec stupéfaction ce qu’un gouvernement Barak aux abois y concède : la reconnaissance d’un droit au retour, séparé de la prise en considération des droits des Juifs des pays arabes. Il y est demandé aux États arabes des « réparations aux « anciens réfugiés juifs » – bien que ces réparations « ne fassent pas partie de l’accord bilatéral israélo-palestinien » – « en reconnaissance de leurs souffrances et pertes » (dixit Sanbar, op. cit., p. 394-395). [12] Voyons ce qu’écrit une juriste comme Monique Chemillier Gendreau : « La logique de la création de l’État d’Israël était sans doute de donner une terre à un peuple appelé juif par référence à une religion mais aussi à une histoire qui était celle d’une longue dispersion »… « camper sur l’idée d’un État juif (qui dans les faits est un leurre avec ou sans droit au retour) c’est poursuivre l’édification d’une société d’apartheid » (cf. Le droit au retour…, op.cit., p. 314). [13] Cf. annexe. [14] Seul un parti politique l’a prôné, le Kach, interdit par la Knesset pour racisme. Seuls deux autres partis politiques, le parti « Hérout » du député Michaël Kleiner, et, dans une moindre mesure « l’Union nationale » de Avigdor Lieberman et du rabbin-député Motty Eilon (qui est l’héritier actuel de l’ancien parti « Moledet » de feu Rehavam Zéévi) prônent l’expulsion immédiate des terroristes et de leurs familles et envisagent l’éventualité de transferts de populations concernant certains secteurs des Arabes israéliens et des Palestiniens dans le cas d’un règlement négocié avec le monde arabe ou en cas de guerre d’agression flagrante déclenchée par les États arabes (renseignement obtenu auprès de Richard Darmon). [15] Cf. Y. Harkabi Palestine et Israël, Les éditions de l’avenir, 1972. [16] Renseignement obtenu auprès de Catherine Leuchter. [17] Les articles en question : 19, 20, 21, 22 et 23. [18] Bulletin n° 4/5, décembre 2002. [19] Sur la base des chiffres présentés par Michel Gurfinkiel in La cuisson du homard. Réflexion intempestive sur la nouvelle guerre d’Israël., Ed. Michalon, 2001.FIN
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