De la haine du juif à la béatification…
Louis IX passe encore aujourd’hui pour le plus antijuif des Capétiens.
Expulser les juifs? Il en conçut assurément le projet, pour la première fois à l’échelle de tout le royaume, et affirma même l’avoir fait, comme le laissent entendre succinctement quelques sources contemporaines.
Mais finalement, bien que l’édit promulgué en 1615 par Marie de Médicis lui rendît hommage, à lui « de très louable et heureuse mémoire », pour avoir chassé « entièrement de tout l’Estat ceux lesquels [les juifs] y avaient été auparavant soufferts » , il ne fit ou il ne put vraisemblablement jamais appliquer une telle décision.
Aucune trace d’un départ généralisé des juifs à l’échelle du royaume consécutif à un ordre d’expulsion ne subsiste dans les archives du règne de Louis IX.
Bien qu’entouré d’esprits brillants, qu’ils fussent clercs mendiants, cisterciens, théologiens universitaires ou encore juristes, Louis IX n’était pas un souverain « éclairé ».
Formé religieusement et moralement à la fonction de roi, il puisait une partie de son éducation dans les bibles moralisées. La fameuse Bible de Saint Louis, en particulier, fut réalisée pour lui entre 1226 et 1234 sur commande de sa mère Blanche de Castille.
De niveau médiocre, le manuscrit fourmillait d’interprétations antijuives, assimilant, par exemple, sous forme d’allégorie, la Synagogue à une « putain ». Il contribuait à distiller une exégèse plutôt fruste, loin de la finesse et des nuances de l’exégèse savante, bientôt universitaire.
Pourtant, si Louis IX légiféra bien sur « ses » juifs et, parmi les actes les plus marquants à nos yeux, fit brûler le Talmud à Paris en place de Grève à la suite d’un procès savamment orchestré autour de 1240, ses autres décisions attestent son incapacité à rejeter les juifs et à éradiquer le judaïsme…
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LOUIS IX ET LES JUIFS DU ROYAUME
Saint Louis rassemblait toutes les qualités que l’on peut attendre d’un bon chrétien craignant Dieu. Cependant, à l’instar des autres rois qui régnèrent sur la France, il se montra particulièrement zélé dans l’application des mesures répressives à l’encontre des juifs du royaume.
Il règne une grande agitation place de Grève en ce jour de juin 1242. La foule des Parisiens se masse autour de vingt quatre charrettes remplies de livres et de documents. L’observateur attentif peut distinguer les caractères hébraïques des parchemins entassés pêle-mêle. Les fonctionnaires royaux s’approchent et jettent sans ménagement les ouvrages au centre de la place alors qu’on apporte des fagots. Puis, armés de torches, ils mettent le feu à ce gigantesque bûcher. Faisant reculer les spectateurs, les flammes du brasier s’élèvent bientôt vers le ciel. En quelques heures, ce sont plusieurs centaines d’exemplaires du Talmud et de la Mishnah qui partent en fumée.
Louis IX, le pieux Saint Louis, ne fait qu’appliquer les décisions du pape.
En juin 1239, Grégoire IX a envoyé aux évêques de France l’ordre de saisir les livres des juifs. Une étude approfondie des textes est demandée à la suite de laquelle on pourra organiser un débat public entre rabbins et défenseurs de la foi chrétienne.
La majorité des souverains chrétiens ont été chargés d’organiser de telles rencontres. Mais Saint Louis est le seul à appliquer cette décision.
La disputatio a lieu entre le 25 et le 27 juin 1240, en présence du roi et de sa mère Blanche de Castille. Les docteurs de l’Église ont relevé trente cinq accusations à l’encontre du Talmud, en particulier des prises de positions extrêmes vis-à-vis du Christ et de Marie.
L’habileté oratoire des juifs donne du fil à retordre aux chrétiens. Mais le bilan reste nul, chaque camp ayant utilisé des arguments irréfutables. Deux ans seront nécessaires pour prendre une décision. Mais les jeux sont faits depuis le début. Le roi n’est-il pas chrétien? L’adresse des juifs n’est-elle pas la preuve de leur fourberie?
Saint Louis n’est pas le premier roi à s’attaquer aux intérêts des juifs.
Déjà, Philippe Auguste avait ordonné leur expulsion, en 1182. Mais, alors que ses prédécesseurs visaient essentiellement leur pouvoir économique, le fils de Blanche de Castille se place sur le plan religieux. En bon chrétien, il suit l’enseignement de l’Église à ce sujet.
Le pape Grégoire IX professait que « les pères des juifs furent amis de Dieu et leurs restes seront sauvés. » Thomas d’Aquin estimait qu’on ne « devait pas priver les juifs des choses nécessaires à la vie ». Innocent III souhaitait qu’ils restent « des errants sur terre jusqu’à ce qu’ils cherchent le nom de Jésus Christ ».
Aussi, Saint Louis se soucie-t-il autant de leur argent que du salut de leur âme.
En 1230, il leur interdit la pratique de l’usure (1), jusque-là prohibée aux seuls chrétiens. Par ailleurs, il considère que s’ils pratiquent la religion des prophètes et n’ont pas foi en le Christ, c’est par manque d’éducation.
Aussi, il crée des écoles destinées à recueillir, éduquer et convertir les orphelins juifs.
Aux convertis, il accorde une pension, sur l’argent provenant des spoliations et des saisies effectuées sur les réfractaires…
S’il ne désire pas s’approprier leurs biens, le roi n’interdit pas pour autant le rançonnement des juifs. Au sénéchal de Carcassonne, il demande de leur soutirer « le plus que vous pourrez car nous voulons avoir du leur. » Si une partie de cet argent revient aux convertis afin de les maintenir dans le droit chemin, le reste finance les croisades.
Durant les vingt dernières années de son règne, Saint Louis intensifie les mesures à l’encontre des juifs.
En 1253, il ordonne leur expulsion en masse du royaume. L’année suivante, il leur interdit la pratique du crédit et leur commande, sous peine d’expulsion, de cesser « leur usure, sortilèges et caractères. »
En 1257, avant de partir à la croisade, il fait chasser les usuriers récalcitrants et vend leurs biens. Seuls les cimetières et les synagogues, ainsi que les objets du culte, sont laissés aux communautés.
Enfin, en 1259, observant les décisions du concile de Latran de 1215, le roi impose le port de la rouelle.
Cette pièce d’étoffe, de forme circulaire, cousue sur le vêtement, a pour objet de permettre à tous de reconnaître un juif du premier coup d’oeil. Tout contrevenant est frappé d’une amende et son vêtement, confisqué, est remis au dénonciateur.
A la demande de Philippe le Bel, Saint Louis est canonisé, en 1297.
Dans son procès en béatification, les mesures prises à l’encontre des juifs sont reconnues comme une preuve de son attachement à l’Église, au pape et à la religion chrétienne.
Sept siècles plus tard, c’est précisément pour ces raisons que le procès d’Isabelle de Castille est ajourné sine die. Entre-temps, l’histoire a jugé…
Isabelle la Catholique enfin béatifiée?
2018 : L’archevêque de Grenade, Mgr Francisco Javier Martínez, a annoncé que les évêques de la province ecclésiastique de Grenade ont approuvé à l’unanimité la reprise du procès en béatification de la reine Isabelle la Catholique.
Les évêques du sud de l’Espagne étaient réunis à Cordoue pour leur assemblée ordinaire les 22 et 23 mai 2018. Egalement présents, les évêques de la province de Séville ont eux aussi voté à l’unanimité la reprise du procès.
La vie d’Isabelle de Castille est étroitement liée à l’archidiocèse de Grenade. C’est sous son règne que fut achevée la Reconquista, avec la reddition de Boabdil, dernier émir de Grenade, le 2 janvier 1492. C’est également dans la crypte de la Chapelle royale de la cité que reposent ses restes mortels, aux côtés de ceux de son époux Ferdinand. Les pèlerins et visiteurs viennent d’ailleurs chaque année par milliers honorer la mémoire des deux souverains qui méritèrent de recevoir de la papauté le qualificatif de « rois très catholiques ».
Isabelle est morte le 26 novembre 1504. Tous les ans, à la même date, la Chapelle royale commémore cet événement par une messe d’action de grâces pour celle qui a brillé dans le sage gouvernement de son royaume et l’évangélisation du Nouveau monde.
Les opposants à la béatification reprochent à Isabelle d’avoir contribué à établir l’Inquisition dans le pays, ainsi que sa conduite par rapport aux Juifs et aux musulmans.
Notes :
1 – Si les juifs pratiquent les métiers de la finance, c’est parce que l’Occident médiéval ne leur laisse pas d’autres choix. Ecartés des métiers agricoles puisqu’ils ne sont pas autorisés à faire travailler des chrétiens qu’ils soient serfs ou employés, ils ne peuvent non plus être artisans, ces derniers étant regroupés en corporations sous la protection de l’Eglise. Il ne leur reste que la pratique du prêt à intérêt, interdit aux chrétiens. Cette fonction les rend indispensables. Un souverain, dans le besoin, est alors ravi de faire appel à leurs services et, parfois, n’hésite pas à les persécuter pour « effacer l’ardoise ».
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