Jésus dans le monde juif de son temps
À la mémoire de Michel, avec le souvenir de l’exaltation du livre et de l’étude
L’Essence du christianisme d’Adolf von Harnack, paru pour la première fois en 1900, a reçu un accueil favorable par un grand nombre de chrétiens qui se réclamaient d’une « théologie libre ». Au-delà de ces cercles, il bénéficia d’un grand succès ; en témoignent les dix-huit rééditions du vivant de son auteur. Il fut traduit en quatorze langues jusqu’en 1930. Cet ouvrage fut au premier abord conçu comme un cours public destiné aux auditeurs de l’université de Berlin.
Dans ce livre, Harnack se situe en deçà des formulations dogmatiques qui définissent le christianisme et s’interroge à nouveaux frais sur la définition de l’identité chrétienne.
Comme le souligne Jean-Marc Tétaz dans la récente réédition de l’ouvrage, la définition de l’essence du christianisme est une sorte de contrepartie positive de la critique négative des dogmes mise en œuvre par Harnack [1]
Dans cette étude, nous nous proposons de reprendre certains arguments que l’ouvrage développe en centrant notre propos sur des questions majeures relatives au monde juif dans lequel évoluait Jésus.
Jésus et les pharisiens
La question de l’autorité de Jésus est des plus complexes : il parle en son propre nom sans référence à un maître qui l’ait précédé, alors qu’en monde pharisien, le renvoi à une autorité est requis afin de se rattacher à la tradition des Pères. On considère d’ailleurs que cette tradition est ininterrompue depuis la révélation sinaïtique. Cette approche vise à la constitution d’une chaîne de la tradition et représente une façon de s’inscrire dans la paradosis (transmission).
Cette tradition des Pères délivrée oralement par Moïse est perçue par les pharisiens comme une transmission sans faille au fil des générations. Or, Jésus semble déroger à cette instruction en proclamant son enseignement en son propre nom. La formule on vous a dit… et moi je vous dis se démarque de l’énonciation protocolaire de rigueur chez les pharisiens puis au sein des Rabbis du Talmud. Chez ces derniers, la formule consacrée est Rabbi untel dit au nom d’untel qui dit au nom d’untel, etc.
Bien sûr, cette façon de se rattacher à une chaîne qui serait ininterrompue est une vue de l’esprit ; elle permet aux pharisiens, et plus tard aux Rabbis, de légitimer leur propos et de leur donner plus de poids. Elle confère au prédicateur une teneur particulière : son enseignement (totalement novateur) a déjà été promulgué à Moïse, et lui ne fait que l’expliciter afin de le rendre compréhensible et applicable au plus grand nombre. Le maître pharisien ne se veut donc pas à proprement parler législateur, mais didacticien de la Loi. Cette Loi est vécue comme un absolu qui est au-delà de tout autre précepte.
Selon Harnack, la prédication de Jésus est plus élevée que celle de Jean le Baptiste. Bien que se démarquant des approches pharisiennes, Jean le Baptiste ne crée pas de césure, celle-ci ne survenant qu’avec Jésus.
Jésus s’oppose aux pharisiens de son temps en ce qu’il élabore une nouvelle humanité en opposition à l’ancienne, il est celui qui inaugure un nouvel éon plus libre et plus proche du divin. Il désenclave la loi emprisonnée par les pharisiens et modifie la perception du divin. C’est donc en termes de transition depuis un « Dieu comme le despote qui veille au respect du cérémoniel de son règlement de maison » jusqu’à un Dieu présent tel « l’air que l’on respirait » qu’il y a lieu d’appréhender la prédication de Jésus.
Dieu n’est plus étriqué parmi « un labyrinthe de défilés étroits, d’impasses et d’issues secrètes », il sort de la loi qui l’enferme et se trouve enfin libéré grâce au message de Jésus. Jésus inaugure la présence d’un Dieu vivant annonçant « la noblesse de l’âme » et clôt l’« industrie terrestre » du divin [2]
Il est évident que ces propos choisis parmi tant d’autres du même acabit sont de l’ordre du jugement de valeur. La perspective d’Harnack est de dresser une ligne de démarcation entre une approche archaïque et surannée et une autre, épanouissante et libératrice.
La question est toutefois complexe : certaines modalités d’expression et d’enseignement de Jésus se démarquent in situ de celle des pharisiens. Cependant cela n’empêche nullement de situer l’homme Jésus au sein de ce mouvement.
On sait en effet que le mouvement pharisien était loin de représenter une entité monolithique ; il était plutôt composite et ramifié. Il n’y avait donc pas une école pharisienne, mais des écoles pharisiennes. Ces écoles se composaient de nombreuses ramifications différentes les unes des autres, des différences qui, d’ailleurs, se retrouvent parmi les figures rabbiniques plus tardives.
Jésus trouve sa place au sein de cette pluralité, il partage avec d’autres pharisiens la croyance en la résurrection des corps plutôt que la croyance dans l’immortalité de l’âme (que l’on trouve chez les esséniens).
Jésus est également influencé par les modes de raisonnements textuels et les modèles interprétatifs qui ont cours chez les pharisiens. Il présente donc de sérieuses affinités avec ce mouvement, et qui veut affilier Jésus à l’un des mouvements juifs de son temps doit avoir tout cela à l’esprit.
Il convient également de prendre ces éléments en considération lorsqu’on s’intéresse aux luttes entre Jésus et les pharisiens.
Jésus profère sa prédication en utilisant deux méthodes qui sont propres aux pharisiens : il commente les textes canoniques qu’il cite, et il utilise des mashalim (paraboles). Par là, Jésus demeure pleinement dans la ligne des docteurs de la Loi, ses contemporains. Une certaine effervescence dans le monde juif caractérise l’époque de Jésus. C’est le temps de l’élaboration de la halakha et de l’herméneutique rabbinique qui constituent la Loi orale. Cette époque d’intense créativité intellectuelle s’exprime dans une tradition orale qui sera plus tard consignée dans la littérature talmudique. La méthode interprétative des Sages dans la fixation de la halakha a précisément pour objet le commentaire systématique de la Bible [3]
Jésus utilise fréquemment les paraboles et les récits anecdotiques ; elles sont pour lui des moyens d’expliciter, d’exemplifier ou d’illustrer son propos. Elles ont valeur d’enseignement. On peut donc se demander d’où lui vient cette habitude.
Cette méthode se retrouve dans la littérature midrashique ; le midrash, certes de rédaction plus tardive, comprend des matériaux littéraires bien antérieurs à Jésus. Ainsi, il n’est pas surprenant qu’il soit imprégné de ces procédés oraux (aggadoth) qui sont courants à son époque et qu’il en fasse un usage très fréquent [4]
L’enseignement de Jésus se retrouve donc dans la fragmentation socioreligieuse des pharisiens. Quant à son autorité, bien que ne se réclamant d’aucun maître pharisien, elle est fondée sur l’interprétation de l’Écriture telle que les pharisiens la pratiquaient. On ne doit pas non plus oublier qu’un effet littéraire est attaché au type d’autorité que les Évangiles attribuent à Jésus et qui provient de la tradition kérygmatique plus tardive. On ne peut évidemment comprendre ce dernier point que si l’on replace les textes des Évangiles à l’époque de leur rédaction, c’est-à-dire quelques décennies après la crucifixion de Jésus.
Dans une perspective purement historique, on peut prétendre que Jésus est un pharisien en lutte avec d’autres pharisiens. Trois attestations littéraires du Talmud permettent d’imaginer la pluralité et la fragmentation du mouvement pharisien de l’époque de Jésus :
Talmud de Jérusalem, Berakhot, 9, 7 (5), 14b :
Il existe sept sortes de pharisiens [perushin] : le pharisien prétentieux [qui aime se mettre en évidence], le pharisien hautain, le pharisien teneur de livres, le pharisien parcimonieux, le pharisien qui veut rembourser son dû, le pharisien qui a la crainte, le pharisien qui aime.
Le pharisien prétentieux exhibe ses actions sur son épaule [pour que chacun puisse les voir], le pharisien hautain fait attendre et n’a pas de temps pour toi car il doit accomplir un commandement, le pharisien teneur de livres paie sa dette [son péché] en accomplissant les observances, le pharisien parcimonieux dit : du peu que je possède, je donne de mes biens pour les bonnes actions, le pharisien qui veut rembourser son dû demande aux gens de lui énoncer les péchés qu’il a commis, le pharisien qui a la crainte est le disciple de Job, et le pharisien qui aime est le disciple d’Abraham. Aucun n’est autant aimé de Dieu que le pharisien qui aime [qui est l’émule d’]Abraham.
Talmud de Babylone, Sotah, 22b :
Nos maîtres ont enseigné : il y a sept sortes de pharisiens. Le pharisien prétentieux, le pharisien hautain, le pharisien teneur de livres, le pharisien parcimonieux, le pharisien qui veut rembourser son dû, le pharisien qui aime, et le pharisien qui a la crainte.
Le pharisien prétentieux se comporte comme Sichem (de même que Sichem a pratiqué la circoncision de façon intéressée, ce pharisien se comporte pudiquement et également de façon intéressée), le pharisien hautain se blesse les pieds [et les traîne pour feindre une attitude sobre et humble], le pharisien teneur de livres (R. Nahman bar Isaac dit : il se fait saigner sur les murs [car il ferme les yeux pour feindre une grande sobriété et une grande pudeur et se cogne la tête sur les murs en marchant]), le pharisien parcimonieux (R. Rabah bar Shelah dit : il courbe [la tête, et plie le corps en feignant une grande crainte du péché]), le pharisien qui veut rembourser son dû (on pose la question : C’est une qualité [que de vouloir rembourser sa dette ?] En fait il dit : Quelle est la dette que je peux encore rembourser ? [Il se considère comme parfait et désire que les gens le sachent ainsi il demande ce qu’il peut encore rembourser]), le pharisien qui aime et le pharisien qui a la crainte [accomplissent les commandements de façon désintéressée].
Abbayé et Rava ont dit au tana : N’enseigne pas [dans la Baraïta] « le pharisien qui aime et le pharisien qui a la crainte » [bien qu’ils n’agissent pas complètement de façon désintéressée], car R. Judah a enseigné au nom de Rav : On pourra étudier la Torah et pratiquer les commandements bien que cela soit intéressé car [on commencera] à être intéressé et on en arrivera à être désintéressé. R. Nahman bar Isaac a dit : Le voilé est voilé et le dévoilé est dévoilé. Le grand tribunal [qui est dans les cieux] demandera des comptes à ceux qui se vêtissent des vêtements des pharisiens.
Alexandre Jannée a dit à sa femme avant sa mort : Ne crains pas les pharisiens, ne crains pas non plus ceux qui ne sont pas pharisiens. Crains cependant ceux qui ressemblent à des pharisiens et dont les actions sont telles les actions de Zimri mais qui demandent la récompense [le salaire] de Phinéas [en référence à Nb 25,6-15 où il est question de Zimri qui se livre à un acte immoral avec Kozbi et qui est décapité par Phinéas le zélateur].
Mishna, Sotah, 3 :
Il disait [R. Yehoshua] : Un pieux imbécile [hasid shoteh] [qui refuse de sauver une vie du fait d’une trop grande piété], un mécréant dénudé [qui se livre à des actions illicites malicieusement], une femme pudique [perusha = pharisienne], et des coups pudiques [perushim] [qui se flagelle seulement pour qu’on puisse le voir et supposer une grande piété] sont des destructeurs du monde.
Ces trois passages présentent une caractéristique commune : ils épinglent l’hypocrisie de certains pharisiens, hypocrisie qui n’est pas sans rappeler le célèbre passage du chapitre 23 de l’Évangile selon Matthieu. Sans entrer dans les complexités inhérentes à ces trois passages, on peut remarquer que Jésus a pu parfaitement s’adresser à l’un de ces groupes pharisiens en appartenant lui-même à un autre groupe.
On doit certes garder à l’esprit que certains de ces textes sont de facture tardive et ne reflètent pas précisément la réalité de l’époque de Jésus. Mais il n’est pas aberrant de penser qu’ils évoquent une situation historique qui a perduré et dont les antécédents remontent à une date fort reculée. Il est également intéressant de souligner que la littérature talmudique émane elle-même de milieux pharisiens, et cela bien que ses rédacteurs les vilipendent sans ambages. En outre, Jésus s’en prend à d’autres pharisiens à une époque où la société juive n’est pas encore sous la férule d’un des groupes pharisiens qui survivra à la destruction du Second Temple. Ce sera progressivement le cas après 70, lorsque l’enseignement pharisien de la lecture du texte biblique s’enracinera parmi les Rabbis [5]
Jésus et la halakha
Notons pour ouvrir cette nouvelle section que l’on ne peut non plus séparer Jésus des autres groupes pharisiens au motif qu’il n’observait pas la loi. On peut même prétendre au contraire qu’il fut tout au long de son existence fidèle à l’accomplissement de la loi juive, la halakha. Une lecture des Évangiles à la lumière du corpus tannaïtique montre que Jésus a scrupuleusement respecté la loi juive, cela même à propos de l’arrachement des épis le jour du sabbat.
La pratique du froissement des épis avec la main était tolérée dans la tradition halakhique galiléenne à laquelle Jésus appartenait, elle est attestée notamment par R. Yosi le Galiléen. Certains pharisiens l’ont donc critiqué parce qu’il suivait la tradition de la région dont il était originaire, la Galilée. De même les ablutions avant le repas ne constituaient nullement une obligation halakhique. Les pharisiens eux-mêmes considéraient les ablutions avant le repas comme recommandées, mais estimaient obligatoires seulement celles après le repas. Les ablutions avant le repas étaient donc à l’époque de Jésus une coutume relative à la pureté qui n’avait pas force de loi pour tous. On ne peut dès lors imputer le malentendu sur l’ablution des mains à la tradition synoptique.
D’un point de vue méthodologique, on peut aussi conjecturer que le désaccord sur les ablutions des mains peut relever d’un conflit entre chrétiens et pharisiens/tannaïtes qui se trouve postérieur à Jésus. C’est sans doute ce conflit entre chrétiens et pharisiens, auquel renvoie Mc 7,1-23, qui explique que les chrétiens des années 60-90 ont tenu à faire remonter cet épisode à Jésus [6]
Selon David Flusser, à aucun moment, Jésus n’a voulu ou même pensé abroger la loi juive. Il adresse en revanche des critiques à d’autres pharisiens sur l’observance stricte de la pureté rituelle qui peut engendrer un certain laxisme dans le comportement moral. On peut d’ailleurs ajouter que les attaques de Jésus contre des pharisiens sont beaucoup moins virulentes que les critiques des esséniens à l’adresse de ces mêmes pharisiens [7]
Les esséniens rejetaient clairement les doctrines pharisiennes. Jésus, au contraire, reconnaissait les pharisiens comme les héritiers de l’enseignement mosaïque et recommandait même de s’aligner sur leurs enseignements.
Nous nous inscrivons dans les propos de Flusser, selon lequel Jésus restait fondamentalement enraciné « dans le judaïsme universel et non sectaire, dont la pensée et la pratique étaient celles des Pharisiens [8] ».
Dans une contribution publiée en 1954, Hans-Joachim Schoeps traite de l’épineux problème de la relation entre Jésus et la loi juive [9]. Il ouvre son étude par une observation capitale tant du point de vue méthodologique que du point de vue historique.
Le passage mérite d’être cité in extenso :
Pour bien situer la question de l’attitude prise par Jésus de Nazareth à l’égard de la Loi juive, il faut la replacer au milieu des discussions qui, durant plus de trois cents ans, de l’époque des Macchabées à la clôture de la Mishna, ont accompagné, orienté et finalement stabilisé ce courant. La façon d’expliquer maintes prescriptions de la Thora, qu’il ne fallait pas transmettre sans avoir fixé avec précision quelle était leur application adéquate, et, à l’occasion aussi, la révision de prescriptions devenues périmées (par exemple Deut. 21,1ss., révisé en Sota 9, 9 ; Deut. 26, 12-15 [les dîmes], révisé en Sota 9, 10, au iie siècle avant Jésus-Christ) : tels sont les thèmes des débats des Pharisiens et de leurs décisions d’école. […] La thèse que nous défendons dans la présente étude est la suivante : la critique que Jésus fait de la Loi, les divergences existant entre sa pensée ou son attitude et la tradition juive tournent entièrement autour de parties de la Loi qui ne constituaient pas encore de son vivant une halacha définitivement stabilisée. De plus, Jésus s’oppose jusqu’à un certain point aux principes de la tradition rabbinique, mais ces « principes » n’en étaient pas encore de son temps. Ce qui était sans doute établi dès cette époque, c’était le principe de la tradition orale, selon lequel des débats sur la Loi, les votes et les décisions des écoles n’étaient pas simplement l’expression d’opinions personnelles, mais avaient un caractère inspiré. C’était aussi l’idée que toutes les halachot des rabbins [l’enseignement oral] n’étaient que l’exposition détaillée de la Thora sinaïtique (la Mishna sera leur forme fixée) et avaient déjà été révélées par Dieu à Moïse – et que par conséquent une interprétation avait d’autant plus de valeur qu’on pouvait la suivre plus haut sur la chaîne de la tradition. […]
Toute cette évolution, que naturellement nous ne pouvons apercevoir qu’à partir de son aboutissement, était encore en cours à l’époque de Jésus, et le principe qui lui sert de base, celui de l’autorité de la tradition, n’était sûrement pas encore admis par tous sans résistance. C’est ce principe qui est en jeu, nous semble-t-il, dans le conflit qui oppose Jésus aux autorités rabbiniques de son temps, les Pharisiens : Jésus se refuse à reconnaître aux halachot des rabbins alors en train de prendre forme – et donc à l’enseignement oral – l’autorité de la Thora.
Les conflits qu’il a soutenus à propos de la Loi, tout en portant sur des matières d’actualité, dérivent tous de cette différence fondamentale. Cela ne signifie naturellement pas que Jésus n’ait prêté aucune attention aux dispositions de la Loi orale, en particulier au cérémonial quotidien prescrit par les rabbins, ainsi que le montrent beaucoup de détails de son comportement que nous rapportent les évangiles (bénédiction du vin et du pain, consommation de l’agneau pascal, récitation du Hallel, etc.) [10]
Cette observation de départ est fondamentale pour bien saisir la relation de Jésus à la loi. En effet, comme le souligne fort judicieusement Schoeps, la loi juive est à l’époque de Jésus entièrement en gestation. La loi rabbinique ou loi orale, qui est le fruit de spéculations, d’interprétations, de réformes et de remaniements bibliques, était au temps de Jésus encore en pleine élaboration [11]
Ces jalons posés, on comprend mieux comment et selon quelles modalités Jésus regardait la loi. De plus, Schoeps remarque à juste titre que Jésus s’opposait à certaines interprétations novatrices des Sages de son temps. Or, on sait que d’autres Sages s’opposaient également à l’interprétation post-pharisienne de certains de leurs condisciples. Comme il a été déjà souligné, selon la plupart des Rabbis, les modèles exégétiques des pharisiens émanent en droite ligne de la révélation sinaïtique. Ces modèles novateurs se heurtaient à des voix discordantes plus conservatrices qui n’entendaient pas accepter ces approches réformatrices [12]
Certaines des pratiques attribuées à Jésus dans le Nouveau Testament trouvent un écho dans la littérature talmudique.
Prenons un exemple : Geza Vermes et Shmuel Safrai ont montré que des pratiques de Jésus, telles les guérisons à distance, la relation filiale entretenue avec Dieu – où Jésus s’adresse au divin comme à son Père –, ou encore la capacité à modifier le cycle naturel de la nature, se retrouvent de façon déclinée chez des personnages du Talmud tels Honi ha-Meagel ou encore Hanina ben Dosa, des personnages qui font partie d’un groupe distinct, nommé hassidim.
Il ne s’agit pas de pointer arbitrairement des similitudes entre des pratiques ou des attestations littéraires ; il s’agit plutôt de mettre en relief un continuum entre pratiques et enseignements de différents groupes dont chacun forme la mosaïque propre au monde juif de la fin de l’époque du Second Temple [13]
Les hassidim représentent une forme de piétisme se caractérisant par différentes pratiques que l’on peut énumérer succinctement de la façon suivante :
- une localisation topographique de ce mouvement en Galilée ;
- vie de grande pauvreté ;
- une place prééminente des femmes dans les sources relatives aux hassidim ;
- une profonde piété accompagnée d’actions charismatiques ;
- une priorité donnée à l’action plutôt qu’à l’étude ;
- des guérisons miraculeuses effectuées quelquefois à distance ;
- une faculté à intercéder pour faire survenir les pluies ;
- une relation privilégiée avec le divin s’illustrant par un rapport filial ;
- un mode d’expression avec Dieu considéré comme trivial, voire irrespectueux, par les autres Sages ;
- un élan total vers le divin basé principalement sur la prière et non sur l’étude du texte révélé.
Selon Harnack, l’autorité de Jésus réside dans sa réduction radicale du message des prophètes et des enseignements de la tradition juive.
Cette réduction radicale serait constitutive de l’autorité de sa prédication. Ce n’est donc pas l’aspect novateur de son message qui marque les esprits, mais bien sa purification de la tradition juive. Comme le souligne Jean-Marc Tétaz en reprenant les termes wébériens, le secret du charisme de Jésus réside dans cette réduction. Harnack admet que la prédication de Jésus peut se retrouver parmi les prophètes bibliques, cependant sa réduction radicale du message des prophètes lui confère toute son originalité [14]
On peut toutefois s’interroger sur le sens de l’expression réduction radicale ; selon quel procédé peut-on concentrer un message édificateur pour en extraire une réduction radicale ? Celui-ci serait-il similaire à une peau de chagrin ? Quels seraient les critères qui permettraient d’effectuer une inéluctable sélection ? De plus, à quelle tendance rattacher historiquement les termes tradition juive ? S’agit-il de la tradition des prophètes ? des traditions apocalyptiques ? des traditions pharisaïques ? des traditions judéo-hellénistiques ? des traditions qumrâniennes ? des traditions sadducéennes ?
Toutes sont issues de la société juive de la fin de l’époque du Second Temple. Il se dégage l’impression, à la lecture d’Harnack, que les concepts de tradition juive ou de réduction radicale sont utilisés arbitrairement et sans aucun discernement. On ne parvient pas à savoir précisément ce à quoi ils renvoient. Ajoutons que les invectives et les réprimandes que Jésus adresse trahissent une influence des messages prophétiques, tels qu’ils sont mentionnés dans la Bible.
Harnack clame une opposition de Jésus au judaïsme qui peut être théorisée par la formule suivante, que l’on emprunte ici à Jean-Marc Tétaz : « L’individu est l’agent d’une réduction par laquelle il met un terme à une institution et à des traditions qui sont depuis longtemps atteintes d’obsolescence », et cela afin d’« opérer une métamorphose historique dont résultent de nouvelles institutions » [15].
Autrement dit, le judaïsme est agonisant et étouffé par la surabondance de ses propres traditions.
Là encore, on assiste à un jugement de valeur éloigné de toute véracité historique, on ne comprend pas selon quels critères historiques Harnack énonce son argumentaire. Comment peut-on juger de l’agonie d’une tradition religieuse ? C’est une nouvelle fois de façon dichotomique que procède Harnack, il y aurait un judaïsme agonisant face à un christianisme vivifiant. On pourrait aisément opposer aux thèses d’Harnack la vitalité que connaissait le judaïsme de la fin de l’époque du Second Temple.
Marcel Simon a notamment montré qu’une longue lignée historiographique s’évertuait à voir dans le judaïsme une tradition exsangue une fois supplantée par l’émergence du christianisme. Le judaïsme serait tel un fossile sans aucune force d’attraction et évoluant hermétiquement face à la compétition religieuse ambiante. L’étude des relations entre juifs et chrétiens fit découvrir à Simon l’étonnant dynamisme du judaïsme des premiers siècles, de sorte que les diatribes antijuives doivent se comprendre comme le reflet de la concurrence entre judaïsme et christianisme [16]
Comme le note Guy Stroumsa, Simon a bien analysé les présupposés confessionnels et théologiques de ces conceptions, qui sont de surcroît historiquement indéfendables [17]
Selon Harnack, Jésus a substitué l’éthique aux exercices rituels qui engluaient les pharisiens. Jésus n’aurait entretenu que mépris pour le culte juif et l’aurait remplacé par l’exigence d’amour gratuit et désintéressé. Dans la pensée harnackienne, tout se passe comme si Jésus était une sorte d’électron libre sans un quelconque ancrage ; il serait un réformateur qui aurait révolutionné la vie spirituelle de son temps. Cela entraîne Harnack à une lecture tendancieuse selon laquelle on trouve d’un côté « les formes pétrifiées du rituel » et de l’autre « l’amour [qui] est déjà la vie nouvelle » [18]
Parfois Harnack glisse même vers des invectives en employant un langage plus agressif :
Les prêtres et les pharisiens tenaient le peuple enchaîné et tuaient son âme. Face à ces autorités illégitimes, Jésus fit preuve d’une absence de respect véritablement libératrice et rafraîchissante. Il ne s’ait jamais lassé – il s’est même élevé jusqu’à la plus sainte colère – de combattre ses « autorités », de mettre à jour leur rapacité et leur hypocrisie et de leur annoncer le jugement proche [19]
Dans une note, Jean-Marc Tétaz souligne qu’Harnack reprend à son compte ce que Luther disait de l’autorité temporelle : « Là où par une loi humaine on prétend imposer aux âmes de croire telle ou telle chose, au gré de la volonté humaine, la parole de Dieu n’est sûrement pas présente. […] Il en résulte que, par ce commandement impie, le pouvoir temporel pousse les âmes à la mort éternelle [20]
On notera la véhémence du propos : les autorités pharisiennes acheminent les âmes de leurs ouailles à la damnation éternelle. Les juifs d’obédience pharisienne s’en trouvent instrumentalisés par des dirigeants leur imposant leur volonté humaine de croire telle ou telle chose au détriment de la parole divine qui s’en trouve bafouée. Les décrets émanant des pharisiens sont désignés comme des commandements impies.
Harnack s’inscrit de nouveau dans les pas de Luther et ne peut concéder le moindre sentiment de rectitude aux pharisiens.
On retrouve dans cette totale refonte historique l’approche binaire d’Harnack : des ténèbres à la lumière, du judaïsme obscur et hermétique au Christ libérateur.
Alors qu’à son époque des historiens de confession juive ou chrétienne s’évertuent à appréhender le Jésus de l’histoire et à le contextualiser dans ses origines juives, Harnack, qui semble ou qui feint d’ignorer ces travaux, présente des thèses totalement incongrues [21]
L’héritage marcionite
Il convient de s’interroger sur la nature des thèses développées par Harnack. On ne peut en effet s’empêcher de penser que ses nombreux travaux sur Marcion de Sinope l’ont grandement influencé. Comme le souligne Pierre Gisel à propos du judaïsme : « Le canon proposé par Marcion ? Pas de reprise d’un canon juif, pas d’“Ancien Testament” donc, mais seulement un canon spécifique, nouveau et valant pour lui-même. […] L’enjeu est assez évident : la proclamation d’une nouveauté. En rupture avec ce qui précède. Valant du coup en et pour elle-même [22]».
Notons qu’Harnack ne s’expose pas, ce qui pourrait poser problème à un catholique ne lui en pose pas : son protestantisme libéral lui permet d’assumer l’héritage marcionien « catalogué hérétique [23] ». Pour Harnack, l’absence de résurgence de « l’Évangile marcionite » est « un signe d’apathie religieuse ». Il ira jusqu’à écrire qu’« aussi bien pour la dogmatique chrétienne que pour la philosophie de la religion se pose sérieusement la question de savoir si le marcionisme […] n’est pas réellement la solution recherchée » [24]
Pierre Gisel a montré combien la figure de Marcion a accompagné Harnack tout au long de sa réflexion. Harnack écrira de Marcion qu’il est « la figure la plus significative de l’histoire de l’Église entre Paul et Augustin » ou, encore, que l’« on ne peut lui comparer aucune autre personnalité religieuse de l’Antiquité – après Paul et avant Augustin » [25]
Il n’est pas superflu de relever, avec Gisel, certains points significatifs qui ressortent du Marcion d’Harnack. Ces éléments tracent une toile de fond dans l’œuvre d’Harnack et servent d’indicateurs pour bien saisir les enjeux de son Essence du christianisme :
- un biblicisme de fait, lié à une démarcation à l’égard de la philosophie et plus spécifiquement de la métaphysique ;
- une critique et un refus de l’allégorie ;
- la recherche d’un fondateur en la personne de Marcion ;
- une définition de la critique en tant que soustraction, voire comme épuration.
Ce qui en découle est une sorte d’exclusivisme de Marcion, et par là même du Nouveau Testament, qui ne permet aucune comparaison possible de l’ordre du rationnel. Bien entendu, ces quelques données ne font que renforcer l’idée d’une forte influence de l’hérésiarque dans les thèses harnackiennes [26]
Harnack antisémite ?
À la question de savoir si Harnack est antisémite, Jean-Marc Tétaz répond par la négative et préfère le taxer d’antijudaïsme : ce qui lui semble assuré est qu’Harnack considère le judaïsme comme une religion inférieure au christianisme [27]
Harnack écrit, en ce sens :
La nouvelle expérience vive de la relation immédiate à Dieu – elle rend inutile l’ancien culte avec ses médiations et ses prêtres. […] Par ce moyen, on pouvait en effet arriver à se libérer progressivement du judaïsme historique et de ses lois religieuses obsolètes. Mais rien ne garantissait qu’on finirait par y parvenir. Tant qu’on ne déclarait pas ouvertement que l’ancienne religion est abolie, il fallait constamment craindre que, à la génération suivante, les anciennes déterminations ne fassent retour dans leur sens littéral. […] Il n’y avait donc rien de durable à attendre, à l’époque apostolique, des tentatives pour tordre ou réinterpréter la Loi afin de faire place à côté d’elle à une nouvelle foi ou afin d’en rapprocher l’ancienne religion. Il fallait qu’un homme se lève et déclare que ce qui est ancien est aboli ; il fallait qu’il déclare comme péché le fait de lui rester plus longtemps fidèle ; il fallait qu’il montre que tout est devenu neuf [28]
Dans un passage subséquent, Harnack radicalise son propos en déclarant que « le temps du judaïsme est révolu » et que l’Église « se sait être le vrai Israël » [29]
On retrouve là des propos acrimonieux qui sont bien connus dans la littérature patristique qui expose clairement les griefs de ses auteurs contre les juifs et le judaïsme [30]
Il semblerait qu’un pas soit franchi : Harnack reprend à son compte la veille tradition chrétienne du Verus Israel, son analyse progresse crescendo, il montre le dépassement d’une religion sur l’autre, pour enfin convenir que c’est en terme de substitution qu’il y a lieu d’entrevoir la relation christianisme-judaïsme.
Il ne convient pas d’entrer dans l’épineux problème de la définition de l’antisémitisme, nous nous contenterons de mentionner les propos de Pierre Gisel qui écrit non sans pertinence :
Notons que ce motif de dépassement travaille au cœur du protestantisme libéral, implicitement ou explicitement, selon une ligne volontiers évolutive : […] le christianisme comme dépassement du judaïsme – l’archaïsme de ses formes ritualistes, légalistes et particularistes –, via une moralisation (le Décalogue et non les 613 commandements) et une spiritualisation (« la circoncision du cœur » ; le sacrifice externe transmué en « vivante offrande » de soi) [31]
Il ne s’agit pas non plus d’entrer dans la question soulevée par Gisel sur le protestantisme libéral, cependant force est de constater qu’Harnack est certainement l’un des principaux représentants de ce genre de conception.
Ouvertures historiques et méthodologiques
Bien qu’Harnack n’explique pas clairement cette formule, il considère que « les évangiles ne sont pas des “écrits de parti” ». Cette approche constitue une critique des thèses de Ferdinand Christian Baur qui présentait au contraire les Évangiles comme des écrits retraçant l’histoire de partis en conflit au sein du christianisme primitif [32]
Si Harnack entend par « partis » différentes tendances protochrétiennes après la crucifixion et qu’il les nie au profit de la « pureté » d’une « forme d’exposition » qu’il dit « primaire », on ne peut que réfuter son approche. Il suffit en effet de renvoyer au Nouveau Testament pour se rendre compte combien le premier christianisme était diversifié. Les pauliniens, pétriniens et autres jacobiens expriment à n’en pas douter cette pluralité. En outre, l’incident d’Antioche mentionné en Ga 2 et en Ac 15 illustre mieux que tout autre la plurivocité des conceptions sur des questions aussi cruciales que les critères à imposer aux païens afin de les accepter dans la communauté des croyants. La question des observances des préceptes du judaïsme (tels qu’ils étaient en vigueur à l’époque) a assurément séparé les premières communautés chrétiennes ainsi que leurs dirigeants [33]
On peut donc affirmer que les premières communautés chrétiennes offrent une pluralité rituelle et doctrinale. Comme l’a montré Bauer dans son livre pionnier, c’est l’hétérodoxie qui prime, et elle laisse progressivement place à l’orthodoxie triomphante [34], schéma d’ailleurs valable pour les trois religions monothéistes. On peut également renvoyer à l’évangéliste judéo-chrétien Matthieu et à sa communauté d’appartenance au sujet desquels de nombreux témoignages patristiques évoquent un « évangile destiné aux disciples juifs de Jésus et de langue hébraïque [35] ».
Harnack entend expliquer le christianisme à l’aide de « la science historique et avec l’expérience de vie acquise au contact de l’histoire vécue » ; or, la lecture de cette phrase entraine au moins deux remarques : d’une part le propos d’Harnack est d’ordre confessionnel (et ne fait donc pas œuvre d’historien) ; d’autre part est-il probant d’analyser scientifiquement un phénomène en se fondant sur son propre vécu ? L’approche scientifique ne se situe-t-elle pas aux antipodes de « l’expérience de vie » du chercheur ? Harnack expose d’ailleurs clairement son point de vue en clamant que « l’apologétique a sa place nécessaire dans la science des religions [36] ».
Bien qu’Harnack assure qu’il fait œuvre d’historien, on n’aura aucune difficulté à protester qu’il n’en est rien ; il procède tel un théologien, où la foi est au centre de ses préoccupations. Outre ses présupposés confessionnels, sa démarche ne peut être assimilée à celle d’un historien. Cette imbrication de l’engagement axiologique et de la connaissance historique sera à l’époque d’Harnack au cœur de nombreux débats. Le philosophe néo-kantien Heinrich Rickert (1863-1936) a proposé une classification binaire de cette question entre « relation de valeur » indispensable pour la constitution de l’analyse historique et « jugement de valeur » exprimant l’engagement axiologique du chercheur [37]
Comme l’écrit de nouveau Tétaz, c’est précisément pour combattre cette imbrication dont il contestait la justification épistémologique que Max Weber a imposé que les sciences sociales respectent le principe de neutralité axiologique [38]
Dans l’esprit qui est le sien, Harnack suggère d’utiliser les récits évangéliques de miracles en tant que source historique. Cette approche qui ne manque pas de stupéfier est expliquée par Harnack de la façon suivante :
- les miracles étaient quasi-quotidiens à l’époque des Évangiles ;
- les récits de miracles sont parfois rapportés concomitamment à leur réalisation ;
- les miracles font partie de l’ordre naturel du monde et n’en constituent pas un bouleversement ;
- le personnage charismatique ou divin peut employer les forces de la nature à des fins ultimes et ainsi concourir à faire le bien ;
- les récits de miracles montrent la grandeur de celui qui les a accomplis ;
- la foi permet de comprendre le miracle non comme illusion mais comme illustration de sa foi [39]
On reste de nouveau interloqué par les arguments d’Harnack. En quoi les récits de miracles peuvent-ils constituer un élément à prendre en considération pour qui veut faire de l’histoire [40]? Selon notre opinion, cela est antithétique. C’est d’ailleurs ce qu’écrit pertinemment Leo Baeck dans sa célèbre recension de L’Essence du christianisme :
à la lecture s’impose le regret de se voir confronté à une atopie, à une contradiction entre le titre et le contenu. Et ce regret augmente à chaque nouvelle lecture. Le plan obéissant à un dessein précis et les développements méthodiques sont en contradiction marquée l’un avec l’autre : une œuvre dont le profil est purement apologétique se présente à nous avec la prétention d’offrir de la pure histoire. La tendance apologétique est pourtant expressément récusée et le caractère historique souligné. La préface ainsi que le premier cours le soulignent avec décision : « Qu’est-ce-que le christianisme ? – c’est dans un sens seulement historique que nous voulons essayer de répondre ici à cette question, c’est-à-dire avec les moyens de la science historique et avec l’expérience de vie acquise au contact de l’histoire vécue. Cela exclut toute considération apologétique ou toute approche relevant de la philosophie de la religion ». Mais cela reste un simple idéal de l’éclat duquel le lecteur peut se réjouir [41]
Baeck écrit à juste titre qu’Harnack fait œuvre de théologien convaincu de sa foi et non d’historien. Ajoutons d’ailleurs que de nombreux critiques admiratifs du livre d’Harnack ont également relevé son aspect théologique. Tel est le cas d’Ernst Troeltsch qui écrit que « le livre d’Harnack est en quelque sorte le livre symbolique du courant historicisant de la théologie » [42]
Dans ce même état d’esprit, Rudolf Bultmann écrivait en 1950, dans la préface pour la réédition de L’essence du christianisme à l’occasion des cinquante ans de la première parution :
Ce livre est un document de la plus haute importance pour l’histoire de la théologie, un document que tout théologien devrait connaître s’il veut être au clair sur la situation théologique actuelle et sur ses origines – et cela fait évidemment partie d’une formation théologique sérieuse [43]
Bultmann reconnait donc les bienfaits de l’ouvrage, mais écrit simplement qu’il se situe dans le champ de la théologie et non dans celui de l’histoire des religions. On ne peut certes pas reprocher à Harnack de glorifier la foi qui l’anime et d’en clamer les vertus, on peut cependant rester dubitatif face à la volonté de faire un travail d’historien là où prime la théologie [44]
Depuis près d’un siècle, des pas de géants ont été accomplis dans la recherche sur le Jésus de l’histoire.
Tout d’abord, il y a lieu de mentionner la sortie de Jésus du carcan de la théologie pour le faire entrer dans l’histoire en tant que personnage historique. Les « quêtes » du Jésus de l’histoire ont permis d’élaguer le Christ de la foi et des présupposés confessionnels pour ne traiter que de l’homme Jésus.
Le chercheur, quelle que soit sa confession religieuse, est d’abord et avant tout un critique des sources. En ce sens, il se doit de tendre à l’impartialité et à l’objectivité s’il veut s’inscrire dans une perspective scientifique. Dans une certaine mesure, il n’est pas erroné de considérer que le critique des sources est celui qui déconstruit les normes établies : si sa démarche est sous-tendue par son appartenance religieuse, il n’est pas historien mais théologien. Cela ne veut pas pour autant dire que l’historiographie sur Jésus est dénuée de toute influence implicite du milieu, de l’éducation ou de la confession du chercheur ; cela signifie que la méthodologie employée, les questions posées et les problématiques soulevées par les chercheurs sont de l’ordre du travail de l’historien et non du théologien. Cela est déjà un pas important d’accompli.
Depuis quelques décennies, la recherche s’engage dans une mise en perspective du personnage de Jésus. On a tenté de contextualiser Jésus dans la société juive de son temps, et cela à l’aide des matériaux littéraires, épigraphiques et archéologiques à notre disposition. Comme le note fort à propos Alan Segal :
Faire de l’histoire est-il impossible ou seulement très, très difficile ? Et si c’est extrêmement difficile, mais possible, nous devrions essayer de rendre toutes nos hypothèses conscientes, travail aussi difficile que d’écrire impartialement, de contrôler tous les présupposés personnels, et de souhaiter aller un peu plus de l’avant avec chaque intuition. Peut-être que l’objectivité est impossible, mais une étude impartiale est un but qui peut être atteint, si, de fait, un livre résiste et survit à tous les examens minutieux durant des décennies. S’il en est ainsi, les historiens doivent apprendre les très difficiles leçons du futur aussi bien que du passé [45]
Une plus grande lumière a été faite sur le personnage grâce aux Rouleaux de Qumran et à la littérature intertestamentaire, fruits du foisonnement littéraire de la fin de l’époque du Second Temple.
De même, la prise en considération de la littérature talmudique s’est avérée salutaire. Il est capital de déceler les strates les plus anciennes de la Mishna, de la Tosefta ou des Midrash Halakha afin de saisir les éléments qui ont pu avoir une influence sur la façon de penser, sur l’enseignement, la sensibilité et le message de Jésus.
Malgré cela, on ne peut qu’acquiescer aux propos d’Étienne Trocmé :
Les historiens n’en sauront jamais beaucoup plus sur Jésus. Beaucoup d’entre eux se rebellent contre l’impossibilité où ils se trouvent de dresser une véritable biographie de ce grand homme. De là les tentatives répétées […] pour trouver la clé d’un personnage aussi mystérieux. Cette clé n’existe pas. Il n’y a que des points de vue d’où l’on peut jeter un regard sur le Nazaréen, sans jamais s’approcher de très près [46]
Dans le foisonnement religieux de son temps, Jésus offre une approche que l’on a trop longtemps qualifiée de singulière. Selon notre opinion, son enseignement s’inscrit dans la pluralité du monde juif de son époque.
Soulignons un point crucial : une lecture des prophètes comme toile de fond est vitale pour comprendre des enseignements de Jésus tels le rapport à Dieu, la repentance ou la relation à l’autre. On a souvent le sentiment que derrière certains enseignements de Jésus se cachent des enseignements bibliques ou prophétiques. Ajoutons qu’avec Jésus apparaît un point fondamental que l’on pourrait qualifier de dépassement de la Loi, une conjoncture dans laquelle la Loi, dans sa littéralité, n’est pas l’ultime façon d’établir un lien avec Dieu, mais peut être surpassée par l’exigence envers l’autre.
Ces catégories, dégagées par Shalom ben Chorin dans son ouvrage Bruder Jesus (Munich, 1967), sont fort pertinentes. Ben Chorin développe deux concepts clés : celui de troisième autorité et celui d’intériorisation de la Loi.
Au jugement de ben Chorin les méthodes d’enseignement de Jésus émanent d’une autorité qui existe en plus de celles de Hillel et de Shammaï.
Jésus représenterait une troisième autorité en ne se réclamant justement pas d’un maître attesté et reconnu, tout en ayant sa propre légitimité au sein de la nation juive.
Il n’est absolument pas à considérer comme un marginal du point de vue des modalités d’exégèse qui ont cours dans le monde juif de cette époque. Il offre plutôt une autre voix dans la polyphonie juive de l’interprétation de la Loi à la fin de l’époque du Second Temple.
Dans le concept d’intériorisation de la Loi, ben-Chorin n’accepte pas l’idée d’un Jésus qui n’adhère qu’à une pratique intérieure de la Loi et qui délaisse les observances extérieures que sont les préceptes de la Torah écrite ou orale. L’expression intériorisation de la Loi ne doit pas s’entendre dans son sens ritualiste ou existentiel, mais plutôt dans une perspective plus psychologique.
Jésus prône d’intérioriser la Loi au point de ne faire qu’un seul être avec elle ; il préconise de facto une parfaite intégration de l’Être et de la Lettre.
Pour lui, tout manquement ou tout acte qui n’est pas scrupuleusement conforme à la Loi est objet de condamnation. Dans cette perspective, ses vitupérations proscrivent et rejettent avec violence ce qui lui semble une attitude hypocrite ou non conforme à la stricte observance. Notons que l’on peut retrouver cette intériorisation de la Loi dans différentes paroles que les Évangiles lui attribuent, notamment en Mt 5,20-48 ou encore en Mt 23,16-32.
La fin de cette étude nous ramène à ce que nous écrivions voici quelques années et qui est important pour qui s’intéresse au Jésus de l’histoire. En effet, nous concluions notre ouvrage en soulignant combien la recherche du Jésus historique est à la fois passionnante et déconcertante. Le chercheur procède à des analyses textuelles ainsi qu’à des recoupements littéraires. Il scrute les sources dans une perspective historique et philologique. Il convoque également les sciences sociales. Malgré tous ces efforts déployés, le sentiment qui l’anime est que cette recherche reste asymptotique [47]
Notes
[*] Dan Jaffé est maître de conférences en Histoire des religions à l’université Bar-Ilan, Tel-Aviv. L’auteur remercie Pierre Gisel pour la relecture attentive de son article.
[1] Voir Adolf von Harnack, L’Essence du christianisme. Textes et débats. Édition, traduction, introduction et notes de Jean-Marc Tétaz, Genève, Labor et Fides, coll. « Histoire et Société », 2015, p. 27.
[2] Ibid., p. 119. Caractérisant cette industrie terrestre dont il affuble les pharisiens, Harnack ajoute qu’« il n’y a rien de plus odieux ».
[3] Voir Max Kadushin, The Rabbinic Mind, New York, The Jewish Theological Seminary of America, 1952, p. 59-98 ; Ephraïm E. Urbach, « La “drasha” comme fondement de la Halakha et le problème des Sofrim », Tarbiz 27 (1958), p. 166-182 [en hébreu] (= Ephraïm E. Urbach, Le monde des Sages. Recueil d’études, Jérusalem, Magnes Press, 2002, p. 50-66 [en hébreu]) ; Id., « Tradition et Halakha », Tarbiz 50 (1980/1981), p. 136-163 [en hébreu] (= Le monde des Sages, op. cit., p. 67-94) ; Salomon Schechter, Aspects of Rabbinic Theology, New York, Schocken Books, 1961, p. 116-147 ; Shmuel Safrai, « La communauté comme facteur dans la fixation de la halakha », in Zeev Safrai, Avi Sagi (éd.), Entre l’autorité et l’autonomie dans la tradition juive, Tel-Aviv, Hakibbutz Hameuchad, 1998, p. 493-500 [en hébreu] ; Jacob Neusner, The Halakhah. An Encyclopedia of the Law of Judaism, t. 1, Leyde, E. J. Brill, 2000 ; Dan Jaffé, Le Talmud et les origines juives du christianisme. Jésus, Paul et les judéochrétiens dans la littérature talmudique, Paris, Cerf, 2007, p. 38-45.
[4] Voir Elimelech Halevi, Le monde de la aggada. La aggada dans les sources grecques, Jérusalem, Dvir, 1972 [en hébreu] ; Id., La aggada historique et biographique à la lumière des sources grecques et latines, Jérusalem, Dvir, 1975 [en hébreu], ainsi que l’œuvre de Jonah Fraenkel, Le midrash aggada, t. 1-3, Tel-Aviv, Open University, 1996 [en hébreu] ; Jonah Fraenkel, Le récit aggadique – harmonie de forme et de contenu, Tel-Aviv, Hakibbutz Hameuchad, 2001 [en hébreu]. Citons enfin Joshua Levinson, Le récit qui n’est pas raconté. L’art de l’exégèse narrative dans le midrash rabbinique, Jérusalem, Magnes Press, 2005 [en hébreu].
[5] La littérature critique sur les mouvements pharisiens étant très abondante, on ne citera ici que les travaux qui ont particulièrement marqué la recherche : Robert Travis Herford, The Pharisees, New York, Alle and Unwin, 1924 ; Louis Finkelstein, The Pharisees. The Sociological Background of their Faith, 2 vol., Philadelphie, Jewish Publication Society of America, 1962 ; Samuel Umen, Pharisaim and Jesus, New York, Philosophical Library, 1963 ; Elias Rivkin, « Defining the Pharisees : The Tannaitic Sources », Hebrew Union College Annual 40-41 (1969/1970), p. 205-249 ; Jacob Neusner, The Rabbinic Tradition about the Pharisees before 70, 3 vol., Leyde, E. J. Brill, 1971 ; Elias Rivkin, A Hidden Revolution. The Pharisee’s Search for the Kingdom Within, Nashville, Abingdon, 1978 ; Albert Baumgarten, « The Name of the Pharisees », Journal of Biblical Literature 102 (1983), p. 411-428 ; Id., « The Pharisees Paradosis », Harvard Theological Review 80 (1987), p. 63-77 ; Steven Mason, Flavius Josephus on the Pharisees, Leyde, E. J. Brill, 1991 ; Albert I. Baumgarten, « Rivkin and Neusner on the Pharisees », in Peter Richardson (éd.), Law in Religious Communities in the Roman Period, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 1991, p. 109-126 ; Steven Mason, « Chief Priests, Sadducees, Pharisees and Sanhedrin in Acts », in Richard Bauckam (éd.), The Book of Acts in Its First Century Setting, t. 4 : The Book of Acts in Its Palestinian Setting, Grand Rapids, Mich., Eerdmans, 1995, p. 119-177 ; Eyal Reguev, « The Saducees, The Pharisees, and the Sacred : Meaning and Ideology in the Halakhic Controversies between the Saducees and Pharisees », Review of Rabbinic Judaism, Ancient, Medieval and Modern 9 (2006), p. 126-140.
[6] Simon C. Mimouni, Pierre Maraval, Le christianisme des origines à Constantin, Paris, Presses universitaires de France, 2006, p. 103.
[7] Sur ces questions, voir les remarques éclairantes de David Flusser, « Polémique de Jésus avec les Pharisiens », in Id., Les sources juives du christianisme. Une introduction, Paris/Tel-Aviv, Éditions de l’Éclat, 2003, p. 41-49 [traduit de l’hébreu].
[8] David Flusser, Jésus, Paris, Éditions de l’Éclat, 2005, p. 65. Flusser ne manque pas de remarquer fort pertinemment que les écoles pharisiennes étaient nombreuses et que le groupe pharisien n’était pas monolithique. On consultera également avec profit David Flusser, « Jésus entre le monde du judaïsme rabbinique et le monde des esséniens », in Id., Les sources juives du christianisme, op. cit., p. 57-64, et Id., « Jesus in the Context of History », in Judaism and Christianity. Collection of Articles, Jérusalem, Academon Press, s. d., p. 20-41.
[9] Hans-Joachim Schoeps, « Jésus et la Loi juive », Revue d’histoire et de philosophie religieuses 33 (1954), p. 1-20. Cette étude a été traduite de l’allemand par le regretté Étienne Trocmé.
[10] Ibid., p. 1-4. On pourrait ajouter que nombre d’enseignements (halakhot) n’ont pas été fixés dans la Mishna mais le furent quelques siècles plus tard dans le Talmud, voire postérieurement à la clôture du Talmud.
[11] Voir sur ce dossier Jacob Newman, Halachic Sources. From the Beginnings to the Ninth Century, Leyde, E. J. Brill, 1969, et Martin S. Jaffee, « The Taqqanah in Tannaitic Literature : Jurisprudence and the Construction of Rabbinic Memory », Journal of Jewish Studies 41 (1990), p. 204-225.
[12] L’exemple le plus significatif est celui de R. Eliezer ben Hyrcanus, dépositaire de modèles interprétatifs en totale inadéquation avec ses condisciples de l’époque de Yabneh. Ainsi, après avoir été rejeté de la maison d’étude par les autres Sages et vu ses décisions halakhiques évincées, il vécut reclus dans la ville de Lod en Judée. Le passage de Nidah 7b à propos de sa mort témoigne de l’attitude des Sages envers lui et son enseignement : « Durant toute la vie de R. Eliezer, on fixait [la halakha] selon R. Yehoshua [son condisciple]. Après la mort de R. Eliezer, R. Yehoshua remit les choses à leur place. Pourquoi ne fixait-on pas [la halakha] selon R. Eliezer de son vivant ? Car R. Eliezer était shamuti [vocable qui peut avoir deux significations qui se recoupent : le fait d’être excommunié, ou d’appartenir à l’école de la maison de Shammaï et non à celle de Hillel selon laquelle la halakha est fixée]. Ainsi R. Yehoshua pensait que si l’on procédait selon son avis dans un domaine, on procéderait selon son avis dans d’autres domaines. Or, on n’aurait pas pu empêcher cela à cause de l’honneur dû à R. Eliezer. Après sa mort, où l’on put empêcher cela [la pratique de son enseignement], il devient possible de remettre les choses à leur place [ce qui revient à dire : réhabiliter le rang et l’honneur de R. Eliezer] ». Sur R. Eliezer ben Hircanus et son enseignement conservateur antagoniste par rapport aux nouveaux modèles de l’assemblée de Yabneh, voir Benjamin Lau, Les Sages. De l’époque de Yabneh jusqu’à l’insurrection de Bar-Kokhba, Jérusalem, Yediot Aharonot Press, 2007, p. 94-106 [en hébreu] et l’excellente monographie que lui a consacrée Isaac D. Gilat, R. Eliezer ben Hircanus. A Scholar Outcast, Ramat-Gan, Bar-Ilan Press, 1984.
[13] Voir notre article « L’identification de Jésus au modèle du Hasid charismatique Galiléen : les thèses de Shmuel Safrai et de Geza Vermes revisitées », New Testament Studies 55 (2009), p. 218-246.
[14] A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 53, et p. 116 pour le texte même.
[15] Ibid., p. 64.
[16] Marcel Simon, Verus Israel. Étude sur les relations entre juifs et chrétiens dans l’Empire romain (135-425), Paris, Éditions E. de Boccard, 1948.
[17] Guy G. Strousma, Le rire du Christ. Essais sur le christianisme antique, Paris, Bayard, 2006, p. 155-159.
[18] A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 132 et 133. Ajoutons avec Jean-Marc Tétaz que cette idée simplificatrice se trouve déjà en germe chez Augustin d’Hippone (voir ibid., p. 133, n. 89).
[19] Ibid., p. 153.
[20] Martin Luther, De l’autorité temporelle [1523], MLO IV, p. 31 sq. (= WA 11, 262), cité par Jean-Marc Tétaz in A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 153, n. 154.
[21] La bibliographie sur les « quêtes » contemporaines du Jésus de l’histoire étant très abondante, on se bornera à ne citer que les principales publications en langue française. Voir ainsi Charles Perrot, Jésus et l’histoire, Paris, Desclée, 1979, p. 21-80 ; Vittorio Fusco, « La quête du Jésus historique. Bilan et perspectives » et Élian Cuvillier, « La question du Jésus historique dans l’exégèse francophone. Aperçu historique et évaluation critique », inDaniel Marguerat, Enrico Norelli, Jean-Marc Poffet (éd.), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, Genève, Labor et Fides, 1998, respectivement p. 25-57 et p. 59-88 ; Daniel Marguerat, « La “Troisième quête” du Jésus de l’histoire », Recherches de science religieuse 87 (1999), p. 397-421, repris in Pierre Gibert, Christoph Theobald (éd.), Le cas Jésus-Christ. Exégètes, historiens et théologiens en confrontation, Paris, Bayard, 2002, p. 105-139 ; Daniel Marguerat, L’aube du christianisme, Paris, Bayard, 2008, p. 111-136 et son étude « Jésus connu et inconnu. À la recherche du Jésus de l’histoire » (p. 137-153) ; Jean-Noël Aletti, « Exégète et théologien face aux recherches historiques sur Jésus », Recherches de science religieuse 87 (1999), p. 423-444, repris in P. Gibert, Chr. Theobald (éd.), Le cas Jésus-Christ, op. cit., p. 141-170 ; Daniel Marguerat, « Jésus historique : une quête de l’inaccessible étoile ? Bilan de la “troisième quête” », Théophilyon 6 (2001), p. 11-55 ; Charles Perrot, « La quête historique de Jésus du XVIIIe siècle au début du XXe siècle », in P. Gibert, Chr. Theobald (éd.), Le cas Jésus-Christ, op. cit., p. 47-74. En langue anglaise, on consultera l’article de synthèse de James Carleton Paget, « Quests for the Historical Jesus », in Markus Bockmuehl (éd.), The Cambridge Companion to Jesus,Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 138-155. Sur le regard des historiens juifs sur Jésus, on consultera Donald A. Hagner, The Jewish Reclamation of Jesus. An Analysis and Critique of the Modern Jewish Study of Jesus, Grand Rapids, Mich., Academic Books, 1984, ainsi que notre ouvrage Jésus sous la plume des historiens juifs du XXe siècle. Approche historique, perspectives historiographiques, analyses méthodologiques, Paris, Cerf, 2009.
[22] Pierre Gisel, « Antijudaïsme dans le christianisme. Une récurrence inavouée de marcionisme : qu’en penser et qu’en faire ? », in Danielle Cohen-Levinas, Antoine Guggenheim (éd.), L’Antijudaïsme à l’épreuve de la philosophie et de la théologie, Paris, Seuil, 2016, p. 191-208, spécialement p. 192 (sauf mention contraire, c’est l’auteur qui souligne).
[23] Ibid., p. 199-200.
[24] Adolf von Harnack, Marcion. L’Évangile du Dieu étranger. Contribution à l’histoire de la fondation de l’Église catholique, Paris, Cerf, 2003 (1921), p. 254 sq., cité par Pierre Gisel, « Antijudaïsme dans le christianisme. Une récurrence inavouée de marcionisme… », art. cit., p. 199. Pierre Gisel cite un autre passage du Marcion d’Harnack, où l’hérésiarque est glorifié en tant que rédempteur qui a « démasqué le dieu juste du monde et de la Loi ». Comme le rapporte Gisel, pour Harnack, « ce n’étaient pas seulement les lois cérémonielles qui étaient écartées, mais aussi tout un vaste ensemble d’énoncés vétérotestamentaires insupportables » (p. 200 et n. 29). On ne peut qu’acquiescer à l’analyse de Pierre Gisel qui décèle chez Harnack un antijudaïsme.
[25] A. von Harnack,Marcion, op. cit., p. 12 et 38, cités par Pierre Gisel, « Deux postures différentes dans la relecture du christianisme : Harnack et Troeltsch », in Id., Du religieux, du théologique et du social. Traversée et déplacements, Paris, Cerf, 2012, p. 135-157, ici p. 145.
[26] Pour tout ce développement, voir P. Gisel, Du religieux, du théologique et du social, op. cit., p. 144-151. A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 96-97 nous assure même que la prédication de Jésus est distante et éloignée du judaïsme de son temps !
[27] A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 68.
[28] Ibid., p. 198-199.
[29] Ibid., p. 201 et 204.
[30] La littérature sur ce dossier est immense, on se contentera de renvoyer au recueil de Denise Judant, Judaïsme et christianisme. Dossier patristique, Paris, Éditions du Cèdre, 1969, qui regorge de textes patristiques véhéments contre les juifs et le judaïsme.
[31] P. Gisel, Du religieux, du théologique et du social, op. cit., p. 136 (et l’auteur d’indiquer en quoi cette ligne se poursuit, aux yeux du même protestantisme libéral).
[32] A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 100-101, n. 8.
[33] Voir notamment L. Michael White, From Jesus to the Christianity, San Francisco, Harper Collins, 2004.
[34] Walter Bauer, Orthodoxie et hérésie aux débuts du christianisme, Paris, Cerf, 2009 (publié initialement en allemand sous le titre Rechtgläubigkeit und Ketzerei im ältesten Christentum à Tübingen en 1934).
[35] Sur ce dossier, on renverra aux analyses de Dominique Bernard, Les disciples juifs de Jésus du Ier siècle à Mahomet. Recherches sur le mouvement ébionite, Paris, Cerf, 2017.
[36] A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 90. Les citations allant dans ce sens abondent, notamment quand Harnack déclare dans la même page que « la religion chrétienne est une chose sublime ». Voir également les remarques suggestives sur « théologie ou science » face à la question de la recherche historique dans les Facultés de théologie en Allemagne à la fin xixe, chez Marino Pulliero, Une modernité explosive. La revue Die Tat dans les renouveaux religieux, culturels et politiques de l’Allemagne d’avant 1914-1918, Genève, Labor et Fides, 2008, p. 557-562 (nous remercions Pierre Gisel de nous avoir fait découvrir cet ouvrage).
[37] Heinrich Rickert, Science de la culture et science de la nature. Suivi de Théorie de la définition, Paris, Gallimard, 1997 cité par Jean-Marc Tétaz inA. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 48, n. 161. On renverra également à l’article fort suggestif de Jean-Marc Tétaz, « La logique de l’historisme entre épistémologie transcendantale et philosophie de l’histoire », Divinatio 13 (2001), p. 123-149.
[38] Max Weber, « Essai sur le sens de la “neutralité axiologique” dans les sciences sociologiques et économiques », in Id., Essais sur la théorie de la science, Paris, Agora, 19922, cité par Jean-Marc Tétaz in A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 48, n. 162.
[39] A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 102-105.
[40] Sauf à entendre ces récits au plan de l’usage qu’en font les communautés de l’époque et de la fonction qui est celle de cette évocation de miracles, visant ainsi à rendre compte de formes de croyance historiques ; mais ce plan devrait alors être explicité, ce qui n’est pas le cas dans l’argumentation d’Harnack.
[41] A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 283. Notons que Leo Baeck, rabbin libéral de son état, est loin d’être lui-même exempt de présupposés confessionnels et pêche par ce qu’il reproche : l’apologie. Il procède par jugements de valeur et cherche souvent à montrer l’originalité et la grandeur du judaïsme.
[42] Ernst Troeltsch, « Que signifie “essence de christianisme” ? » (1903), in A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 307-354, ici p. 309 [NdE : le « livre symbolique » au sens où le protestantisme qualifie de Symboliques les Confessions de foi de référence du christianisme, tel le « Symbole des Apôtres »].
[43] Ibid., p. 355-365, ici p. 357.
[44] C’est dans ce sens qu’écrit Leo Baeck : « Le théologien juif considérera lui aussi que c’est une œuvre bonne et noble pour un chrétien que d’écrire une apologie, un livre à la gloire de sa religion. Ce contre quoi il proteste, c’est seulement que l’apologie se fasse passer pour de l’histoire et qu’elle croie avoir le droit de se servir comme arme de l’injustice historique », in A. von Harnack, L’Essence du christianisme, op. cit., p. 305.
[45] Alan F. Segal, « Paul et ses exégètes juifs contemporains », Recherches de science religieuse 94 (2006), p. 413-441, ici p. 440-441.
[46] Étienne Trocmé, Jésus de Nazareth vu par les témoins de sa vie, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1971.
[47] D. Jaffé, Jésus sous la plume des historiens juifs du XXe siècle, op. cit., p. 352-353.
Réflexions autour de L’Essence du christianisme d’Adolf von Harnack par Dan Jaffé
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