Diaspora juive

Les Juifs séfarades en Europe centrale et orientale

Pour mettre fin à la propagande des soit-disant kazhars

Le présent article prend appui sur celui de Daniel Tollet, intitulé «Les Juifs originaires de la Péninsule ibérique en Europe centrale et orientale du XVIe au XVIIIe siècles», publié dans une somme remarquable qui regroupe les interventions du colloque international organisé du 10 au 13 mai 1992 par le Centre d’Études Juives de l’Université de Paris-Sorbonne. Cette somme a été publiée chez Maisonneuve & Larose (1996), dans la collection «Quatre Fleuves», sous le titre générique «1492. L’expulsion des Juifs d’Espagne».

L’accueil des Juifs dans ces parties de l’Europe posait certaines difficultés au XVIe siècle. En effet, Luther qui s’était montré plutôt conciliant envers les Juifs commença à faire preuve de réticence à partir de la fin des années 1530.

Les Luthériens firent expulser les Juifs de Saxe (en 1537), de Berlin (en 1560 et 1572), de Silésie enfin (en 1589).

Par crainte de la Réforme, les autorités catholiques se montrèrent tolérantes. Ainsi, dès 1520, Charles Quint confirma par exemple les privilèges des Juifs d’Augsbourg (en 1530) et de Spire (en 1544).

Mais en 1555, la Papauté reprit les choses en main. Une bulle de Paul IV condamnait le Talmud et renforçait la ségrégation.

En 1569, une bulle de Pie V entraîna la fermeture de cent huit synagogues dans les États pontificaux, une politique qui força les Juifs à se mettre sous la protection des Ottomans chez lesquels de puissantes familles juives s’étaient installées. La Papauté fit marche arrière. Et sous la pression des Calvinistes, les Juifs malmenés par les Luthériens purent retrouver leur place en Allemagne.

Des Séfarades s’installèrent à Hambourg.

Leur communauté prospéra tant et si bien qu’elle eut un rôle non négligeable dans la fondation de la Banque de Hambourg (en 1619) qui devait se spécialiser dans le commerce avec l’Espagne, le Brésil et les Antilles. On trouve au moins douze Juifs parmi les fondateurs de cette banque (1619-1623) à laquelle la ville dut en grande partie sa prospérité. Confiants dans l’influence que leur donnaient les services rendus, les Juifs élevèrent une synagogue (vers 1626), sans tenir compte de la loi qui leur interdisait l’exercice public de leur culte, et placèrent le rabbin Isaac Athias d’Amsterdam à la tête de leur communauté. Les conflits entre l’Espagne puis le Portugal et les Provinces-Unies (de 1621 à 1648) favorisèrent particulièrement cette communauté. J’en profite pour ouvrir une parenthèse.

Des drôles me feront obligeamment remarquer que les Juifs se sont enrichis par la guerre; et ils en concluront qu’ils l’ont bien évidemment provoquée… Qu’opposer à une telle «pertinence» ? Je pourrais leur donner l’exemple de l’Espagne qui, restée neutre au cours de la Première Guerre mondiale, s’est considérablement enrichie au cours de cette période en fournissant les belligérants. Et, à ce que je sache, les Juifs n’étaient plus présents dans le pays depuis des siècles, pour cause d’expulsion…

Au milieu du XVIIe siècle, la communauté séfarade de Hambourg comptait sept cents membres mais seuls cent seize d’entre eux étaient redevables de la taxe communautaire, les autres étant trop pauvres pour s’en acquitter.

Une vie communautaire s’organisa autour de trois congrégations religieuses qui finirent par fusionner en une communauté dotée d’un directoire de sept membres élus pour deux ans. La vie intellectuelle était intense au sein de cette communauté, et dans les domaines les plus variés.

Citons entre autres noms Rodrigo de Castro (1550-1627), considéré comme le père de la gynécologie scientifique. Citons aussi Jacob Jehuda Léon, auteur d’une maquette du Temple de Salomon.

Le sabbataïsme eut un fort impact sur la communauté juive de Hambourg.

Certains s’enthousiasmèrent, en particulier les Juifs originaires du Portugal.

Gluckel Hameln note dans ses «Mémoires» : «On ne saurait décrire la joie qui s’empara de tous lorsqu’on reçut des lettres parlant du Sabbataï Tzvi. Ce sont les Portugais qui en reçurent le plus. Ils les apportaient dans les synagogues et les lisaient à haute voix».

C’est aussi dans cette communauté que l’on trouve le plus ardent dénonciateur du sabbataïsme, Jacob Sasportas qui compare ce mouvement au christianisme. L’échec du sabbataïsme va favoriser chez les Séfarades d’Allemagne un sentiment de honte envers les Chrétiens, sentiment auquel ils vont tenter de remédier en édifiant d’imposantes synagogues.

Une vue du cimetière juif d’Altona répertorié par l’Unesco comme Patrimoine de l’humanité. Le lien suivant rend compte de l’extrême valeur de ce lieu où reposent Ashkénazes et Séfarades

Altona, sur l’autre rive de l’Elbe, aujourd’hui banlieue de Hambourg, appartenait alors au royaume du Danemark.


Au début du XVIIe siècle, les Séfarades portugais y fondèrent une communauté. En 1703, quelques familles venues de Hambourg s’y installèrent et obtinrent des droits complets en 1719. Ce n’est qu’en 1771 que cette communauté fut assez importante pour y construire une synagogue.

Dès le début du XVIIe siècle, le roi du Danemark, Christian IV, s’efforça d’attirer les Juif de Hambourg mais aussi d’Amsterdam pour qu’ils prennent part au développement de Glückstadt, à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest d’Altona, sur la rive de l’Elbe, dans le Schleswig-Holstein. Glückstadt deviendra pour un temps la concurrente de Hambourg.

En Allemagne et au Danemark, la période qui va du dernier quart du XVIe siècle à la première moitié du XVIIe siècle (en particulier la période de la Guerre de Trente ans, 1618-1648) fut une période de prospérité pour les Séfarades qui approvisionnaient les troupes impériales via Hambourg.

La défaite du Danemark (en 1626-1627) qui les protégeait entraîna le repli des Séfarades vers Amsterdam.

A la fin du XVIIe siècle, des Séfarades, sujets des Ottomans, s’installèrent à Vienne après obtention de lettres patentes. Une communauté juive commença à s’organiser et fut dotée d’un statut en 1778.

Lorsque les Juifs furent expulsés d’Espagne (en 1492), la Pologne et la Lituanie n’étaient pas encore les terres de tolérance qu’elles allaient devenir dans le dernier quart du XVIe siècle.

Ainsi, en 1495, les Juifs furent expulsés de Lituanie et de Cracovie. Jusqu’en 1503, ces expulsés s’installèrent sur les territoires de la couronne de Pologne avant d’obtenir le droit de revenir en Lituanie. Malgré une atmosphère chargée (les Juifs étaient accusés de profaner les hosties et de favoriser la conversion de Chrétiens au judaïsme, alors que le protestantisme ne cessait de gagner du terrain), les souverains polonais prêtèrent une oreille distraite à ces accusations et ils firent appel à des spécialistes juifs, en particulier à des médecins.

Citons Isaac d’Espagne, arrivé en Pologne avec sa famille vers 1496, après avoir été au service du Shah de Perse, Uzum Hassan. Citons également Samuel Bar Meshulam qui fut au service des monarques polonais Sigismond Ier et Sigismond II Auguste.

Ces médecins et chirurgiens séfarades fréquentaient à la cour du roi et autres puissants personnages des Juifs italiens et allemands tels Simon Ashkenazy, Efraïm Fischel, Saül Walh ou Elie Montalto, des humanistes (souvent doublés de diplomates) qui tous avaient fait leurs études en Italie, étaient des talmudistes et des connaisseurs de Maïmonide.

Ces Juifs contribuèrent donc à créer une ambiance favorable aux Juifs dans la Confédération polono-lituanienne, une ambiance que confirmait Josef Nassi, le neveu de Doña Gracia Nassi, banquier de Soliman le Magnifique (1520-1566) sous lequel il eut un rôle diplomatique de première importance, puisqu’il traitait avec la Perse et la Confédération polono-lituanienne. Il contribua en particulier à l’amélioration des relations polono-turques. En remerciement, le sultan lui remit en fief la région de Tibériade pour y installer des Juifs.

Dans les années 1590, la tension grandit entre la Turquie et la Pologne au sujet de la Moldavie et de la Valachie. Sigismond II Auguste, secondé par Josef Nassi, avait su maintenir la paix. Mais avec l’arrivée au pouvoir de Sigismond III, les relations entre ces deux pays se détériorèrent.

Le chancelier Jean Zamoyski fit appel à David Pasza (un Séfarade converti à l’Islam) afin de remédier à cette situation. Jean Zamoyski, fondateur en 1580 de la ville de Zamosc, s’employa à y attirer les Séfarades installés en Turquie et, à cet effet, il leur octroya en 1588 toutes sortes de privilèges calqués sur ceux dont bénéficiaient les Juifs de Hambourg.


La famille Zamoyski s’efforça donc d’attirer les Séfarades.

Ces derniers étaient grossistes en produits orientaux, médecins, pharmaciens, fabricants de produits de luxe. En assurant la protection de Gdansk, Thomas Zamoyski les incita à commercer avec les Provinces-Unies. La situation géographique de Zamosc en faisait une place de transit d’autant plus importante que le rôle de Lwow n’avait cessé de décroître pour cause de taux d’intérêts trop élevés, de la menace turque et du déplacement des voies terrestres vers la route maritime Venise-Gdansk.

A la fin du XVIe siècle, en Europe centrale et orientale, on a donc cherché à attirer les Séfarades originaires de la Péninsule ibérique afin qu’ils développent des relations commerciales entre l’Europe du Nord-Ouest et la Méditerranée (Péninsule ibérique et Empire ottoman).

Malgré l’appui de souverains et de puissants personnages, les Séfarades appelés dans ces régions se heurtèrent à diverses oppositions. Premièrement, celle de l’Église luthérienne et de l’Église catholique ; deuxièmement, celle de la bourgeoisie locale qui voyait en eux de dangereux concurrents ; troisièmement, celle des Ashkénazes qui avaient leurs habitudes et qui eux aussi considéraient que ces nouveaux-venus marchaient sur leurs plate-bandes.

Vers le milieu du XVIIe siècle, les Séfarades prirent donc une fois encore le chemin de l’exil. Ils quittèrent l’Europe centrale et orientale pour les Provinces-Unies et la Turquie.

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