Les Juifs de San Nicandro
Par Jean-Jacques Hadjadj*
Comme beaucoup de ceux qui ont eu l’honneur de recevoir le Judaïsme en cadeau de naissance, j’éprouve beaucoup de respect et de tendresse pour les hommes et les femmes qui ont dû, et doivent encore aujourd’hui, se battre pour être Juifs.
D’abord, et avant tout, parce que je les respecte pour avoir choisi et étudié, souvent bien plus que moi, ce Judaïsme qui m’est si cher ; ensuite parce que, vouloir devenir juif dans l’Italie de Mussolini, comme par les temps qui courent, c’est un peu comme se jeter dans la gueule d’un loup.
J’ai découvert cette histoire il y a une quinzaine d’années. Il y avait une foire aux livres, rue de la Paroisse et, chez Gibert, un titre m’a sauté aux yeux : « San Nicandro, Histoire d’une conversion. » écrit par l’historienne Elena Cassin.
Autant dire que nom de l’auteure (fille de René Cassin) et une rapide lecture de la quatrième de couverture, ont fait que le livre s’est acheté tout seul.
J’ai lu plusieurs fois cet ouvrage en m’imprégnant de l’histoire de ces femmes et ces hommes qui ont commencé par construire leur Judaïsme à partir de la Bible, se sont ensuite déclarés Juifs, pour s’apercevoir enfin qu’ils n’étaient pas les seuls juifs au monde.
J’ai presque envie de commencer ce récit en volant le titre de Coluche : « C’est l’histoire d’un mec ! » Parce qu’au fond c’est vrai ! C’est l’histoire … d’un homme !
« C’est l’histoire d’un mec ! »
Tout commencé, à la fin du dix-neuvième siècle, dans un petit village des Pouilles qui se nomme San Nicandro Garganico, dans la région de Foggia, un peu au dessus du talon de la botte.
Un certain Donato Manduzio vient au monde le 24 juillet 1885 au foyer d’un négociant en vins.
A cette époque, l’État et l’Église considèrent encore que l’enseignement est un luxe superflu et Donato Manduzio n’apprend ni à lire ni à écrire.
Par contre, il est très brillant au catéchisme ! Brillant, mais rebelle !
Le jeune Manduzio veut comprendre. Le jeune Manduzio pose des questions, beaucoup de questions ! Et le curé de son village n’aime pas les questions auxquelles il ne sait pas toujours répondre.
Le jour de sa communion, Donato Manduzio, refuse le sacrement dispensé par ce curé qu’il déteste et se sauve de l’Église en courant. C’est un affront que le curé de San Nicandro ne lui pardonnera jamais.
La vie continue et, malgré sa soif d’apprendre, Donato Manduzio, entame une carrière de … gardien de chèvres.
Pendant tous ces mois passés en montagne, entre son chien et son troupeau, Manduzio réfléchit beaucoup et philosophe à la mesure de ses maigres capacités et de son manque d’instruction qui l’obsède.
En 1915, l’Italie entre en guerre et Donato Manduzio saisit l’occasion de partir et de quitter cette vie qui l’étouffe. Il ne rentrera chez lui que trois ans plus tard, blessé, temporairement paralysé, mais en ayant appris à lire et à écrire à l’hôpital. Il restera toujours d’une santé très fragile malgré une formidable volonté.
L’Ancien Testament à la rescousse
C’est une période très troublée. Les chemises noires ont porté Mussolini au pouvoir et Manduzio, fragile mais un peu moins paralysé, et qui doit gagner de l’argent pour survivre se découvre des dispositions pour une sorte de magie de bazar et devient, tour à tour, guérisseur, devin, conteur d’histoires, illusionniste, organisateur de spectacles et, surtout, l’arbitre des petites disputes entre les villageois de San Nicandro qui finissent par le reconnaitre comme une sorte de sage.
En 1931, il a quarante six ans quand un paysan lui offre un exemplaire de l’Ancien Testament.
C’est à ce moment-là qu’il commence à tenir un journal dans lequel il inscrira tout ce qui se passe dans chaque jour de sa vie et qui servira de support au livre d’Eléna Cassin.
Il est à noter que cette Bible provient des efforts des Protestants pour se développer dans l’Italie de l’entre deux guerres.
Quoi qu’il en soit, en même temps qu’il se plonge dans la lecture de l’ancien testament ; et nul ne sait si c’est avant ou après ; une vision lui prédit une lumière.
Donato Manduzio développe alors une véritable fascination pour l’Ancien Testament. Et le Dieu d’Israël devient son Dieu. Mais, en même temps, il est persuadé que le peuple Hébreu a disparu, qu’il n’existe plus.
Des Protestants tentent de le convertir à la foi Évangélique, mais ils se heurtent à lui sur le sacro saint principe du Repos Sabbatique et Manduzio rompt avec eux.
Il se dit et se veut Israélite, se rattachant au peuple Hébreu sorti d’Égypte.
S’il était resté seul, l’histoire de Donato Manduzio serait probablement oubliée aujourd’hui.
Mais, il est un peu guérisseur et, dans son genre, il a une certaine instruction grâce a sa soif de lire et à ses causeries essentiellement centrées sur la Bible et le peuple Hébreu.
Cependant, s’il a un auditoire certain, tous ne le suivent pas, surtout quand il leur demande de brûler leurs images pieuses et briser leurs statues.
Les Nouveaux Hébreux de San Nicandro…
Malgré tout, il regroupe autour de lui un petit nombre de fidèles qui se placent sous le signe de la Magen David bleue sur fond blanc et les Nouveaux Hébreux de San Nicandro se réunissent pour prier dans une pièce de la maison de Manduzio qui devient leur synagogue.
Un jour, un voyageur de passage révèle à ces Nouveaux Israélites des Pouilles que le peuple d’Israël existe et qu’il y a même des Juifs et un Grand Rabbin en Italie.
Donato Manduzio soutenu par ses adeptes adresse une lettre à Angelo Sacerdoti Grand Rabbin de Rome.
Le Grand Rabbin ne sait pas trop s’il s’agit d’une farce ou d’une provocation, même si l’antisémitisme n’est pas encore aussi développé qu’il le deviendra plus tard.
Aucune réponse n’est donnée à cette lettre.
Le groupe envoie une seconde lettre, puis une troisième et le Grand Rabbin répond enfin. Une correspondance s’engage alors et la détermination des juifs de San Nicandro finit par émouvoir le Grand Rabbin Sacerdoti.
Il envoie alors un représentant, à San Nicandro pour enseigner le culte juif au petit groupe et, éventuellement, ouvrir une synagogue.
Mais, l’émissaire du Grand Rabbin considère que les conditions ne sont pas remplies et sa visite se limite à la distribution de quelques Taleth[1] et à quelques enseignements et conseils au niveau du rituel.
… se retrouvent rejetés par tous
Et, comme toujours dans ce genre de situation, qui n’est pas nouvelle, le groupe se trouve rejeté par son village en tant qu’apostats et repoussé par le judaïsme dont il se reconnait.
Bizarrement, et probablement galvanisés par Donato Manduzio, au lieu de les démotiver, ces obstacles renforcent leurs convictions et, quand l’émissaire du Grand Rabbin tente de les décourager en leur disant qu’ils ne sont pas juifs, ils lui répondent :
Bien que nous ne soyons pas nés en Israël, nous opérons selon les lois que l’Eternel a données à Israël !
Les années passent, la guerre s’installe et les troupes alliées, qui débarquent en Italie, occupent la région.
Une Jeep avec l’étoile de David dessus
Or, parmi les soldats britanniques se trouvent des volontaires juifs et, sur leur jeep, le Bouclier de David est peint en bleu.
Les Juifs de San Nicandro n’en croient pas leurs yeux. Ils se fabriquent un drapeau qu’ils agitent, avec beaucoup d’enthousiasme, au passage de chaque jeep, jusqu’à ce que l’une d’entre elles s’arrête.
Le conducteur n’imaginait pas qu’il puisse y avoir des juifs dans ces territoires désolés et va à leur rencontre.
En détachement à Rome, il leur rend régulièrement visite, les soutient et les guide dans leur pratique du judaïsme.
C’est ainsi que se renoue le lien le lien entre Donato Manduzio et les autorités religieuses juives d’Italie qui prennent sa requête en considération et acceptent de les convertir au judaïsme.
Je voudrais signaler que nous sommes juste à la fin de la guerre et que le successeur de Sacerdoti, le Grand-Rabbin Israël Zolli vient de se convertir au Catholicisme, en créant un véritable scandale dans le monde Juif. Il n’est pas certain qu’il faille y voir une relation de cause à effet.
En 1946 une circoncision collective permet aux Juifs de San Nicandro d’être officiellement reçus dans le Judaïsme.
Donato Manduzio ne profitera de ce bonheur que durant deux ans puisqu’il décédera à 63 ans en 1948.
Alyah
C’est en cette même année 1948 que trois jeunes juifs de San Nicandro partent en Israël s’enrôler dans les forces israéliennes. Dans les années 49/50 la plupart des convertis les rejoignent.
Je sais que Pierre-Henri Salfati leur a consacré un documentaire présenté sur France 2, le 3 octobre 2002 à 22h30, mais à l’époque je ne l’ai pas su.
Un rabbin qui a visité San Nicandro en 2007 nous raconte que le vendredi soir, environ 30 personnes prient dans la synagogue et 40 le matin dont 37 sont des femmes.
Les femmes de San Nicandro
C’est une femme qui dirige la prière de Chahrit[2] qui dure environ quatre heures. Une partie est faite en hébreu, l’autre en italien.
Sept femmes sont montées à la Torah et ont même fait une Dracha[3].
Ces femmes essaient de manger cacher et de ne pas mélanger le lait et la viande. Elles font des hallot[4] pour shabbat, allument les bougies et font le Seder de Pessah.
Elles sont mariées avec des catholiques et leurs enfants n’ont pas de Brith Mila[5]. A San Nicandro Garganico l’usage veut que les garçons prennent la religion du père et les filles celle de la mère.
En tout cas les premiers Olim de San Nicandro Garganico sont arrivés en Israël aux alentours de 1947 et ont participé à la guerre d’indépendance.
Sept familles sont arrivées en 1953 et se sont installés près de Safed dans les Moshavim[6] Alma et Keren Ben Zimra ou se trouvaient des immigrants de Libye qui parlaient italien.
Il paraît qu’au Moshav Alma il y aurait encore quelques familles provenant de San Nicandro.
Pour conclure, plusieurs auteurs se disputent la paternité de la citation suivante, et je ne sais pas bien qui a dit : « On ne naît pas juif, on le devient ! »
…mais j’y souscris pleinement. JJH♦
[1] Le Taleth ou Talit est un vêtement à quatre coins, propre au judaïsme, et dont chaque coin est, en vertu de la prescription biblique, pourvu de franges.[2] Prière du matin
[3] Prêche
[4] Pain du shabbat
[5] Circoncision
[6] Villages agricoles
*Jean-Jacques Hadjadj est Biographe privé
Partagé par Terre Promise ©
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