« Les Juifs et leur avenir » d’Adin Steinsaltz – 3ème partie
Adin Steinsaltz, le célèbre traducteur du Talmud, est une des personnalité les plus marquante de sa génération..
Qu’est-ce qu’être juif ? Quel est le lien qui unit les Juifs ? Sont-ils une nation ou une religion ? Comment le judaïsme influence-t-il notre pensée ?
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IX – Sur qui pouvons-nous compter ?
Où sont à présent ceux qui vont montrer le chemin?
A la fin du traité du Talmud Sotah (49 a,b), il y a cette phrase de rabbi Eliezer le Grand : ‟Du jour où le Temple a été détruit, les Sages se sont transformés en scribes, les scribes se sont transformés en agents de la force publique, les agents de la force publique se sont mis au niveau du peuple et le peuple lui-même se dégrade”.
Les Sages se sont transformés en scribes… Les scribes répètent ce qui se dit, résolvent des problèmes qui ont été résolus, n’écrivent que des anthologies et des résumés… Les scribes se sont transformés en agents de la force publique… Ils n’enseignent plus et se contentent de faire régner la discipline…
Les agents de la force publique se sont mis au niveau du peuple… Au lieu de faire respecter la loi, ils s’efforcent de gagner les faveurs du peuple en se comportant comme lui… Et le peuple lui-même se dégrade… Cette dégradation est perceptible dans le parler comme dans le comportement et elle finit par être acceptée comme la norme… Mais alors, sur qui compter ? Et pourquoi une telle dégradation ? Parce que nous fuyons nos responsabilités en nous déchargeant d’elles sur les Sages, les scribes, les agents de la force publique, etc., au point d’oublier toute relation personnelle avec Dieu.
Un verset du Deutéronome rappelle que l’alliance entre Dieu et le peuple juif ne s’est pas faite quelque part il y a longtemps mais qu’elle se fait ici et maintenant. L’engagement doit passer de la société à l’individu.
Quand les systèmes se seront effondrés (et nous pouvons constater qu’ils s’effondrent les uns après les autres), chacun d’entre nous sera appelé à avancer par lui-même. Lorsque nous affirmons que nous pouvons compter sur notre Père aux cieux, nous affirmons que nous ne sommes pas seuls et que nous cessons de compter sur les autres ; ainsi assumons notre responsabilité. Dieu a fait de nombreux miracles pour le peuple juif à sa sortie d’Égypte ; mais le Tabernacle a été construit par chaque Israélite. Que chaque Israélite apporte sa pierre au Temple ! Compter sur soi-même revient à compter sur notre Père aux cieux et compter sur notre Père aux cieux revient à compter sur soi-même.
X – Où se situe le conflit entre Torah et science ?
Le conflit entre la Torah et la science est le sujet d’un grand nombre de livres. Mais en réalité, il y a très peu de contradictions entre la Torah et les mathématiques qui sont à la base de presque toutes les sciences exactes et d’un grand nombre de sciences inexactes qui appliquent des méthodes propres aux mathématiques et aux statistiques.
En fait, le problème ne se situe pas entre la Torah et les ‟sciences dures”, il se situe au niveau de la vulgarisation scientifique. Cette dernière simplifie les choses, d’où son immense public. La vulgarisation scientifique ne différencie pas toujours théorie et hypothèse. Elle a d’autres défauts, notamment celui de ne pas s’embarrasser de nuances. Ainsi la science est-elle présentée comme un ensemble d’absolus et la Science (avec un grand S) pousse la Torah de côté.
Pour avancer dans le monde, nous avons besoin d’une sorte de théologie (un ensemble d’idées générales) capable de définir des valeurs et des systèmes, que cette théologie soit religieuse ou non, voire nauséabonde… Des connaissances scientifiques peuvent volontiers participer à l’élaboration d’une croyance théologique, d’une sorte de religion (qui s’ignore).
Par exemple, rien de ce qu’a écrit Darwin n’était nazi avant la lettre, mais un certain biologiste, Ernest Haeckel, auteur d’ouvrages de vulgarisation à succès et très enseigné dans les écoles, a présenté à sa manière le darwinisme, il l’a placé dans un éclairage particulier qui a favorisé l’émergence de l’idéologie nazie.
La vulgarisation scientifique compte parmi ses lecteurs nombre de personnes intelligentes et cultivées qui s’efforcent de mieux comprendre le monde en s’aventurant hors de leur domaine.
Il y a la vulgarisation scientifique, il y a les ‟sciences douces”. Elles ne sont ni vraiment expérimentales ni vraiment mathématiques et leur influence est considérable. Ces ‟sciences” sont théologiques de par leurs hypothèses fondamentales : elles ne partent pas de faits mais d’une conception de l’Univers. Psychanalyse, sociologie, anthropologie, nombre de ‟sciences douces” ne sont que des angles de vision particuliers, des systèmes de croyances, mais si répandus que personne ne songe à les remettre en question. Chacun est libre de construire des représentations ; il ne faut pas pour autant que ce dernières soient considérées comme étant le reflet de la vie.
Les conflits entre Torah et science, plus généralement entre la religion et la science dans le monde occidental, ont pour cause principale ces théories scientifiques auxquelles on accorde une valeur absolue.
‟La confrontation fondamentale entre la Torah et la science se produit quand les sciences dures vulgarisées prétendent à la théologie sous le prétexte de présenter des affirmations scientifiques.”
Il est bon de croire, mais encore faut-il trouver une croyance de valeur. Les religions pullulent à présent : religion de la psychologie, religion de la sociologie, etc. Dans notre société, les idées généralement admises se font définitives et nombre d’hypothèses se font ‟vérités”. Notons par ailleurs que de nombreux Juifs ont une connaissance de la Torah tout juste digne du Kindergarten et ce qu’ils en connaissent est souvent erroné. Ils se mettent donc à inventer des croyances imaginaires pour faire face à des attaques imaginaires.
A méditer : ‟Un grand nombre de messages qui viennent des pays occidentaux sont en fait des notions chrétiennes mises au goût de la laïcité”. Le Juif doit faire un choix. Chaque message venu du monde doit être contrôlé. Il peut être accepté (certains sont magnifiques) mais aussi refusé au nom des valeurs juives. Prendre des décisions, choisir, questionner sans trêve, sans jamais ériger en fétiche la moindre réponse, sans jamais perdre de vue l’extrême complexité de la vie. Il n’est pas difficile d’être un ange au Paradis et une bête sur terre, mais être un homme that is the question.
XI – Le mysticisme dans la pensée juive
Dans le judaïsme, le mysticisme fait partie intégrante de la vie spirituelle et n’a jamais été séparé de la tradition religieuse.
La révélation au mont Sinaï explique peut-être ce fait. Néanmoins, à un moment de l’histoire juive, les autorités religieuses ont jugé avec suspicion la mystique, la Kabbale en particulier qui n’est pourtant pas une extravagance et qui touche à tous les aspects du judaïsme. Par exemple, de nombreuses expressions de l’hébreu et du yiddish procèdent de la Kabbale.
L’œuvre kabbalistique fondamentale pour les Juifs a été écrite par Rabbi Joseph Caro, un contemporain de Rabbi Isaac Luria. Ces deux noms suffisent à montrer qu’il n’y a jamais eu de séparation entre une pratique ouverte du judaïsme et les aspects ésotériques (ou mystiques) de la tradition.
Loin de repousser la loi et le rituel dans toutes ses prescriptions, les kabbalistes leur accordent un grand respect. Toutefois, ils accordent une autre importance aux mots de l’appareil théorique. Leur ouverture d’esprit leur permet d’éviter les frictions.
La Torah est pour les Juifs le ciel même. La Torah n’est pas simple connaissance — quelque chose qui s’apprend. Étudier la Torah, ce n’est pas seulement se pencher sur un passé où trouver des normes de comportement, c’est aussi et d’abord dialoguer avec Dieu. Étudier l’écriture, c’est avant tout dialoguer avec Dieu. Étudier l’écriture, c’est étudier avec Dieu (voir le Talmud).
L’étude n’est pas simplement intellectuelle : la compréhension fait appel à l’esprit mais aussi aux sentiments. Tous les éléments qui constituent la Torah sont interdépendants et ils expriment la même chose de différentes manières : Halakha, Kabbale, Mishna, Zohar.
La Torah fait appel à différents niveaux de langage (comme par exemple l’explicite et l’implicite). Ainsi, ceux qui pensent que le mysticisme et la Kabbale n’ont rien à voir avec le Talmud se trompent.
Il y a une unité organique dans tous les écrits du judaïsme. Il est vrai que quant les ignorants s’intéressent à l’ésotérisme et à l’occulte, on peut s’attendre au pire. La Torah propose bien des clés et bien des serrures et chacune d’entre elles ne vaut que pour une seule personne. Celui qui a trouvé les siennes peut être regardé comme un homme heureux. Nous perdons trop souvent notre temps à nous énerver avec des clés et des serrures qui ne nous sont pas destinées ; autrement dit, nous nous épuisons dans des analyses qui ne nous correspondent pas. Certains trouvent la clé dans l’intellect, d’autres dans l’accomplissement de certaines actions, et toutes ces expériences mènent à la présence divine.
XII – Le motif de la lumière dans la tradition juive
La lumière est inhérente à la création du monde. Elle est le symbole du bien et du beau. La lumière est le symbole positif absolu. Cette symbolique ne se limite pas au domaine du langage ; songeons à ces lampes qui représentent la sainteté sous tous ses aspects : la Ménorah, les bougies du Shabbat (devenues son symbole même), l’allumage des bougies de Hanouka, etc.
Bref, chaque événement est marqué par l’allumage de bougies. La bougie commémorative est marquée par une certaine tristesse, elle n’en symbolise pas moins l’éternité. Il y aurait un livre à écrire sur la symbolique de la lumière dans le judaïsme, tant au niveau des textes que des fêtes et leurs bougies.
La lumière primordiale de la Genèse se divise et se subdivise, chaque lumière ayant son caractère particulier, sa mission propre. Et chacune de ces lumières suscitent des émotions particulières. Chaque lumière a sa symbolique qui trouve sa forme avec les matériaux utilisés : l’huile et la mèche, la bougie et la lampe.
La Halakha établit le cadre de tous ces actes de lumière, elle leur donne un sens spécifique. C’est bien par la Halakha que des notions abstraites prennent corps. Les particularités locales ont influé sur l’élaboration de ces lumières. Pourtant, malgré tous ces aléas, les artisans juifs n’ont jamais oublié l’importance de ces détails consignés dans la Halakha. Sa richesse conceptuelle ajoutée à celles de la Haggadah et de la Kabbale a stimulé leur créativité en leur permettant d’ajouter à leurs œuvres d’autres niveaux de sens.
Dans le judaïsme, les ténèbres n’ont jamais eu de signification religieuse. Elles ne sont présentes que pour exalter notre besoin de lumière.
Le secret lui-même est lumière. Rabbi Baal Chem Tov fait remarquer qu’en numérologie, les lettres qui constituent le mot or (lumière) sont équivalentes à celles qui constituent le mot sod (secret).
A suivre…
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