Le christianisme

Nouvelles hérésies et persécutions – Comment naquit le Christianisme chapitre 26

Les 28 chapitres de l’oeuvre d’André Wautier sur les débuts du Christianisme. Un monument intense d’érudition, et la source de multiples polémiques.

CHAPITRE 26 : Nouvelles hérésies et persécutions

Controverses sur la nature humaine ou divine de Jésus et sur sa qualité de Christ.

Hélas pour la Grande Eglise de Rome ! Malgré l’atout incomparable que constitue pour elle l’Evangile selon Matthieu, codification en quelque sorte de son orthodoxie, elle n’avait pas encore assez d’autorité pour pouvoir s’imposer. Aussi de nouvelles sectes ne cessaient elles de surgir, qui contestaient l’un ou l’autre point de cette doctrine ou, fait plus grave encore sans doute, l’autorité même des évêques, que la plupart des gnostiques notamment regardaient comme des représentants du mauvais Démiurge…

Parmi ces sectes, les unes refusaient d’accepter ce que les nazaréens avaient repris aux chrétiens, notamment le qualificatif de Christ accolé au nom de Jésus.

Nous savons que ce fut le cas des ébionites qui, plus que jamais, se distancèrent de l’Eglise de Rome. Il y en eut d’autres, comme les monophysites et les ariens, dont on aura à reparler.

D’autres encore, tout en reconnaissant la nature divine de Jésus, s’écartèrent de la doctrine romaine sur l’un ou l’autre point, secondaire ou important. Tels furent notamment les quartodécimans, pour lesquels la fête de Pâques devait être célébrée en tout cas le 14e jour du premier mois du printemps, quel que soit le jour de la semaine où il tombe, et non à une date variable (1).

Il y eut aussi les noëtistes, du nom de l’hérésiarque NOëT, encore appelés monarchiens ou patripassiens, pour lesquels le Père et le Fils ne font qu’un : c’est le Dieu unique lui-même qui a daigné s’incarner, naître d’une vierge et vivre en homme parmi les hommes; il a été crucifié et est mort en se rendant à lui-même son propre esprit, et il s’est ressuscité lui-même (2). Tandis que les sabelliens, disciples du prêtre Sabellus, soutenaient, quant à eux, que le Fils n’est rien d’autre qu’un mode d’être du Père.

Mais ce sont surtout les sectes gnostiques qui continuèrent à foisonner. On a déjà eu l’occasion de parler des Montanistes et des encratistes. Mais Marcion et Valentin continuaient, eux aussi, à faire des disciples.

Les Valentiniens.

Parmi ceux du premier, il faut citer notamment APELLES, qui a exposé la doctrine marcionite sans doute de la façon la plus cohérente dans deux ouvrages publiés à Rome: les « Syllogismes » et les « Révélations ». Pour lui, il n’y a qu’un seul Dieu, Chrîstos, mais trois anges lui sont subordonnés: un ange juste, qui a créé toutes choses; un ange de feu, qui a parlé à Moïse ; et un ange mauvais, qui est le responsable du mal. Ces trois anges ne sont que des émanations du Dieu unique, et la Bible hébraïque est mensongère. C’est pour apporter la vérité aux hommes que le Fils du Dieu est venu sur Terre, se composant, au moyen des éléments cosmiques, un corps de chair. Il a été mis à mort et pendu par les juifs, mais il est ressuscité et il est réapparu à ses disciples. Puis, il s’est dépouillé de sa chair en rendant successivement les substances de son corps aux éléments et il est retourné vers son Père, le Dieu bon, laissant aux apôtres la semence de vie qu’il leur prescrivit de répandre.

Un autre marcionite, HERMOGÈNE, professait à peu près la même doctrine qu’Apellès, mais pour lui c’est dans le Soleil qu’en remontant vers son bon Père, Jésus avait laissé son corps de chair. Cependant, Valentin avait fait des disciples peut-être plus nombreux et plus prestigieux encore. On a déjà eu l’occasion de parler de Claude Ptolémée (3), ainsi que d’Héracléon, grâce à qui nous savons que Capharnaüm n’était pas une ville de la Galilée, mais les parties inférieures du cosmos. HÉRACLÉON professait en outre que c’était le mauvais Démiurge qui avait envoyé Jean, lequel baptisait dans l’eau, qui est matière, tandis que Jésus, dont le baptême est d’esprit, avait été envoyé par le Dieu bon.

Il faut citer aussi, parmi les valentiniens, SECUNDUS, qui distinguait, dans l’ogdoade, une tétrade droite, domaine de la Lumière, et une tétrade gauche, domaine des ténèbres. Et THÉODOTE de Byzance, dont on a déjà parlé plus haut (4) et qui professait au sujet de l’incarnation du Christ en Jésus une opinion analogue à celle de Cérinthe, mais pour qui l’astrologie perd son pouvoir sur ceux qui ont reçu la Lumière par le baptême.

L’Apocalypse gnostique de Pierre.

Enfin, pour contrer l’Eglise de Rome, les séthiens écrivirent à leur tour une Apocalypse de Pierre, évidemment différente de celle de Clément le Romain (5). Jésus, après sa résurrection, y déclare que ceux qui se disent épiscopes ou diacres, comme s’ils avaient reçu leur autorité de Dieu, ne sont que des « fossés sans eau »; qu’ils ont compris erronément la tradition des apôtres et qu’ils n’ont fondé qu’une contrefaçon d’Eglise n’ayant rien de commun avec la « phratrie » des origines. On trouve également dans ce texte, comme dans « Le Traité du Grand Seth », la scène où Jésus, juché sur un arbre cette fois, rit de voir les juifs mettre à mort un autre homme que lui, ne sachant pas en réalité ce qu’ils font.

La Gnose chrétienne au IIIème siècle.

Mais d’autres sectes gnostiques naquirent encore, qui ne se réclament, ni de Marcion, ni de Valentin. Certaines d’entre elles s’inspirèrent notamment de ce qu’on appelle la « Cabbale littéraire », c’est à dire de cette branche de la Cabbale qui exploite le fait qu’en hébreu, comme en grec, les nombres sont représentés par des lettres de l’alphabet, si bien que chaque mot a une valeur numérique formée de la somme des nombres que représentent chacune des lettres qui le composent.

Un certain Marcos, qui s’adonnait en outre à la magie, appliqua ce principe au grec, la concordance entre les deux alphabets, le grec et l’hébreu, étant d’ailleurs rigoureusement exacte précisément jusqu’à la lettre noun en hébreu, nu en grec, qui valent l’une et l’autre 50, ce nombre remarquable en honneur à la fois chez les pythagoriciens, les thérapeutes, les cabbalistes et certains physiciens d’aujourd’hui (6).

Marcos donc professa que le Principe inengendré, voulant exprimer ce qui, pour l’homme, est inexprimable, émit un logos composé de quatre syllabes, d’où sont issues les lettres de l’alphabet. Il disait aussi qu’à chacune des sept voyelles de l’alphabet grec correspondait un des sept cieux. Partît de là, Marcos imagina quantité de combinaisons littérales. C’est lui notamment qui remarqua que la somme des lettres grecques alpha et oméga vaut 801, comme celle des lettres composant le mot grec péristéra, qui veut dire « colombe », et c’est pourquoi, dit Marcos, l’Esprit saint descendit sur Jésus sous la forme d’une colombe au moment de son baptême. Il fournit des explications du même genre pour la parabole de la brebis perdue, qui n’est autre pour lui que la Sophia des gnostiques, et pour de nombreux autres passages des Écritures.

C’est Marcos encore qui déduisit du fait qu’Elohim fit l’homme mâle et femelle « à son image » la conclusion que la Divinité serait hermaphrodite (7).

Un gnostique arabe, nommé MONOÏME, partit de principes analogues pour professer que le Tout porte le nom d’Homme, celui-ci étant une monade éternelle qui possède en elle absolument toutes les qualités et leurs contraires. Cet Homme a un fils, né de lui en même temps que lui. C’est de ce fils d’Homme que sont issus tous les êtres existants, et le monde est composé des quatre éléments, eux-mêmes formés de nombres.

Le symbole le plus parfait de l’Homme est le iota, qui se trace d’un seul trait et dont la valeur est dix., Ces conceptions sont à l’évidence inspirées, elles aussi, de la Cabbale juive.

Pour certains cabbalistes, en effet, l’Homme primordial, l’Adam Cadmon, n’est pas autre chose qu’un aspect de Dieu lui-même. Il serait l’ensemble des sephirôt, numérations idéelles qui lui servirent, avec les vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu, à créer le monde matériel, et à chacune de ces séphires correspondrait un de ses membres. Fils de l’Homme ou Fils de Dieu seraient donc, dans cette optique, des expressions synonymes, équivalentes (8).

Mentionnons encore BARDESANE, né en 154 à Edesse (aujourd’hui Ourfa) et mort en 222. Il fut d’abord adepte des Valentinien, puis se détourna d’eux pour développer une doctrine personnelle inclinant vers un dualisme cosmique, qu’il opposa dans sa ville natale au marcionisme (9).

Il est à remarquer d’ailleurs que toutes ces hérésies gnostiques continueront à se réclamer du christianisme, même après l’exclusion de Marcion de l’Eglise de Rome :

« La gnose hérétique existait avant le christianisme ; elle s’est faite chrétienne, les chrétiens l’ont rejetée, elle ne prétend pas moins demeurer chrétienne et passer pour telle », constate Henri LEISEGANG (10). C’est ce qu’admettaient même tant Justin et Irénée, comme on l’a vu (a l’exception toutefois pour ce dernier, des Valentiniens, qu’il décrit comme des loups dans la bergerie, Adv.Haer. III, 16) que Héracléon, qui était pourtant un de ces valentiniens honnis par Irénée.

Malgré donc la diversité des enseignements auxquels elle donnait lieu, il est possible de faire une synthèse des doctrines gnostiques chrétiennes à l’aube du IIIe siècle.


A l’origine de toutes choses, il y a le Dieu bon, l’Homme archétypique, le Père, qui est éternel, parfait et lumineux, qui règne dans le Ciel supérieur, l’Empyrée. De Lui sont émanés la Mère, qui est sa pensée et le Fils, qui est son intelligence ou sa volonté. De l’union du Fils et de la Mère est née une puissance de la droite, qui est Christ. Mais une partie de la buée lumineuse émise par le Père et par le Fils étant demeurée en excédent, elle s’est condensée en une puissance de la gauche, qui est Satan. Ce dernier étant tombé au fond des eaux de l’abîme, il s’y forma un corps lumineux entouré de matière. C’est cette lumière entourée de matière ténébreuse qui est la Sagesse, Sophia, qualifiée parfois de Prounikos. Celle-ci a conscience de la chute qui est à l’origine de son existence et elle aspire à s’évader de la ténèbre abyssale pour remonter vers le Ciel. Les efforts qu’elle a faits dans ce but ont donné naissance aux sept cieux inférieurs, délimités chacun par l’orbite d’une planète et gouvernés par un archonte.

Le premier de ceux-ci, Ialdabaôth (qui n’est autre que le Jéhovah de la Bible hébraïque), ayant engendré des anges, ne sut se faire obéir d’eux. Il fit alors du limon de la terre le Serpent, espérant se l’asservir. Devant la multiplicité de ses créatures, il s’est cru le Dieu Père, il a appelé à lui les archontes et il leur a dit: « Faisons un homme à notre image. » C’est ainsi qu’ils créèrent l’Adam et Ialdabaôth lui insuffla une âme.

Mais ce faisant, il se dépouilla, sans le savoir, d’une partie de sa puissance et la Sagesse déjoua ses desseins : elle séduisit le Serpent, qui amena Adam et Eve à désobéir à lahwéh-Ialdabaôth et a manger du fruit de l’arbre de la Connaissance, ce qui leur ouvrit les yeux et leur fit connaître le Dieu suprême. Jéhovah les chassa d’Eden et le Serpent avec eux. Il fit souffrir à l’humanité toutes sortes de maux, jusqu’à ce que la Sagesse obtint du Père suprême qu’il envoie Christ à son aide. Christ descendit à travers les sept cieux en prenant tour à tour la forme de chacun des archontes.

Arrivé sur Terre, il s’unit à Sophia et s’incorpora avec elle en Jésus, lequel se mit à opérer des miracles et à dire la vérité aux hommes sur le Père et sur le Fils. Ialdabaôth et les siens s’irritèrent et tramèrent sa mort. Comme Jésus s’en allait au lieu de son supplice, Christ et Sophia se retirèrent de lui pour monter vers le Père, et Jésus expira sur une croix. Mais une puissance fut envoyée d’en haut pour le ressusciter en un corps « pneumatique », forme sous laquelle il réapparut aux apôtres, auquel il confia son enseignement ésotérique: le « Royaume des Cieux » ne se trouve en réalité pas ici ou là, ni n’est encore à venir, mais il est en chacun de nous et c’est en se connaissant soi-même qu’on le découvre.

Enfin, Jésus remonta au Ciel et, de là, il attire à lui les âmes des initiés.

On peut se demander pourquoi la Grande Eglise de Rome s’opposa si résolument – et si férocement même, dans la suite, lorsqu’elle parvint à conquérir la prépondérance – à ces doctrines gnostiques et à ceux qui les professaient. Dans ses oeuvres, en particulier Gnostic Gospels, Elaine Pagels, professeur à l’Université Columbia de New-York, l’a clairement montré (11). C’est que la différence doctrinale entre eux était essentielle.

Tandis que les chrétiens romains, issus du nazaréisme, identifiaient le Père, l’Etre parfaitement bon, et le Démiurge, le Créateur du Ciel et de la Terre, pour les gnostiques il s’agissait là de deux êtres différents. Qui plus est, l’Eglise elle-même, avec son clergé composé d’évêques, de prêtres et de diacres, n’était pour eux qu’une création également du Démiurge, envers laquelle les adorateurs du Dieu suprême de l’Etre parfaitement bon et lumineux, n’étaient tenus, ni au respect, ni moins encore à l’obéissance, puisqu’il suffisait de se bien connaître soi-même pour être sauvé.

Rien d’étonnant, par conséquent à ce que la Grande Eglise de Rome, hiérarchisée comme elle l’était et poursuivant sans relâche sa prétention à l’hégémonie sur les autres Églises de la Chrétienté, ait considéré pareilles théories comme subversives. Mais ce n’est pas seulement aux gnostiques et aux autres sectes qu’elle déclara hérétiques que la Grande Eglise de Rome se trouva confrontée.

Au IIIe siècle se répandit le néo-platonisme de Plotin et de ses disciples, qui tentèrent de concilier la philosophie occidentale et les mystiques orientales. Parmi celles-ci, il y en eut une, en particulier, le mithraïsme, dont l’expansion dans l’Empire se déroulait parallèlement à celle des sectes chrétiennes, se posant de plus en plus en rivale de celles-ci, rivale d’autant plus redoutable que son culte était autorisé et qu’il connaissait un succès considérable surtout parmi les militaires.

D’origine persane, le mithraïsme était issu du zoroastrisme. A l’origine, ce dernier ne connaissait qu’un Dieu unique, Aour-Mazd ou Ormuzd, de qui dépendaient trois « génies Angra-Maniou, le génie du mal et des ténèbres; Atar, le génie du feu et du bien; et Mithra, le génie de la lumière. Mais ce dernier finit par faire l’objet d’un culte particulier, qui se répandit hors de la Perse, et dès lors la religion de celle-ci devint dualiste: le dieu du bien étant Ormuzd et le dieu du mal étant Angra-Maniou (ou Ahrimane).

Essor du mithraïsme.

Le culte de Mithra devait connaître une fortune extraordinaire, surtout lorsque, ayant pénétré dans le monde gréco-romain, Mithra y fut assimilé à Apollon, ainsi que cela résulte d’une inscription trilingue, grec- lycien-araméen, découverte en 1973 près de Xanthos. Apollon, en effet, dieu hyperboréen passé dans le panthéon celte, puis dans la mythologie gréco-romaine, y figura très rapidement le Soleil et bénéficia ainsi du prestige considérable que connut dans toute l’antiquité le culte du Dieu-Soleil, Sol Invictus (12). De plus, comme déjà signalé au chapitre XV, la valeur numérique du nom grec de Mithra, (en sept lettres, comme les sept planètes et comme les sept cieux des gnostiques) est de 365, le nombre, même des jours de l’année, comme aussi le Grand Archonte de Basilide.

Nous savons déjà que Néron lui- même, après avoir été converti par Paul de Tarse au christianisme, puis initié au mithraïsme par Tiridate Ier, roi d’Arménie, voulut unifier ces deux religions et en prendre la tête, se considérant lui-même comme Sol Invictus, le Soleil invincible, et s’attirant ainsi l’hostilité de presque tout le monde (13).

Sa défaite par Galba et son suicide ralentirent quelque peu les progrès de ces deux religions orientales, mais celles-ci, à la faveur du libéralisme des empereurs Antonins, purent à nouveau s’épanouir librement, de même que plusieurs autres au IIe siècle, et aussi d’ailleurs les écrits de leurs adversaires, comme on l’a vu.

Commode.

Le mithriacisme devait connaître une nouvelle expansion considérable sous le règne de Commode, qui avait succédé à son père Marc Aurèle en 180, car cet empereur, à son tour, se fit initier au culte de Mithra et, en 186, il unit officiellement ce dernier à celui de Cybèle, la Mère des dieux. Dès lors, on put croire que ce culte finirait par devenir la religion principale de l’Empire romain, d’autant plus que Commode, malgré les considérables analogies qu’il présentait avec le christianisme (14), se mit à persécuter férocement celui-ci. Mais il se laissera aller à bien d’autres excès encore, se faisant ainsi détester de tous, au point qu’il finit par être assassiné en 193.

Septime Sévère.

Après les règnes éphémères de Pertinax et de Didius Iulianus, Septime Sévère put mener plusieurs campagnes militaires, entre autres contre les Parthes, mais il les terminera victorieusement et il parviendra à ramener pour un temps la paix. Ce sera au prix d’une politique extrêmement autoritaire (15).

C’est à partir d’alors, semble-t-il, que, parallèlement aux persécutions contre les chrétiens, se développe la légende d’un Néron sanguinaire: « Désormais tous les empereurs », remarque Jean-Charles Pichon, « vont s’acharner à la fois à extirper le christianisme de Rome et à détruire toute trace de l’œuvre de Néron » (16).


Curieusement, les chrétiens eux-mêmes adopteront la même attitude envers Néron, dont ils feront l’Antéchrist, reconnaissant pourtant que le peuple espérait son retour :

« Car, s’il faut en croire quelques uns », écrira Augustin, « Néron n’a pas été tué, mais enlevé, et le bruit de sa mort répandu » (« La Cité de Dieu », XX). Et Chrysostome : « Même aujourd’hui, des hommes aspirent encore à voir Néron vivant, et beaucoup le croient vraiment en vie » (17).

Il est vrai que ce n’était pas à leur christianisme que Néron s’était converti, mais à celui de Paul et de Luc, lequel avait abouti au marcionisme, condamné par l’Eglise romaine…

Les catacombes. Tertullien

D’autre part, l’hérésie montaniste, particulièrement exigeante en matière de foi et de mœurs elle aussi, n’avait cessé de progresser, et Tertullien, un carthaginois qui s’était converti au christianisme vers 192 et que l’on compte parmi les principaux Pères de l’Eglise, après avoir combattu vigoureusement le marcionisme, ainsi qu’on a plusieurs fois eu l’occasion de le signaler, se ralliera au montanisme en 207. Mais il avait, entre temps, fait preuve d’un tel fanatisme qu’à ceux qui suivirent ses conseils il n’était plus possible de participer normalement à la vie quotidienne de l’Empire. On peut dire de Tertullien, à cause de cela, qu’il rendit en quelque sorte inévitable la poursuite des persécutions (18).

D’ailleurs, les courants apocalyptiques et les prédictions sur la fin des temps ne cessaient de se multiplier parmi les chrétiens et les juifs. Aussi le prosélytisme des premiers finira-t-il par être interdit par un édit de Septime Sévère en 202. La répression fut particulièrement dure en Afrique du nord, en Egypte, en Cappadoce et en Galatie, où Irénée, qui y était retourné, subit le martyre en 205.

C’est d’alors que date, semble-t-il, le début de l’utilisation par les chrétiens des catacombes, galeries souterraines creusées dans le sol en vue d’aménager des sépultures, mais qui n’étaient pas particulières aux chrétiens. Ceux-ci commencèrent seulement par s’y assurer des emplacements pour leurs évêques à partir de la date de la mort de Calixte Ier. Ce n’est que plus tard qu’ils s’y réfugieront. Car longtemps les empereurs firent preuve, pour la plupart, d’un grand libéralisme en matière de foi. Alexandre Sévère encore réunissait dans sa chapelle privée des effigies d’Orphée, de Jésus et d’Apollonius de Tyane.

Manès et le manichéisme.

Le christianisme du alors subir la concurrence d’une autre religion encore, qu’avait fondée en Perse un normé MANES, né en Babylonie, dont le père Patek ou Fattag était membre d’une secte Baptiste, probablement elcésaïte. En 228, alors qu’il avait environ, 24 ans, Ce Manès, encore appelé Mani ou Xanichée, avait eu une révélation, qu’il attribua à « l’ange de Thomas » et à la suite de laquelle il se proclama le Paraclet et rompit avec la secte de son père. Il fit alors un voyage aux Indes, puis revint en Perse prêcher une doctrine qui était un syncrétisme de bouddhisme, de mazdéisme et de christianisme gnostique.


Elle connaîtra un succès extraordinaire, sans doute parce qu’ “à l’exemple du christianisme et du mithraïsme », explique Salomon REINACH, « elle s’offrait aux hommes de toutes conditions et de toute race comme la voie du salut » (19).

Comme le christianisme, le manichéisme, qui s’intitulait lui-même l’Eglise de la justice, connaissait des sacrements : le baptême , la communion et une sorte d’initiation particulière, souvent donnée à l’article de la mort et par laquelle celui qui la recevait devenait un « élu parfait »: c’est l’origine du consolamentum des Bogomiles et des cathares.

Cependant, comme beaucoup de gnostiques, les manichéens considéraient Jéhovah, le Dieu de la Bible juive, comme le Prince des ténèbres. Et, comme Ialdabaôth, il avait pour eux une tête de lion (mais le corps d’un dragon) On retrouve aussi chez les manichéens la Vierge de lumière de Pistis Sophia et elle porte, comme chez les séthiens, le nom de Joëlle, lequel est aussi, chez les cabalistes juifs, sous la forme lahoël, un des noms de l’ange Métaorn, le guide d’Israël (20).

Selon Mani, d’autre part, il y a à l’origine de toutes choses deux principes celui du Bien, appelé Lucifer, qui est la lumière, le feu, le vent ; et celui du Mal, appelé Ahrimane, qui est l’obscurité, la fumée, la boue. Ces deux principes sont en lutte perpétuelle et l’homme, qui participe des deux, est la victime de cette guerre.

Aussi Lucifer, le Dieu bon, lui envoie-t-il de temps en temps des prophètes pour le guider: tels furent Seth, Hénoch, Nicothée (21), Noé, Shem, Abraham, Zoroastre, le Bouddha, le Christ et enfin Mani lui-même… Moïse, par contre, avait été un prophète de Jéhovah, c’est à dire donc d’Ahriman.


A la fin des temps, Lucifer triomphera d’Ahrimane; puis il y aura un embrasement final de l’univers, qui durera 1468 ans (22).


Partie donc de la Perse, cette religion essaimera rapidement au Turkestan, en Sogdiane, en Chine, en Inde, en Syrie, à Rome et jusqu’en Afrique et en Espagne. Mais Mani, qui s’habillait à peu près comme les prêtres de Mithra, eut le tort de s’en prendre en Perse même, au culte de Zoroastre après avoir converti le frère du roi Vahrame. Le clergé mazdéen l’accusa de corruption et obtint sa condamnation à mort. Manès fut torturé et mourut peu après en prison, en février 277 . Son disciple SISIN lui succédera, mais il transportera le centre du culte à Babylone.

Entre temps les persécutions avaient repris, les armées romaines ayant connu à nouveau une succession de lourdes défaites. Elles n’épargnèrent même pas l’évêque Cyprien de Carthage, qui fut mis à mort sous Valérien en 258, alors qu’avec Firmilien, évêque de Cappadoce, il s’était opposé à la prétention d’Etienne l’évêque de Rome, d’exercer la primauté au titre de successeur de Pierre et qu’Etienne et Cyprien s’étaient excommuniés l’un l’autre (23).

Elles ne devaient d’ailleurs pas s’exercer seulement contre les chrétiens, mais aussi, très souvent, contre des adeptes d’autres religions, y compris le manichéisme, que Dioclétien interdit en 290.

Porphyre.

C’est à cette époque aussi que Porphyre, un disciple de Plotin d’origine juive, écrivit contre les chrétiens un pamphlet virulent en quinze livres, dont le texte est perdu et dont on ne connaît que quelques passages grâce à des citations d’auteurs contemporains ou postérieurs (24).

Les persécutions au IIIème siècle.

Ce que furent dès lors les persécutions contre les chrétiens, on n’en donnera pas ici le détail, car cela n’a que peu d’incidence sur l’essentiel de notre sujet. Il suffira de renvoyer à l’étude très complète, déjà plusieurs fois citée, de Charles DELVOYE (25). Rappelons seulement qu’elles durèrent pendant toute la deuxième moitié du IIIe siècle et qu’elles atteignirent leur point culminant, sous Dioclétien et son successeur Galère, de 303 à 306 (26), alors qu’aux vicissitudes militaires de l’Empire était venu s’ajouter un fléchissement économique général, mais qu’elles ne réussirent pas à extirper le christianisme, lequel ne cessa, au contraire, de se développer (27) tout en connaissant une assez extraordinaire évolution doctrinale qui, d’une religion d’amour qu’elle était à l’origine, se Naissance du Christianisme Chapitre XXVI – Nouvelles hérésies et persécutions. Page XXVI-9/10 mua en une institution sectairement dogmatique (28). Finalement, devant l’inanité de leurs efforts, les empereurs finiront par renoncer à tenter de l’écraser et, en 306, Maxence donnera expressément l’ordre de mettre fin aux poursuites.

Notes

1 ) Sur les quartodécimans, v. not. Daniel MASSÉ, « Jean-Baptiste et Jean le disciple aimé et l’apôtre » (Sphinx, Paris, 1929), pp. 263 & s.
2 Voy. Gustave WELTER, « Histoire des Sectes chrétiennes des origines à nos jours » (Payot, Paris, 1950), pp. 43-44.
3 V. chapitre précédent, pp. 292-293.
4 V. ci-dessus, chapitre XX, p. 248.
5 V. chapitre XXII, p. 274 et la note 58.
6 V. not. Albert DUCROCQ, « Le Roman de la Matière » (U.G.A. 10/18, Paris, 1970), chapitre VII, pp. 227-229. V. aussi Erich von DäNIKEN, « Mes Preuves » (J’ai lu, Paris, 1982), pp. 98, 100 & s., 157-158.
7 V. plus haut, chapitre XIV, p. 178.
8 Voy. Leo SCHAYA, « L’homme et l’absolu selon la Kabbale » (Buchet-Chastel, Paris, 1958), pp. 139 & suiv.
9 V. à ce sujet Jean TORRIS, « La percée du marcionisme à Edesse » (Meta, Paris,n° 6, mai 1974, p. 40).
10 « La Gnose » (Payot, Paris, 1551), p. 49.
11 Voy. Elaine PAGELS, op. cit., chapitre II, en particulier pp. 29 & suiv. V. aussi J.M. ANGEBERT,
12 V. à ce sujet George Rattray TAYLOR, Sex in History (trad. française: « Une interprétation sexuelle de l’histoire », Corrêa, Paris, 1954), p. 285; J.M. ANGEBERT op. cit., pp. 154-159. V. aussi plus haut, chap. XII, p. 124.
13 V. plus haut, chapitre XI, pp. 114 & suiv
14 Voy. Salomon REINACH, « Orpheus », tome Ier, chap. II, III, n° 16-19; Robert VAN ASSCHE, « Mithra et le Christ » (Cahiers du Cercle E.Renan, Paris, n° 76, juin 1972 ), pp . 20-23 .
15 Voy. not. Roland VILLENEUVE, « Héliagabale, le César fou » (P Amiot, Paris, 1957), pp. 21 & suiv.
16 « Néron et le mystère des origines chrétiennes » (Laffont, Paris, 1971), p.192 .
17 « Oraisons », 21. V. aussi plus haut, chap. XI, p. 120.
18 Voy. Louis ROUGIER, « L’incompatibilité du Christianisme avec la vie païenne (Cahiers du Cercle E.Renan no 57, 1968, et La Pensée et les Hommes, Bruxelles, avril 1968 et octobre 1973).
19 « Orpheus », chapitre II, II, n° 20.
20 V oy. E .G. SCHOLEMM, « les Origines de la Kabbale » (Aubier-Montaigne, Paris, 1966), p.201.
21 Il s’agit d’un patriarche légendaire, à qui. selon les séthiens (v. à leur sujet chapitre XV ci-dessus, pp. 189 & suiv.), Seth se serait manifesté au cours de l’une de ses
réincarnations et qui pourrait s’identifier au Thot des hermétistes
22 Cette durée paraît également reprise du séthianisme ou du simonisme, car elle figure notamment dans « La Pensée de la Grande Puissance », un des textes coptes découverts à Nag-Hammadi (v. plus haut, tome IV, p. 189).
23 V. à ce sujet Georges ORY, « Analyse des origines chrétiennes » (Cahiers rationalistes, Paris, n° 193, janvier 1961), p. 70; Hans RYNER, « Cyprien » (Bulletin du Cercle E.Renan, Paris, n° 157, déc. 1969).
24 Voy. Adolf von HARNACK, Porphyrus gegen der Christen (Académie des Sciences de Berlin, 1916).
25 « Les persécutions contre les chrétiens dans l’Empire romain » (Cahiers Rationalistes, Paris, n° 250, 1967), spécialement pp. 337 à 349.V. aussi Maurice CHEVALON, « L’Afrique du nord fut chrétienne avant d’être musulmane » (Cahiers du Cercle E.Renan, Paris, n° 136, sept. oct. 1984, p. 1984).
26 Voy. not. Fernand LEQUENNE, “Les Galates » (Fayard, Paris, 1959), pp. 287-289; E.R. DODDS, Pagan and Christian in an Age of Anxiety (Cambridge University Press, 1965), trad. française: “Païens et chrétiens dans un âge d’angoisse » (La Pensée sauvage, Claix, 1979), pp. 124 & suiv.
27 Sur les causes de ce succès, voy. E.R. DODDS, op. cit., pp. 150 à fin.
28 Voy. G. Rattray TAYLOR, op. cit., pp. 293-297.

A suivre …


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