Les Tossafistes: Lumières du Talmud en France au Moyen âge (1100-1328)
Chaque garçon qui commence à étudier la Guémara sait qu’ouvrant un de ses volumes, il trouvera le texte au milieu de la page ; et ce texte sera encadré par deux commentaires, un sur chaque marge. Sur la marge de droite, le commentaire de Rachi, et sur celle de gauche le commentaire de Tossafoth.
Tournant la page, cet ordre sera inversé : Tossafoth à droite, et Rachi à gauche.
Le garçon juif se familiarise avec Rachi assez tôt, quand il commence à apprendre ‘Houmache (le Pentateuque) avec Rachi. Mais plusieurs années peuvent être nécessaires avant qu’il connaisse Tossafoth, car, à ses premiers pas dans la Guémara, son étude se bornera au commentaire de Rachi.
Rachi est une explication continue du texte de la Guémara, laquelle peut être étudiée aussi bien au stade élémentaire par des débutants, qu’au stade supérieur par des élèves plus avancés.
Tossafoth, lui, est plus difficile, car c’est un commentaire sur des passages choisis de la Guémara, ou un commentaire sur le commentaire de Rachi ; et comme tel, il soulève des problèmes et des questions qui nécessitent souvent des discussions poussées.
Tossafoth signifie « ajouts » ayant été composé, par les élèves de Rachi et ses successeurs, comme des « ajouts » au commentaire du grand maître.
Les uns et les autres ne se considéraient pas comme les fondateurs d’une école nouvelle et originale d’interprétation du Talmud, mais simplement comme des disciples de Rachi.
Leur ambition se bornait à ajouter certains passages, pour en éclaircir certains autres que leur éminent maître, dans son souci de faire bref et simple, avait expliqués sans trop s’y attarder ; ou bien que, du fait de sa profonde sagesse et de son savoir étendu, ces passages lui paraissaient suffisamment clairs, alors que, pour des esprits de moindre envergure, ils présentaient quelques difficultés.
En tout état de cause, les Tossafistes (ou Baalei haTossafoth – « les auteurs des ajouts ») introduisirent une méthode nouvelle de discussion du Talmud, laquelle compare entre elles des discussions similaires dans différentes parties du Talmud, en soulignant d’abord les différences apparentes, pour entreprendre ensuite de les aplanir.
Parfois, cette méthode aboutit à l’explication de certains passages différemment de Rachi. Ce qui donna lieu, de la part des érudits ultérieurs, à des tentatives destinées à éliminer les différences qui séparaient Rachi et Tossafoth ; ainsi la discussion du Talmud se poursuivait-elle, comme elle se poursuit encore.
Mais on peut avancer sans crainte de se tromper que celui qui est familiarisé avec la Guémara en même temps qu’avec les commentaires de Rachi et Tossafoth est assurément un Talmudiste chevronné.
Un commentateur inégalé
Rachi mourut en l’an 4865 (1105), et sa mort marqua le début de l’ère des Tossafistes qui dura environ deux siècles.
Rachi avait écrit ses commentaires sur la presque totalité du Talmud ; cependant, sur certains « traités » (volumes) du Talmud, son commentaire demeura inachevé.
Ainsi trouvons-nous la note suivante de la plume de ses disciples au milieu du traité Maccoth (page 19b), où le commentaire de Rachi s’achève sur une référence à la pureté du corps (et de l’âme) :
« Notre maître, de corps pur, et son âme ayant expiré dans la pureté, n’alla pas plus loin dans son commentaire. À partir d’ici, c’est son élève Rabbi Yéhoudah bar Nathan qui parle. » (Rabbi Yéhoudah était le disciple de Rachi et son gendre).
De même, le commentaire de Rachi sur Bava Batra ne fut pas complété par lui ; c’est son petit-fils Rabbi Chmouel ben Meïr (RaChBaM) qui le termina.
Bien que Rabbi Yéhoudah et Rabbi Chmouel aient reçu leur enseignement de Rachi (qui fut, comme nous l’avons dit, beau-père de l’un et grand-père de l’autre), et que de plus ils aient été d’éminents érudits et des commentateurs remarquables, leurs commentaires, voisinant avec ceux de Rachi, montrent néanmoins que leurs auteurs étaient loin d’avoir atteint le niveau exceptionnel du grand maître, resté inégalé à nos jours.
Tossafistes éminents
Rachi n’avait pas de fils, mais seulement trois filles qui eurent pour maris des érudits distingués.
L’aînée fut la femme de Rabbi Meïr ben Chmouel ; elle en eut trois fils qui devinrent des Tossafistes remarquables : Rabbi Chmouel ben Meïr (RaChBaM) dont nous avons déjà parlé, Rabbi Its’hak ben Meïr (RiBaM), et Rabbi Yaakov, connu sous le nom de Rabbénou Tam. Ce dernier fut un des plus brillants Tossafistes.
Ces trois frères avaient une sœur ; le fils de celle-ci, Rabbi Its’hak, est connu sous le nom de RI de tous ceux qui étudient Tossafoth, et il est de ceux qui y sont le plus fréquemment cités. Rabbi Its’hak eut pour grand-père paternel Rabbi Sim’ha de Vitry, le célèbre auteur du Ma’hzor Vitry, qui fut aussi l’un des Tossafistes.
Le second gendre de Rachi fut Rabbi Yehoudah bar Nathan déjà cité ; il eut un fils : Rabbi Yom Tov. Le troisième gendre fut Rabbi Ephraïm.
Firent aussi partie des Tossafistes les grands talmudistes qui vécurent en France et en Allemagne aux XIIe et XIIIe siècles.
Parmi eux, citons Rabbi Its’hak ben Achère haLévi, un disciple de Rachi ; Rabbi Chimchon ben Abraham de Sens ; Rabbi Yaakov d’Orléans (qui mourut en martyr lors des pogroms antisémites qui éclatèrent à Londres en 1189), Rabbi Yom Tov bar Its’hak (martyr lui aussi, à York en 1190, des mêmes événements sanglants), et bien d’autres.
Parmi les derniers Tossafistes, brillèrent des étoiles d’un éclat incomparable ; citons Rabbi Yé’hiel de Paris, Rabbi Meïr ben Baroukh de Rottenbourg, et Rabbi Achère ben Yé’hiel qui alla s’établir à Tolède, en Espagne.
Ces érudits et beaucoup d’autres introduisirent les enseignements des Tossafistes dans d’autres centres du savoir talmudique. Ces enseignements sont toujours dispensés et ardemment recherchés dans toutes les Yéchivot à travers le monde.
Nissan Mindel
Partagé par Terre Promise ©
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