Les derniers kabbalistes d’Allemagne – partie I
L’article de Scholem qu’on va lire ne requiert pas vraiment d’introduction mais une présentation succincte. Il a pour but d’étudier les dernières apparitions de la kabbale en Allemagne.
On sait que Allemagne a représenté l’élément le plus avancé dans le judaïsme d’Europe depuis le milieu du XVIIe siècle. Comment des courants kabbalistiques devenus pour la plupart souterrains ont-ils pu se maintenir en vie dans une Allemagne largement gagnée à l’Aufklärung ou sa variante juive la haskala?
Scholem est avis que la kabbale a pu se maintenir dans des milieux le plus souvent gagnés aux idées nouvelles, parce que les hommes qui étudiaient tentaient fréquemment de concilier l’enseignement de la philosophie nouvelle avec celui de la tradition ésotérique.
L’exemple de Isaac Satanov est très éloquent à ce sujet.
Néanmoins les hommes dont Scholem expose ici les idées n’étaient pas, à proprement parler, des représentants de l’Aufklärung, il s’agit plutôt, si on retient la grande figure de Wechsler d’hommes tourmentés par les dangers que l’assimilation représentait pour les Juifs.
Ce qui est frappant et qui pas dû manquer intriguer Scholem lui-même, c’est l’union en un seul homme de tendances sionistes d’une part et de penchants ésotériques prononcés d’autre part. Or Scholem lui-même n’a-t-il pas dés le début opté pour le départ en Terre Sainte ainsi que pour la remise à l’honneur de la littérature kabbalistique ? Un survol de son autobiographie (récemment parue en français chez Albin Michel) : De Berlin Jérusalem, suffit pour nous convaincre de cette similitude frappante.
On retrouve aussi dans l’article qu’on va lire les différents courants spirituels qui traversaient le judaïsme allemand de l’époque : les tenants une orthodoxie pure et dure au demeurant fort peu nombreux et dont Wechsler faisait parti (tout comme Samson Raphaël Hirsch dont il est question ici sans toutefois il soit nommé), une large majorité de partisans de l’assimilation (que Wechsler prend d’ailleurs à partie dans sa brochure) et enfin les tenants un judaïsme réformé.
Il convient évidemment de ne pas oublier les sionistes (religieux ou non) qui considéraient les Juifs non comme une simple communauté religieuse (Religions gemeinschaft) mais comme un peuple (Volksgemeinschaft). En dépit des divergences idéologiques un homme comme Wechsler se dira prêt à tendre la main à des sionistes non religieux faute de mieux
II est intéressant de noter qu’en Allemagne, même un certain Moritz Goldstein peu suspect quant lui de la moindre sympathie mystique et pas du tout enclin aux rêveries allait dés 1912 publier un véritable pamphlet (Deutsch-Jüdischer Parnass) dans la revue pangermaniste Kunstwart qui avait à sa tête Avenarius.
Goldstein faisait part de la déception éprouvée par la majorité des Juifs à l’égard de l’Allemagne qui les considérait comme des étrangers alors qu’ils ne se connaissaient pas d’autre patrie.
Ainsi sur des registres foncièrement différents est le même thème qui est traité tant chez Wechsler que chez Goldstein comment rester juif et allemand dans une Allemagne qui se refuse à vous considérer comme un de ses fils?
Au terme du XVIIIe siècle la tradition kabbalistique s’interrompt assez brutalement en Allemagne.
Et pourtant on recensait encore au début de ce siècle un nombre considérable de kabbalistes allemands qui laissèrent bon nombre d’écrits dont certains connurent les honneurs de l’impression. Mais la situation change du tout au tout. Assurément cette tradition kabbalistique n’a pas disparu du jour au lendemain. Il est vraisemblable que de petites communautés ont abrité des kabbalistes isolés qui ne se sont pas contentés d’étudier la kabbale en secret mais qui ont aussi mis par écrit le fruit de leurs méditations.
Mais le tournant n’en demeure pas moins évident. Il pourrait tout aussi bien s’expliquer par la pénétration d’un esprit et d’une époque totalement nouveaux, résultant de l’école de Mendelssohn et de son activité, que par les graves conséquences provoquées au sein de cercles juifs orthodoxes du fait des luttes acharnées entre Jacob Emden et Jonathan Eybeschutz au milieu du siècle.
L’enjeu du conflit était de savoir si Eybeschutz était réellement un partisan voire même le chef d’une secte hérétique décriée qui continuait de considérer comme étant le vrai Messie ce même Sabbataï Zewi qui s’était converti à l’islam près un siècle auparavant.
Durant la controverse la plupart des rabbins allemands prirent parti contre le rabbin de Hambourg, Jonathan Eybeschutz, et se virent contraints à émettre les plus grandes réserves à l’égard de l’étude de la kabbale. Car si une sommité du judaïsme rabbinique telle qu’Eybeschutz avait pu se laisser entraîner à professer des opinions hérétiques (et telle était opinion bien fondée des adversaires de rabbi Jonathan), nul doute que la plus grande réserve à l’égard des études kabbalistiques coupables de mener à l’hérésie sabbataïste s’imposait.
C’est ainsi que l’étude des textes kabbalistiques disparut des milieux juifs d’Allemagne.
Il en demeure pas moins vrai, cependant, que certaines tendances et impulsions d’ordre kabbalistique subsistaient dans des provinces anciennement polonaises suscitant des échos ici et là dans le Grand-Duché de Poznanie.
Une étude fouillée de cette littérature depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’au début du XIXe, ainsi que des recherches portant sur les traditions familiales de cercles juifs orthodoxes, devraient permettre la découverte de bien plus de documents que nous n’en connaissons aujourd’hui.
Qu’on ait au cours de ce processus plus une fois assisté à de curieux amalgames entre les études kabbalistiques et l’univers conceptuel nouveau de Aufklärung est ce qui ressort, entre autres, de la riche production littéraire d’Isaac Satanov (1732-1804), lequel appartenait au cercle réuni autour de Mendelssohn et collaborait au périodique hame asséf, mais n’en disséminait pas moins, sous diverses formes, de nombreuses allusions kabbalistiques dans ses oeuvres.
De l’imprimerie de l’école Juive Libre (Jüdische Freischule) de Berlin, sortirent de très nombreux ouvrages, parmi les premiers, de l’Aufklärung, mais aussi en 1783 et 1784 deux livres de Satanov exclusivement consacrés la propagation de sa synthèse entre les idées kabbalistiques et les idées modernes et rien ne permet d’y voir la marque d’une polémique cachée.
Le fait suivant ne laisse pas étonner hui encore est ce même Satanov longtemps après ses premiers contacts avec les cercles mendeissohniens qui entreprit en 1784 la première édition de l’oeuvre maîtresse de la kabbale lurianique le Sefer Ets hayim et qui le publia Korets en Voihynie Une étude portant sur ce singulier personnage reste écrire Satanov était cependant originaire une ville du même nom située en Podolie et ne peut donc pas être considéré comme faisant partie intégrante des Juifs Allemagne encore qu’il ait passé la plus grande partie de sa vie Berlin
Contrairement aux apparences le cercle de Mendelssohn était pas aussi imperméable aux infiltrations kabbalistiques on pourrait le croire.
Je ne désire pas entrer dans les détails des relations unissant des crypto-sabbataïstes les frankistes et ce cercle bien que les premiers aient détourné de leur sens des thèmes kabbalistiques orthodoxes sans toutefois trouver de très larges échos auprès des milieux juifs Allemagne est là un problème qui mériterait un examen en soi et en ai ailleurs moi-même parlé dans d’autres contextes.
Notons aussi en 1808/1809 Moses Fränkel le neveu du maître de Moïse Mendelssohn David Fränkel qui allait lui aussi devenir rabbin de Breslau fit imprimer un commentaire sur l’Ecclésiaste qui demeure encore totalement imprégné de esprit de la kabbale orthodoxe.
Dans un long sermon sur la Tora annexé au livre, l’auteur cite en les approuvant de très nombreuses théories kabbalistiques sur le sens des écritures ainsi que sur le prétendu sixième livre, aujourd’hui disparu, mais qui se trouvait en tête de la Torà et qui était censé en constituer la vraie forme mystique. Cet auteur continue de vivre dans un univers purement kabbalistique à l’abri de toute influence de Aufklärung.
En revanche dans les écrits de l’érudit Juif berlinois Nachman Berlin qui vécut Lissa où il mourut en 1832, le monde conceptuel du Zohar se mêle au judaïsme orthodoxe et aux idéaux del’ Aufklärung mendelssohnienne.
Son volumineux ouvrage contre les visées modernistes au sein du judaïsme qu’il fit paraître en 1819 (à Breslau ou Dyhernfurth), sous le titre singulier de Qaddur qatan, Petit globe, montre qu’une telle synthèse était encore possible même à l’époque de Rabbi Akiba Egger, y compris dans une communauté de Poznanie, sans que des développements hérétiques ne se profilent en arrière-plan comme ce fut le cas chez les crypto-sabbataïstes de Dresdes et de Prague.
Cet auteur dont l’écrit mériterait également d’être analysé de plus près, et qui se montre très pessimiste sur l’avenir du judaïsme allemand, en s’appuyant sur ses propres expériences de jeunesse à Berlin, marque très bien sa défiance à l’égard du processus naissant de l’assimilation judéo-allemande, et note que de nombreux milieux « veulent se départir du joug de l’exil et pénétrer tête haute chez ceux qui sont nos pires ennemis et qui ont tué nos pères : ils croient pouvoir se placer sous la sécurité de l’état et des puissants sans se soucier de la haine du bas peuple qui nous envie ».
Selon cet auteur, une des raisons majeures de la prolongation de l’exil est que nous ne le ressentons plus et que nous nous conduisons ici comme si nous étions chez nous. « C’est ici que se trouvent Sion et Jérusalem et notre aisance matérielle est notre sanctuaire : l’an de la rédemption est survenu depuis longtemps et aucun danger ne peut plus nous menacer ».
Pour faire pièce ces points de vue il s’enhardit encore avec une certaine prudence à dresser un parallèle avec d’autres groupements juifs, dans le passé en particulier avec ceux qui eurent à subir l’expulsion d’Espagne
« Gardez-vous de placer votre confiance dans l’amitié que pourraient vous porter les peuples, ne vous fiez pas aux princes ni à votre alliance avec les puissants. Tout ceci ne tient qu’à un fil ténu. Puisse-je tenir ma langue et plaise à Dieu de garder ma bouche contre les mauvaises prémonitions, afin que cette sombre époque que fut l’expulsion d’Espagne ne réapparaisse pas dans nos mémoires. »
Par leurs formulations pressantes, ces pages 61/62 de cet ouvrage montrent combien l’auteur était en proie à de sombres pressentiments auxquels il ne cessa de donner libre cours, malgré son adhésion sans failles à la kabbale.
Nachman Berlin s’en tenait toujours strictement à la kabbale dans son rapport à la théologie juive, encore qu’il écrivît plus ouvrages kabbalistiques proprement dits. Il y eut cependant, ça et là, des esprits enclins aux spéculations kabbalistiques surtout en Allemagne occidentale qui mirent par écrit les fruits de leurs méditations. Mais la plupart de ces ouvrages disparurent au fil des ans.
La dernière oeuvre qui me soit connue d’un kabbaliste allemand est le grand commentaire mystique sur le Cantique des Cantiques rédigé par le rabbin de Mayence Hirz Scheyer en 1982 est-à-dire au cours de la dernière décennie de son existence et que son petit-fîls et successeur au rabbinat de cette même ville, un certain Samuel Bondi, fit imprimer en 1875.
Dans une longue et très intéressante introduction, cet ouvrage intitulée Tore zahaw, son petit-fils qui avait recueilli son enseignement rapporte que son grand-père, célèbre autorité rabbinnique dans Allemagne méridionale et occidentale, s’adonnait jadis à ses études kabbalistiques dans le plus grand secret au point que même les membres de sa proche famille n’en surent jamais rien.
Par ailleurs, dans sa propre préface, l’auteur lui-même rapporte qu’il laissa échapper certaines allusions kabbalistiques devant quelques visiteurs érudits venus le voir au cours de sa maladie mais que ces mystères théosophiques contenus dans les versets du Cantique des Cantiques ne furent que peu compris « en raison de la lourdeur de ma langue ».
Mais l’ouvrage en lui-même ne trahit nulle part la moindre relation avec l’esprit du temps, comme c’était le cas dans les oeuvres de Satanov ou de Nachman Berlin. Il s’agit plutôt d’une oeuvre kabbalistique de la vieille école qui s’inspire de la mystique des nombres et du langage, qui avait la faveur de l’école lourianique.
Mais même cet auteur ne fut conduit à coucher sur le papier ses spéculations kabbalistiques qu’à la suite d’événements marquants intervenus dans son existence.
Au cours de sa longue maladie, l’idée lui vint que la tradition kabbalistique selon laquelle chaque âme en Israël possédait en soi une part de lumière de la Torà qui lui était propre, lui commandait de résumer ses propres connaissances, dans la mesure où celles-ci concordaient avec les prémisses et les enseignements écrits plus anciens.
Il démontre ailleurs qu’il les connaissait bien, toutefois son souci majeur était de montrer que les explications mystiques du Zohar étaient déjà contenues dans le texte du Cantique des Cantiques.
La carrière singulière d’un contemporain de Hirz Scheyer qui avait passé les dernières vingt-cinq années de sa vie à Offenbach, c’est-à-dire non loin de Mayence ou de Francfort, un certain E.J Hirschfeld de Karlsruhe (mort en 1820), dont j’ai été le premier à parler en d’autres lieux, et qui était parfaitement inconnu jusque là, prouve que des tendances kabbalistiques pouvaient entraîner vers des directions tout fait différentes, notamment dans des cercles de francs-maçons théosophes où l’on étudiait des mystères de ce type.
Mais Hirschfeld écrivait en allemand, ce qui le place en tête d’une série d’auteurs juifs plus ou moins fortement tributaires de motifs kabbalistiques, sans toutefois être des adeptes de la kabbale au sens précis du terme.
Cette ligne nous conduit depuis le rabbin hambourgeois natif de Mayence : Isaac Bernays (1792-1849) dont la petite-fille fut épouse de Freud, jusqu’à l’oeuvre de Ernst Bloch Geist der Utopie, l’Esprit de utopie (1918), qui marque son terme final.
Mais d’autres kabbalistes ont bien pu écrire aux alentours de 1800 sur des choses qui leur tenaient à coeur, sans toutefois recourir à la langue allemande, et je suis enclin à croire qu’un homme tel que Hirschfeld n’a probablement pas recueilli la faveur des kabbalistes contemporains.
En règle générale les hommes qui s’adonnaient à l’étude de la kabbale à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, firent preuve d’une très grande retenue et ne laissèrent point d’écrits derrière eux. Ceci vaut par exemple pour Elchanan ben Israël mort à Hochberg non loin de Wurzbourg, en 1832, dont la pierre tombale qui nous a été conservée parle de lui avec emphase comme un adepte de la kabbale.
Mordechaï Steg de Warburg (Westphalie), qui était le fils du rabbin local et qui mourut aux alentours de 1840, se serait volontiers lui-même qualifié de « dernier kabbaliste d’Allemagne », si l’on en croit une tradition familiale.
Sous réserve qu’elle fût authentique, le manuel kabbalistique de ce rabbin était encore aux mains de sa famille près de cent ans après sa mort jusqu’à sa destruction par les nazis. Devenu aveugle vers la fin de sa vie, on le mentionnait comme étant le kabbaliste aveugle et il aurait prédit le jour et heure de sa disparition. Mais à l’évidence, les citations que l’on trouve dans le livre de son descendant Emil Herz, qui retrace histoire familiale, contient des citations puisées dans des oeuvres du XXe siècle jusques et y compris des miennes. (Denk ich an Deutschland in der Nacht Berlin 1951).
On peut néanmoins tenir pour certain que dans le cercle des disciples de Rabbi Nathan Adler de Francfort sur le Main (1741-1800), kabbaliste connu dans le monde entier, se trouvaient des esprits qui partageaient les mêmes préoccupations mystiques.
Si on en croit les témoignages de son plus célèbre disciple Moses Sofer (1762-1839) qui allait devenir le rabbin de Pressbourg, le maître évitait, lors de ses discours la yeshivah qu’il dirigeait Francfort, de se référer au Zohar ou de mentionner simplement d’autres écrits mystiques.
Le conflit qui n’allait pas tarder opposer Nathan Adler à la communauté de Francfort et que Marcus Horovitz a si bien décrit dans son oeuvre intitulée Frankfurter Rabbiner Histoire des rabbins de Francfort, montre que l’état d’esprit de ce cercle, ainsi que les conséquences qu’en tirèrent certains de ses adeptes, étaient alors bien connus.
Dans ce cénacle aux tendances ascétiques extrêmes les rêves et les sentiments prémonitoires jouaient un très grand rôle. Par ailleurs l’écrit anonyme de Loeb Wetzlar intitulé Maasse ta tu im, qui était dirigé contre les menées de cette secte, montre bien le degré d’irritation suscité au sein de la communauté de Francfort par de telles extravagances mystiques.
A Ofïenbach, est-à-dire aux portes de Francfort, se tenaient jadis les frankistes que les Juifs résidant dans la métropole du Main appelaient Schistechower du nom polonais de Czenstochow, où Jacob Frank avait été détenu pendant treize années.
Que les attaques contre ce kabbaliste strictement orthodoxe qu’était Nathan Adler, contenaient aussi des insinuations sur son éventuelle collusion avec les frankistes. C’est ce que prouve le choix délibéré d’un lieu fictif d’impression sur la page de titre, à savoir Schistechow en lettres hébraïques.
Une ironie de histoire a même fait que le dayan du groupe autour de Nathan Adler n’était autre que le grand-père maternel de Abraham Geiger, un des dirigeants les plus importants du mouvement juif de la réforme. Geiger publié d’intéressantes réminiscences de ce groupe hassidique dans la Hebräische Bibliographie de Steinschneider (vol V).
Du témoignage de Moses ofér, il ressort que son maître ne l’initiait à la kabbale qu’entre quatre yeux, il relate aussi bien des choses étranges sur les miracles que Nathan Adler parvenait réaliser grâce à la kabbale pratique. D’autres disciples ont eux aussi eu accès à ce type d’initiation.
Rabbi Joseph Schaïttach de Freudenthal (1769-1861) en faisait lui aussi partie et une épitaphe loue en lui le grand kabbaliste dont la renommée était encore vivante en Allemagne méridionale près de trois générations après sa mort.
Dans le Württemberg nous trouvons aussi le récit un ami du rabbin réformé bien connu Ludwig Philippsohn (St de N) qui décrit la mystique et la vie ascétique comme faisant partie intégrante de sa propre évolution mais qui dépassa ce stade vers 1860 pour devenir un rabbin moderne.
On considérait aussi comme kabbaliste, le futur rabbin de Bonn Abraham Auerbach, natif de Buxweiler en Alsace et mort en 1841, que l’arbre généalogique de sa famille tenait pour le plus illustre représentant de la tradition ésotérique de son temps.
Une place à part revient néanmoins un autre élève de Nathan Adler, Seekel Low Wormser (1769-1847) le fameux Baalshem de Michelstadt, qui jouissait de son vivant comme après sa disparition, d’une extraordinaire réputation de faiseur de miracles et que de nombreuses personnes considéraient vraiment comme le dernier kabbaliste d’Allemagne.
Il menait l’existence d’un ascète mystique, s’abstenait de consommer tout ce qui provenait d’êtres vivants (oeufs beurre lait etc…), et se nourrissait exclusivement d’aliments d’origine végétale. Son carnet d’adresses, qui nous a été conservé, montre qu’il dépêchait vers toutes les régions d’Allemagne méridionale et occidentale, des produits naturels mais aussi des amulettes et des ségullot.
Le récit de sa vie que son fils Michael Wormser à publié en 1853 évite de façon craintive, la moindre allusion aux tendances et aux études kabba-listiques de son père qu’il présente, non sans nous étonner, comme une sorte d’adepte de la physiothérapie.
Mais le souvenir vivace qu’il avait laissé dans la mémoire-dés Juifs d’Allemagne méridionale, souvenir dont j’ai moi-même entendu parler étant jeune étudiant à Munich, donnait de la réalité une idée bien différente. En fait dès 1853, il n’était plus indiqué de dire d’un rabbin allemand dans un écrit imprimé qu’il avait été kabbaliste ! Même les journaux juifs orthodoxes de cette époque évitaient soigneusement de compromettre de la sorte des rabbins contemporains.
Nonobstant ceci on pouvait encore trouver aux alentours de 1870, dans des petits villages ou localités d’Allemagne méridionale, des partisans de la kabbale qui étudiaient les oeuvres de Louria, de Cordovéro, et de Menahem Azaria da Fano, dont ils se voulaient les défenseurs.
En faisait partie un certain B.J Rubensohn de Beverungen qui fit preuve d’un courage assez extraordinaire pour l’époque (1869), en prenant la défense de la kabbale dans l’hebdomadaire orthodoxe Der Israelit, contre les violentes attaques dont elle faisait l’objet de la part de Graetz dans sa Geschichte der Juden Histoire des Juifs. A l’évidence le silence de la presse juive trompe peut-être sur la situation réelle qui régnait alors.
Le rabbin de Mayence, Marcus Lehmann, celui qui fonda et éditait ce même hebdomadaire Der Israelit, ne disait-il pas de lui- même en 1883 « qu’il s’était adonné à l’étude des écrits kabbalistiques les plus importants depuis un quart de siècle ? » II n’empêche qu’on chercherait en vain la moindre trace de cette étude dans tous ses écrits.
Lectures
En 1759, en Pologne, Jakob Frank se présenta comme la réincarnation de Sabbataï Tsvi, le faux messie : il assura être le nouveau Messie et se convertit au catholicisme. Dix mille à vingt mille Juifs le suivirent : clandestinité, transgression de la Loi juive, rejet du Talmud et de la Torah tout en restant fidèle, en secret, à la Kabbale et au Zohar. Ses successeurs connurent une ascension fulgurante, le mouvement se transforma en secte hérétique qui dévia vers le nationalisme et l’antisémitisme.
La figure de Sabbataï Tsevi, le messie de Smyrne, hante l’histoire juive ainsi que l’histoire des mouvements apocalyptiques, d’autant qu’elle est restée très longtemps totalement inexplorée. Cette grande œuvre de Gershom Scholem entreprend une évocation détaillée du personnage, qui, dans toute l’Europe et en Orient, apparut comme le messie. C’est le fond même de la vague à la fois insurrectionnelle et religieuse qui est sondé à travers ses manifestations publiques comme à travers ses récits. Comment presque tout un peuple a cru à un moment à la fin du monde et s’y est activement préparé, comment le fol espoir de délivrance bouleversa les données historiques concrètes et l’ordre social ordinaire pour s’effondrer ensuite et jeter dans le désarroi le monde juif abusé, c’est la question à laquelle ce livre tente de répondre. Aborder l’histoire dans l’horizon de ce qu’imaginent les hommes et non sous l’angle étriqué de leurs conditions d’existence matérielle, tel est l’apport de Gershom Scholem à la démarche historique qui la renouvelle en profondeur.
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