Le christianisme

Relations entre les Sages et les Judéo-Chrétiens durant l’époque de la MISHNA

R. Eliézer ben Hyrcanus et Jacob le min disciple de Jésus de Nazareth

par Dan Jaffé

La question des relations entre les Sages et les judéo-chrétiens à l’époque de la Mishna est souvent très délicate [1].

En effet, plusieurs problèmes d’ordre méthodologique se posent quant à son analyse. En premier lieu, les sources à notre disposition ne relèvent pas de l’étude historique au sens où l’entend un historien des religions.

On peut en raisonnant de façon schématique dire que les sources chrétiennes relèvent de l’édification de la foi, alors que les sources juives relèvent de l’édification de la pratique. Le texte n’exprime donc pas un témoignage historique stricto sensu.

Autre difficulté, le caractère tardif notamment de la littérature talmudique qui témoigne de situations ou de traditions bien antérieures à leur rédaction. De plus, le corpus du Talmud ne transmet des informations sur les judéo-chrétiens que de manière indirecte, le contexte général restant l’élaboration et la transmission de la halakha.

A l’historien donc d’extraire le noyau historique contenu dans ces textes [2]

Il faut également souligner que cette littérature est unilatérale : elle reflète le milieu des Sages et véhicule leur regard à l’égard des judéo-chrétiens ou d’autres groupes également marginalisés. Il est important d’avoir à l’esprit ce dernier élément quand on entreprend l’étude des diverses mouvances dissidentes par rapport aux normes des Sages.

En outre, il s’agit de savoir dans quelle mesure ces textes peuvent nous renseigner sur les pratiques et les doctrines des groupes ou des individus qu’ils fustigent. Dans la problématique liée aux judéo-chrétiens, ce dernier point prend toute sa pertinence car il est souvent malaisé de rattacher tel ou tel texte à une des diverses mouvances judéo-chrétiennes répertoriées par les hérésiologues.

Il faut également souligner que les judéo-chrétiens sont mentionnés dans la littérature talmudique sous le vocable générique singulier min ou, au pluriel, minim. Or, il est quelquefois malaisé de donner un sens voire un contenu à ces deux termes.

En effet, selon les époques, les protagonistes et les éléments composant les textes, ces termes peuvent définir des réalités différentes. Le mot min au singulier signifie l’espèce, il est rendu de façon exacte et récurrente par le terme grec génos. Transposé sur le plan religieux, il se revêt d’une nuance particulière : il désignera la mauvaise espèce, celle qui se différencie. Il s’appliquera donc à tous ceux qui s’écartent des normes des Sages et qui tendent à constituer une déviance.

Dans cette étude, il sera question d’un texte défini comme locus classicus dans les relations entre les minim – identifiés à des judéo-chrétiens – et les Sages. On s’attachera tout particulièrement à l’étude historico-critique de ce passage ; l’espace restreint de cette étude ne nous permettra pas de traiter des multiples aspects qu’il recouvre.

En outre, plusieurs questions devront être posées :

  • En premier lieu, quelle était la nature des relations entre les judéo-chrétiens et les Sages aux Ier et IIe siècles?
  • Le regard des Sages à l’égard des judéo-chrétiens a-t-il subi certaines mutations, ou bien est-il resté identique?
  • Quand et dans quelle mesure les judéo-chrétiens ont-ils représenté un danger voire un péril pour les Sages?
  • Quelles furent les réactions des Sages à leur endroit [3]?

La rencontre entre R. Eliézer ben Hyrcanus et Jacob le min

Le deuxième chapitre de la Tosefta Hulin mentionne plusieurs passages mettant en relation des tannaïm et des minim assimilables à des judéo-chrétiens.

En effet, en Tosefta Hulin II, 24 on peut lire le passage suivant [4]

Événement concernant R. Eliézer qui fut arrêté à cause des paroles de minuth [5] Minuth est la forme substantivée de min, et qui fut conduit au tribunal pour y être jugé.

Le gouverneur lui dit : « Un vieillard comme toi s’occupe de ces choses ? » Il lui répondit : « J’ai confiance en celui qui me juge » [6][ Ainsi le gouverneur pensa qu’il parlait de lui, alors qu’il parlait de son Père céleste. Le gouverneur lui dit : « Du fait que tu aies cru en moi – car je disais, est-il possible que ces Anciens se trompent dans ces futilités ? – Dimissus [7].., tu es libre. »

Lorsque R. Eliézer fut relâché du tribunal, il s’affligea du fait qu’il avait été arrêté à cause des paroles de minuth. Ses disciples vinrent le trouver afin de le consoler, mais il n’accepta aucune consolation.

Alors R. Aqiba entra et lui dit : « Maître, je voudrais te dire quelque chose. Peut-être ne te troubleras-tu plus ». Il lui dit : « Parle ». Celui-ci reprit : « Peut-être un des minim t’a dit une parole de minuth qui t’a procuré du plaisir » ?

Il lui dit:

« Tu as évoqué un souvenir en moi. Un jour, je me promenais sur la route de Sepphoris et j’y rencontrais Jacob de Kefar Siknin [j’y rencontrais un des disciples de Yeshu ha-Notsri [8] (Yeshu ha-Notsri signifie littéralement « Jésus le Nazoréen »…). et Jacob de Kefar Seh’anya était son nom qui me dit une parole de minuth au nom de Yeshua ben Pantiri  [9 et elle m’a plu [il me dit :

« Il est écrit dans votre Loi : “Tu n’apporteras point dans la maison de Dieu comme offrande votive d’aucune sorte le salaire d’une courtisane…” (Dt 23, 19). Que doit-on en faire? Est-il permis de l’utiliser afin de construire des lieux d’aisance pour le grand prêtre? » Et je ne répondis rien. Il me dit : « Yeshu ha-Notsri [10][ m’a appris ceci : “Car ce qui vient d’une courtisane retourne à la courtisane (Mi 1, 7), ce qui provient d’un lieu d’immondices retourne à un lieu d’immondices” ».

Et cette parole m’a plu et c’est à cause d’elle que j’ai été arrêté pour minuth] et ainsi je fus arrêté pour paroles de minuth, car j’ai transgressé l’Écriture : « Éloigne tes pas de cette étrangère, ne t’approche pas de l’entrée de sa maison » (Pr 5, 8), « Car nombreuses sont les victimes dont elle a causé la chute… » (Pr 7, 26).

Ainsi, R. Eliézer avait coutume de dire : « Que toujours l’homme fuit la laideur et ce qui ressemble à la laideur ».


Datation du récit

Force est de constater que ce récit se compose de deux événements centraux, qui sont la rencontre entre R. Eliézer et Jacob le min et son corollaire l’arrestation et le procès de ce même R. Eliézer.

Ce dernier a vécu à la fin du Ier siècle et au début du IIe et bien que les dates exactes de sa naissance et de sa mort ne nous soient pas connues précisément, on peut affirmer qu’il était déjà adulte lors de la destruction du Second Temple de Jérusalem en 70 [11]

Il est interpellé par les instances romaines du fait de minuth, c’est-à-dire – du point de vue du judaïsme rabbinique –, à cause de déviance religieuse, ou plus globalement d’hérésie.

D’après le contexte général ainsi que par les diverses dénominations relatives à Jésus contenues dans le récit, il ne fait aucun doute que R. Eliézer fut soupçonné par l’autorité romaine d’appartenir à la secte des chrétiens. Or, du point de vue romain, cette appartenance était considérée comme répréhensible.

Il convient donc de se demander si à l’époque de R. Eliézer il y eut en Judée une quelconque persécution romaine contre des chrétiens, voire une manifestation qui aurait pu s’y apparenter.

Le règne de l’empereur Néron et les expressions de haine qui déferlèrent à l’endroit de la communauté chrétienne ne peuvent être envisagés, car bien trop reculés [12]

Selon J. Klausner, l’interpellation et le jugement de R. Eliézer seraient à situer autour des années 90 durant le règne de Domitien.

Ce critique appuie son argument sur un passage de Sukah 27a, dans lequel il est stipulé qu’un des responsables nommé par Agrippa II consulta R. Eliézer pour certains problèmes d’ordre halakhique.

D’après J. Klausner, les deux personnages se rencontrèrent à Césarée de Philippe entre les années 79 et 85 qui sont respectivement la date de l’avènement de l’empereur Titus, et la date durant laquelle Agrippa II perdit les territoires juifs qui lui avaient été accordés successivement par Claude et Néron. J. Klausner en conclut donc que le jugement de R. Eliézer a pu se produire aux environs de l’année 80, période durant laquelle R. Eliézer devait être assez âgé [13]

De surcroît, nous savons que vers la fin de son règne, entre 92 et 96, l’empereur Domitien fit exécuter plusieurs membres de sa famille et des sénateurs coupables « d’athéisme et de moeurs juives », donc également des judéo-chrétiens, qui, selon toute vraisemblance étaient également touchés par la rigoureuse perception du fiscus judaicus, didrachme que les Juifs versaient au Temple Capitolin depuis l’effondrement du Temple de Jérusalem [14]

En outre, cette hypothèse peut être étayée par certains passages d’Eusèbe de Césarée relatifs aux persécutions chrétiennes sous Domitien. Selon ce dernier, l’empereur « se posa comme le successeur de Néron par sa haine de Dieu et sa lutte contre Dieu » [15]

A ce propos, certains témoignages provenant d’Eusèbe de Césarée citant Hégésippe rapportent que Domitien pourchassa les descendants de Jude, frère de Jésus car étant de lignée davidique [16]

Une autre éventualité serait d’envisager que cet événement s’est produit durant le règne de Trajan au début du IIe siècle.

Cette conjecture peut s’en trouver affermie par un texte d’Eusèbe de Césarée citant le témoignage d’Hégésippe et relatant le martyre de Siméon fils de Clopas, second évêque de Jérusalem, et successeur de Jacques le Juste (Frère de Jésus). Dans ce document, il est fait état d’une accusation que subit Siméon fils de Clopas de la part de certains hérétiques et qui entraîna son exécution [17]. Il semblerait que le martyre de Siméon fils de Clopas, ait été perpétré durant les premières années du IIe siècle, en l’occurrence en l’an 105 ou 107 [18].

Dans cette atmosphère, il eût été fort préjudiciable d’être (judéo)-chrétien ou même d’en être suspecté. C’est pourtant ce qui semble être survenu à R. Eliézer et qui engendra son interpellation et son procès datés par de nombreux critiques en l’an 109 [19]

En plus de ces passages propres à l’historiographie chrétienne, il convient de mentionner les échanges épistolaires entre Pline le Jeune qui fut légat en Bithynie de l’an 111 à l’an 113 et l’empereur Trajan. Il s’agit plus particulièrement d’une lettre dans laquelle Pline s’adresse à l’empereur afin de solliciter son conseil concernant les démarches à adopter et la nature des procès à instruire envers les chrétiens [20]

Dans ses missives, Pline fait état des pratiques qu’il emploie afin de juger les chrétiens condamnés à cause de leurs observances rituelles ou de leur attachement doctrinal. Ces pratiques peuvent donc revêtir un caractère d’indulgence ou de répression selon la circonstance. Ce document s’insère dans la politique de persécutions que mentionne Eusèbe, et qui fort probablement date de l’époque de l’arrestation et du procès de R. Eliézer, lui-même soupçonné d’être chrétien [21]

Il semblerait que la rencontre entre R. Eliézer et Jacob le min se soit déroulée antérieurement à la destruction du Temple.

En effet, la problématique soulevée par Jacob concernant l’usage du « salaire de la courtisane » et sa suggestion de l’utiliser afin de bâtir des latrines pour le grand prêtre présente un cas de figure d’actualité, ce qui laisse présumer que le Temple était encore en place [22]

Selon R. T. Herford, la rencontre se serait produite quelques mois, voire une ou deux années avant l’interpellation de R. Eliézer, car la durée relativement restreinte séparant les deux épisodes permettrait de subodorer une « chronologie plus fiable » [23]

En fait, considérant le sujet de halakha exposé par Jacob le min et certains éléments biographiques relatifs à R. Eliézer, il semblerait que ce dernier ait été plutôt jeune lors de sa rencontre avec Jacob. En effet, sachant qu’il mourut approximativement dans les années 115-120, et que postérieurement à la chute du Temple de l’an 70, il retourna à Lod et y forma de nombreux disciples, il est fort peu probable qu’il voyagea en Galilée à Sepphoris (lieu de la rencontre avec Jacob le min) durant cette longue période.

De plus, depuis le décret d’excommunication prononcé contre lui par les Sages [24], daté autour de l’an 100, et ce jusqu’à sa mort, il ne quitta pas la ville de Lod [25]

À cette étape de notre étude, au moins deux conclusions peuvent être émises :

  • la rencontre entre R. Eliézer et Jacob le min eut lieu avant la chute du Temple de Jérusalem en l’an 70 ;
  • la comparution de R. Eliézer devant le juge romain se déroula autour de l’année 109, date de certaines agressions menées contre les chrétiens sous le règne de Trajan.

Jacob le min, disciple de Jésus de Nazareth

Jacob le min vécut durant la seconde moitié du Ier siècle et fut vraisemblablement témoin de la destruction du Temple.

Son exégèse du verset de Dt 23, 19 laisse présumer qu’il était certainement accoutumé aux modes de développements propres au monde des Sages. De plus, sa référence à Jésus dans l’explication de ce verset montre qu’il se réclamait de son enseignement. En ce sens, on peut affirmer sans réserve aucune que Jacob faisait partie d’une des mouvances judéo-chrétiennes.

Dans cette perspective, R. A. Pritz a estimé que Jacob pouvait être affilié à un des premiers groupes nazaréens [26]

On peut en effet, adhérer à cette thèse, en présumant que Jacob le min était assurément juif et respectait les préceptes de la Loi mosaïque et en considérant parallèlement Jésus comme le rédempteur messianique, voire, comme une divinité [27]

Il est important de souligner que d’un point de vue doctrinal, les nazaréens sont définis par les hérésiologues comme une secte judéo-chrétienne orthodoxe par rapport à la « Grande Église », bien que rituellement ils ne se distinguent aucunement des autres Juifs [28]

De plus, depuis la fin du Ier siècle, la Galilée fut peut-être un des centres de cette secte, région qui certainement fut le lieu de résidence de Jacob le min.

En outre, les nazaréens possédaient un enseignement propre à partir des faits et gestes de Jésus qu’ils recueillaient et commentaient ; ce qui n’est pas sans rappeler l’interprétation scripturaire de Jacob [29]

La désignation de Jacob le min en tant que judéo-chrétien ne semble donc faire aucun doute. Cependant, on doit noter que les éléments textuels à notre disposition ne nous permettent nullement de conjecturer que Jésus ait pu lui-même prodiguer cet enseignement à Jacob, ou bien qu’il fut un de ses disciples directs.

En effet, les formules « un des disciples de Yeshu ha-Notsri » mentionnées dans la baraïta du Talmud de Babylone, ainsi que « au nom de Yeshua ben Pantiri [30].. » apparaissant dans la Tosefta, n’indiquent en rien que Jacob fut l’élève, voire le disciple direct de Jésus.

De plus, la formule « disciple de » fort récurrente dans la littérature talmudique, est maintes fois relative au fait de se réclamer de l’enseignement d’un maître, sans pour autant l’avoir véritablement côtoyé [31

Cette situation a amené J. Maier à considérer que le nom Yeshu (Jésus) rapporté dans nos textes n’est nullement relatif à Jésus de Nazareth, mais à un inconnu [32] Cette assertion pour le moins spéculative, l’entraîne à remettre en question l’historicité de ces textes.

Il conviendrait plutôt de résumer, dans une tout autre perspective, ce que l’on peut savoir du personnage de Jacob le min :

il a vécu en Galilée à la fin du Ier siècle et au début du IIe ;

il est un des seuls judéo-chrétiens à être mentionnés dans la littérature talmudique ;
il est totalement inconnu des textes chrétiens.

De plus, force est d’affirmer que rien dans le propos de Jacob le min ne laisse entrevoir un quelconque caractère délictueux à l’égard de la halakha. Au contraire, l’enseignement transmis au nom de Jésus semble avoir été en parfaite conformité avec l’esprit juif de son temps, en témoigne la réaction positive de R. Eliézer.

Ce n’est que postérieurement, à une époque où le monde rabbinique cherchera à évincer, voire à exclure les minim de la synagogue que les propos de Jacob le min seront jugés subversifs et seront imagés par des versets tels que : « Éloigne tes pas de cette étrangère, ne t’approche pas de l’entrée de sa maison » (Pr 5, 8).

Ainsi, le seul caractère répréhensible dont cet enseignement pourra être doté sera justement qu’il fut enseigné par un min.

Selon J. Neusner, la littérature talmudique a signalé l’événement de l’interpellation de R. Eliézer du fait qu’il fut perçu comme un fourvoiement, bien que celui-ci ne fût en rien préjudiciable quant à l’autorité et au statut de ce Sage.

D’après ce critique, le caractère amphibologique de la phrase de R. Eliézer : « J’ai confiance en celui qui me juge » et l’acquittement prononcé en sa faveur, prouvent que la tradition n’a conservé aucune forme d’hostilité à son égard [33]

D’autre part, il convient de souligner un point essentiel dans la rencontre entre les deux personnages : R. Eliézer ne voyait en rien Jacob le min comme un déviant par rapport aux normes religieuses dont il était le représentant.

Bien entendu l’état d’esprit changera quelques décennies plus tard, du fait de circonstances historiques précises. Cependant, on doit constater avec force qu’à la fin des années soixante – période présumée de la rencontre entre les deux personnages – R. Eliézer n’émet aucune réticence à s’entretenir avec un judéo-chrétien sur un point de halakha.

Les judéo-chrétiens n’étant à cette époque aucunement perçus comme déviants, voire comme différents par les Sages.

De surcroît, R. Eliézer apprend une halakha non pas d’un de ses condisciples, mais d’un disciple de Jésus qui d’ailleurs cite son propos au nom de Jésus. Or, cela ne semble pas poser problème à R. Eliézer dont il est dit que cet enseignement trouva grâce à ses yeux [34].

Il semblerait donc que cette rencontre se situe à une époque durant laquelle :

les Sages pouvaient librement s’entretenir de thèmes halakhiques avec des disciples de Jésus et en retirer satisfaction ;

les judéo-chrétiens étaient considérés comme des Juifs pleinement orthodoxes ;

Jésus représentait une référence halakhique totalement légitime ;

les judéo-chrétiens interprétaient la Torah à la manière des pharisiens et n’étaient nullement différents des autres Juifs.

Certains critiques ont spéculé sur les raisons pour lesquelles R. Eliézer fut arrêté par les autorités romaines.

J. Maier considère par exemple que R. Eliézer aurait comparu devant les romains du fait de dépravation sexuelle.

Ce critique fonde son argumentation principalement sur l’expression : « Que toujours l’homme fuit la laideur et ce qui ressemble à la laideur » mentionnée à la fin du texte de la Tosefta, et qui, dans la littérature talmudique serait significativement relative à la stupre sexuelle [35

A ce propos, il convient de souligner que des accusations analogues sont mentionnées dans la littérature patristique contre les païens, voire dans la littérature talmudique à l’endroit des minim, ce qui manifestement montre le regard de fustigation du groupe institutionnel à l’égard de groupes estimés dissidents [36]

Cependant rien ne permet d’envisager que R. Eliézer ait pu comparaître du fait de telles accusations. Il est bien évident que la charge retenue contre lui était répréhensible pour les Romains, or il est malaisé d’évoquer en la circonstance l’immoralité sexuelle dont il est difficile de savoir selon quels critères elle était condamnable par l’autorité romaine.

La seule charge que l’on puisse retenir est donc celle de superstitionem immodicam dont parle Pline dans ses lettres adressées à Trajan.

M. Friedlaender a prétendu que la charge retenue contre R. Eliézer était la magie, pratique fortement réprouvée par les autorités romaines de l’époque [37]

Cette théorie s’inscrit dans une approche générale de ce critique qui refuse d’identifier certains minim à des judéo-chrétiens, mais les considèrent plutôt comme des gnostiques antinomistes.

Outre le caractère péremptoire et peu nuancé de cette thèse, il paraît fort aventureux d’analyser les minim de la littérature talmudique comme un système particulier ou une tendance précise. Ainsi, l’évocation de magie comme source de l’arrestation de R. Eliézer correspond à la définition que propose M. Friedlaender des minim en général [38]

Contexte historique du récit

La fin de l’époque du Second Temple se distingue par la multiplicité des partis et des confréries politico-religieuses qui la composent [39]

Flavius Josèphe énumère certains d’entre eux dans les Antiquités Judaïques (13, 289) : les pharisiens, les sadducéens, et les esséniens auxquels il rajoute un quatrième mouvement ou quatrième philosophie dérivé de celui des pharisiens à la suite de la révolte de Judas le galiléen. Ce dernier sera nommé zélote après l’an 66 [40]

Les pharisiens eux-mêmes se scindèrent en deux mouvances distinctes : l’école de Hillel et l’école de Shamaï. Quelques sources talmudiques témoignent d’ailleurs d’affrontements des plus véhéments entre ces deux écoles de pensées [41]

Sous un point de vue politique, les zélotes et les sicaires s’opposèrent farouchement aux partisans de la paix. Les esséniens s’assemblèrent sur les confins de la mer Morte n’entretenant plus aucun lien avec Jérusalem et son sanctuaire. Ils optèrent pour une vie recluse à caractère monacal et souvent ascétique [42]. Il faut ajouter à cela d’autres groupes apocalyptiques de tendances piétistes, voire quiétistes.

Chacun de ces groupes reconnaissait l’autorité suprême de ses propres maîtres, possédait ses « saintes écritures » et se fondait sur des traditions orales particulières.

D’une certaine manière, chacun disposait donc de sa propre halakha.

Toutefois, des facteurs de cohésion ainsi que des fondements communs reliaient ces différents mouvements [43] Dans cette perspective, il convient de souligner que le judaïsme, au-delà de ses différentes mouvances, était vécu comme un système cultuel dans le rapport entretenu avec la Divinité [44], système dans lequel la circoncision tient une place prédominante, puisque étant la condition sine qua non de l’appartenance au peuple juif [45]

La destruction du Second Temple en 70 de notre ère engendra des mutations significatives au sein de la société juive. Avec cet événement disparut une réalité halakhique aux multiples implications dans la vie juive.

Les institutions dirigeantes de la société juive, qui pour la plupart étaient liées à Jérusalem et au Temple, furent transférées en partie à Yabneh.

Les Sages de Yabneh – selon leur propre dénomination – autour de Yohanan ben Zakkaï modelèrent la société juive en se confrontant à l’effondrement du Temple et en tentant de lui trouver des moyens de substitution.

L’un des importants corollaires liés à ce nouveau contexte est le statut inhérent à la halakha. Comme il a été déjà mentionné, à l’époque du Temple, le peuple était fractionné en différents courants, chacun ayant sa propre halakha ainsi que l’autorité à laquelle il se référait.

Bien entendu, l’essentiel de la vie cultuelle juive était centré autour du Temple. Cependant, à l’issue de la destruction du Temple, les Sages devinrent progressivement l’unique pouvoir autonome de la nation. Ces derniers exhortèrent à l’étude de la Torah qui fut vécue comme moyen de substitution au culte sacrificiel [46]

Dans cette optique, l’élaboration de la halakha devint une sorte d’idéal en soi, un point d’orgue fondamental reliant les différents membres de la société et auquel chacun devait se référer [47]

Une des caractéristiques de la période transitoire que représentent les années 70 à 135 – dates des deux révoltes juives contre Rome – est assurément la disparition progressive des partis politico-religieux qui composèrent l’époque du Second Temple. C’est en effet en terme de césure qu’il semble falloir considérer la période précédant la destruction du Second Temple de Jérusalem et la période qui lui succéda [48]

Il semble que les instances dirigeantes, les Sages, qui gouvernèrent le peuple après la destruction du Temple provoquèrent la disparition de ces courants. Ceux-ci voulurent unifier le peuple sous leur férule afin d’éviter toute forme de division au sein de la société.

A cet égard, tout fractionnement interne fut perçu comme hautement préjudiciable pour la survie de la société juive. C’est avec cette démarche que les Sages semblent être parvenus à implanter leur propre halakha, dans l’objectif de réunifier, sous leur direction exclusive, le judaïsme qui progressivement prendra un aspect monolithique [49]

Dans cette circonstance, seuls ceux qui se ralliaient aux normes des Sages en s’inscrivant dans la ligne pharisienne purent subsister.

Le processus de normalisation socio-religieuse établi par les Sages procéda à un véritable élagage par voie d’exclusion, consécutif à l’élaboration d’une halakha, présentée comme nouvelle précisément pour ceux qui n’appartiennent pas à la mouvance dominante, cette même mouvance commençant à s’imposer et ainsi à dominer toutes les autres.

Ce phénomène est défini de façon fort pertinente par P. S. Alexander :

« Le pouvoir rabbinique est dressé avec les écoles rabbiniques. La bataille pour les cœurs et les esprits est menée dans les synagogues, dans les tribunaux juifs, sur les places de marché, dans les maisons et peut-être parfois dans les tribunaux romains. Dans tous ces domaines, les Rabbis ont progressivement fait pression afin que la halakha rabbinique soit acceptée comme la loi légitime d’Israël. A la fin, ils sont parvenus à marginaliser tous les groupes opposants, comprenant les chrétiens, et à se faire admettre par la majorité des Juifs comme étant les dirigeants de la communauté [50]

Ainsi donc, les Sages, dans leur dessein de restauration sociale et de normativité religieuse, évincèrent les groupes perçus comme dissidents.

Or, à l’époque de Yabneh, il semble que les groupes judéo-chrétiens représentaient un danger pour le judaïsme cherchant à se reconstituer. Ce sera donc en terme d’hétérodoxie qu’il faudra entrevoir ces groupes déviants, face à un judaïsme orthodoxe en pleine formation. Toutefois, cette opposition des Sages aux judéo-chrétiens – Juifs répondant totalement aux critères d’identité du judaïsme de l’époque – s’applique par des motifs qui ne relèvent pas au premier plan de la praxis, en tant qu’observance des préceptes rituels.

Dans cette démarche, la plus représentative des mesures d’exclusion prise à l’encontre des judéo-chrétiens est sans aucun doute la Birkath ha-minim (bénédiction des hérétiques) dont la formule s’apparente à une malédiction incluse dans la prière quotidienne des « Dix-huit bénédictions ».

D’après les anciennes versions retrouvées dans la Guénizah du Caire, il semblerait que cette malédiction invective tout particulièrement deux catégories de Juifs qui sont les minim considérés comme hérétiques en général ainsi que les notsrim assimilés aux judéo-chrétiens [51]

Ainsi, certainement à la fin du Ier siècle, dans une conjoncture dans laquelle les Sages mettent en œuvre un processus de réunification autour d’eux-mêmes, sous leur gouverne exclusive et en fonction de leur propre halakha, tout individu ou tout groupe estimé être fractionniste voire sécessionniste fut exclu de la synagogue.

En outre, il convient de préciser que cette exclusion fut en quelque sorte indirecte, car la seule participation à l’office religieux aurait engendré que le min se maudisse lui-même, voire qu’il acquiesce à la malédiction prononcée à son endroit en répondant amen [52].

Ainsi, sans autre mesure de rejet formellement prise le min se trouvait marginalisé et exclu. Cette bénédiction-malédiction en est donc venue à constituer un obstacle dirimant pour les judéo-chrétiens et à conduire à leur éviction de facto. De surcroît, on est en droit de penser qu’à l’issue de l’introduction de cette malédiction, bien peu de judéo-chrétiens, parmi les plus attachés au judaïsme continuèrent à fréquenter la synagogue. Il va de soi que ces événements engendrèrent un climat général de défiance et d’hostilité dans les relations entre les Sages et les judéo-chrétiens [53].

Il en résulte qu’à la suite de leur exclusion de la synagogue, les judéo-chrétiens se diviseront entre ceux d’origine juive et ceux d’origine païenne, en l’occurrence entre les araméophones (les nazoréens) et les hellénophones (les chrétiens).

Dans cette perspective, W. D. Davies a mis en exergue la relation historique existant entre l’exclusion des judéo-chrétiens de la synagogue et la communauté matthéenne.

Selon ce critique, les invectives de l’Évangile selon Matthieu à l’égard des pharisiens sont à interpréter en tant que conséquence de l’élimination des judéo-chrétiens de la liturgie synagogale.

Les propos véhéments de Mt 23, exprimeraient ainsi une dissonance entre les membres de la communauté matthéenne et les Sages de Yabneh [54]

Par ailleurs, selon U. Luz, les discriminations et les persécutions que Matthieu reproche aux dirigeants juifs seraient concomitantes à l’exclusion des synagogues, voire à la séparation avec le judaïsme [55]. Dans ce contexte, il s’agit d’un véritable « déchirement » que fut celui produit entre les deux protagonistes [56]

C’est assurément dans ces circonstances qu’il faut situer le récit de R. Eliézer et de Jacob le min.

Lorsque l’on s’attache à la chronologie des événements relatés dans ce récit, il en ressort que R. Eliézer rencontre Jacob le min dans la ville de Sepphoris de façon publique. Outre le fait qu’il n’émette aucune réticence à cette rencontre, il converse avec Jacob et prend plaisir à écouter un enseignement provenant de Jésus.

On peut donc supposer, à cette étape du récit, que les relations et même les échanges d’idées entre les Sages et les judéo-chrétiens devaient avoir libre cours. Par extension, et à la même époque, il est à présumer que la population devait elle aussi entretenir au quotidien ce genre de relations [57]

De plus, il est possible que ces contacts perdurèrent après l’exclusion des judéo-chrétiens de la synagogue, car les répercussions de cette dernière ne furent naturellement pas immédiates.

Longtemps après cette rencontre – certainement sous Trajan – R. Eliézer est interpellé et jugé par l’autorité romaine car il est soupçonné d’appartenir à une secte chrétienne. Ce dernier s’afflige d’avoir été appréhendé injustement. Cependant R. Aqiba l’incite à chercher dans sa mémoire afin de savoir s’il n’aurait pas eu un quelconque contact avec un judéo-chrétien. De fait, R. Eliézer se remémore la rencontre avec Jacob le min et justifie le soupçon planant sur lui.

Il s’agit donc de deux situations distinctes, chacune étant significative d’un état d’esprit différent.

Lors de l’événement de Sepphoris R. Eliézer n’hésite pas à s’entretenir avec un judéo-chrétien, alors qu’après la destruction du Temple et les mesures novatrices de Yabneh, cette attitude se voit réprouvée.

Pour reprendre le schéma évolutif tracé par A. Oppenheimer, R. Eliézer « le jeune » ne trouva aucun mal à rencontrer un judéo-chrétien ; par opposition R. Eliézer « l’ancien » plus tard, durant l’époque de Yabneh, ne peut envisager aucune relation avec ces mouvements maintenant à l’extérieur de la synagogue [58]


C’est certainement dans cette perspective qu’il faut considérer les propos de Tryphon dans Dialogue 38 :

« Ami, il nous eût mieux valu suivre le conseil de nos docteurs qui avaient décidé de ne frayer avec personne d’entre vous, et n’avoir pas engagé cette conversation avec toi [59]

Dans cette vision, de nombreux textes de la littérature talmudique relatifs à l’époque de Yabneh mettent en exergue une inclination similaire à l’endroit des judéo-chrétiens [60].

À partir de cette époque, le fossé entre Sages et judéo-chrétiens ne cessera de se creuser et bien qu’il soit malaisé de définir les modalités de leur séparation, il convient de souligner que Yabneh marque une progression fort conséquente dans celles-ci [61]

En d’autres termes, cette époque et les innovations qui lui sont attachées poseront les jalons de ce qui, quelques décennies plus tard, sera une véritable rupture entre le judaïsme et le christianisme.

Conclusion

Le passage de Tosefta Hulin II, 24, relatant le récit de la rencontre entre R. Eliézer ben Hyrcanus et Jacob le min est une pièce très importante appartenant au dossier des relations entre les Sages et les judéo-chrétiens à l’époque de la Mishna.


Ce récit présente de fait une originalité quant à la situation historique à laquelle il se réfère. En effet, comme il a été montré, ce passage met en relief deux conjonctures distinctes :

  • la rencontre entre R. Eliézer et Jacob le min ;
  • l’interpellation de ce même R. Eliézer par les autorités romaines.

Ces deux événements sont distants l’un de l’autre de quelques décennies et expriment la transition entre deux situations : une période durant laquelle les contacts entre les Sages et les judéo-chrétiens n’étaient en rien problématiques, et une autre période, plus tardive, durant laquelle ce genre de contacts étaient perçus comme préjudiciables, voire proscrits.

Cette constatation entraîne deux remarques :

  • durant la première période, les judéo-chrétiens n’étaient absolument pas définis comme dissidents ou déviants par les Sages ;
  • durant la seconde période, les judéo-chrétiens furent considérés comme néfastes et la démarche consistait à s’en éloigner.

En outre, comme le fait suggérer très à propos J. T. Sanders, si à une certaine époque les relations entre les Sages et les judéo-chrétiens étaient fréquentes, celles-ci devaient l’être plus encore entre les gens du peuple et ces mêmes judéo-chrétiens [62].

Néanmoins, certains éléments ont fait que les Sages ont modifié leur regard envers les judéo-chrétiens pour qu’il soit décidé en milieu juif que le min, (dans ce récit, le judéo-chrétien), soit considéré comme dissident par rapport aux normes religieuses et, au sens large, comme hérétique.

Il est, en fait, fort difficile d’énumérer les modalités de cette différenciation. Cependant, les témoignages littéraires des sources talmudiques laissent présager que la destruction du Second Temple de Jérusalem fut le vecteur qui engendra cette mutation.


Dans cette perspective, ce récit montre clairement le changement d’attitude des Sages à l’endroit des judéo-chrétiens, en marquant la transition entre un avant la démarche d’éviction et un après celle-ci. Cette démarche est d’ailleurs concrétisée par la fameuse Birkat ha-minim datée généralement à la fin du ier siècle, qui vise à exclure les judéo-chrétiens de la synagogue.

On peut toutefois s’interroger sur les raisons qui ont fait que cette bénédiction/malédiction en vienne à constituer un obstacle dirimant pour les judéo-chrétiens.

Il est malaisé de répondre à cette question de façon exhaustive, cependant on peut supputer qu’au moment où tout est mis en œuvre par les Sages pour réunifier la société juive autour d’eux, en fonction de leur propre halakha, tout individu ou tout groupe dénoncé comme fractionniste et singularisé en tant que min, ne pouvait plus prononcer sur lui-même cette malédiction.

Dans cet esprit, on peut penser qu’après la promulgation de la Birkat ha-minim dans la prière des « Dix-huit bénédictions », bien peu de judéo-chrétiens, même parmi les plus attachés à la Torah et à sa pratique, ont dû continuer de fréquenter la synagogue.

Au terme de cette analyse, il devient possible de dire qu’à partir des années 80/90, les judéo-chrétiens ont constitué un facteur de danger pour les Sages.

Cependant, au moins deux questions restent ouvertes :

  • Dans quelle mesure, les Sages de la fin du Ier siècle représentaient une autorité prédominante au sein de la société juive au point de décréter de façon coercitive une attitude à adopter envers un ou plusieurs groupes?
  • Et dans quelle mesure les judéo-chrétiens de la fin du Ier siècle représentaient un péril pour le judaïsme en voie de constitution?

Notes

[1] À la suite de M. Simon, Verus Israel. Étude sur les relations entre Chrétiens et Juifs dans l’empire romain (135-425), Paris, 1983, p. 279-280, on appliquera globalement le qualificatif de « judéo-chrétien » aux multiples manifestations du judaïsme chrétien : « judaïsme » par l’observance de la Loi, et « chrétien » par la reconnaissance en Jésus le Messie voire le Fils de Dieu.
[2] Les travaux sur l’usage de la littérature talmudique dans l’étude de l’histoire sont nombreux, on ne se limitera ici qu’à certains d’entre eux. Ainsi on consultera avec intérêt : R. Bloch, « Note méthodologique pour l’étude de la littérature rabbinique », Recherche de Sciences Religieuses 43 (1955), p. 194-225 ; G. Stemberger, « Rabbinic Sources for Historical Study », in J. Neusner ; A. J. Avery-Peck (éds.), Judaism in Late Antiquity, Leyde, 1999, t. I, p. 169-185 ; R. Kalmin, « Rabbinic Literature of Late Antiquity as a Source for Historical Study », in Idem, p. 187-199 ; D. Kraemer, « Rabbinic Sources for Historical Study », in Idem, p. 201-212, et les autres contributions de ce volume.
[3] Il est impossible dans le cadre de cette étude de citer l’imposante bibliographie relative aux relations entre les Sages et les judéo-chrétiens ainsi que celle relative à la question des minim. On se référera à S. C. Mimouni, « La “Birkat Ha-Minim” ; une prière juive contre les judéo-chrétiens », Revue des Sciences Religieuses 71 (1997), p. 275-298 (= S. C. Mimouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, Paris, 1998, p. 161-188), et à l’importante bibliographie citée par l’auteur.
[4] Nous nous référons à l’édition de M. S. Zuckermandel, Jérusalem, 1970, p. 503. Des variantes de ce passage sont également mentionnées en Abodah Zarah 16b-17a (S. Abramson, Tractate ‘Abodah Zarah on the Babylonian Talmud, Ms. Jewish Theological Seminary of America, New York, 1957, non paginé). Ecclésiaste Rabba I, 8. Nous signalerons entre crochets et en caractères gras les variantes du texte de Abodah Zarah 16b-17a.
[5] Minuth est la forme substantivée de min. On peut traduire ce terme par déviant ou au sens large par hétérodoxe.
[6] La réponse de R. Eliézer est ambivalente du fait que l’on ne sache pas à quel juge il fait référence. En outre, le terme neeman (confiance) désigne dans la littérature talmudique le témoin de confiance doté de certaines vertus. Voir à ce propos : L. H. Schiffman, Sectarian Law in the Dead Sea Scrolls, Courts, Testamony and the Penal Code, Chico, 1983, p. 82 note 15.
[7] Le terme dimissus provient du latin et a, entre autres définitions le sens de pardon ou d’acquittement. Voir M. Jastrow, A Dictionary of the Targumim, The Talmud Babli and Yerushalmi, and the Midrashic Literature, Philadelphie, 1903, p. 300.
[8] Yeshu ha-Notsri signifie littéralement « Jésus le Nazoréen ». C’est une des dénominations de Jésus de Nazareth propre à la littérature talmudique. Voir à ce propos : S. C. Mimouni, « Les nazoréens. Recherche étymologique et historique », Revue Biblique 105 (1998), p. 236-239. Notons que cette phrase n’apparaît pas dans les éditions courantes du Talmud du fait de la censure chrétienne. En revanche, on peut la trouver dans certains manuscrits. Cf. R. Rabbinovicz, Diqduqé Sopherim. Variae Lectiones in Mishnam et in Talmud Babylonicum, New York, 1960, t. XII, p. 36-41 et spécialement p. 38.
[9] Dans le manuscrit de Vienne (Nationalbibliothek, Wien heb. 20, Catalogue de Schwarz, 1925, n 46) la mention est Yeshua ben Pantera alors que dans la première édition de la Tosefta (Compendium talmudique d’Alfasi, V, p. 1521) on trouve Yeshua ben Pandira.
[10] Ces mots n’apparaissent pas dans les éditions courantes. Cf. R. Rabbinovicz, op. cit., t. XII, New York, 1960, p. 39, pour le manuscrit de Munich. Dans l’édition de S. Abramson, op. cit., New York, 1957, non paginé, on trouve : « Il me dit : c’est ainsi que m’enseigna Jésus mon maître ».
[11] En ce qui concerne les sources talmudiques relatant la biographie de R. Eliézer, voir Aboth de Rabbi Nathan 6/a ; 13/b (Éd. S. Schechter, p. 30). Pirqé de Rabbi Eliézer I-II (Trad. M. A. Oaknin ; E. Smilévitch, Leçons de Rabbi Eliézer, Paris, 1983, p. 19-24).
[12] Il est effectivement à supposer qu’il exista une législation spéciale à l’égard des chrétiens sous l’empereur Néron qui est connue sous le titre Institutum Neronianum, que mentionne notamment Tertullien dans son Apologétiques V (SS. Ecclesiae Patrum, t. V, Paris, 1829, p. 25-27). Voir également, E. Griffe, Les Persécutions contre les chrétiens aux ier et iie siècles, Paris, 1967, p. 59-64.
[13] Cf. J. Klausner, Jésus de Nazareth, son temps, sa vie, sa doctrine, Paris, 1933, p. 42-44.
[14] En effet, on sait qu’autour de l’année 92 Domitien assujettit à cette taxe tous ceux qui étaient circoncis et vivaient selon les mœurs juives, donc également les judéo-chrétiens. Voir à ce propos, M. Simon ; A. Benoit, Le judaïsme et le christianisme antique, d’Antiochus Epiphane à Constantin, Paris, 1994, p. 127-128.
[15] Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique III, 17 (Trad. G. Bardy, Paris, 1986, t. I, p. 121).
[16] Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique III, 19-20 (Trad. G. Bardy, t. I, p. 122-124). Voir sur ce témoignage d’Eusèbe l’analyse de F. Blanchetière, Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien (30-135), Paris, 2001, p. 203-204.
[17] Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique III, 32, 1-3 (Trad. G. Bardy, t. I, p. 143). Hégésippe étant vraisemblablement judéo-chrétien, il est probable que les hérétiques qu’il mentionne soient des pagano-chrétiens.
[18] Ce sont les dates stipulées dans certaines œuvres d’Eusèbe, notamment La Chronique qui place l’événement en 107, alors que Le Chronicon Paschale le situe en 105. Voir Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, p. 143 note 4.
[19] Voir entre autres : R. T. Herford, Christianity in Talmud and Midrash, Londres, 1903, p. 140-142 ; M. Goldstein, Jesus in the Jewish Tradition, New York, 1950, p. 42-43 ; L. H. Schiffman, Who was a Jew ? Rabbinic and Halakhic Perspectives on the Jewish-Christian Schism, Hoboken/New Jersey, 1985, p. 72. Notons également les années 105 ou 107 proposées comme datation par R. Freudenberger, « Die Delatio Nominis Causa gegen Rabbi Elieser ben Hyrcanos », Revue Internationale des Droits de l’Antiquité 15 (1968), p. 11 ; 18.
[20] Cf. Pline le Jeune, Lettres, Panégyrique de Trajan, livre X, lettre 96 (Trad. M. Durry, Paris, 1947, p. 73-75). Notons l’article de J. Variot, « Les Lettres de Pline et de Trajan ; Correspondance avec Trajan relativement aux Chrétiens du Pont et de Bithynie », Revue des Questions Historiques 1878, p. 80-153 qui, bien qu’ancien est toujours de grande importance.
[21] S. Lieberman, « Roman Legal Institutions in Early Rabbinics and in the Acta Martyrum », Jewish Quarterly Review 35 (1944-1945), p. 21-22 ; 24 note 152, entrevoit la date de cet événement deux ou trois années avant la réponse de Trajan à Pline, par conséquent en l’an 109. De plus, il identifie le gouverneur romain qui interrogea R. Eliézer avec Q. Pompeius Falco. Selon R. T. Herford, op. cit., Londres, 1903, p. 143, il se serait agi du gouverneur de Syrie.
[22] Cf. G. Dalman, Jesus Christ in the Talmud, Midrash, Zohar and the Liturgy of the Synagogue, New York, 1973, p. 64.
[23] Cf. R. T. Herford, op.cit., Londres, 1903, p. 144-145.
[24] Baba Metsia 59b. Sur cet événement voir : J. Neusner, Eliezer ben Hyrcanus. The Tradition and the Man, Leyde, 1973, t. II, p. 249-386 et spécialement p. 287-334 ; E. E. Urbach, « Statut et direction dans le monde des Sages de Judée », in Kitvé ha-akademia ha-leumit ha-israelit lemadaïm 2 (1969), p. 44-45 [en hébreu]. Sur les conséquences du décret d’excommunication, voir Y. Gilat, R. Eliezer ben Hyrcanus. A Scholar Outcast, Ramat-Gan, 1984, p. 479-491.
[25] Cf. B. Z. Rozenfeld, Lod et ses Sages pendant la période de la Mishna et du Talmud, Jérusalem, 1997, p. 42 [en hébreu].
[26] Cf. R. A. Pritz, Nazarene Jewish Christianity, from the end of the New Testament Period until its Disappearance in the Fourth Century, Jérusalem, 1992, p. 97.
[27] Le dossier sur les nazaréens étant très vaste, on ne peut que renvoyer à l’excellent aperçu général qu’en donne S. C. Mimouni, op. cit., Paris, 1998, p. 82-86.
[28] Cf. notamment la notice 29 du Panarion d’Epiphane de Salamine consacrée aux nazaréens. A ce propos, on consultera avec profit l’étude de A. Pourkier, L’hérésiologie chez Epiphane de Salamine, Paris, 1992, p. 415-475.
[29] Sur les textes servant de base doctrinale aux nazaréens, voir F. Blanchetière, « La “secte des nazaréens” ou les débuts du christianisme », in F. Blanchetière ; M. D. Herr (éds.), Aux origines juives du christianisme, Jérusalem, 1993, p. 65-91 et spécialement p. 80-88.
[30] Les formes Yeshu ben (Pantiri, Pantera, Pandera) sont toutes relatives à Jésus de Nazareth. Cf. L. Patterson, « Origin of the Name Panthera », Journal of Theological Studies 19 (1917), p. 79-80 ; D. Rokeah, « Ben Stara est Ben Pantera, clarification philologique et historique », Tarbiz 39 (1970), p. 9-18 [en hébreu].
[31] C’est fréquemment le cas pour le terme « talmid » (disciple), notamment en Sanhedrin 11a où Hillel l’ancien est nommé « disciple d’Ezra », ce qui signifie que Hillel était investi de la grandeur et de l’enseignement d’Ezra, bien qu’il n’ait évidemment pas été son disciple direct, puisqu’environ quatre siècles les séparent.
[32] J. Maier, Jesus von Nazareth in der Talmudischen Überlieferung, Darmstadt, 1978, p. 176 ; J. P. Meier, A Marginal Jew : Rethinking the Historical Jesus, New York, 1991, p. 97, estime quant à lui que les propos attribués à Jésus dans le passage de la baraïta ont pour objectif de transmettre une image ridicule de sa personne. En dépit du fait que ceux-ci n’ont quasiment pas d’autres occurrences dans les Évangiles, cette idée non fondée est de fait, difficilement recevable.
[33] J. Neusner, op. cit., Leyde, 1973, t. II, p. 203-204.
[34] En ce sens, la théorie de E. Cohen, Chapitres sur l’histoire de la période des tannaïm, Jérusalem, 1978, p. 115 [en hébreu], selon laquelle R. Eliézer s’entretint avec Jacob le min dans l’objectif de l’amener au repentir, est totalement irrecevable. Pour que R. Eliézer eût ce sentiment, il eût fallu qu’il voie en Jacob un quelconque danger, or à notre avis, tel ne fut pas le cas.
[35] J. Maier, op. cit., Darmstadt, 1978, p. 157-160. Cependant, comme le fait très judicieusement remarquer S. S. Miller, « The Minim of Sepphoris Reconsidered », Harvard Theological Review 86 (1993), p. 380 note 14, cette expression est loin d’être exclusivement relative à la débauche sexuelle ; voir par exemple T Yebamoth IV, 7 (Éd. M. S. Zuckermandel, p. 245) ; Hulin 44b.
[36] Cf. B. L. Visotzky, « Overturning the Lamp », Journal of Jewish Studies 38 (1987), p. 72-80 (= B. L. Visotzky, Fathers of the World. Essays in Rabbinic and Patristic Literatures, Tübingen, 1995, p. 75-84) ; A. Hamman, La vie quotidienne des premiers chrétiens 95-197, Paris, 1971, p. 95-126.
[37] M. Friedlaender, « Encore un mot sur Minim, Minout et Guilionim dans le Talmud », Revue des Études Juives 30 (1899), p. 199.
[38] M. Friedlaender, Der Vorchristliche Jüdische Gnostizismus, Göttingen, 1898 ; Id, Die Religiösen Bewegungen Innerhalb des Judentums im Zeitalter Jesu, Berlin, 1905.
[39] Bien que le terme communément utilisé afin de qualifier ces courants soit celui de « sectes », nous préférons parler de confréries politico-religieuses. Ceci considérant la connotation sociologique que le terme de « secte » recouvre, il ne nous semble pas convenir aux mouvements caractérisant la société pluraliste de la fin de l’époque du Second Temple.
[40] Cf. Antiquités Judaïques 18, 15-25. Notons que le vocable grec désignant ces différents partis est celui de aïresis que l’on peut traduire par « choix » et qui ne prendra le sens d’hérésie que beaucoup plus tard. Voir à ce propos, M. Hadas-Lebel, Flavius Josèphe, le Juif de Rome, Paris, 1989, p. 33-53 et particulièrement p. 35.
[41] Cf. I. Ben Shalom, Beth Shamaï et la lutte des zélotes contre Rome, Jérusalem, 1994, p. 252-272, [en hébreu].
[42] Il serait erroné de croire que tous les Juifs de cette époque appartenaient à un de ces courants. Il est même fort probable que la grande majorité n’adhérait à aucun d’eux, mais formait plutôt un groupe non uniforme ne se démarquant pas, et n’ayant produit aucune littérature. Peut-être ces derniers sont-ils à assimiler aux amei-ha-aretz dont il est fait écho dans la littérature talmudique. C’est la tendance dominante qui définira les amei-ha-aretz, ce qui ne permet pas de savoir comment eux-mêmes se définissaient.
[43] Ces points de rattachement suffisent pour exclure l’idée fréquemment évoquée de judaïsmes et non pas de judaïsme concernant la période du Second Temple. Voir à ce propos, J. D. G. Dunn, « Jesus and Factionalism in Early Judaism : How Serious was the Factionalism of Late Second Temple Judaïsm ? », in J. H. Charlesworth ; L.L. Jonhs (Eds), Hillel and Jesus ; Comparative Studies of two Major Religious Leaders, Minneapolis, 1997, p. 156-175 ; A. F. Segal, The Other Judaisms of Late Antiquity, Atlanta, 1987. J. Neusner, Judaisms and their Messiahs at the Turn of the Christian Era, Cambridge, 1987.
[44] Cf. F. Schmidt, La pensée du Temple. De Jérusalem à Qoumrân. Identité et lien social dans le judaïsme ancien, Paris, 1994, p. 14-15 : « plus que les croyances, qui sont multiples et controversées, ce sont les rites qui tissent le réseau protecteur de l’identité juive. Les rites classent et identifient. Ils tracent une ligne de partage entre Juifs et gentils, entre ceux qui entrent dans la communauté et ceux qui en sont rejetés. Ils forment lien entre tous les sous-groupes, toutes les composantes de la communauté juive. En reliant entre elles les générations, ils perpétuent l’identité du groupe ».
[45] Cf. C. Perrot, « La pluralité théologique du judaïsme au ier siècle de notre ère », in D. Marguerat ; E. Norelli ; J-M. Poffet (Eds), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, Genève, 1998, p. 157-176 ; Pour une conception différente du concept de judaïsmes, voir, P. Geoltrain, « Le judaïsme en sa diversité », in A. Houziaux (Éd.), Jésus, de Qumrân à l’Évangile de Thomas, Paris, 1999, p. 41-48 et spécialement p. 42 : « il y a bien une infinie diversité, source à la fois de richesse et de conflit ; somme toute, une diversité inhérente à tout groupement humain de quelque importance, qui ne doit cependant pas laisser dans l’oubli les facteurs de cohésion qui, par-delà les différences, font du judaïsme une entité et non une religion éclatée ».
[46] Cf. J. Neusner, « The Formation of Rabbinic Judaism : Yavneh (Jamnia) from A.D 70 to 100 », Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt II, 19,2 (1979), p. 3-42.
[47] Cf. A. Oppenheimer, « L’élaboration de la halakha après la destruction du Second Temple », Annales. Histoire, Sciences Sociales 51 (1996), p. 1027-1055.
[48] C’est dans cette optique que S. C. Mimouni, op. cit., Paris, 1998, p. 486 écrit : « Cette césure est, dans le cas présent, la crise religieuse créée dans le judaïsme à la suite de l’échec de la première révolte juive contre Rome, et surtout par le vide créé après la disparition du Temple de Jérusalem en 70. Avant, on peut considérer le judaïsme dans une certaine pluralité. Après, on doit envisager le judaïsme dans une certaine unicité. Le passage de l’une à l’autre forme ne s’est évidemment pas réalisé en un seul jour ni en une seule année, mais en l’espace de plusieurs décennies et de plusieurs générations ».
[49] Cf. R. A. Pritz, op. cit., Jérusalem, 1992, p. 101, « Avec Yabneh commence la consolidation du judaïsme. Dans la crise d’après 70, il n’eut plus de place pour la diversité qui caractérisait la fin de l’époque du Second Temple ». Voir également, S. Safrai, « Le pluralisme dans le judaïsme durant la période de Yabneh », Déot 48 (1980), p. 166-170 [en hébreu].
[50] Cf. P. S. Alexander, « “The Parting of the Ways” from the Perspective of Rabbinic Judaism », in J. D. G. Dunn (Éd.), Jews and Christians, The Parting of the Ways A.D 70 to 135, Tübingen, 1992, p. 22.
[51] Berakhot 28b ; TJ Berakhot V, 4, 9c. Pour une approche de la Birkath haminim selon ses versions divergentes et dans le contexte des « Dix-huit bénédictions », voir S. C. Mimouni, « op. cit. », Revue des Sciences Religieuses 71 (1997), p. 275-298.
[52] Cette constatation a entraîné certains critiques à définir la Birkat ha-minim en tant que mise en œuvre d’un éloignement social plutôt qu’en tant qu’éviction formelle ou ban d’excommunication, voir notamment, S. T. Katz, « Issues in the Separation of Judaism and Christianity after 70 C.E : A Reconsideration », Journal of Biblical Literature 103 (1984), p. 48-53. Ce critique se montre quelque peu radical et n’hésite pas à affirmer en p. 76 : « Il n’y eut aucune politique anti-chrétienne officielle à Yabneh ou nulle part ailleurs, avant l’insurection de Bar-Kokhba » Il va sans dire que de telles assertions manquent de fondement et sont difficilement recevables. Les propos de S. T. Katz sont d’ailleurs complètement rejetés par P. S. Alexander, « op. cit. », in J. D. G. Dunn (Éd.), Jews and Christians, The Parting of the Ways A.D 70 to 135, Tübingen, 1992, p. 21 note 32 ; A. Oppenheimer, « op. cit. », Annales. Histoire, Sciences Sociales 51 (1996), p. 1044, considère la Birkat ha-minim comme moyen de retranchement des judéo-chrétiens de la synagogue, alors que S. Safrai, « La restauration de la société juive durant la génération de Yabneh », in A l’époque du Temple et de la Mishna. Essais d’histoire juive, Jérusalem, 1996, t. II, p. 335 [en hébreu], propose une thèse absolue, en définissant la malédiction non seulement comme exclusion de la synagogue mais aussi comme retranchement total du peuple juif.
[53] Cf. W. H. C. Frend, Martyrdom and Persecution in the Early Church, Oxford, 1965, p. 146ss qui affirme, en se fondant notamment sur les propos de Justin dans Dialogue avec le Juif Tryphon 17, qu’une ancienne tradition précédant les années 70, attesterait l’envoi d’émissaires juifs afin de mettre en garde leurs frères des dangers que représenteraient les sectes judéo-chrétiennes, et selon les dires de Justin, d’injurier ces dernières. Outre le manque d’appui dont fait preuve ce critique afin d’étayer son propos, il est quasiment impossible qu’avant la destruction du Temple, les judéo-chrétiens aient constitué un quelconque péril pour le judaïsme.
[54] Cf. W. D. Davies, The Setting of the Sermon on the Mount, Atlanta, 1989, p. 256-315.
[55] Cf. U. Luz, « Le problème historique et théologique de l’antijudaïsme dans l’Évangile de Matthieu », in D. Marguerat (Éd.), Le déchirement. Juifs et chrétiens au ier siècle, Genève, 1996, p. 127-150. Il est difficile de parler de ces événements en termes de séparation, car celle-ci ne s’élaborera que quelques années plus tard. Notons qu’en adéquation avec son titre, cette contribution conjugue souvent théologie et histoire.
[56] Cf. D. Marguerat, « Matthieu et le judaïsme : une rivalité de frères ennemis », dans Cahiers Evangile 108 (1999), p. 16-23.
[57] Cf. J. T. Sanders, Schismatics, Sectarians, Dissidents, Deviants. The First One Hundred Years of Jewish-Christian Relations, Londres, 1993, p. 63 à propos de ce texte : « Cependant, certains détails de ces histoires n’ont de sens qu’au travers de l’arrière-plan selon lequel les chrétiens vivaient parmi les Juifs avec un statut de paria. Une telle situation ne signifie pas qu’il n’y eut aucune relation entre [des chrétiens] et des Juifs influents. Ces histoires montrent plutôt le contraire ! Et si les Sages les plus modestes devaient être restreints dans leurs relations avec les chrétiens par les Sages les plus éminents, qu’en était-il du peuple le plus commun ? »
[58] Cf. A. Oppenheimer, « op. cit. », Annales. Histoire, Sciences Sociales 51 (1996), p. 1046.
[59] Justin Martyr, Dialogue avec le Juif Tryphon 38 (trads. G. Archambault ; L. Pautigny), Paris, 1994, p. 156.
[60] T Sabbath XIII, 5 (Éd. M. S. Zuckermandel p. 129) ; TJ Sabbath XVI, 1, 15c ; Sabbath 116a. T Hulin II, 22-23 (Éd. M. S. Zuckermandel p. 503) ; TJ Abodah Zarah II, 2, 40d-41a ; Abodah Zarah 27b.
Dans T Hulin II, 21 (Éd. Zuckermandel p. 503) nous lisons : « Il est interdit de leur vendre [aux minim] et de prendre d’eux, on ne fera pas non plus de transactions commerciales avec eux, on n’enseignera pas à leur enfant une profession et on ne se fera pas soigner par eux… ».
[61] Cette approche ne fait cependant pas l’unanimité, voir, S. T. Katz, « op. cit. », Journal of Biblical Literature 103 (1984), p. 66 : « Nous ne devons pas surestimer l’importance du christianisme parmi les Sages de Yabneh, et en lisant rétroactivement, imputer à leur époque, l’action et la conscience du christianisme plus tardif » ; S. J. D. Cohen, « The Significance of Yavneh : Pharisees, Rabbis, and the End of Jewish Sectarianism », Hebrew Union College Annual 55 (1984), p. 27-53, définit l’époque de Yabneh au travers de la pluralité intellectuelle et de la diversité d’opinions (que caractérisera le corpus talmudique), et non par une volonté de normalisation socio-religieuse et d’exclusion de groupes déviants. Nonobstant la disparité intellectuelle caractéristique de l’époque de Yabneh, force est de reconnaître qu’elle n’opère qu’au sein du monde normatif des Sages. En revanche, à cette même époque, toutes formes de déviance à ce monde des Sages est rejetée sans réserves. Pour une approche opposée, voir, P. S. Alexander, « op. cit. », in J. D. G. Dunn (Éd.), Jews and Christians, The Parting of the Ways A.D 70 to 135, Tübingen, 1992, p. 1-25, qui estime que l’époque de Yabneh est caractérisée par une démarche particulariste au niveau des Sages, et séparatiste à l’égard des groupes définis comme déviant par ces mêmes Sages.
[62] Cf. J. T. Sanders, op. cit., Londres, 1993, p. 62-63.


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