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Qui sera «juif» à Wannsee?

La classification «raciale» nazie, des «lois de Nuremberg» à la «conférence de Wannsee»

La «loi pour la protection du sang allemand et de l’honneur allemand» et la «loi sur la citoyenneté du Reich» proclamées le 15 septembre 1935 au Congrès du Parti réuni à Nuremberg, ainsi que ses décrets d’application, permirent d’instaurer un appareil juridique stipulant l’exclusion et la persécution des Allemands de confession ou d’origine juive.

Après la chute du Troisième Reich, le Tribunal militaire international de Nuremberg chercha à éclaircir les rapports entre ces statuts iniques et la Shoah.

L’hypothèse d’un lien de cause à effet entre les lois de 1935 et l’Holocauste avancée lors des procès devait être confortée par les premières recherches historiques sur la «solution finale». Cependant, dès lors que les historiens commencèrent à mettre en évidence le caractère «polycratique» du pouvoir nazi, l’interprétation de la politique juive s’en trouva affectée.

«Les étapes distinctes de la persécution national-socialiste des Juifs», résume Hans Mommsen en 1983, «ne se sont en aucun cas déroulées selon un plan bien pensé à l’avance […]. Considérées sous la perspective de la politique ultérieure de génocide, les multiples mesures isolées contre la composante juive de la population semblent s’inscrire dans un dessein ayant une cohérence interne. Il serait cependant erroné de vouloir chercher cette rationalité toute apparente dans les mobiles des auteurs des différentes étapes de la persécution »

Le problème de la «cohérence interne» de l’antisémitisme nazi a été abordé de manière divergente par les «intentionnalistes», d’un côté, et les «fonctionnalistes», de l’autre.

Ces deux approches s’opposent radicalement à bien des égards, bien qu’elles s’accordent au moins sur un point : la conviction que la haine des Juifs, chez les nazis, agissait comme une force d’entraînement dans le domaine politique.

Or un nouveau courant d’interprétation s’affirme, qui vise à replacer «l’antisémitisme racial» du Troisième Reich dans un cadre socio-politique plus large et à lui imputer par là-même un degré accru de «rationalité». La multiplication des travaux sur la stérilisation et l’euthanasie a indirectement conduit à situer l’antisémitisme et l’Holocauste par rapport à la politique eugénique et à postuler une articulation logique d’ensemble de ces manifestations du racisme nazi.

L’hypothèse d’une cohérence interne de la politique raciale présuppose que le sentiment de haine antisémite et la chimère eugéniste trouveraient une source commune dans le darwinisme social.

Mais «l’histoire des idées», comme le remarquait Siegfried Krakauer, «est une histoire de malentendus» 6. Plus on progressait dans l’analyse de la pensée eugéniste et de ses effets sur la politique raciale du Troisième Reich, moins il est apparu que les fantasmes d’«empoisonnement racial» des antisémites les plus radicaux relevaient d’une démarche différente du discours scientifique contemporain sur le «mélange des races». Or, il nous paraît capital de tenir compte de l’existence de deux représentations raciales antinomiques en Allemagne nazie, afin d’apprécier la portée des conflits a priori abstrus qui surgirent lorsqu’il s’est agi de fixer en droit la notion de «Juif».

Fantasmes et paradigmes

Le SA-Gruppenftthrer Julius Streicher, Gauleiter de Franconie, s’imposa dès la première heure comme un propagandiste inlassable de l’idée d’une «contamination raciale» du «corps du peuple allemand» par le «sang juif». Streicher, dit le Reichspornograph, exerçait une influence certaine sur le mouvement vôlkisch grâce à la large diffusion du scabreux hebdomadaire Der Sttirmer (Le Troupier d’assaut) qu’il avait fondé en 1923 et dont il restera le rédacteur en chef jusqu’en 1945.

Au printemps 1935, Streicher y publia un manifeste pour le moins insolite :

«L’albumine allogène est le sperme d’un homme d’une autre race. Le sperme mâle, lors de l’accouplement, est absorbé en tout ou en partie par le terreau maternel et passe ainsi dans le sang. Un seul rapport sexuel d’un Juif avec une femme aryenne suffit pour empoisonner le sang de cette dernière pour toujours. Elle assimile aussi avec l’albumine allogène l’âme allogène. Elle ne pourra plus jamais, même si elle épouse un homme aryen, avoir des enfants purement aryens, mais seulement des bâtards dans la poitrine desquels vivent deux âmes, et dont le métissage est corp rellement apparent. Ses enfants aussi seront des métis à leur tour, c’est-à-dire des hommes laids au caractère inconstant et avec une propension à la souffrance corporelle. On appelle ce processus « imprégnation » .»

L’affirmation de la «prépotence» et de l’«éternité» du «sang juif» n’avait rien de choquant pour un esprit vôl-kisch. Streicher ne fait ici qu’emboîter le pas à un prédécesseur de renom, Eugen Duhring, qui dès 1881 écrit :

«L’afflux de sang de Juif ne peut […] qu’entraîner une détérioration. Cette corruption prend la pire des formes quand des femmes appartenant aux peuples supérieurs sont contraintes par la fatalité d’offrir à la tribu des Juifs et au caractère des Juifs des lieux de reproduction. Quiconque s’aviserait de supposer, poursuit Duhring, que les caractéristiques des Juifs puissent être éliminées par un quelconque métissage ou croisement, s’abuserait de façon radicale. […] Ni le climat ni l’environnement culturel ne peuvent modifier après coup quelque aspect essentiel que ce soit de la dot originelle. Le dosage des sangs chez les bâtards juifs peut varier selon qu’un métissage s’opère à nouveau d’un côté ou de l’autre. Les demi- Juifs, les quart- Juifs […] seront tous un fléau, car ils peuvent plus aisément pénétrer le reste de la société que les Juifs de pur sang.»

Lorsque, au cours de la Première Guerre mondiale, ces «fantasmes masculins» prirent un caractère particulièrement brutal, l’idée de la nocivité du «sang juif» trouva une nouvelle expression dans un hallucinant roman de quatre sous dû à Artur Dinter : paru en 1917, Le Péché contre le sang (Die Siinde wider das Blut) atteignit de forts tirages jusqu’en 1940, année où il fut officiellement interdit de vente.

Dinter fut exclu du Parti nazi (NSDAP) dès 1928 parce qu’il refusait d’interrompre sa propagande en faveur d’un «christianisme national épuré de toute influence juive». Le roman a pour personnage central un «Aryen» à la recherche d’une épouse non «maculée de sang juif», réfractaire à l’«âme juive» et au «matérialisme judéo-chrétien».

Les étapes de l’éducation sentimentale du héros illustrent la «loi implacable de la nature» que Dinter appelle la «télégonie» et que Streicher désignera plus tard comme l’«imprégnation».

Hitler, lecteur assidu du Stiirmer, croyait fermement au danger d’«empoisonnement de la race».

«Le jeune Juif aux cheveux noirs, écrivait-il en 1925 dans Mein Kampf, guette des heures durant, tandis que son visage affiche une joie diabolique, la jeune fille innocente qu’il souille de son sang et vole ainsi à son peuple .»

Ce concept «contagionniste» renvoie à l’idée d’un «rapport sexuel infectant» que la génération des Dinter, Hitler et autres Streicher associait à l’hérédosyphilis, considérée comme une maladie à la fois infectieuse et congénitale. La créance donnée à une hérédité raciale transmise par télégonie ou imprégnation allait cependant à rencontre d’une nouvelle vision de la race formulée en termes «génétiques» par l’anthropologue Eugen Fischer.

De retour d’Afrique allemande du Sud-Ouest, ce dernier publiait en 1913 Les Bâtards de Rehoboth et le problème de la bâtardisation chez l’homme. Constatant que la pigmentation des yeux et des cheveux des natifs de la localité de Rehoboth  – issus d’unions entre Européens et Africaines – se transmettait aux termes des règles mises en évidence par le moine Mendel, selon un processus héréditaire dominant-récessif, Fischer en conclut que «les caractères raciaux sont des caractères génétiques».

La première génération de descendants, formée de métis des deux «races de départ», présente uniquement la dominante «foncée». En revanche, certains représentants de la deuxième génération exhibent de nouveau des traits «clairs».

Ainsi, révèle Fischer, les «croisements de races» ne donnent pas naissance à des races nouvelles, ni à la disparition de la race plus «faible», mais tout au plus à des individus ou à des peuples «hybrides» présentant différents attributs des groupes originaux ; ces traits n’apparaissent toutefois pas dans leur totalité, conformément à la différenciation génétique faite entre génotype et phénotype.

«Nous pouvons nous détourner de la théorie obscure et indéfendable de la prépotence raciale (Rassenprà- potenz)», écrivait Fischer dès 1913, et «lui préférer la constatation suivante : la race qui se transmettra – phéno- typiquement ! – lors d’un métissage sera celle présentant un grand nombre de caractères dominants.»

Les études des «lois de Nuremberg» à la «conférence de Wannsee» menées sur les «bâtards de Rehoboth» livrent ainsi l’argument scientifique permettant de réfuter la croyance en la télégonie ou imprégnation.

C’est justement en s’appuyant sur ce paradigme, constitutif d’une discipline nouvelle, la «biologie raciale» (Ras- senbiologie), que Hans F. K. Giinther formula la «théorie nordique des races» qui rencontra un fort écho sous la République de Weimar.


Ce philologue, fondateur auto- proclamé de la «raciologie» (Rassenkunde) – que l’on gratifiera du sobriquet de «Giinther la Race» – répandit l’idée que tous les maux de la nation et de la société trouvent leur cause dans l’«hybridation», car le métissage porte atteinte à la «pureté de la race nordique».

Les eugénistes ne pouvaient souscrire ouvertement à ce «jugement de valeur» (Werturteit) de Giinther sur la «race nordique», placée par celui-ci au sommet de la pyramide des six «races européennes» que comportait sa classification anthropologique, qu’au prix d’une assimilation plus qu’hâtive entre ce qui est «nordique» et ce qui «génétiquement sain».

Or c’est bien ce que les eugénistes partisans de l’«hygiène raciale» (Rassenhygiené) – tels que Fritz Lenz – faisaient, sans toujours l’avouer. Précisons que ni la théorie de la «dégénérescence» du «flux génétique» national ni celle de la «dénordification» du peuple par «bâtardisation» ne sont formulées à l’origine pour dénoncer un «ennemi de race juif». «Biologistes raciaux» et «raciologues» visent de concert les «classes inférieures, de moindre valeur», désignées comme les représentants d’une race brachycéphale, anaryenne et asiatique, dite «alpine». Cela explique que les écrits de Giinther semblent moins antisémites que les libelles du Stiirmer.

En 1933, les nazis se proposèrent de bâtir un État à la fois vôlkisch et «moderne» et furent, au gré de cette antinomie, entraînés plus loin encore dans le «labyrinthe de la logique raciale».

Pour asseoir leur légitimité, ils ne pouvaient faire l’économie de la «Rassenbiologie». Mais la contradiction entre le paradigme de Fischer et le fantasme de Streicher se révéla si crue que le chef de l’Office de politique raciale du Parti, le Dr Walter GroB, dut se prononcer publiquement contre les thèses télégonistes et désavoua nommément le Reichspornograph, en qui il reconnaissait pourtant l’apôtre le plus efficace de l’antisémitisme populiste :

«Dans nombre de journaux, […] la possibilité d’une transformation de la race fait l’objet de débats qui outrepassent sans retenue aucune toute connaissance objectivement défendable et biologique- ment prouvable. Sous prétexte que l’utérus serait une espèce d’organe digestif, on affirme qu’une Aryenne ayant eu des rapports sexuels avec un Juif devient par là biologiquement juive. Si cette affirmation était juste, toute Juive ayant eu des rapports sexuels avec un Aryen devrait inversement pouvoir devenir aryenne. Le problème juif pourrait alors trouver une solution très simple. Mais malheureusement, ce n’est pas le cas.»

Et GroG de marteler son message :

«La croyance en une soi-disant « imprégnation » est non seulement scientifiquement insoutenable, mais, en outre, elle cache aussi de grands dangers politiques. […] Le dogme de l’imprégnation a provoqué une grande perturbation ainsi que la diffamation de nombreux camarades du peuple (Volksgenossen) de souche bien allemande. Cela ne correspond en aucune façon à la volonté du Fiihrer ni donc à celle du Parti. Il [Hitler] souhaite ainsi empêcher toute diffusion de cette opinion erronée». L’Office se voit obligé de réaffirmer que «la pensée raciale du national-socialisme repose sur la reconnaissance du fait que l’appartenance raciale d’une personne est déterminée par son hérédité ».

Cette condamnation de l’antisémitisme contagionniste par l’Office, destinée à réduire les contradictions entre les diverses théories des races défendues au sein du «Mouvement», s’inscrivait dans le processus de préparation des «lois de Nuremberg».

C’est précisément à l’automne 1935, peu après la promulgation des nouvelles lois au Congrès du Parti, que le médecin et anthropologue GroG intervint pour défendre le paradigme de la «biologie raciale». En coulisse, la définition du «concept de Juif» (Judenbegriff) était alors au cœur d’une vive controverse, qui devait durer deux mois.

La lutte autour du «concept de Juif»

Les lois anti-juives du 15 septembre 1935 ne donnaient aucune définition du «Juif» ni du «métis».

Si la «loi sur la citoyenneté du Reich» (Reichsbiirgergesetz) ne faisait nulle mention des Juifs, elle n’introduisait pas moins de nouveaux concepts-clé : celui de «ressortissant de sang allemand ou apparenté» {Staatsangehôriger deutschen oder artverwandten Blutes), et celui de «citoyen du Reich» (Reichsburger), seul à jouir de «l’intégralité des droits politiques».

La «loi sur la protection du sang allemand et des «lois de Nuremberg» à la «conférence de Wannsee» de l’honneur allemand» (Gesetz zum Schutz des deut- schen Blutes und der deutschen Ehrè) n’interdisait pas cependant les mariages entre personnes relevant de ces deux catégories, mais seulement entre «ressortissants de sang allemand ou apparenté» et «Juifs».

Étaient en outre interdits tous rapports sexuels extra-conjugaux entre «Allemands» et «Juifs», ainsi que l’embauche de domestiques «aryennes» encore en âge de procréer (de moins de 45 ans) par les «ménages juifs».

Un document équivoque rapporte que ces deux lois furent élaborées dans la précipitation, en plein congrès du Parti. Cette description très pénétrante de l’assemblée de Nuremberg est due à un fonctionnaire, Bernhard Lôsener, devenu membre du Parti en 1932. Son récit, rédigé en 1950, ne fut publié qu’en 1961, cinq ans après la mort de l’auteur, et «toute une génération de chercheurs l’admit presque sans sourciller».

Aujourd’hui de plus en plus critiqué, le texte de Lôsener a pu paraître, dans un premier temps, digne de foi à plus d’un titre. Ancien conseiller ministériel auprès de la Première Section (Questions de nationalité) du ministère de l’Intérieur nazi, Lôsener y était chargé des «affaires juives». Au printemps 1943, deux ans après en avoir exprimé le souhait, ce juriste avait été relevé de ses fonctions. Puis, accusé d’avoir assisté un cercle de dissidents, il fut emprisonné après l’attentat du 20 juillet 1944 et exclu du Parti en janvier 1945. Ce parcours lui conférait un crédit moral non négligeable.

La chronique de Lôsener commence le vendredi 13 septembre 1935, au moment fort du Congrès du Parti. Ce jour, les spécialistes du ministère de l’Intérieur sont convoqués d’urgence à Nuremberg. Le Fiihrer a brusquement donné l’ordre d’élaborer une «loi sur les Juifs», apprend Lôsener à son arrivée.

Au cours des vingt-quatre heures suivantes, les fonctionnaires, travaillant dans un ambiance chaotique, rédigent à la hâte deux textes «vides de tout contenu». D’après Lôsener, «on ne pouvait rien changer aux ordres stricts donnés par Hitler relatifs aux trois points mentionnés», à savoir l’interdiction des mariages et des relations sexuelles extra-conjugales «mixtes» ainsi que du service domestique chez les «non-Aryens», «mais on pouvait les tourner avantageusement dès lors que l’on parvenait à réduire la portée des slogans du parti – qui nommaient toujours d’un seul trait les «Juifs et descendants de Juifs – en fixant une frontière légale claire, et en établissant que la directive du Fiihrer concernait exclusivement les plein- Juifs (Volljuden)20».

Que s’était-il passé avant le 13 septembre au Congrès du Parti pour qu’Hitler ait brutalement exprimé le souhait de voir la vision contagionniste codifiée dans une «loi sur la protection du sang» ?

Le 12 septembre, le «chef des médecins du Reich» (Reichsàrztefiihrer), le Dr Gerhard Wagner, directeur de l’Office du NSDAP pour la Santé du Peuple, avait prononcé un discours remarqué.

Ce médecin, connu comme un partisan des thèses de Streicher et comme le défenseur d’une politique impitoyable de stérilisation, avait déclaré que la «bâtardisation» du peuple allemand par «le sang juif, qui nous est totalement allogène», avait des conséquences d’autant plus néfastes qu’«un grand nombre de dispositions totalement négatives s’accumulent au sein du peuple juif. En particulier, le Juif souffre beaucoup plus souvent de troubles du métabolisme et de maladies mentales, tout particulièrement des maladies génétiques».

En outre, la proportion de criminels parmi les Juifs était notoirement élevée.

Lorsque Wagner en appela, à la fin de son discours, à la stérilisation de la «part inapte de la population», on comprenait sans peine qu’il pensait en premier lieu aux Juifs 21.

Le discours de Wagner cherchait manifestement à fonder l’antisémitisme sur la «biologie génétique» ou, plus précisément, à opérer une fusion entre les conception conta- gionniste et raciologique.

Si «le sang juif», «allogène» par nature, et les «gènes malfaisants» se révélaient identiques, une politique de stérilisation menée contre les «porteurs de sang juif» et, d’autre part, contre les personnes atteintes de maladies génétiques, pourrait se prévaloir d’une même légitimation scientifique.

Si l’on réussissait à démontrer que le «métissage judéo-allemand» entraîne une multiplication de maladies prétendument génétiques, telles que la schizophrénie ou la criminalité, son interdiction apparaîtrait comme pleinement justifiée.

Une politique raciale prescrivant la stérilisation à des fins à la fois sanitaires et antijuives supposerait une division de la population en deux catégories : celle «de moindre valeur», «racialement allogène» (artfremd), et celle «de valeur», «racialement endogène» (artverwandť).

Les propositions idéologiques du Reichsàrztefiihrer, qui visaient à rendre «cohérente» la folie raciale, présentait cependant un défaut manifeste : elles contredisaient les fondements de la raciologie. Si les Juifs étaient porteurs de dispositions génétiques déficientes, ceux qui étaient atteints de maladies génétiques auraient dû, à l’inverse, avoir du «sang juif» dans les veines. Mais les savants ne constataient pas une proportion particulièrement importante ďascendances juives dans la masse tant décriée des malades génétiques.

Le rapport Lôsener nous apprend que Wagner exerçait lors du Congrès de 1935 une grande influence sur le Fiihrer.

Il était «un des plus forcenés s’agissant de la question juive et se tenait toujours à proximité d’Hitler» ; c’est lui qui demanda que les «descendants de Juifs soient également soumis à la [future] loi, que les mariages mixtes déjà existants soient dissous, et que les conjoints aryens de Juifs soient traités comme les Juifs».

Lôsener se souvient également d’un second protagoniste, dont l’influence se fit sentir, selon lui, plutôt avant et après que pendant le Congrès : le Dr Artur Giitt, chef de la Quatrième Section (Services de la Santé) au ministère de l’Intérieur. Giitt lui-même donna des informations que Lôsener préféra taire, et indiqua quel fut le projet de loi examiné lors du Congrès, avant que le discours de Wagner ne vint semer la zizanie.

Émanant du ministère de la Justice, ce texte proposait d’interdire les «mariages nuisibles pour le peuple». Au cœur du projet – qui visait apparemment à établir de manière plutôt indirecte l’interdiction des «unions mixtes» entre Allemands et Juifs – figurait l’introduction d’un «certificat d’aptitude au mariage» pour tous les Allemands.

Cette modification brutale du droit civil avait été «fondamentalement souhaitée et approuvée par le FUhrer 23» au congrès du Parti, rapporta Giitt le 25 septembre 1935, au cours d’une réunion où fut débattue la future «loi sur la santé matrimoniale».

Ce statut fut proclamé le 18 octobre 1935, il prévoyait l’introduction du fameux «certificat d’aptitude».

Le 25 septembre toujours, Giitt consacra un mémoire aux «principes fondamentaux des règles mendéliennes de l’hérédité» dans la perspective de leur application à la «question juive».

Se référant à l’étude d’Eugen Fischer de 1913 sur les «bâtards de Rehoboth», ainsi qu’au célèbre tableau schématique sur la transmission de la pigmentation lors du croisement de lapins blancs et noirs, le médecin conclut que :

le «métissage de quart-Juifs et de demi- Juifs avec des personnes de sang allemand ne permet pas de supprimer définitivement les traits juifs. […] Par contre, on peut […] atteindre une fragmentation toujours plus importante des traits juifs, si bien que […] l’on peut parler d’une dilution plus forte à chaque génération, à condition toutefois qu’il n’y ait pas de nouveaux croisements avec des Juifs ou des métis. […] Ainsi, si l’on ne veut pas perpétuer une nouvelle race de métis judéo-allemands, on doit décider de laisser s’absorber les métis au peuple juif ou allemand. […]

D’un point de vue biologique, résume Giitt, il n’existe aucune solution vraiment satisfaisante» pour résoudre ce problème.

La solution la plus expéditive consiste à «autoriser sans réserve le mariage des quart- Juifs avec des personnes de sang allemand, mais à interdire les mariages avec les Juifs purs ou les métis juifs 24». Or ce principe d’une assimilation forcée des «quart- Juifs» est bien retenu dans le décret d’application de la «loi pour la protection du sang» du 14 novembre 1935.

La réflexion de Giitt, selon laquelle il convient de ne plus tenir compte du «sang juif» résiduel chez les petits-fils d’un «couple mixte», allait dans le sens d’une proposition débattue depuis un an et demi. Roland Freisler, qui allait être nommé secrétaire d’État au ministère de la Justice du Reich en mai 1935, avait proposé lors d’une réunion du 6 mai 1934 consacrée aux questions du droit racial un nouveau critère de classification pour séparer les «Aryens» des «non- Aryens» : «Est considéré comme allogène de race tout enfant […] dont un des grands-parents n’appartient pas à la communauté de sang allemand 25».

Aussi cette disposition pouvait-elle permettre l’assimilation pleine à la Germanité de la progéniture du «quart- Juif», à condition que celui-ci choisisse un partenaire de «sang allemand» : l’enfant issu d’un tel couple n’aurait aucun grand-parent «allogène». A l’inverse des «paragraphes aryens» déjà en vigueur, cette formule devait empêcher la naissance de nouveaux «métis de deuxième degré».

Toutefois, selon l’idée de Freisler, pour exclure l’apparition de tels «quart-Juifs» classificatoires, il aurait fallu interdire les unions entre «métis de premier degré» et personnes «de sang allemand». Mais ce principe ne sera pas retenu dans le premier décret de loi sur la «protection du sang allemand» du 14 novembre 1935.

On y lit seulement que ce type de mariages exigeait une autorisation spéciale.

En réalité, cette autorisation ne fut jamais accordée, mais les couples, confiant en la lettre de la loi, qui en faisaient la demande auprès du ministère de l’Intérieur voyaient leurs dossiers transmis d’office à la Gestapo…

La fiction juridique d’un interdit relatif des mariages entre «demi- Juif s» et conjoints de «sang allemand» permettait d’éviter que «demi-Juifs» et «plein-Juifs» ne soient classifies de la même façon.

Le débat houleux engagé après le congrès du Parti pour préciser le contenu des «lois de Nuremberg» touchait notamment au statut à attribuer aux «métis» de première génération.

Giitt proposait de les classifier au moment de leur demande en mariage, et les projets de loi rédigés début octobre à la chancellerie du Parti stipulaient un «triage obligatoire» (Zwangssortierung) des «demi- Juifs» conditionnant à la fois leur «aptitude au mariage» avec une personne de «sang allemand» et leur capacité à devenir «citoyens du Reich».

L’objectif de Giitt était de coupler la «loi sur la citoyenneté du Reich» et la «loi sur la santé matrimoniale». Mais les idées-force de ces deux lois restèrent lettre morte sous le Troisième Reich : il n’y eut ni tri politique de tous les Allemands par l’attribution sélective du «brevet de citoyen du Reich», ni tri biologique par l’octroi restrictif du «certificat d’aptitude au mariage».

La solution proposée par Giitt de soumettre à la sélection obligatoire tous les «demi- Juifs» paraissait la plus conforme aux objectifs de la «biologie raciale». Mais la méthode suggérée – classer chaque «demi-Juif» soit comme «Allemand», soit comme «Juif» – aurait laissé en suspens, pour une génération au moins, la question centrale : «Qui est juif ?».

Opposé à cette démarche, le premier secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur, Hans Pfundtner, réclamait, avec l’appui de Lôsener, que la classification des «demi-Juifs» s’effectue rapidement afin de favoriser une solution immédiate de la «question juive».

L’option qu’ils préconisaient prévoyait que tous les «demi-Juifs» seraient déclarés «citoyens du Reich», à l’exception des personnes qui avaient déjà ouvertement fait profession de foi juive ou épousé un/e Juif/ve. D’après les décrets du 14 novembre 1935, ce petit groupe des «valant-Juifs» (Geltungsjuden) devait, quant à lui, être assimilé à la catégorie des «plein- Juifs» (Volljuden).

Conformément à l’adage «Quand deux se battent, le tiers se réjouit», les contagionnistes connurent un retour en grâce à la fin octobre 1935.

Le 29 de ce mois, la chancellerie du Parti présenta deux nouveaux projets de loi signés par Gerhard Wagner. L’originalité de ces textes résidait dans la volonté d’imposer la notion de «changement de race» (Rassenwechsel) :

«Est également considéré comme Juif le conjoint non juif d’un Juif.  Si un tel couple mixte, resté sans progéniture, se dissout autrement que par la mort, les conséquences de cette disposition seront levées avec la fin du mariage».

Pour Wagner, les enfants de «couples mixtes» devaient être classés d’office comme «Juifs», sauf s’ils étaient déjà mariés avec un «Aryen». Le «demi- Juif» marié se voyait dévolu à la catégorie résiduelle des «métis», un statut ambigu tant sur le plan biologique que sur le plan juridique.

«Si s’achève autrement que par la mort le mariage sans enfants d’un demi-Juif qui […], lors de la mise en application [du présent texte], étant marié avec une non- Juive, est considéré comme non-Juif, celui-ci sera de nouveau considéré comme Juif dès la dissolution du mariage 26.»

Le concept de Juif qui sous-tend les propositions de loi de Wagner reflète les éléments essentiels de la représentation contagionniste.

D’une part, on constate un traitement inégal des sexes, puisque les conjoints «demi-Juifs» seraient plus facilement classés «Juifs» que ne le seraient les «demi-Juives». D’autre part, la stérilité des couples mixtes devrait être encouragée ; seule l’absence d’enfants pourrait permettre au conjoint «aryen» de retrouver son statut d’origine après avoir «changé de race» en raison de son mariage avec un partenaire «juif».

Le supérieur immédiat de Lôsener, le secrétaire d’État Wilhelm Stuckart, intervint début novembre pour trouver un compromis entre les propositions de Wagner et celles de Pfundtner et de Lôsener.

Hitler s’abstint, quant à lui, de prendre position, et refusa de convoquer une réunion prévue pour le 5 novembre. Stuckart, un juriste versé en biologie raciale, pressentait que l’introduction en droit du principe de «changement de race» pouvait avoir des implications juridiquement absurdes. Par ailleurs, le «concept de race» élastique sur lequel s’appuyait Wagner apparaissait manifestement incompatible avec la position «moderne» des sciences légitimatrices du régime qu’étaient la génétique et la raciologie.

Le système des lois de Nuremberg

Les décrets d’application des lois de Nuremberg, enfin promulgués deux mois après le congrès du Parti, offrent un compromis boiteux. On évite de mettre sur le même plan «demi- Juifs» et «Juifs», tout comme on renonce à codifier le principe de «changement de race».

Mais le statut politique et biologique des enfants issus de «mariages mixtes» demeure flou. Tout «citoyens du Reich» qu’ils soient, les «métis de premier degré» se voient singularisés par le mode de «choix du conjoint» qui leur est prescrit.

Le mariage avec un Juif, perçu comme une infamante «hypogamie raciale», est toléré mais implique l’attribution automatique du statut de «valant- Juif» {Geltungs- jude). Seule l’«endogamie raciale» est universellement admise pour les «métis de premier degré» et n’entraîne, pour le parent ainsi que l’enfant, aucun danger d’affection dans une nouvelle catégorie.

La traduction en droit de la catégorie de «métis», clé de voûte du système des «lois de Nuremberg», ouvre la voie à un engagement plus clair des «biologistes raciaux» en faveur de l’antisémitisme d’État.

En effet, la biologie raciale d’Eugen Fischer aussi bien que le dogme nordique des races se fondent sur une «preuve» ontologique de l’existence du «métis». On voyait en presque chaque Allemand un «métis racial», hybride des races constitutives du peuple allemand, de «nordique», de «dinarien», d’«alpin»… et parfois de «levantin».

Alors que les «lois de Nuremberg» font de l’antisémitisme un sentiment encouragé par les pouvoirs publics, les biologistes raciaux s’efforcent de lui conférer une caution scientifique.

Ce n’est pas un hasard s’ils se réfèrent au théorème du «mélange des races» lorsqu’ils cherchent à démontrer l’altérité substantielle des Juifs et partant leur infériorité. Même si la grande majorité des anthropologues et biologistes raciaux s’accordent encore à penser, en 1935, qu’il n’existe ni une «race juive» ni une «race allemande» 28, ils ne tardent pas à prétendre que le peuple juif serait issu d’un «mauvais» mélange d’éléments extra-européens.

Dans le même temps, les contagionnistes admettent à leur manière le «théorème de l’hybridation» : chaque Juif est un «bâtard», en qui s’incarne une accumulation «diabolique» des «pires traits raciaux».

Les nombreuses dispositions adoptées après l’automne 1935 pour exclure les Juifs de la vie publique accoutument la population à la fiction juridique du «Juif de race» (Rassenjude) : à chaque fois, elles se réfèrent aux articles correspondants du premier décret d’application de la «loi sur la citoyenneté du Reich». Ses treize décrets d’application constituent le principal instrument étatique pour bannir les Juifs du monde professionnel.

Après le pogrom de novembre 1938, une série de mesures policières sont prises qui resserrent toujours plus l’étau de la proscription publique, jusqu’à ce que le décret du 1er septembre 1941 n’impose aux familles juives – compris aux enfants à partir de six ans – l’infamant port de l’étoile jaune.

La «loi sur la protection du sang allemand», suivie d’un seul décret d’application, pénalise le «crime contre la race» et devient ainsi un outil de choix pour la propagation de l’antisémitisme.

L’extension de la notion d’«infamie raciale», décidée en 1937 par le Tribunal suprême du Reich, s’inscrit clairement dans la logique de la pornographie contagionniste : sont désormais criminalisées les «relations sexuelles normales» ainsi que les «relations contre-nature» entre «Juifs» et «Allemands».

En 1938, le ministère de la Justice du Reich, précisant la procédure à suivre dans les procès pour «crime contre la race», stipule que les Juifs ayant eu des «relations sexuelles avec une femme stérilisée ou avec une prostituée [aryennes]» sont également passibles de poursuites pénales «dans la mesure où la loi vise à protéger non seulement le sang allemand, mais aussi l’honneur allemand

Les nombreuses controverses suscitées par l’interprétation de la notion de «crime contre la race» corroborent l’hypothèse que l’intention première des juristes n’est pas d’éviter la naissance de nouveaux «bâtards», conformément aux préceptes de la biologie raciale, mais, bien plus, de rendre tabou tout contact corporel et tout lien sentimental entre les membres des deux groupes que définit ce système d’apartheid.

Tandis que les relations extra-conjugales – qui tendent à se multiplier sous l’effet de l’interdiction du mariage «interracial» – font l’objet d’une répression croissante, un système de traitement différencié des «couples mixtes» déjà mariés est institué.

En effet, alors que la politique de séparation spatiale et sociale des «Allemands» et des «Juifs» est renforcée dans les semaines qui suivent le pogrom de novembre 1938, les familles «judéo-allemandes» posent un problème particulier.

Hermann Goring, alors responsable du Plan quadriennal et désormais chargé par Hitler de la «solution de la question juive», classe, dans une lettre secrète adressée à toutes les directions administratives le 28 décembre 1938, les «mariages mixtes» selon deux critères : l’existence de progéniture et le sexe du conjoint juif. Les familles où la mère est juive seront «privilégiées» par rapport à celles sans enfant où le mari est juif.

«Il faut traiter ces couples sans enfant comme s’il s’agissait de Juifs purs. […] Les deux époux peuvent être logés dans des maisons de Juifs (Judenhàuser) ou des quartiers juifs. Mais surtout […], il faudra traiter les deux conjoints comme des Juifs dès que [le programme] d’émigration massive sera engagée».

On retrouve ici le principe du «changement de race» par mariage, tel que défini dans le projet de loi de Wagner à l’automne 1935.

Dans le même temps, la possibilité est offerte à l’épouse «aryenne» dans un couple sans enfant de «renouer les liens du sang allemand» en divorçant d’avec son conjoint juif – cette décision est rendue officielle le 28 décembre 1938. Goring se réfère ici expressément «à la volonté du Fiihrer», «qui doit désormais être considérée comme la seule ligne à suivre dans cette procédure», et il exige que sa directive «soit proclamée jusqu’aux échelons inférieurs de l’apparail d’État».

En vertu de cette manifestation de la volonté du Fiihrer, répercutée par Goring, la bureaucratie met au point le système des «mariages mixtes privilégiés» ainsi que le statut de «Juif privilégié», qui sont codifiés pour la première fois dans la loi sur les «rapports locatifs avec les Juifs» du 30 avril 1939 -31.

Ce texte sera repris dans l’arrêté des services de police du 1er septembre 1941 rendant obligatoire le port de l’«étoile juive».

Les «conjoints juifs dans les unions mixtes» ne sont pas tenus au port de ce signe infamant «dans la mesure où ils ont des descendants vivants et où ces derniers ne sont pas considérés comme des Juifs» ; il en va de même des «épouses juives dans les unions mixtes demeurées sans enfant 32».

Le statut des couples sans enfants est ainsi déterminé par le sexe du conjoint juif ; en revanche, le critère de la religion est appliqué dans le cas des couples avec enfants. Si ces derniers ne sont pas classés comme «valant-Juifs», c’est-à-dire s’ils n’appartiennent pas à la communauté religieuse juive 33, ils confèrent à leurs pères et mères un statut «privilégié».

La classification des «valant-Juifs» établie dans le premier décret d’application de la «loi sur la citoyenneté du Reich» se révèle ainsi d’une portée particulière.

D’une manière générale, le système de classification par degrés offre des points de repère pour s’orienter dans le dédale des dispositions visant à l’exclusion et à la persécution des Juifs, qui resteront valables jusqu’au seuil de la déportation. C’est pourquoi les changements apportés à ce système doivent être examinés avec une attention particulière.

A la «conférence de Wannsee», réunie le 20 janvier 1942 sous la présidence de Reinhard Heydrich, fut soumis à discussion, un projet de modification de la définition juridique du «Juif».

La signification de cette rencontre au regard de la mise en œuvre de la «solution finale» continue à préoccuper les historiens.

Les interventions des sept hauts fonctionnaires de l’État et des sept représentants de l’élite du Parti et de la SS consignées dans le procès-verbal de cette réunion secrète ont longtemps été interprétées comme la preuve écrite que la décision de procéder à l’extermination des Juifs fut entérinée à cette occasion.

Toutefois, depuis qu’il a été admis par la recherche, soucieuse de trouver une injonction du Fuhrer ordonnant le génocide, que le processus décisionnel, antérieur, est à situer en 1941, la «conférence de Wannsee» paraît moins importante que lors de la «découverte» du procès-verbal par le Tribunal militaire international au printemps 1947.

Dans ce qui suit, je me limiterai à considérer le nouveau système de classification que Heydrich soumet lors de la rencontre, qui est exposé dans les quatre dernières pages du compte rendu. Ce système apparaît d’une complexité telle que même le rapporteur de la réunion, pourtant «expert de la question juive», Adolf Eichmann, avait du mal à restituer le déroulement des débats. En témoignent les contradictions et répétitions qui parsèment ces pages de son compte rendu.

«Dans la lignée des projets de solution finale», débute la quatrième partie du procès- verbal, «nous devrions en quelque sorte prendre appui sur les lois de Nuremberg ; on n’écartera pas définitivement le problème tant qu’on n’aura pas résolu la question des mariages mixtes et des métis» 35.

Le nouveau schéma, défendu par Heydrich, prévoit une extension de la notion de «Juif» ; il fixe les conditions soit d’une «assimilation» des «métis de premier degré», des «métis de second degré» et des conjoints de «Juifs» des différents degrés «à des Juifs en vue de la solution finale de la question juive», soit de leur «évacuation» ou de leur «transfert dans un ghetto».

Les «métis de premier degré» doivent désormais être rangés, pour la plupart, dans la catégorie des «Juifs».

Nous voyons ainsi resurgir les exigences des contagionistes, que les décrets du 14 novembre 1935 avaient pour un temps écartées. Wagner était mort dès 1939 et son adversaire Giitt avait quitté son poste la même année ; le Dr Leon- hard Conti prend la succession de l’un et de l’autre.

Si un petit nombre de «métis de premier degré» évitent d’être assimilés aux «Juifs» – en particulier ceux qui avaient été «élevés», d’une manière ou d’une autre, à un statut proche de celui d’«Aryen» – ces «privilégiés» doivent selon Heydrich, pour obtenir l’autorisation de rester dans le Reich, payer un lourd tribut : la stérilisation.

Cependant, une lecture attentive des minutes montre que l’objet de référence qui, implicitement, détermine la formulation du nouveau «concept de Juif» est l’existence du «métis de deuxième degré» ou «quart-Juif», c’est-à- dire de personnes dont un seul grand-parent est juif.

Or, Heydrich lui-même semble avoir appartenu à cette catégorie 36, et il est surprenant de constater que nombre de spécialistes, aujourd’hui encore, persistent, autant que Heydrich lui-même en son temps, à vouloir démontrer que l’existence de cette grand-mère juive n’était qu’une rumeur sans fondement.

Heydrich, la «bête blonde» aux allures et à la sensibilité «aryennes», tenait – et pour cause – à apparaître comme le produit d’un processus de «sélection naturelle» qui aurait conduit à la «dissolution» complète du «quart juif» de son «patrimoine héréditaire». Il devait ainsi incarner l’heureux aboutissement du processus de «démendélisation» (Ausmendelung) raciale, fiction qui joua un grand rôle, ainsi que nous le verrons, dans le débat sur la Rassenbiologie antisémite.

Le «concept de Juif» dans sa formulation du 14 novembre 1935 avait fixé la limite de la «purification» du «sang allemand», qu’il fallait libérer du «sang juif», aux «quart-Juifs» et à leurs descendants ; le «quart-Juif» devait épouser un conjoint «de sang allemand», tandis que les mariages entre «métis de deuxième degré» étaient interdits.

Le nouveau «concept de Juif» présenté le 20 janvier 1942 entraîne indirectement la suppression de ce principe établi sept ans plus tôt, car les «métis de deuxième degré» devaient eux aussi être évalués, et rangés soit du côté «juif», soit du côté «allemand».

Cette sélection vise principalement les personnes «nées d’un mariage bâtard» ou d’«apparence raciale extérieure particulièrement défavorable». La désignation d’un individu comme «quart- Juif» détermine également la classification à rebours de ses parents, et condamne ainsi par implication tous les mariages unissant un «métis de premier degré» et une personne «de sang allemand».

Or, ce type d’unions, certes déclaré «indésirable», n’avait pas été formellement interdit par le premier décret d’application de la «loi sur la protection du sang allemand». Dès lors que la «sélection raciale» du «quart- Juif» situe les géniteurs de celui-ci du côté allemand, le parent «demi-juif» doit être stérilisé, qu’il s’agisse du père ou de la mère, si le couple veut échapper à l’«évacuation». C’est donc la désignation de l’enfant comme «quart- Juif» qui place le parent «demi- juif» de ce dernier devant l’alternative entre la déportation du couple ou la stérilisation de l’individu.

Un autre trait caractéristique du nouveau schéma est le discrédit jeté sur toutes les formes de «mariages mixtes» dont le catalogue d’interdits du 14 novembre 1935 avait empêché la conclusion.

Le procès- verbal du 20 janvier 1942 parle ici de «mariages bâtards» (Bastardehen).

Ces familles devaient «être traitées comme des Juifs», sans exception, et donc «évacuées ou transférées dans un ghetto».

Nous observons ici encore un décalage par rapport aux mesures adoptées à l’automne 1935 : l’«endoga- mie» des «demi- Juifs» avait alors été favorisée parce que l’on supposait que ces mariages étaient particulièrement infertiles et que cette prétendue infécondité naturelle entraînerait à terme la disparition des «métis de premier degré».

Aux termes du nouveau mode de détermination de la qualité de «Juif», les graduations du système des «mariages mixtes privilégiés» disparaissent tandis que l’on soumet les couples «racialement hybrides» à l’obligation de divorce.

Le seul «privilège» qui serait encore concédé aux couples mixtes dont un seul époux est «de sang allemand» serait d’être logé dans un ghetto au lieu d’être «évacué». Et ce, seulement lorsque les parents «allemands» oseraient protester contre l’«évacuation» du membre «juif» ou «demi-juif» de leur famille.

Nous le voyons, cette conception visait à remplacer la définition par défaut du «Juif» – en tant que personne qui n’est pas «de sang allemand» – fixée par les «lois de Nuremberg», par une classification généalogique sans faille. Quelle fut la réaction des experts, juristes et biologistes raciaux, présents à Wannsee face à cette extension du «concept de Juif»?

Roland Freisler, pénaliste au ministère de la Justice spécialisé en «droit racial», n’en dit mot, lui qui dut quitter ses fonctions en août 1942 pour assumer la présidence du Volksgerichtshof de sinistre mémoire, où se déroulera notamment le procès des auteurs de l’attentat du 20 juillet 1944. Le secrétaire d’État Wilhelm Stuckart, du ministère de l’Intérieur, prit quant à la lui la parole pour proposer une alternative à la nouvelle politique de classification : tous les métis auraient dû être stérilisés de force (le procès-verbal ne précise pas si Stuckart pensait étendre cette mesure aux «quart-Juifs» ou aux seuls «demi- Juif s»). Il suggéra également, «pour simplifier le problème des mariages mixtes», de déclarer les époux concernés légalement séparés, mais là encore rien ne dit s’il songeait à l’ensemble des «unions bâtardes».

Face aux procureurs américains, en 1948, Stuckart allait présenter sa proposition de stérilisation forcée comme une manœuvre de diversion dirigée contre Heydrich et l’Office principal de Sécurité du Reich, destinée à sauver les «métis» de la déportation.

Il aurait appris par son collègue Conti, avant la «conférence de Wannsee», que les mesures prises en Allemagne à l’encontre des «métis du premier degré» ne pouvaient être appliquées pour des raisons techniques ; en particulier, le contexte de la guerre faisait qu’on ne pouvait pas disposer du nombre de lits d’hôpital requis 39. Le Tribunal de Nuremberg ne parvint pas à confondre la stratégie de défense de Stuckart, et décida donc d’acquitter l’accusé «au bénéfice du doute».

Le 20 janvier 1942, le principal argument invoqué par Stuckart contre l’extension du «concept de Juif» était d’ordre technique.

«L’application pratique des mesures qui viennent d’être proposées […] exigerait un travail administratif énorme», argua-t-il à l’encontre du nouveau modèle classificatoire. De fait, la politique de sélection préconisée par Heydrich supposait l’évaluation de tous les «métis», soit d’environ 84 000 personnes.

«Il faut examiner chaque cas particulier», lit-on dans le procès- verbal, au sujet des seuls «métis de premier degré» désireux de ne pas être assimilés à des «Juifs purs». Pour Stuckart, la stérilisation et le divorce forcés avaient l’avantage d’apporter une solution plus rapide et plus efficace, tout en tenant compte «des faits biologiques».

A cette occasion, Stuckart ne tenta manifestement pas de défendre le «concept de Juif» codifié dans la première ordonnance de la «loi sur la citoyenneté du Reich» du 14 novembre 1935. En réalité, cette définition avait déjà été vidée de son contenu quelques semaines avant la «conférence de Wannsee», initialement prévue pour le 9 décembre 1941.

Le 25 novembre 1941, la onzième ordonnance de la «loi sur la citoyenneté du Reich» avait apporté des modifications décisives au statut des Juifs.

Elle stipulait que les Juifs ne pouvaient plus conserver la nationalité allemande tout en résidant à l’étranger.

Les biens des Juifs allemands séjournant à l’étranger revenaient à l’État.

Une circulaire interne du ministère de l’Intérieur préciserait bientôt que les territoires occupés par des troupes allemandes étaient également considérés comme «étrangers» à cet égard.

Cette onzième ordonnance apportait une légitimation bureaucratique aux déportations de Juifs hors d’Allemagne déjà effectuées par la Gestapo. Ce n’est qu’à partir du moment où «l’État normatif», pour reprendre la terminologie d’Ernst Frànkel, fit des personnes «évacuées» à l’«étranger» des apatrides, que ces dernières se trouvèrent définitivement à la merci de «l’État agissant ».

Le treizième et dernier décret de la «loi sur la citoyenneté du Reich» du 1er juillet 1943, qui livrait les Juifs restés en Allemagne aux tribunaux de police, établit une situation de «non-droit bureaucratisé».

Tandis que la monstrueuse machinerie créée par la SS pour accélérer la «solution finale de la question juive» se mettait en marche dans les camps de concentration de l’Est, les fonctionnaires ministériels et les représentants de la SS débattirent – lors de deux autres réunions secrètes, organisées les 6 mars et 27 octobre 1942 -43 – des propositions évoquées à Wannsee en vue d’une «solution finale du problème des métis».

En plein processus de consultations, Heydrich, victime d’un attentat, succomba à Prague le 4 juin 1942, et son successeur à la tête de l’Office principal de Sécurité du Reich, le SS-Gruppenfiihrer Ernst Kaltenbrunner, ne sera nommé qu’en janvier 1943. Dans l’intervalle, Himmler émerge comme le principal interlocuteur des ministères sur la «question des métis».

Le 16 septembre 1942, Stuckart envoie au Reichsfiihrer-SS une «lettre privée» de plusieurs pages, dans laquelle il plaide à nouveau pour la stérilisation généralisée des «métis de premier degré» et critique le «plan d’expulsion» {Abschie- bungsplari) proposé par Heydrich le 20 janvier 1942.

Mais l’inspirateur de cette missive n’est autre que Lôsener : on y retrouve une argumentation similaire à celle que le Rasse- referent avait développée sept ans auparavant.

Le texte commence par évoquer les «fortes inquiétudes» que suscite dans la population allemande la «rumeur d’une aggravation imminente et décisive du statut des métis juifs de premier degré».

Un autre passage indique clairement que l’auteur ignore le procès-verbal de Wannsee 44. Le principal argument invoqué par Lôsener est qu’il importe d’étouffer dans l’œuf ce potentiel de contestation :

«Cette inquiétude […] est d’autant plus profonde que dans le domaine de la politique raciale, dès lors qu’on empiète sur la question du métissage, // n’y a plus de limite naturelle ou logique empêchant l’extension [des mesures d’exclusion] à des métis de degrés toujours plus éloignés. C’est bien pour cela qu’il faudrait tracer une frontière de la façon la plus claire, rapide et définitive, même là où le mélange des races cesse de présenter un danger sérieux pour le Peuple et le Reich ».

Le «rapporteur des questions raciales» du ministère de l’Intérieur, au nom riche en connotations 46, caractérisait ainsi le cercle vicieux issu de la représentation contagionniste de la «prépotence juive», cercle qui tend à s’élargir indéfiniment.

Cet automatisme traduit la dynamique de destruction inhérente au projet de «séparation nette» entre «sang juif» et «sang allemand». Tout «Allemand» pouvait, en définitive, être soupçonné d’avoir un ancêtre «juif» jusqu’à preuve du contraire. La métaphore vôlkisch désignait de telles origines comme «le Juif en nous», ascendances dont la détection obsédait les «évaluateurs» de Himmler chargés de sélectionner les futurs membres de l’«Ordre noir».

Quelques semaines après l’envoi de cette lettre, Lôsener fut «muté conformément à [sa] demande»; mais en 1950, il affirmait encore que «ces propos [avaient] produit une forte impression sur Himmler47.»

Le projet de stérilisation forcée soumis par Stuckart le 27 octobre 1942 lors de la troisième réunion consacrée à la «résolution finale de la question des métis» reçut un accueil plus favorable que le «plan d’expulsion».

En effet, la stérilisation de masse paraissait alors à la portée des techniciens : Himmler avait ordonné que soient pratiquées dans les camps de concentration d’effroyables expériences consistant à soumettre des prisonniers-cobayes à de fortes irradiations aux rayons X.

Mais, en octobre 1942, on ne songeait pas à recourir à cette méthode – qui sera bientôt jugée techniquement insatisfaisante – pour résoudre la «question des métis». Le 27 octobre 1942, on conclut que les «métis du premier degré» devraient se résigner soit à la stérilisation, soit à l’«expulsion». La formulation de pareille alternative permettait d’entretenir la fiction de la «stérilisation volontaire».

A cette époque encore, les fonctionnaires ministériels n’avaient pas l’intention de soumettre les «demi- Juifs» à la loi du 14 juillet 1933 «pour la protection contre les maladies génétiques 49». Mais les pressions exercées sur les «métis» les incitant à opter pour une stérilisation volontaire posait un autre problème : fallait-il dévoiler l’alternative meurtrière de la déportation?

Dès la réunion du 6 mars 1942, consacrée au problème de la stérilisation forcée, chacun s’accordait à penser que seuls les «métis de premier degré» devaient être privés de leurs capacités de reproduction. Mais quel statut leur conférer ensuite ?

On proposa de les «rassembler en un même lieu, dans une ville donnée, comme c’est le cas aujourd’hui pour les vieux Juifs», mais tous les participants savaient que «le problème des métis ne [trouverait] une solution biologique définitive qu’au prix d’une stérilisation des métis juifs de tous les degrés 50».

La conception ici résumée – qui s’inscrit dans le prolongement «logique» de la représentation contagionniste du «Juif» – correspondait-elle bien aux «faits biologiques» évoqués par Stuckart dans sa lettre du 20 janvier 1942?

Les «biologistes raciaux» avaient-ils fait progresser leurs «recherches» dans le sens désigné par le projet que Wagner avait cherché à imposer en tant que «chef des médecins du Reich» lors du congrès du Parti du 12 septembre 1935 ?

La «biologie raciale» avait-elle pu établir que les «traits raciaux juifs» étaient assimilables à des gènes malfaisants ? Cette question absurde, mais non dépourvue de cohérence dans la perspective du «racisme scientifique», déclencha en 1943 une vive controverse.

Le 17 mars 1943, le SS-Gruppenfiihrer Otto Hofmann, chef de l’Office principal de la Race et de la Colonisation (Rasse- und Siedlungshauptamt) de la SS adresse un courrier à Himmler : il porte sur la «solution finale de la question des métis juifs».

Hofmann avait pris part, plus d’un an auparavant, à la «conférence de Wannsee», et il avait été le premier à donner son opinion sur le nouveau «concept de Juif», après le discours de Heydrich.

Il était d’avis «qu’il fallait avoir largement recours à la stérilisation ; d’autant plus que le métis, sommé de choisir entre la stérilisation et l’évacuation, préférera subir la stérilisation 51». Hofmann défendait donc dès janvier 1942 la solution formulée à l’issue de la réunion du 27 octobre 1942, qu’il fut peut-être le premier à préconiser.

Hofmann joint à sa lettre un rapport du SS-Standar- tenfiihrer Bruno Schultz 52.

Ce dernier était le titulaire de la chaire de «biologie raciale» à l’université de Prague et le chef de l’Office racial (Rassenamt), une des deux sections de l’Office principal de la Race et de la Colonisation.

Dans ce texte, Schultz exprime un jugement similaire à celui prononcé par Heydrich l’année précédente à Wannsee : tous les «métis de deuxième degré» devraient, estime Schultz, être soumis à «une évaluation raciale par l’Office principal de la Race afin que [ceux chez lesquels] apparaissent clairement des traits raciaux juifs soient assimilés aux métis de premier degré pour ce qui est de leur traitement».

L’argumentation de ce «biologiste racial» au service de la SS repose sur le truisme suivant : chaque métis porte en lui des «cellules sexuelles» pouvant provenir soit de ses ascendants juifs, soit de ses ascendants non-juifs.


Dans la mesure où la transmission de ces «cellules sexuelles» ne répond à aucune règle, il peut se cacher dans tout «quart-Juif» une «masse» importante de «sang juif» occulté, autrement dit plus d’un quart de «cellules sexuelles juives».

En outre, une recherche récente citée par Schultz aurait démontré qu’«à côté des composantes raciales indésirables et nuisibles pour le peuple allemand, une part plus que proportionnelle des métis présente aussi des infériorités génétiques». Schultz demande donc que soient soumis à un examen racial tous les «quart- Juifs». Ce raisonnement montre qu’il n’est pas encore admis, en fonction d’un prétendu paradigme génétique, d’affirmer que tout «sang juif» contient des «gènes inférieurs» morbides.

Le chef de l’Office principal de la Race, Hofmann, ne comprend pas l’argumentation de Schultz et demande à Himmler de donner son avis. Ce n’est sans doute pas un hasard si Hofmann perd lui aussi son poste – à l’instar de Lôsener après l’envoi de sa «lettre privée» à Himmler. Dans les semaines qui suivent, le rapport Schultz fait le tour des «experts» de la SS et du NSDAP. La seule réaction écrite conservée à ce texte est, semble-t-il, celle que rédigea, le 30 mars 1943, l’inspecteur pour la statistique auprès du Reichsfuhrer-SS, le Dr Richard Korherr, qui avait aussi établi, le même jour, un bilan chiffré intitulé «La solution de la question juive en Europe» ; fidèle au paradigme de la «biologie raciale», il mettait en doute que le procédé de sélection des «quart- Juifs» proposé par Schultz serve la «découverte de la vérité» :

«Le contrôle racial [n’offrirait] aucune garantie parce que les apparences [le phénotype] ne nous disent rien.»

Himmler est d’un tout autre avis. Le 22 mai 1943, il transmet l’appréciation de Schultz à Bormann, le chef de la Chancellerie du Parti.

«Je considère de tels examens comme absolument indispensables», affirme le Reichsfiih- rer, en qui Schultz trouve un fervent partisan de la «sélection raciale» (rassische Siebung). Peut-être faut-il étendre cette technique «non seulement aux métis de deuxième degré», renchérit Himmler, «mais aussi aux métis de degrés plus éloignés. Ici, nous devons – cela reste entre nous – recourir à un procédé analogue à celui appliqué pour améliorer la race (Hochzucht) chez les plantes ou les animaux. Pendant quelques générations au moins (trois ou quatre), la progéniture de telles familles de métis doit être soumise à un contrôle racial par des institutions indépendantes et stérilisée en cas d’infériorité raciale et ainsi soustraite [à la transmission] de l’hérédité. Peut-être me feras- tu connaître ton avis sur la question ?»

Nous connaissons l’opinion de Bormann par une directive qu’il rédigera le 22 août 1943. Celui-ci fait sienne l’argumentation de Schultz, car il convient d’évaluer chaque «quart-Juif» en fonction de son apparence extérieure. Désormais, précise Bormann, chaque direction de Gau, représentée par ses experts-raciologues, aura qualité pour décider qui parmi les «quart-Juifs» est digne d’être assimilé au «corps du peuple» allemand et qui, ne l’étant point, verra sa lignée condamnée à disparaître par stérilisation.


Le débat hallucinant autour de l’évaluation des personnes à «composante raciale étrangère (juive) très ancienne» se poursuit au sein des instances supérieures du NSDAP.

Richard Hildebrandt, qui assume alors les anciennes fonctions de Hofmann, écrit à Himmler, à propos d’un cas précis, le 1er décembre 1943 : «Je suis d’avis que la démendélisation [Ausmendelung] du sang juif est probable pour autant que les évaluations raciales et carac- térologiques ne dévoilent pas d’autres traits juifs.»

Cette opinion, elle aussi, ne fait que suivre un rapport de Schultz que Hildebrandt soumet à Himmler. Plus instruit, semble-t-il, que six mois auparavant, le professeur de biologie raciale ne renvoie plus au secret des «cellules sexuelles», mais parle de chromosomes.

Dans son calcul de la répartition des chromosomes chez une personne ayant eu un ancêtre juif neuf générations auparavant, le biologiste racial parvient au résultat suivant :

«En pratique, on ne peut plus compter avec la présence d’un seul chromosome provenant d’un Juif au bout de trois générations. […] De surcroît, l’hypothèse selon laquelle toutes les dispositions génétiques de l’ancêtre juif à la neuvième génération ascendante furent toutes allogènes n’est certainement pas exacte. Le nombre de dispositions génétiques spécifiquement juives est en tout état de cause beaucoup plus réduit et se localisera probablement en un seul et unique chromosome.»

Autant Himmler avait apprécié la première suggestion du biologiste racial, qui visait à soumettre les «quart- Juifs» à une «sélection raciale», autant il réagit avec colère à la dernière argumentation en date du professeur praguois.


Le 17 décembre 1943, Himmler écrit à Hildebrandt :

«Je ne peux accepter en aucune façon l’expertise du professeur Schultz. A mes yeux, elle n’est pas tenable scientifiquement. Car on pourrait soutenir, au même titre que lui lorsqu’il raconte qu’à la troisième génération on ne compte même plus un seul chromosome provenant du Juif, que disparaissent de même les chromosomes de tous les autres ascendants. Je dois alors poser la question : d’où l’homme peut-il bien tirer son patrimoine génétique ?».


Himmler, lui-aussi, ne parvient pas à réduire la contradiction logique entre les deux «concepts du Juif» que nous avons tenté d’analyser : l’un contagionniste, prégénétique, obsédé par la «prépotence» et l’«éternité du sang juif», l’autre se prévalant de la «biologie raciale» pour affirmer que le «sang allemand» peut, par «démendélisation», parvenir à supprimer les «gènes juifs».

Début 1945, la machinerie de meurtre d’Auschwitz est arrêtée face à la progression de l’Armée Rouge.

C’est alors que l’Office principal de la Sécurité du Reich engage «la solution finale de la question des métis».

La Gestapo commence à envoyer les «Juifs privilégiés» – hommes et femmes – à Theresienstadt, tandis que les enfants, les «métis du premier degré» et les parents «aryens» sont affectés par l’organisation Todt à des travaux forcés.

La «solution finale» ne pourra être pleinement appliquée aux personnes «d’ascendance juive ancienne», car la libération de l’Allemagne mit fin à l’antisémitisme d’État.

par Cornelia Essner – Traduction Isabelle Kalinowski et Édouard Conte


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