Le christianisme

Qui était Jésus pour les juifs?

Qui était Jésus avant de devenir le Christ? Armand Abécassis explore, dans une étude inédite, le rapport de Jésus à la religion juive. Le philosophe et exégète plaide pour une meilleure compréhension mutuelle entre les deux religions.

Philosophe et exégète du judaïsme, Armand Abécassis a publié : Jésus avant le Christ.

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Vous proposez une relecture originale des évangiles en montrant que Jésus fut un réformateur des mœurs juives mais ne voulait pas fonder une autre religion. Partant de ce constat, quelles sont les raisons de la division entre judaïsme et christianisme?

Armand ABÉCASSIS-. Les deux, judaïsme et christianisme, ont œuvré à cette division, le christianisme il est vrai plus que le judaïsme. Pour la commodité on distinguera deux périodes.

La première est celle de la constitution de la théologie chrétienne aux premiers siècles de l’ère courante. Les dogmes constitués éloignaient les chrétiens des juifs alors qu’à l’origine à l’image de Jésus, Pierre ou Jacques et ceux qu’on appelle les Judéo-chrétiens restaient fidèles aux rites juifs. Mais de leurs côtés les rabbins ne les acceptaient pas et cherchaient constamment à se distinguer des chrétiens.

La seconde période est celle du Moyen Âge et de l’antijudaïsme violent de l’Église théologique et sociologique dont les juifs ont eu à souffrir. Ils furent alors brûlés, expulsés et convertis de force. L’Europe se vida de ses juifs.

Votre livre nous éclaire sur la vie de Jésus avant qu’il ne soit le Christ. Dans quel contexte culturel vit-il? Quel est le monde de Jésus?

Le temps de Jésus était un temps où les interprétations de la Bible étaient multiples et se distinguaient par leurs options spirituelles et politiques.

Le Judaïsme se cherchait dans ces différents visages de la foi.

Les Sadducéens tenaient le Temple et se résignaient à l’occupation romaine. Ils refusaient l’interprétation et l’idée d’immortalité. Les Pharisiens se distinguaient par leur audace interprétative et souvent par leur diplomatie qui les poussaient à dialoguer avec les Romains. Les Esséniens condamnaient les Prêtres et constituaient les communautés considérées comme la véritable Israël. Leur rite principal était le baptême.

Il y avait aussi les Zélotes qui ne reculaient pas devant la violence pour libérer leur pays. Il y avait ceux qui prenaient la tête d’un groupe pour défier les Romains par les armes. Il y avait aussi les Baptistes autour de Jean et Jésus avec ses disciples. En d’autres termes, le judaïsme se cherchait dans ces différents visages de la foi.

Jésus était né juif, d’une mère juive, était fidèle à la Loi, était appelé rabbin, il célèbre Pessah lors du dernier repas. La judéité du Christ a-t-elle été oubliée?

Elle l’a été systématiquement oubliée dans l’histoire de l’Église. Les chrétiens répétaient que «Nul ne va au Père si ce n’est par le Fils». Mais dans toutes les prières et dans toutes les messes, on ne parle que de Jésus le Seigneur. Le Père n’y a pas autant de place que le Fils.

Jésus n’a jamais lu et reçu que la Torah.

D’autre part comme je l’écris dans mon livre les évangiles confondent immédiatement Jésus et le Christ, fils de Dieu dès le ventre de sa mère. C’est pourquoi, Jésus le juif religieux, né juif et observant les rites tout au long de sa vie fut christianisé par les théologiens de l’Église.

Jésus n’a jamais lu et reçu que la Torah ; il priait dans la synagogue et il y prenait la parole pour interpréter le texte biblique le chabbat. Quand il citait l’Écriture sainte il s’agissait du Pentateuque, des livres prophétiques et des Psaumes comme tous ses coreligionnaires. Il enseignait qu’il était venu pour les brebis égarées, c’est-à-dire pour ses contemporains juifs infidèles à leur alliance avec Dieu. Les Païens ne faisaient pas partie du «troupeau». N’oublions pas que le Nouveau Testament ne fut constitué qu’au cours du IIe siècle à partir de plusieurs évangiles.

Je précise et je répète qu’il ne s’agit pas de décider quelle religion est vraie, je montre simplement que le judaïsme et le christianisme sont des interprétations différentes de la même Torah. Je ne peux oublier que le christianisme a moralisé et spiritualisé des milliards de païens depuis 2000 ans.

Puisque vous montrez que Jésus est un personnage très intégré dans la vie de la communauté, dans l’histoire du judaïsme et même dans les lignées généalogiques, pourquoi les juifs n’ont pas vu en lui le Messie?

Il était parfaitement intégré dans la vie de sa communauté mais comme les maîtres de son époque, il était insatisfait de l’esprit et de certaines pratiques de beaucoup de ses coreligionnaires. Il avait raison de les critiquer parfois sévèrement comme l’ont fait les prophètes avant lui. Il se présentait comme un réformateur. La question se pose alors de savoir si les voies qui conduisent au progrès moral et spirituel de l’individu sont identiques à celles d’une société et d’un peuple. Il est évident que la morale est plus facile à intégrer par l’individu que par la société.

L’idée de messie est celle d’une personne qui transforme non seulement l’individu mais la société aussi. Dans la tradition juive l’idée messianique peut être portée, par un groupe et même par un peuple comme l’écrivent les prophètes pour le peuple d’Israël qu’ils encouragent activement à assumer cette responsabilité.


Il y a donc dans le judaïsme une messianité qui court à travers l’histoire et qui ne peut jamais être conçue comme ultime et définitive.

Les rabbins parlent même de temps messianiques qui font référence à des temps où tous les citoyens prennent en charge les valeurs morales pour améliorer leur société.

On arrive ainsi à distinguer le messie universel et les messies qui sont à l’origine des mutations sociales dans chaque génération. En ce sens la libération qu’apporte un messie est de nature politique autant que spirituelle.

Chaque peuple doit être reconnu dans son indépendance sur son territoire et dans sa culture particulière. C’est pourquoi les juifs du temps de Jésus attendaient un messie qui les libère des Romains et les ramène à la fidélité à Dieu.

Il y a donc dans le judaïsme une messianité qui court à travers l’histoire et qui ne peut jamais être conçue comme ultime et définitive. On peut donc dire que le christianisme est un messianisme et que le judaïsme ne connaît que des messianités, dans l’espace et dans le temps.

Vous rapprochez l’Ancien Testament et le Nouveau, vous croisez les Béatitudes avec les enseignements juifs. L’exégèse des textes sacrés permet-elle d’aborder le dialogue interreligieux d’une nouvelle façon?

Les Béatitudes ne contiennent aucun dogme ou mystère chrétien. Elles se présentent comme un enseignement purement rabbinique. Je montre dans le livre que toutes les vertus qu’elles énoncent avaient été déjà enseignées par les prédécesseurs de Jésus, par les maîtres contemporains comme Hillel ou des maîtres qui ont suivi. Je fais l’expérience quotidienne que l’étude commune des textes sacrés par les juifs et les chrétiens est le seul fondement d’un dialogue interreligieux authentique et fraternel.



Une nouvelle histoire a commencé entre l’Église et la Synagogue pour les chrétiens et les Juifs qui sont conscients que Dieu a besoin d’eux ensemble.

L’établissement du dialogue entre l’Église et la Synagogue est urgent et nécessaire au monde, pourvu seulement que chrétiens et juifs acceptent, dans la fraternité, les conditions difficiles qui le rendent possible et l’authentifient. Deux mille ans d’histoire de l’Église sont à réexaminer pour soumettre à l’examen la conduite des chrétiens, positive ou négative, à l’égard des juifs.

Est-ce que certains principes théologiques de l’Église ne contiennent pas, explicitement ou implicitement, de l’antijudaïsme? En retour, il faut aider les juifs à se débarrasser de leurs préjugés à l’égard des chrétiens et de leur ignorance du christianisme. Une nouvelle histoire a commencé entre l’Église et la Synagogue pour les chrétiens et les juifs qui sont conscients que Dieu a besoin d’eux ensemble. C’est un modèle de dialogue et peut-être le modèle par excellence, que les juifs et les chrétiens doivent donner en exemple aux nations.

Ce dialogue doit se fonder sur le respect réciproque tout d’abord.

Que Jésus soit Christ, cela ne gêne en aucune façon le judaïsme. Le refus juif de Jésus le Christ, «Fils de Dieu» ne signifie nullement que nous invalidons la religion chrétienne.


Le christianisme a construit l’Europe et lui a donné ses principales valeurs! Le christianisme est en continuité avec le judaïsme. Il n’y a qu’à lire les Évangiles pour s’en convaincre.


Le seul principe qui sépare les deux religions est la christologie: l’idée que la Parole de Dieu s’incarne en Jésus, alors qu’on enseigne aux juifs dès l’enfance qu’on ne peut pas incarner la Parole de Dieu telle que Dieu l’a donnée, mais qu’il faut l’interpréter pour l’humaniser. Elle reste une visée jamais atteinte autrement que par son interprétation pour la rendre humaine en chaque lieu et en chaque temps. Pour que le dialogue soit fondé, le chrétien doit comprendre que Dieu a besoin de lui et du juif parce qu’aucun des deux ne peut assumer la fonction de l’autre.

Le premier devoir du chrétien, en tant que tel, est sa lutte contre l’antijudaïsme.

Le devoir est fait aussi aux juifs, dans leurs propres communautés, de ne pas laisser dire n’importe quoi sur le christianisme, monothéisme qui trace aussi la voie au messie comme l’écrivent des rabbins au Moyen Âge. Grâce à des études et des séminaires en commun autour des textes sacrés et sur des thèmes choisis, ils peuvent prendre connaissance de la profondeur de leurs Écritures Saintes respectives, découvrir leur solidarité, leur complémentarité et finir par se respecter inconditionnellement.

Enfin, les chrétiens doivent comprendre que pour le judaïsme, le retour d’Israël sur sa terre fait partie de la spiritualité juive.

Examiner le passé, voir ce qui a été accompli et ce qui reste à faire, analyser les dérives et les déviations et essayer ensemble d‘y remédier, chacun dans sa communauté, voir aussi les convergences sans peur, tel est l’objet des rencontres entre les juifs et les chrétiens.

Armand Abécassis interviewé par Le Figaro


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