Amalec

Quand le Canada affirmait à propos des juifs: « En admettre un, c’est déjà trop! »

1938-1948

« None is too many », c’est le titre implacable du livre d’Irving Abella et Harold Troper sur l’accueil au Canada des Juifs d’Europe.

Au moment de l’entrée en guerre du Canada, en septembre 1939, Frédérick Charles Blair, directeur du service canadien de l’immigration, prévenait son administration :

« En aucune circonstance des nationaux allemands ou des nationaux des pays occupés par les Allemands ne devront être admis au Canada, qu’il s’agisse ou non de réfugiés. »

Si l’on trouvait dans les administrations alliées un antisémitisme latent et pervers, au Canada il était ouvert et brutal.

Dans une lettre du 24 octobre 1939 adressée à son représentant à Londres William Little, Frederik Blair donna le ton de la politique canadienne. A propos de réfugiés juifs qui faisaient le siège des consulats canadiens en France et en Angleterre pour obtenir un visa canadien, Blair écrivit : « Je ne vois aucune raison pour laquelle le Canada, un des participants à la guerre, devrait encourager des personnes à quitter la France et l’Angleterre. (…)

Alors que l’Empire combat pour la liberté de ces personnes, elles devraient avoir suffisamment de sang dans leurs veines pour rechercher, avant de fuir les zones de combat, si leurs services ne seraient pas de quelque valeur pour les pays qui leur ont donné refuge. »

Mais les femmes, les enfants, les vieillards?

A plusieurs reprises, les associations juives, et parmi elles, la plus importante, le Canadian Jewish Congress et sa filiale l’United Jewish Refugee Agency, s’étaient pourtant engagées à les prendre en charge.

En mai 1941, Saul Hayes, directeur exécutif du Congrès Juif Canadien, demanda que la moitié des 300 visas alloués par le Canada à des Polonais réfugiés au Portugal soient donnés à des Juifs. Réponse des officiels canadiens : le ratio Juifs-non Juifs doit être basé sur la même proportion que celui existant en Pologne, soit aux environs de 12%.

Sinon le gouvernement pourrait « être attaqué pour avoir donné une priorité aux réfugiés juifs aux dépens du sauvetage des Polonais chrétiens. »

Et Blair d’insister pour qu’un « équilibre racial » soit garanti, afin de s’assurer qu’aussi peu de Juifs que possible obtiennent l’admission au Canada.

Toujours en mai 1941, Blair expliqua qu’il était nécessaire de refuser la permission d’entrer au Canada même aux réfugiés possédant des visas pour d’autres pays :

« Si nous ne faisions pas attention, nous nous retrouverions très rapidement avec un grand nombre de réfugiés sur les bras (…) et nous serions amenés à permettre pratiquement à tous ceux qui entrent au Canada avec un visa de transit de s’y établir.

Nous avons déjà eu de nombreux cas similaires parmi une certaine catégorie de réfugiés…»

En décembre 1941, Blair alla plus loin encore. Il estima que les organisations juives canadiennes étaient de mauvaise foi.

« C’est la vieille combine que j’ai vu plusieurs fois réussir.
Elle consiste à sous-estimer un problème (…) et à obtenir quelques promesses, qui seront immédiatement appliquées au plus grand nombre. (…) La seule façon dont nous pouvons garder le contrôle, c’est de fermer toutes les portes, car ces gens ne seront satisfaits que si toutes les portes sont ouvertes. ».

Rien de surprenant lorsque l’on lit dans le rapport annuel 1941 du département de l’immigration que le Canada « donne une plus grande importance à la race qu’à la citoyenneté. »

En 1945, les horreurs de la Shoah sont connues et les Alliés victorieux sont sur place mais la politique canadienne envers les Juifs ne change pas.

Une note du 2 février 1945 du Département de l’immigration au premier ministre ferme la porte « à la race non assimilable »« Bien que le nombre de Juifs qui ont disparu doit avoir été énorme, les survivants ne sont pas le problème du Canada. ».

Dans un mémorandum confidentiel daté du 5 septembre 1945 destiné au Cabinet, A.L. Jolliffe, directeur de l’immigration, rappelle que « les lois canadiennes sur l’immigration prévoient une discrimination suivant la race et la classe sociale.,,, L’interdiction de l’entrée des immigrants appartenant à une race non assimilable est nécessaire. »

Le Canada a pourtant besoin de main d’oeuvre, sinon comment expliquer que dès mai 1946 le gouvernement fait appel à 4 000 soldats polonais de l’armée Anders comme bûcherons et comme ouvriers agricoles pour remplacer les prisonniers allemands rapatriés?

Mais la politique raciste perdure : sur les premiers 1 700 soldats arrivés, un seul est juif ! Les appels à de la main d’œuvre étrangère se multiplient : agriculture, tâches domestiques, industrie textile…

Chaque fois l’administration demande l’exclusion des Juifs.


Jolliffe câble aux fonctionnaires de l’immigration en Europe « pas de Juifs ». Aussi tardivement que janvier 1948 une enquête de l’IRO souligne le refus constant des Juifs dans les programmes d’immigration canadiens.2

Le 20 janvier 1946, l’appel dramatique en faveur des immigrants juifs de Charity Grant, une collaboratrice canadienne de l’UNRRA, au gouvernement canadien est sans lendemain.

« Où peuvent-ils aller, que peuvent-ils faire ? Personne n’en veut. Ils ne peuvent retourner chez eux.


Ils ne peuvent rester pourrir dans des camps le reste de leur vie…Ils doivent trouver un endroit dans le monde où ils ne seront plus jamais persécutés… Vous ne pouvez pas vous empêcher d’admirer leur courage et leur vitalité… Travailler avec ces gens c’est la chose la plus salutaire que vous puissiez imaginer.

Nos propres soucis et difficultés sont si mesquins et enfantins. » Et Grant conclut que « transplantés dans un environnement accueillant, ces Juifs seront des colons forts, indépendants et efficaces. »

En avril 1946, la population reste toujours très négative à l’admission de réfugiés. Une enquête révèle que 31% des personnes interrogées sont en faveur de l’immigration ou l’approuvent à certaines conditions alors que 61% y sont opposées.

Une autre enquête de 1946 porte sur les « nationalités » auxquelles l’immigration au Canada doit être refusée.

En tête se trouvent les Japonais, immédiatement suivis par les Juifs pour 50% des réponses. Etonnant et indigne, l’Allemagne de la Shoah, l’ennemi de l’Occident, n’occupe que la troisième place avec seulement 33% d’opinions négatives.

C’est donner la mesure de l’antisémitisme qui règne. Un antisémitisme bien enraciné.


La ségrégation sévit : exclusion de piscines, de golfs, d’hôtels, de clubs, et même refus de location ou de propriété d’immeubles. Des quotas existent dans des universités, les docteurs juifs ne sont pas acceptés dans tous les hôpitaux….

Dans une lettre de novembre 1946 M. C. Bordet, un major canadien responsable de camps de DP en Allemagne écrit : les Juifs ont le plus le droit à notre sympathie, mais sont certainement les personnes les plus indésirables comme immigrants. Ils seront à la charge de l’Etat le premier jour de leur arrivée. Notre police verra sa tâche doublée… »

Pour se donner bonne conscience et calmer les pressions exercées par les organisations juives canadiennes, le gouvernement prend quelques mesures sans réelles portées pratiques. Le 25 octobre 1945, il accorde le statut de résident permanent à quelque 600 réfugiés juifs arrivés au Canada pendant la guerre en provenance de pays de transit tels que le Portugal, l’Espagne ou le Japon.

L’administration canadienne se rend compte qu’elle ne peut se permettre de refouler par la force ces réfugiés dans leurs pays d’origine en Europe centrale ou de l’Est pour la plupart.

Six mois plus tard, le 29 mai 1946, le gouvernement annonce l’acceptation des parents au premier degré des personnes résidant au Canada, mais les conditions sont strictes et restrictives.


Saul Hayes, directeur exécutif du Canadian Jewish Committee for Refugees, prévient ses coreligionnaires que ne sera concerné « qu’un nombre relativement faible de Juifs » et « que ceux qui seront acceptés n’arriveront que dans quelque temps.»


Hayes a raison. Les quelques Juifs éligibles devront attendre jusqu’en février 1947 pour que le personnel de l’immigration arrive en Allemagne pour les sélectionner !

Une année passe avant que, le 29 avril 1947, le Cabinet autorise l’arrivée de 1 000 orphelins juifs. Ici aussi les obstacles à l’exécution sont nombreux. On exige la preuve, toujours difficile à administrer, que les parents sont bien morts ; la communauté juive doit envoyer du personnel en Europe pour prendre les enfants en charge, régler tous les frais d’immigration et de séjour au Canada ainsi que leur placement dans des familles.

En novembre 1947, 200 enfants étaient arrivés. Le quota sera rempli dans les années suivantes.

Comment alors s’étonner de la conclusion à laquelle arrivent les auteurs canadiens Irving Abella et Harold Troper : « Trois années pleines après la libération des camps de la mort, après que des centres de réfugiés aient été établis, que des organisations internationales aient commencé leur recherche de nouveaux foyers et après que la communauté juive canadienne ait plaidé pour que le gouvernement accorde quelques concessions, pratiquement aucun réfugié juif n’était encore arrivé au Canada.

» Ce n’est qu’à la fin de l’année 1947 que les portes s’ouvrent plus largement. Mais il faut attendre une loi de 1948 sur l’immigration pour que toute discrimination contre l’arrivée des Juifs soit éliminée.

Notes

  • 1 Abella, Irving et Troper Harold, None is too Many : Canada and the Jews of Europe 1933-1948. Lester & Orpen Dennys, Toronto,1983.
  • 2 IRO : Organisation Internationale pour les Réfugiés.
  • 3 UNRRA : United Nation Relief and Rehabilitation Administration

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