Le christianisme

L’origine midrashique du christianisme

Pourquoi, dans l’eschatologie juive puis dans les Evangiles, le messie doit-il mourir? Que signifie, du point de vue du midrash, l’épisode de la Passion?

Après avoir montré dans Un étranger sur le toit que le thème de la conversion des païens à la fin des temps, formait le noyau des narrations évangéliques, l’auteur montre dans ce nouvel essai que c’est l’eschatologie juive dans son ensemble qui est reprise dans le Nouveau Testament.

Le but de cet essai est de dégager, à partir de l’étude des textes, de nouveaux aspects de l’eschatologie juive passés massivement dans le corpus chrétien.

Cet essai montre comment le midrash chrétien a engendré textuellement l’épisode de la Passion, à partir de l’élaboration de catégories eschatologiques telles que le Comble, l’inversion, la Dérision et l’épreuve.

Il montre par l’exemple des Actes de Thomas que l’hypothèse midrashique permet de rendre compte des textes apocryphes. Il propose une nouvelle analyse de certains des premiers textes chrétiens comme le Pasteur d’hermas. Il tente également de confronter l’hypothèse midrashique aux Épîtres attribuées à Paul et de déterminer à quelles conditions une lecture midrashique de ce corpus est possible.

Cet essai propose une nouvelle série d’analyses de passages néo-testamentaires. L’analyse midrashique permet souvent de donner un sens nouveau et cohérent à des péricopes que l’on croyait pourtant bien connaître.

Enfin, cet essai aboutit à une réflexion sur le rôle de l’eschatologie dans le monde moderne et notamment sur le rôle de l’utopie et des résurgences millénaristes au vingtième siècle.

Comprendre les origines du Christianisme

Avant propos

Dans un essai fulgurant, l’Invention de Jésus, Bernard Dubourg avait avancé cette hypothèse fondamentale : les textes néo-testamentaires sont de nature midrashique.

Dubourg appuyait essentiellement son hypothèse sur le recours à l’hébreu sous-jacent au grec de ces textes.

Dans notre essai, Un Étranger sur le toit, nous tentions de vérifier l’intuition de Dubourg, en précisant d’abord la nature et le fonctionnement du midrash Juif, ses rapports avec l’eschatologie et la manière dont les grandes formations midrashiques sont produites.

En analysant les guérisons évangéliques nous pensons avoir montré que ces narrations prolongent ces formations midrashiques. Nous pensons en avoir dégagé la formule.

En effet, le thème de la guérison qui occupe presque tout l’espace du texte évangélique renvoie à un aspect peu connu de l’eschatologie juive, telle qu’elle est reprise par le christianisme naissant : la venue du messie sera marquée par la conversion générale des païens et par l’allégement de la Loi.

L’idolâtrie étant assimilée par le midrash à une maladie menant à la mort, il est naturel que le messie vienne guérir les païens et donc les ressusciter.

La langue de l’hébreu tardif vient conforter ces élaborations en leur apportant les effets de condensation et de surdétermination qui semblent être la condition pour qu’un texte puisse être qualifié de midrash.

La guérison (briOut) sonne comme bar (fils) et beria (création).

La formule des guérisons évangéliques réside donc dans la thématique de la conversion des païens et repose sur un code complexe que nous avons reconstitué comme étant un véritable lexique midrashique des Évangiles.

De nombreux lecteurs se sont étonnés de la place restreinte que nous accordions à l’analyse des péricopes évangéliques relatives à la Passion. Serait-ce parce que la mort du Christ ne concordait pas avec le cadre de l’hypothèse midrashique ? Il est vrai que le récit de la Passion ne semble pas être concerné par l’entrée des païens. Quelle est donc la clé du récit de la Passion ?

Le présent essai tente d’apporter une réponse à cette question.

Le thème de la conversion des païens à la fin des temps, n’est qu’un aspect de l’eschatologie juive.

Le but de cet essai est de montrer que c’est l’eschatologie juive dans son intégralité qui est reprise dans le Nouveau Testament.

L’eschatologie juive contient en effet de nombreux aspects, parfois déroutants et même largement contradictoires, qui forment néanmoins un système.

Voici, dans le désordre indescriptible dans lequel le midrash les présente, quelques-unes de ces idées :
  • Le messie a été conçu avant la création du monde, mais il est aussi né le jour de la
    destruction du Temple, ce qui ne semble pas poser de problème au midrash.
  • Le messie est assimilé à une partie de la lumière originelle. Cette lumière a été mise en réserve, cachée pour la fin des temps. Elle se manifestera de manière éclatante après la nuit de l’exil.
  • Le messie réparera le mal fait par l’homme, en restaurant ainsi la lumière originelle ternie par le péché d’Adam.
  • Le messie viendra au terme de sept “années”. Il viendra dans une société soit totalement coupable soit totalement innocente. Sa venue est accompagnée de souffrances. Elle apportera la paix universelle. Elle sera précédée par la fin de l’exil et le rassemblement des exilés, et marquera la fin de la domination des Empires.
  • Le messie est à la fois méprisé et humble, et en même temps glorieux et royal. Il provient
    d’Ephraïm (de Joseph) et pourtant il est le fils de David. Il est d’ailleurs double. Il accepte de mourir pour sauver ceux qui s’opposeront à lui. Ainsi le messie de Joseph sera à la fois vainqueur et victime.
  • La venue du messie sera marquée par un allégement de la Loi. Le messie emplira le monde de Tora et apportera une loi aux païens. À sa venue l’idolâtrie disparaîtra, Satan sera vaincu, les morts ressusciteront.

Il est clair que le système eschatologique du Judaïsme, ignore la contradiction. Il peut juxtaposer des élaborations qui semblent en apparence contradictoires. Ainsi de la puissance et de la faiblesse du messie, des conditions de sa venue, de la joie dans la souffrance, etc. Ce système est repris en bloc dans le Christianisme, avec toutes ses contradictions.

En soutenant l’idée que les guérisons forment le noyau des Évangiles et que les récits de la naissance et de la Passion sont secondaires, nous voulions mettre l’accent sur cette idée simple : l’idée de la mort du messie n’est pas dans l’eschatologie juive un thème central, mais un élément parmi d’autres, dont la signification reste d’ailleurs à interroger.


Le but de cet ouvrage est de mettre l’accent sur de nouveaux aspects de l’eschatologie juive passés massivement dans le corpus chrétien. En effet, la conversion/guérison des païens et l’allégement de la loi ne sont pas les seuls emprunts néo-testamentaires à l’eschatologie juive.

Nous mettrons ici en lumière d’autres aspects de cette eschatologie comme par exemple le thème de la fin de la colère ou celui du renouvellement de l’Alliance, ou encore le moment de la venue du messie et ses caractéristiques.

Qu’est-ce que le midrash ? Nous utilisons dans nos analyses le terme de midrash, sans le définir.

Rappelons pour ceux qui ne connaissent pas bien ce terme, la signification de ce mot.

Dans une première approche : le midrash est la partie non juridique de la littérature juive classique. La définition classique du midrash fondée sur la racine drash = rechercher, fouiller ne parvient pas à rendre compte de la complexité de ce genre littéraire.

Le midrash est souvent présenté comme un commentaire du texte biblique, et de fait il se présente le plus souvent comme un commentaire suivi, verset par verset, du texte biblique. Mais comme ce commentaire parle de choses extrêmement diverses qui n’ont pas de rapport évident avec le verset-cible, le terme commentaire semble un peu décevant.

Ce n’est pas non plus ce qu’on appelle de l’exégèse, ni une explication de texte.

Le midrash est un genre littéraire qui ne ressemble à aucun autre. Faute de mieux il faut le définir, selon David Banon, comme la catégorie juive de l’interprétation.

Voici quelques traits parmi les plus saillants de ce genre littéraire :

• son apparence disparate : les thèmes se suivent dans un désordre étonnant (en apparence) : des récits de la vie quotidienne, des enseignements, des fables, des débats, des procès, des dialogues entre Dieu et Israël, etc.

• L’absence de considération pour l’histoire. Les événements rapportés par le midrash se produisent dans un lieu et dans un temps indéterminés (à la manière du clinamen chez Lucrèce : nec tempore certo nec loci certa).

• le goût pour les jeux de mots et de langage, de jeux avec le sens, la gématrie.

• Le midrash est parfois difficile à traduire. Sa langue n’a pas la transparence de l’hébreu biblique. Elle mêle l’hébreu tardif à plusieurs niveaux d’araméen.

• La préférence pour la double entente et la figurabilité. En Dt Rabba, pour dire qu’un homme de valeur aurait mérité d’être circoncis avant de mourir, le locuteur s’exprime ainsi: Haval la-sefina she-halkha-la ve-lo natena ha- mekhes, dommage que le navire s’en soit allé et n’ait pas acquitté la douane. Il faut comprendre que la circoncision est assimilée à un prélèvement.

• Le midrash est un espace de liberté dans le Judaïsme : liberté par rapport à la lettre, et donc par rapport à la sacralité du texte. Liberté aussi par rapport à l’histoire : certains passages nient l’existence de personnages dont l’Écriture affirme l’existence : Job ou la reine de Saba

• L’ouverture : les débats ne sont pas refermés par l’imposition définitive d’un sens, les davar aHer additionnent les points de vue.

• Le midrash se caractérise par l’usage de la condensation ou de la surdétermination. Nous revenons plus avant sur ce point.

• L’accomplissement : Le midrash aime à recourir à une opération étrange qui consiste à accomplir le texte biblique (le-qayem ma sheneemar). Il peut donc inventer des narrations simplement pour justifier un verset de la Bible.

• Le contenu du midrash. Le midrash met en débat tout ce qui concerne le destin d’Israël: le sens de l’exil, celui de la loi, etc. Mais le contenu principal du midrash est l’eschatologie.
Tout ce que nous savons de l’eschatologie juive nous vient du midrash et des passages midrashiques du Talmud. Ainsi de l’agent principal de l’eschatologie : le messie.

Le midrash est le lieu essentiel des élaborations messianiques. Deux thèmes rattachés au thème du messie sont moins connus :

– Le débat sur l’allégement de la loi à la fin des temps.

Le midrash nous a conservé les traces d’un débat assez audacieux entre deux écoles : ceux qui pensent que la Loi est immuable au point que même un prophète ne peut y changer quoi que ce soit (ou même le messie : Gn Rabba 98 : Israël n’a pas besoin de l’enseignement du Roi messie, mais il viendra seulement pour rassembler les exilés et donner aux païens trente commandements).

Et ceux qui soutiennent qu’à l’époque messianique les sacrifices et même les fêtes seront abolis (sauf purim).

– Celui de la conversion des païens à la fin des temps, et du don de la loi aux païens.

• Retour au numérique. Le lecteur qui aura lu attentivement notre précédent essai, Un Étranger sur le toit, aura sans doute noté que nous prenions peu appui sur les procédés midrashiques fondés sur le rapprochement des termes ayant même valeur numérique. En effet, le midrash ne fonde jamais ses élaborations sur la seule coïncidence numérique (procédé appelé gématria en hébreu, que l’on rend, faute de mieux, par gématrie, terme auquel nous préférons le mot valence).

Le midrash n’utilise ce procédé que pour confirmer un rapprochement déjà élaboré. Il constitue un lien invisible, une sorte de filigrane. Nous verrons plus loin que ces jeux de chiffres sont fréquents dans les textes chrétiens. Il nous faut donc en expliquer le procédé.

Le midrash, nous le savons, a besoin de surdétermination ou si l’on préfère, de condensation. Une élaboration devient une formation midrashique lorsqu’elle peut faire l’objet de condensation. La condensation permet de traiter simultanément de plusieurs sujets liés entre eux, mais sans que l’ensemble de ces sujets soient nécessairement présents à la conscience au même moment. Ceci permet aux effets de sens de survenir par étapes.

Les effets de sens du midrash sont des effets-retard et se déclenchent au hasard d’une lecture ou d’une association d’idées, en fonction de connexions de sens ultérieurs.

De ce fait, un apologue midrashique obéit à un principe d’économie efficace. En quelques mots, il peut renvoyer à trois ou quatre significations très différentes.

Le midrash chrétien reprend à son compte ces procédés. Nous pensons en avoir donné un bon exemple avec le récit de la guérison de la belle-mère de Pierre.

Ce passage renvoie en effet à plusieurs miracles de Josué.

Car le fait que la belle-mère se lève (she-ta’amod ha-Hama) est une condensation de plusieurs idées : la narration manifeste, l’arrêt du soleil en Gabaôn et surtout l’annonce de l’arrêt de la colère divine (Hema).

L’effet-retard apporte également une plus-value en terme de sens.

C’est parfois seulement en retombant sur le thème de la colère (Hema) dans l’eschatologie, que le passage de la belle-mère (Hama) reviendra à l’esprit. Et qu’un autre sens de ce miracle apparaît : le messie vient maintenant faire en sorte que la colère s’arrête (she-ta’amod ha- Hema).


C’est ce phénomène qui donne aux élaborations midrashiques un sens de la profondeur peu ordinaire.

Voici ce que dit Freud à propos de la condensation dans le rêve.

Les effets de la condensation peuvent être tout à fait extraordinaires. Elle rend à l’occasion possible de réunir dans un rêve manifeste deux séries d’idées latentes tout à fait différentes, de sorte qu’on peut obtenir une interprétation tout à fait satisfaisante d’un rêve sans s’apercevoir de la possibilité d’une interprétation au deuxième degré. (Introduction à la Psychanalyse. Payot p. 158)

Autrement dit, il est possible d’avoir le sentiment d’avoir complètement interprété un rêve et de s’apercevoir, bien plus tard, que ce rêve avait aussi une tout autre signification. Mais, comme rien ne garantit que cette autre signification sera la dernière, le rêve apparaît comme le réservoir d’une infinité potentielle de sens.

C’est précisément ce que le midrash voit dans les Écritures. Par la condensation, il crée des formations midrashiques justiciables d’une lecture potentiellement infinie.

Une première forme, élémentaire, de condensation résulte d’une propriété étonnante de l’hébreu, et plus précisément de son vav conversif ou renversant (hipukh) : la plupart des prophéties peuvent être lues au passé ou au futur, comme accomplies ou inaccomplies.

ve-haya ba-yom ha-hu veshabarti et qeshet yisrael (Os 1,5) Il adviendra, en ce jour-là, que je briserai l’arc d’Israël ou en ce jour j’ai brisé l’arc d’Israël.


La gématria n’est qu’une des autres dimensions de la condensation.

De même que le midrash rapproche des mots de même sonorité ou des mots faisant anagramme entre eux, il rapproche des mots ayant la même valeur numérique, ce que nous appelons valence pour éviter toute assimilation avec les codes secrets de la Bible, Da Vinci choses et autres coderies.

Ainsi le fait que le mot mashiaH (messie) ait une valence de 52 lui vaut d’être mis en rapport avec les mots de même valence comme eliyahu (Élie) ; yoHanan (Jean) ; netser (surgeon, garder) ; ben (fils) ashre (heureux, marchant) ; shalom (paix) ; shequel (sicle) la fraction du pain (paras) etc.

C’est ce qui explique, notamment, que Matthieu commence son texte par sefer (livre), que le mont où Jésus est livré n’est pas n’importe quel mont, mais le mont des oliviers (zeytim), que Jésus reçoive des coups (makot) etc.

On est donc assez loin de la linguistique de Saussure fondée sur l’arbitraire du signe.


Il existe deux types de gématria : une simple, chaque lettre ayant pour valeur son rang dans l’alphabet hébraïque (Gr) et une autre dite classique (Gc) où, à partir de la dixième lettre, chaque lettre exprime une dizaine (caf = 20, lamed = 30 etc.).


Or, les rapprochements de mots peuvent se faire indépendamment du type de gématria. Celle-ci travaille même sur la valeur réduite : une valence de 71 a une valeur réduite de 8 (7+1 = 8)

Curieusement, la valeur réduite des valences est la même dans les deux types de comput.

Par exemple : migdal (la tour) vaut 32 en Gr et 77 en Gc. Mais sa valeur réduite est toujours de 5 (3+2 = 5 et 7+7 = 14 or 1+4 = 5). Cette valeur réduite classe donc elle-même tous les mots possibles de l’hébreu en 9 classes, les mots d’une même classe pouvant être rapprochés entre eux.

Enfin, il est probable que d’autres propriétés remarquables de la gématria aient été observées et utilisées. C’est le cas de la technique de l’élévation des lettres au carré, dont nous verrons plus loin quelques exemples.

C’est aussi le cas des termes dont la Gr et la Gc sont identiques, ou en miroir (32 et 23 par exemple). Ce procédé explique que certains termes semblent s’appeler les uns les autres. Un terme tel que reshit (origine) valant 74, on fera intervenir un mot de même valence pour signifier qu’il existait dès l’origine. C’est le cas de ‘d (témoin). De même la chair et l’esprit (34, 43) s’opposent du fait de leur valence en miroir et font partie de la classe 7, ce qui les rapproche de la classe du messie (52).

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