Diaspora juive

L’expulsion des Juifs d’Angleterre

Le 9 Av 5050 (1290)

À Tichea beAv, en l’an 5050 (1290), le roi Édouard Ier promulgua l’édit ordonnant l’expulsion d’Angleterre de tous les Juifs qui y vivaient.

Comme toutes les expulsions, celle-ci fut une terrible calamité, et elle marque non seulement une période tragique dans l’histoire juive, mais aussi une période de honte dans l’histoire du monde, en raison des souffrances inhumaines qu’infligèrent aux Israélites les non-juifs.

Résumons l’histoire de la communauté juive d’Angleterre depuis ses débuts jusqu’à l’événement tragique que fut cette expulsion.

On ne sait avec précision quand les premiers Juifs s’établirent dans ce pays. On croit toutefois qu’ils y arrivèrent avec les légions romaines qui l’occupèrent à l’époque de la destruction du second Beth Hamikdache (en l’an 3828, soit en 68 de l’ère chrétienne).

C’était environ dix siècles avant que Guillaume le Conquérant conquît le pays en 1066 (bataille de Hastings), et y fondât la monarchie anglaise. Les premiers documents historiques relatifs aux Juifs datent de cette époque.

L’ordre féodal

Guillaume le Conquérant partagea le pays entre les nobles normands et y instaura un système de gouvernement semblable à celui existant déjà en Europe. C’était ce qu’on appelle « l’ordre féodal ». Chaque noble était le maître d’une seigneurie, les gens du peuple étant ses serfs. Une hiérarchie existait entre les différents seigneurs, les plus petits étant les vassaux des plus grands.

Guillaume le Conquérant

Au sommet de cette pyramide se trouvait le roi. Ainsi des classes différentes existaient-elles : les serfs qui travaillaient la terre à laquelle ils étaient attachés, esclaves en quelque sorte de leurs seigneurs ; la noblesse terrienne ; les soldats et les chevaliers. Dans les villes vivaient les artisans, les marchands et les hauts fonctionnaires du gouvernement.

Un tel système faisait une large place aux Juifs.

La plupart d’entre eux étaient des citadins et se livraient au négoce. Ils jouèrent un rôle très important dans le développement du commerce et de l’industrie. Grâce à eux les échanges commerciaux de ville à ville et de pays à pays connurent un grand essor.

Dans les transactions internationales, ils avaient sur les autres de grands avantages : la langue commune (l’hébreu et le Yiddish), et la confiance dont ils jouissaient de la part de leurs coreligionnaires de l’étranger.

Une loi commune réglait leurs éventuels différends : celle de la Torah, égale sous toutes les latitudes. Tout cela facilitait grandement les rapports entre les Juifs, et fut d’un grand profit pour le pays où ils vivaient. Rois et gouvernants, conscients des avantages que leur valait la présence des Juifs parmi eux, accordaient à ces derniers leur protection, et souvent des privilèges dont la contrepartie était des impôts substantiels dont profitait le trésor. Comme partout ailleurs à cette époque, le roi considérait les Juifs comme sa propriété, sa chose.

Prêteurs juifs et non-juifs

Quand Guillaume le Conquérant n’était encore que Duc de Normandie, il avait eu l’occasion de connaître les Juifs ; il se rendait compte de leur importance dans l’économie du pays. Il les avait vus à l’œuvre et les savait travailleurs, probes et capables. Quand il devint roi d’Angleterre, il leur accorda sa protection et certains privilèges. Il comptait surtout sur eux comme source importante de revenus pour la couronne.

À cette époque, la banque et la finance étaient le monopole presque exclusif des Juifs.

L’Église interdisait aux prêteurs chrétiens de toucher des intérêts de leurs coreligionnaires; ils ne pouvaient en réclamer qu’aux Juifs. La même interdiction existe dans la Torah concernant les prêts entre Juifs ; ceux avec intérêts y étant autorisés si l’emprunteur est un non-juif. Il en résultait que ce dernier, quand il avait besoin de l’argent, ne pouvait en trouver qu’auprès d’un prêteur juif.

D’autre part, en raison du fait que celui-ci devait verser au roi, sous forme d’impôts de toutes sortes, la plus grande partie de ses gains, et aussi parce que le remboursement de la dette n’était jamais assuré, les intérêts des sommes prêtées étaient assez élevés. Pas aussi élevés, toutefois, que ceux qu’exigeait un prêteur non-juif, bien que le recouvrement des prêts ne fût pas aussi aléatoire.

La position des Juifs au sein du système féodal, ne fut pas cependant particulièrement sûre.

D’une part, ils étaient considérés comme la propriété du roi, et si ce dernier les protégeait c’était parce qu’il y allait de son intérêt. D’autre part, ils avaient à payer pour cette protection et les privilèges éventuels un prix fort élevé. Ils étaient à la merci d’un caprice du souverain qui se servait d’eux pour éponger la plus grande part des revenus de ses sujets. Agents du roi pour cette besogne ingrate qu’il se gardait de faire lui-même, rien d’étonnant que les Juifs fussent l’objet de l’animosité générale. Les non-juifs les considéraient comme des étrangers, voire des ennemis ; et le roi n’était pas toujours assez puissant pour empêcher que cette hostilité dégénérât en actes de violence.

Le Premier Libellé de Sang

Telles furent les conditions, pas trop mauvaises au demeurant, dans lesquelles vécurent les Juifs d’Angleterre pendant un siècle environ, sous les règnes de Guillaume et de ses successeurs. Même à l’époque des deux premières croisades (1096 et 1146), alors que presque partout en Europe, les Croisés faisaient couler à flots le sang juif, les Juifs d’Angleterre furent protégés par les rois de ce pays. Cela n’empêchait pas, certes, que la haine de non-juifs y fût grande.

Notons que l’Angleterre eut le « privilège » d’être le lieu où fut lancée la première accusation de meurtre rituel.

C’était en 1144 dans la ville de Norwich. Les Juifs y furent accusés d’avoir égorgé un garçon chrétien à des fins religieuses. Le roi eut le mérite de ne pas ajouter foi à une accusation si ridicule. La populace haineuse et fanatisée n’en attaqua pas moins les Juifs. Un certain nombre d’entre eux furent assassinés, et leurs biens pillés et dévastés. Heureusement, les violences se limitèrent à cette ville ; elles auraient pu s’étendre à tout le pays, car des moines exaltés faisaient tout pour exploiter les sentiments hostiles aux Juifs. Néanmoins, il y eut des explosions antisémites sporadiques ailleurs qu’à Norwich, à Gloucester, par exemple, en 1166, à Londres en 1244 et à Lincoln en 1255.

Communautés bien organisées

Sous le règne de Henri II, il y avait des communautés juives dans la plupart des grandes villes anglaises.

En 1171, le roi autorisa aux Juifs à avoir plusieurs cimetières ; jusqu’alors, le seul qu’ils possédaient était le cimetière juif de Londres. Pour ce privilège, ainsi que pour d’autres privilèges religieux (tels que ceux relatifs aux mariages, aux divorces, etc.) ils eurent à payer des impôts spéciaux.


Les guerres fréquentes qu’engageaient les rois d’Angleterre les rendirent de plus en plus exigeants financièrement à l’égard des Juifs. L’argent nécessaire pour faire face à cette demande croissante, ces derniers ne pouvaient l’obtenir qu’en réclamant un prix plus élevé pour les services qu’ils rendaient à leurs concitoyens. Et plus ce prix montait, plus grandissait l’hostilité à leur égard.

Malgré les hauts et les bas, les Juifs ne négligèrent pas leur vie spirituelle.

Les communautés étaient bien organisées, pourvues de Synagogues, de yéchivoth, de Talmud Torah et d’autres institutions religieuses et sociales.


De temps à autre, les chefs religieux juifs d’Angleterre se tournaient vers les érudits en Torah de France, les illustres Tossafistes, en quête de conseils pour résoudre les problèmes toraniques qui surgissaient.

Occasionnellement, d’éminents érudits ou des délégués de yéchivoth (mechoula’him) rendaient visite aux communautés juives d’Angleterre. On leur réservait un accueil chaleureux, et l’appui généreux de leurs frères leur était assuré.

Des érudits célèbres

L’une des visites les plus remarquables fut celle du célèbre Rabbi Abraham ibn Ezra, qui se rendit en Angleterre en 1159. C’est là qu’il écrivit son ouvrage fort connu de philosophie juive Yessod Mora ainsi que son « Épître sur le Chabbat ».

Plus tard, deux éminents Tossafistes s’établirent dans le pays : Rabbi Jacob d’Orléans et Rabbi Yom-Tov ben Yitz’hak, tous deux disciples du grand Rabbénou Tam, petit-fils du célèbre Rachi. L’un et l’autre moururent al kiddouche haChem. Rabbi Jacob fut assassiné au cours d’une émeute antisémite à Londres lors du couronnement de Richard Cœur de Lion (1189) ; et Rabbi Yom-Tov périt non moins tragiquement parmi les martyrs de York, l’année suivante.

Richard Cœur de Lion ayant pris une part importante dans l’organisation de la troisième Croisade, la situation des Juifs d’Angleterre commença à se détériorer.

Quand ce roi, captif, fut gardé comme otage en Autriche, les Juifs durent, pour payer leur part de rançon, réunir une somme d’argent considérable, égale à trois fois celle versée par toute la population londonienne.


Sous le règne de Jean, frère de Richard, la situation des Juifs devint encore pire, et ne cessa de se dégrader sous Henri III qui lui succéda. Le roi et son administration exploitèrent la conjoncture pour soutirer ce qu’ils pouvaient aux Juifs sans défense.

Quand Édouard Ier monta sur le trône en 1272, la situation de ces derniers dans le pays était déplorable ; même on ne pouvait en imaginer de pire. Aux accusations mensongères devenues courantes, on en ajouta une, aussi fantaisiste : les Juifs rognaient maintenant les pièces d’or et d’argent, ou en fabriquaient de fausses.

Les conditions aussi défavorables ne pouvaient que nuire à la situation économique de ceux-ci. Ils ne faisaient que s’appauvrir. Constatant qu’à force d’exigences, il avait tué la poule aux œufs d’or, Édouard Ier eut une idée, la dernière dont il pût attendre quelque chose : confisquer le peu qui restait aux Juifs et les chasser du royaume.

À Tichea beAv de l’an 5050 (1290), comme nous l’avons dit, parut l’édit leur ordonnant de quitter le pays dans un délai de cent jours.

Seuls ceux qui accepteraient d’abjurer leur foi et de se convertir au christianisme seraient autorisés à y rester.


Il y eut quelques faibles qui profitèrent de la chance qui leur était offerte, mais ils furent très peu nombreux. Tous les autres, quelque 16.000 hommes, femmes et enfants, n’emportant avec eux que leurs rouleaux sacrés et les objets de culte, partirent à pied en direction de la côte.


Un certain nombre de réfugiés s’établirent en France. Mais seize années plus tard (en l’an 5066, soit en 1306), ils en furent impitoyablement chassés.

Pendant les 360 ans qui suivirent l’expulsion d’Angleterre, il n’y eut pas un seul Juif installé dans le pays.

De temps en temps, un Juif de l’étranger était autorisé à y entrer pour un bref séjour.

Ce ne fut qu’à l’époque du grand érudit et homme d’État Ménaché ben Israël, alors qu’Oliver Cromwell, l’homme fort de cette période, était à la tête du Commonwealth (qui englobait l’Écosse et l’Irlande), que les Juifs reçurent l’autorisation de revenir s’établir en Angleterre.  C’était en l’an 5416 (1656).

Il y a trente-sept ans, en 1956, les Juifs anglais célébrèrent le 300e anniversaire de cet événement. Durant ces trois siècles, la communauté juive des îles Britanniques n’a cessé de se développer, aussi bien matériellement que spirituellement.

NISSAN MINDEL


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