Diaspora juive

Les juifs de Nice

Si le comté de Nice fut rattaché à la France en 1860, les premières références de la présence juive en Provence remontent au 3ème siècle de l’ère commune. Voila de quoi faire taire ceux qui prétendraient que les juifs ne sont pas français, dans cette région, comme dans d’autres…!

On retrouve en effet des traces d’une vie juive dans le Cimellium romain, autrement dit l’actuel quartier résidentiel de Cimiez, sur les hauteurs de la ville.

Puis, au vent fréquemment mauvais des événements, Inquisition, poursuites, massacres, et j’en passe, arrivent dans la région des populations juives qui, après avoir soufflé un peu, s’établissent et recommencent à vivre, souvent pour le plus grand bien de la cité.

N’oublions pas que quel que soit le ciel qui abrite les juifs, la règle talmudique est précise et immuable : « Dina de mal’houta dina », la loi du royaume est la loi. Les juifs doivent, tant qu’elles ne les mettent pas en porte-à-faux avec la Torah, respecter les lois du pays qui les reçoit, puis voit leurs enfants naître en son sein.

C’est pourquoi à Nice comme ailleurs, les juifs respectent les règles, les font respecter selon la profession qu’ils choisissent, et participent avec enthousiasme au développement de la ville.

Vestiges des thermes romains de Cimiez.

Dès 1408, existent à Nice une synagogue et un cimetière, lieux essentiels à toute vie communautaire installée.

Après la Dédition de Nice, la communauté est tout de même soumise à des règles plus contraignantes. A partir de 1430, les changements vont commencer …

Les juifs à Nice avant le rattachement à la France

Plan de la ville de Nice en 1624, écrit en italien langue officielle de la ville jusqu’en 1860.

Qu’y a-t-il de particulier pour qu’on se penche distinctement sur l’histoire des Juifs à Nice? En quoi Nice serait-elle différente d’autres villes de France comptant une présence juive plus importante numériquement et beaucoup plus ancienne?

Il y a deux raisons à cette distinction. La position de la ville au carrefour d’influences extérieures; outre celle de sa proximité à la France, les Italiens et les Espagnols y ont laissé des traces notables. La seconde raison est – depuis son rattachement à la Savoie – la vocation à une ouverture – encore rare à l’époque – au monde extérieur, favorisant les échanges commerciaux, sociaux et culturels, dont les Juifs en particulier ont tant bénéficié dans une atmosphère de large tolérance, alors que leurs coreligionnaires ailleurs en Europe connaissaient en même temps des persécutions, des pillages, des massacres et des expulsions.

Fondée aux environs de 350 AEC par les Grecs phocéens de Marseille, Nice ( du Grec Nike = paix) est tombée avec sa région, après la chute de l’Empire Romain, sous la domination de princes barbares – Ostrogoths, Bourgonds, Lombards, et Wisigoths- jusqu’à l’avènement de l’Empire Carolingien.

Le règne de Charlemagne marque un tournant décisif sur l’Occident, par le regroupement d’ethnies cohérentes, bien que perturbées par les séquelles successives du féodalisme. C’est ainsi que Nice, qui fait longtemps partie de la Provence, se trouve tour à tour sous l’hégémonie du Royaume d’Arles, de princes espagnols et français.

En 1246, Nice tombe, avec toute la Provence, sous la souveraineté de Charles d’Anjou, frère du roi Louis IX, et roi des Deux-Siciles. Cependant son éloignement de Palerme – la capitale, – et les rivalités locales entre les Lascaris, les Grimaldi et les Doria, amènent la ville en 1388 à solliciter la protection de la maison de Savoie, qui la rattache au Piémont avec Turin comme Capitale.

A quand remonte la présence juive à Nice ? Des vagues citations à partir du 3ème siècle n’ont pas de consistance historique. Vers 1180, suite à la première grande expulsion de France par Philippe-Auguste, des Juifs émigraient en grand nombre vers le Nord de l’Italie, surtout au Piémont, où la maison de Savoie leur donnait refuge avec bienveillance. De là ils essaimaient allant parfois jusqu’à Nice, encore sous les comtes de Provence; nous en trouvons la première trace dans les statuts de la ville qui imposent aux Juifs le port d’une étoile jaune d’identification.

D’après l’historien niçois comte de Caïs de Pierlas (d’origine espagnole peut-être marrane-, dont une rue porte encore son nom), ils étaient déjà assez nombreux au milieu du 14ème siècle, puisqu’il relate les faits suivants :

  • – En 1357, un acte notarial cite les familles de Foresta et Barla, toutes deux d’origine juive.
  • – En 1397, peu après le rattachement à la Savoie, un certain Rostang Blanqui est chargé par Mathieu Busquette – contre récompense – de dévaliser la boutique d’un concurrent juif et, au besoin, de le tuer. Traduit devant le tribunal, Blanqui se défend parce qu’il comptait que Dieu lui pardonnerait, s’agissant d’un « mécréant ».
  • – En 1405, Ansaldo Pellegrini, trésorier de la ville, paie au joaillier juif Bonnion 2.125 florins pour des bijoux fournis à la comtesse Bonne de Savoie.
  • – L’année 1406 marque la création juridique d’une communauté juive, puisque Giacomo Agnini en est nommé le bailli (baylonus).
  • – En 1408, les Juifs obtiennent un terrain près du port Lympia, pour en faire leur cimetière, contre un loyer annuel de 12 sous et 6 deniers.
  • – En 1428, ils ont une synagogue, puisque les annales de la ville citent des jeunes filles juives, condamnées à l’amende, pour s’y être battues à coups de poings.
  • – En 1431, à titre de taxe de protection, la communauté paie à la ville une redevance annuelle d’un marc d’argent.

La première législation sur les Juifs est un édit du duc Amédée VIII datant du 17 juin 1430, qui établit les normes de leur séjour et de leurs activités à Nice.

Bien qu’il y soit prescrit – entre autres – que les Juifs doivent être – suivant directive du pape – confinés dans un quartier spécial nommé « judaÿsium », ils continuent à vivre en toute liberté, mêlés à toute la population, grâce à l’esprit de large tolérance des administrateurs de la ville.

Ce n’est qu’en 1448 que sur plainte de l’évêque de Nice, le duc Ludovic écrit aux syndics de la ville leur enjoignant de parquer les Juifs dans une rue délimitée, où ils devront s’enfermer du soir au matin. Il ajoute que la ségrégation s’impose pour éviter que les chrétiens soient contaminés par l’influence de « cette race réprouvée », et surtout que les Juifs aient des rapports charnels avec des femmes chrétiennes.

Paradoxalement, en cette même année, la ville montre qu’elle ne partage pas le vues de son prince, et encore moins celles du pape. Par ordonnance ducale, elle fait accorder au juif Bonnefoy de Savigliano (près de Turin), le droit exclusif de tenir à Nice une banque pour opération de crédit, prêts à gage et commerce d’or et de monnaies.

Pourquoi cette faveur? Simplement pour faire face au mécontentement de la population devant les abus des casaniers chrétiens, qui exploitent leurs débiteurs par les charges usuraires. Le concessionnaire doit prêter à la ville à un taux ne dépassant pas 10% et aux particuliers 20%, alors que les chrétiens allaient jusqu’à 50%.

L’établissement du juif Bonnefoy comme banque officielle répond d’ailleurs à une réelle nécessité économique.

Outre les problèmes locaux de financement d’activités saisonnières d’agriculture et d’élevage, Nice connaît, grâce aux entreprises juives, un essor considérable en commerce international, surtout avec l’Espagne, l’Italie et l’Afrique du Nord. Cette situation donne à Nice une réputation de terre d’accueil, surtout parmi les communautés juives d’autres pays chrétiens où règne un antisémitisme exacerbé.

Ainsi, dès le début du 16ème siècle, on assiste à un courant migratoire en provenance d’autres pays.


En 1503, un groupe de Juifs doit quitter Rhodes, occupée par les Chevaliers de Malte, parce que accusés d’avoir espionné en faveur des forces navales turques qui avaient assiégé l’île. Le grand-maître Pierre d’Aubusson – antisémite fielleux -, après avoir séquestré et baptisé leurs enfants, leur avait laissé le choix entre la conversion et l’exil, ils trouvent refuge à Nice.

Peu après, des marranes, échappant aux persécutions en Espagne et au Portugal, demandent au duc de Savoie la permission de s’établir à Nice, ce qui leur est accordé sans restrictions.

Devant l’accroissement de la communauté, les Juifs obtiennent en 1560 l’accord du prince de se constituer en corporation indépendante de Turin.

L’essor économique que connaît Nice amène les princes régnants à visiter la ville de plus en plus fréquemment. Constamment engagés dans le commerce extérieur, les Juifs se trouvent exposés aux curiosités des services douaniers et fiscaux; ils deviennent ainsi la cible de contrôles et tracasseries.

A chaque visite, le duc reçoit une délégation de notables Juifs, qui commence par lui présenter les hommages de la communauté et un don important en argent.

Le 3 avril 1594, lorsque la duchesse-régente Maria-Catalina arrive dans la ville, un grand nombre de dossiers de négociants juifs sont en cours d’examen chez le contrôleur du fisc Bonfiglio. Bien que les intéressés soient, sauf rares exceptions, en mesure de prouver leur bonne foi, ils préfèrent écarter le zèle des fonctionnaires. La délégation, reçue par la souveraine, lui présente un don de mille ducatons en or, accompagné d’une pétition la suppliant d’accepter l’hommage et le dévouement de la communauté, de relever de toute punition que ceux de ses membres pourraient encourir, en leur accordant une amnistie totale; de les dispenser de toute procédure onéreuse quelconque. Avec magnanimité, la pétition est accueillie favorablement et les dossiers sont classés à la barbe de l’avocat fiscal.

Lorsque, vingt ans après, c’est le tour de Charles-Emmanuel 1er de visiter Nice, on assiste au même scénario, mais cette fois-ci la démarche relève d’une motivation particulière. Les bruits ont couru que, suite aux instances des notables juifs de Turin, le souverain serait enclin de rattacher à ceux-ci la communauté de Nice. Ainsi, en recevant la délégation, et acceptant les deux mille ducatons qui lui sont offerts, le duc accorde toutes les faveurs demandées, mais reste réservé quant au rattachement.

Les craintes des Niçois se confirment quatre ans après par un édit ducal du 20 mai 1618, imposant le rattachement, tout en maintenant les privilèges, immunités et autres concessions déjà acquises.

La pilule est très dure à avaler, car cela implique l’obligation pour les Niçois, chacun distinctement, de présenter périodiquement à la communauté turinoise des comptes de leurs entreprises, et se soumettre aux impositions fixées suivant leur jugement inapellable. Sans réagir immédiatement, mais déterminés à ne pas subir cette soumission, les Niçois attendent le moment propice pour forcer son abrogation.

Ils en ont l’occasion lors d’une nouvelle visite de Charles-Emmanuel le 10 novembre 1622. Cette fois-ci, ils n’y vont pas par quatre chemins. Tout en lui offrant une grosse somme d’argent et s’engageant à verser au trésor ducal une contribution annuelle de deux cents écus en or, ils lui présentent une pétition demandant la révocation de l’édit de 1618, faute de quoi ils se verraient forcés d’aller s’établir à Gènes, ville et port qui traversait un essor très brillant.

Devant cette menace à peine déguisée, le duc, conscient des mérites des Juifs dans la prospérité de Nice, n’hésite plus et, d’un trait de plume, abroge sa décision de quatre ans avant, au grand dam de leurs frères turinois.

A partir de ce moment, et pendant longtemps, les Juifs de Nice ne furent plus inquiétés et purent jouir en paix de leurs richesses, de leurs négoces et de leurs privilèges. A ce moment la ville comptait huit banquiers juifs, dont on a retenu quelques noms: Valabrègue, Ascoli, Lisbonne, Lunel, Belanda, Colon.

Stimulé par cette prospérité, le duc veut en accroître les sources et les moyens.

Le 23 septembre 1648 est une date faste aussi bien pour la ville que pour la communauté juive. Sur proposition du sénateur Philippe Achiardi, le duc Charles-Emmanuel II décrète l’établissement d’un port franc à Villefranche (d’où l’origine du nom), pour permettre aux nombreux marchands juifs qui en font la demande: hollandais, allemands, portugais, espagnols de s’y installer pour pratiquer librement l’importation et l’exportation de toutes marchandises, en perspective des avantages qui en résulteront en faveur de tous ses sujets, du trésor public et de la prospérité de tout le Piémont.

Seul point noir: l’édit prévoit une éventualité d’abrogation des patentes, en cas de remontrances du pape.

Le duc est bien conscient de ce risque par les nombreuses objections de l’épiscopat local, farouchement antisémite. Dès la création du port franc, les prélats font pression sur le Sénat de Nice pour qu’il obtienne du duc une réduction des prvilèges, mais ce dernier fait la sourde oreille à toutes protestations.

En 1669, plusieurs juifs d’Oran en Algérie débarquent à Villefranche et demandent de s’y installer. Leur pétition est accueillie favorablement et ils obtiennent aussi tous les privilèges consentis aux immigrants précédents, sous un statut de communauté autonome avec leur propre rabbin Abraham Cansin.

A la fin du 17e siècle, il y a à Nice et à Villefranche trois catégories de juifs:

– Les Niçois de souche, nés à Nice ou ailleurs dans le Piémont.

– Les Portugais, Espagnols, Hollandais, etc. installés depuis la création du port franc.

– Les Juifs oranais accueillis en 1669.

Bien que différenciés par des coutumes et traditions spécifiques, ils vivent tous en parfaite harmonie, liés entre eux par la communion de la pratique religieuse, des œuvres sociales et de bienfaisance.

Cela n’empêche que, pour les chrétiens, ils sont tous considérés comme un ensemble homogène contre lequel subsistent des préjugés maintenus en éveil par le clergé catholique, surtout par des sermons à l’église. L’ardeur antisémite n’est freinée que par l’attitude de la famille régnante, qui guide celle de l’administration.

Il s’avère, cependant, que l’Eglise a le bras long et qu’elle peut frapper les Juifs quand bon lui semble.

Tenu constamment informé par le clergé local de l’influence grandissante des Juifs dans la région, le pape Clément XI, par une note sévère, rappelle au souverain les principes devant régir la vie des Juifs, et lui reproche les libéralités qu’il consent.

Sous menace de sanctions, il exige le rétablissement du ghetto, le port de l’étoile jaune et l’isolement total des Juifs.

Forcé d’obtempérer, Victor-Amédée II, devenu entre-temps roi de Sardaigne, remet en vigueur les dispositions de l’édit de 1430 sur les Juifs, tombées depuis longtemps en désuétude.

A Nice les autorités sont mises en demeure de désigner une rue pour y parquer les Juifs. L’ancienne rue Giudaria est choisie, mais la ville fait longtemps la sourde oreille pour appliquer le nouvel édit.

Ce n’est qu’en 1732 que, rappelée sévèrement à l’ordre par Turin, elle intime à tous les Juifs de la réintégrer; Cette rue de la vieille ville, nommée plus tard la rue du Statut, s’appelle actuellement la rue Benoît Brunico.

Dans la consternation, les Juifs qui n’y habitaient pas encore, s’empressent de chercher à s’y reloger, mais la plupart des bâtiments sont vétustes et posent de sérieux problèmes d’insalubrité et d’insécurité, de moisissure et de pourriture.

Une supplique est adressée aux consuls de la ville, signée par Joseph Vidal, Samuel Benzimrà, Joas Avigdor, Isaac Lattès et Salomon Ventura, mais après visite des lieux, les consuls maintiennent leur décision. Une nouvelle démarche est faite auprès du Sénat par les frères Isaac, Abraham et David Avigdor, propriétaire de la plus importante maison commerciale de Nice, à la fois banquiers, marchands en blé, huiles et autres denrées. Devant l’évidence, on fait droit à cette requête. Non seulement des dérogations sont consenties, mais, en plus, on accorde aux intéressés des délais et des facilités.

Peu après, il y a un renversement de tendance. Se ralliant au souffle de libéralisme qui se répand en Europe, Charles-Emmanuel III, par un édit du 17 avril 1750, instaure un nouveau statut pour les Juifs, qui prévoit entre autres:

  • – Dispense de porter l’étoile jaune.
  • – Liberté de sortir du ghetto la nuit
  • – Faculté d’étendre leurs habitations et commerces en dehors de la Giudaria.
  • – Liberté d’acquérir des terrains autour du port de Lympia, pour y construire des habitations, des com-merces ou des industries.

Pour donner des assises au fonctionnement harmonieux de la communauté, une assemblée plénière en mai 1761 adopte un règlement dont l’approbation par le Sénat lui donne force de loi; il stipule:

– L’élection chaque année, au lendemain du dernier jour de Succot, du conseil communautaire composé de sept membres, plus deux conseillers aux titres honorifiques de « hatan torà » et « hatan béréchit ».

– La collecte des recettes comportant: dons, vente de mitzvot, redevance pour viande cachère, circon-cisions, mariages, obsèques, etc. et les impo-sitions civiles annuelles, dont voici les principales:

1. 1/8% du capital (maisons, entreprises, bijoux, argenterie), sur évaluation tous les neuf ans par commissaire-priseur attitré.

2. Pour les commerçants et industriels, 1/8% sur toutes marchandises qu’ils produisent ou acquièrent, d’après registre pour contrôle à tout moment.

3. taxe annuelle de capitation de dix livres pour chaque chef de famille pour couvrir les dépenses de la communauté (salaire du rabbin et du personnel, abattage cachère, entretien de la synagogue et du cimetière, etc.)

4. Taxe variant de ¼ à 8% sur tous contrats, courtages, lettres de change.

5. Impôt variant de 1 à 8% sur profits commerciaux, rentes et autres revenus.

Après couverture des frais communautaires et des œuvres de bienfaisance, le reliquat est destiné à couvrir les redevances au prince et les dons qui lui sont offerts à chaque visite. Le règlement sanctionne toute transgression et tentative de fraude en s’inspirant des peines et malédictions prévues dans les textes bibliques, dont le psaume 109. Ce document daté du 3 chevat 5521 (1761 du calendrier civil) est signé par Isaac Avigdor, Moïse Moreno, Abraham Sazias, Moïse Samuel, David Moïse et Victor Debellion.

Dès l’approbation de ce texte par le Sénat, qui lui donne force de loi, il y a une nouvelle affluence d’immigrants, attirés par une législation si tolérante.

Bien que le ghetto soit maintenu, la plupart des familles aisées s’installent au quartier Lympia, entre le port et les pieds du château. C’est là que se fixent la plupart des nouveaux immigrés. La première initiative de David Moïse, qui construit un grand immeuble pour sa filature de soie, est suivie par plusieurs étrangers.

Un des plus mémorables est Sabbat Constantini de Trieste, très riche commerçant déjà établi à Marseille. Dès l’octroi d’un terrain à côté des Douanes, il érige un édifice immense pour l’époque. A peine son commerce installé, Constantini perd sa fille unique. Profondément chagriné, il abandonne son affaire, vendue à des marchands de Tétouan au Maroc, Samuel Aboudarham et son frère Joseph. C’est dans cet immeuble – connu sous le nom de « palaï dou Gioudiou » – qu’habite début du 19e siècle la famille de Giuseppe Garibaldi.

L’affluence de Juifs étrangers suscite des frictions dans la communauté, qui n’admet pas leur prétention de bénéficier de tous ses services sans partager les charges.

Pour mettre fin au litige, une réunion des deux parties à lieu le 13 juillet 1783. La communauté est représentée par Joseph Vita-Moïse, Hannoh Levy, Moïse Avgdor, Joseph Ventura, David Cohen, Jacob Trevès, Salomon Lattès, Jacob Astruc et David Lattès; les Juifs étrangers par Samuel Aboudarham, Sabbat Viterbo, Isaac Uziel, Jacob Miranda et Sabbat Blanés.

Un projet présenté par Aboudarham est adopté après longue discussion; il stipule la suppression pour tous de l’impôt sur le capital, et l’application pour tous des autres contributions, sauf pour les étrangers de l’impôt de capitation. Ce projet est ratifié par le Sénat et l’avocat fiscal.

Lorsque l’armée française entre à Nice en septembre 1792, les Juifs se montrent réservés, mais quelques-uns un adhèrent au Club des Jacobins pour manifester leur enthousiasme aux idées révolutionnaires, cela donnera plus tard matière aux Savoyards de les traiter d’ingrats et d’opportunistes.

Cependant l’attitude dans l’ensemble est appréciée par son rôle modérateur entre anciens et nouveau maîtres du Comté de Nice. C’est ce qui amène le préfet Dubouchage à désigner quelques Juifs au conseil municipal, tous les membres de la communauté devenant citoyens français.

D’après les archives de la préfecture, les Juifs investis de charges publiques se distinguent par leur zèle pour le bien public.

Ils obtiennent de toute la population une large contribution pour répondre aux réquisitions de l’armée, toute la région se trouvant menacée par la famine, et les finances publiques étant au bord de la faillite, comme le constate en terme élogieux le maire de Orestis.

Nice comptait alors 46 familles juives, plus quelques autres immigrées depuis la Révolution, soit au total 295 personnes, dont 24 conscrits ont répondu à l’appel de la France.

Mais voici que, peu après, un nouveau maire – Louis Romey – s’en prend violemment à la communauté juive, ayant découvert qu’elle perçoit des contributions de ses membres, et prétend exiger un compte de sa gestion, au même titre que du clergé catholique.

Le préfet Dubouchage calme le zèle du maire en faisant valoir que la loi du 10 germinal ne touche que l’Eglise catholique, alors que les Juifs sont régis par un statut spécial. Cependant, on s’aperçoit vite de la résurgence dans l’administration, jusque dans les ministères à Paris, de l’antisémitisme fielleux du Moyen-Age. Paradoxalement, bien qu’étant devenus citoyens à part entière, les Juifs se voient traiter en termes avilissants et humiliants, objets de suspicion et de brimade.

Entre-temps, se réunit à Paris le 10 décembre 1806 – sur ordre de l’empereur, le Grand Sanhédrin.

La communauté de Nice y est représentée par Isaac Avidgor, chef de la plus importante maison bancaire et commerciale. En dépit de leur admission à tous les droits et devoirs des citoyens, l’article 7 du décret impérial du 17 mars 1808 oblige les Juifs à solliciter des patentes spéciales pour exercer leurs activités. Vivement indignés, les Juifs de Nice adressent une pétition que le préfet Dubouchage transmet au ministre de l’Intérieur appuyée en termes élogieux, rappelant que leur probité et leurs qualités morales avaient valu aux juifs de nombreux privilèges sous le Royaume de Sardaigne.


A des questions posées par le Ministre de l’Intérieur, le maire De Orestis répondait par une note encore plus élogieuse relevant notamment que :

  • – 24 juifs de Nice servent dans l’armée, dont plusieurs volontaires.
  • – 30 enfants juifs fréquentent les écoles publiques.
  • – Les Juifs Samuel Avigdor, Salomon Moïse, David Moïse, Isaac Lévy et Uziel Maquis exercent des fonctions administratives.
  • – Dans la vie économique, 11 juifs exercent des arts et métiers, 7 sont proprié-taires agricoles, 20 dirigent des manufactures ou commerces.
  • – La filature de soie des Moïse a été primée à l’Exposition de Paris de 1806
  • – Les frères Avigdor sont à la tête du plus grand commerce d’huiles de la région.

Le maire conclut que la population juive de Nice ne comprend que des braves gens, dont la conduite n’a jamais posé de problèmes. Malgré ces témoignages favorables, le ministre, par lettre du 30 août 1808, maintenait l’application de l’article 7.

Une autre tuile devait tomber sur la communauté de Nice. Le décret du 17 mars 1808 stipulait que seules les communautés juives comptant au moins 2000 âmes avaient la personnalité juridique. Par conséquent celle de Nice se trouvait rattachée au consistoire de Marseille, avec les tracasseries et les avatars que cela comportait.

En 1814, la chute de Napoléon entraîne un nouveau changement de décor pour Nice, qui retourne sous la souveraineté du roi de Sardaigne.

Le préfet Dubouchage cède la place qu gouverneur piémontais. Trois jours après – le 21 mai – un édit de Turin rétablit la communauté juive sur ses anciennes bases.

Les temps et les mœurs ont changé.


Les Juifs de Nice, ne voulant pas se soumettre à l’ancien régime, demandent au roi Victor-Emmanuel 1er un statut largement libéral. Le roi accepte quelques changements, mais maintient plusieurs anciennes dispositions. Parmi celles-ci, le retour au ghetto et la vente de tous les immeubles se trouvant en dehors.

Apparemment, les propriétaires font la sourde oreille, puisque le 15 février 1822 un nouvel édit enjoint en termes impératifs d’avoir à obtempérer avant le 1er janvier 1824, sous peine de vente aux encans. Cette fois, les ordres sont suivis par la plupart. Parmi les exceptions, il y a celle de Samuel Avigdor, qui possède un patrimoine foncier immense. Se prévalant de sa qualité de consul de Prusse, il considère que cette mesure ne le touche pas. Entre temps, Avigdor a le privilège de donner hospitalité à la Princesse de Lucques, dans son somptueux palais des Baumettes; il lui rend aussi d’importants services financiers, ce qui lui vaut d’être nommé consul de Lucques. Devant cette double situation diplomatique, le ministre se voit obligé de donner un avis favorable, « attendu qu’il est d’usage en Europe de distinguer les Juifs par des titres et des décorations ».

De toute évidence, l’intermède français entre 1792 et 1814 provoque un grand changement dans les dispositions de la cour de Turin envers les Juifs.  Il y a durcissement sous tous les angles quant à l’application du mode de vie antérieur.

Outre les restrictions aux activités commerciales, les autorités accentuent leur sévérité dans la vie sociale, surtout concernant le ghetto. Il y a quatre exceptions: Mardochée Crémieux, Joseph St. Paul, Samuel Avigdor et Ephraïm Conqui. L’arrêté royal sur cette mesure se termine par cette phrase d’un accent antisémite: « il est hors de doute que les libertés consenties antérieurement rendent les Juifs de Nice beaucoup plus braillards et hardis que ceux des autres pays. Il est donc prudent de les enfermer au ghetto pour mieux les surveiller ».

Comment expliquer ce brusque changement d’attitude à une époque déjà très engagée vers un large libéralisme dans presque toute l’Europe de l’Ouest? Il y a deux raisons:


1. Le ressentiment sur l’enthou-siasme manifesté par quelques juifs à l’arrivée des Français en 1792, leur laissant miroiter l’accession à toutes les libertés, espoir qui fut démenti par le sectarisme français;


2. L’influence antisémite du clergé local lequel, frustré par les idées de la Révolution (attribuées à l’emprise des juifs et des francs-maçons), avait de solides motifs d’ani-mosité contre eux, aussitôt répercutés à Turin.

Cette atmosphère s’atténue avec l’avènement du roi Charles-Félix, qui manifeste des dispositions modérées, surtout après la réception chaleureuse que font, à lui et à la reine Marie-Christine les Juifs de Nice en 1826; Cet événement est commémoré par une stèle érigée à l’entrée du Pont-neuf par la communauté juive, portant gravé un hommage en termes obséquieux et plus que flatteur en hébreu et en latin. Cet obélisque sur un piédestal carré, flanqué de quatre sphinx en marbre, fut démoli peu après l’annexion du Comté de Nice à la France en 1860; les sphinx furent placés au château sur la balustrade dominant la cascade.

Progressivement, les restrictions sur la vie et les activités des juifs à Nice comme dans tout le royaume, sont alléges, pour être entièrement abolies par la constitution promulguée en 1848 par le roi Charles-Albert, leur reconnaissant l’égalité absolue des droits en tant que citoyens à part entière.

Désormais, l’Eglise rendue impuissante par la volonté du peuple, se trouvait désarmée dans son acharnement maléfique et diabolique contre les Juifs.

Léon Alhadeff

Sources: Victor-Emmanuel – les Juifs à Nice 1400-1860, Duboin – Raccolta delle leggi, editti e manifesti


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