Amalec

Les juifs dans le Var – La persécution oubliée

Le Var apparaît peu dans les nombreux travaux publiés sur la situation des juifs entre 1940 et 1944. Il est pourtant au cœur d’une zone qui, elle, l’est souvent puisque les régions marseillaise et niçoise connaissent une présence juive importante et sont le cadre d’événements aussi spectaculaires que dramatiques – les rafles du Vieux-Port d’un côté et celles de septembre 1943 à Nice de l’autre.

Bien que situé entre les deux, bien que relevant de l’occupation italienne, le Var est bel et bien un département ordinaire dans un secteur qui ne l’est pas. Il y a là une situation paradoxale. L’une de ses raisons tient sans doute au caractère de Toulon. La seule grande ville du Var est sous autorité militaire, soumise à des restrictions d’accès et ne peut jouer pour une population qui est surtout urbaine le même rôle de refuge que ses voisines.

Mais la principale explication se trouve avant tout dans la relative faiblesse de la présence juive avant la guerre et à l’absence d’un effet « boule de neige », une fois celle-ci déclenchée.

L’itinéraire du fondateur de Publicis, Marcel Bleustein-Blanchet, est révélateur : s’il s’installe au Lavandou dans l’été 1940, ses bureaux sont à Marseille et ses relations plutôt à Cannes, il quitte donc le Var pour Juan-les-Pins en juin 1941.

Quoi qu’il en soit et bien qu’il ne présente pas de caractéristiques remarquables, le Var peut servir à analyser l’ordinaire d’une tragédie qui commence, avec Vichy, par l’exclusion et qui continue, avec les nazis, par l’extermination, avec, entre temps, la période italienne.

Cette étude repose sur des sources partielles, principalement locales qui ne permettent peut-être pas de mesurer toutes les conséquences des mesures antisémites et toutes les réactions de défense qu’elles ont suscitées.

C’est ainsi que l’activité du Commissariat aux questions juives (CQJ) dans le Var reste un point d’interrogation, mais, par ailleurs, rien n’indique qu’elle ait été significative. Aucune trace non plus de celle de la police aux questions juives. L’action des réseaux juifs et des œuvres d’assistance dont Marseille était la capitale en zone sud semble ici limitée, mais est-ce si sûr?

Rien ne ressort de l’action de l’Œuvre de secours aux enfants (OSE) qui est pourtant installée à Saint-Raphaël dès 1939, d’abord à Boulouris, à La Feuilleraie, avant de transférer les enfants dont elle a la charge à la Villa Mariana. Et ce n’est qu’assez tard que nous avons pu percevoir le rôle de protection joué par l’école hôtelière de la Sainte-Baume, créée par les Dominicains. C’est donc conscient de ces insuffisances que nous proposons ce tableau.

Une présence discrète

Qu’ils soient Français ou étrangers, les juifs résidant dans le Var avant-guerre ne constituent pas une minorité organisée.

L’antisémitisme lui-même n’est que rarement ouvert. La xénophobie et le racisme s’exercent plutôt contre d’autres groupes, les Italiens ou les « indigènes » des colonies. Des familles de commerçants ont pignon sur rue dans le centre de Toulon et sont insérées dans la bourgeoisie locale.

Certains de leurs établissements sont parmi les plus notoires de la ville, grands magasins comme Les Dames de France, Priséco, Bouchara, Toulonna ou entreprises industrielles comme Les Cafés Maurice.

La plupart des Varois juifs travaillent dans le commerce et l’artisanat où ils seraient autour de 300 à Toulon en avril 1941, dont une centaine d’étrangers.

Hors de Toulon, cette présence est diluée. Ses seuls éléments remarquables sont les réfugiés antinazis, allemands ou autrichiens, venus s’installer sur le littoral dans les années trente. Ce milieu singulier d’intellectuels, bien connu depuis les travaux de Jacques Grandjonc et de son équipe, ne semble pas avoir soulevé de problèmes particuliers jusqu’à la guerre.

À ces premiers réfugiés, s’en sont ajoutés d’autres au début de la guerre puis au moment de la débâcle. Alsaciens ou Parisiens en général, ils ne peuvent ou ne veulent retourner en France occupée. Leur présence, celle de parents ou d’amis évacués est une incitation à venir les rejoindre dans la région, comme pour ce prisonnier évadé, alsacien, qui, après avoir passé clandestinement la ligne de démarcation avec sa femme, arrive à Bandol où se trouvent des membres de sa famille, le 25 novembre 1940.

D’autres, qui appartiennent souvent aux milieux les plus aisés habitués à fréquenter la côte à la belle saison, s’installent dans leur résidence secondaire ou logent à l’hôtel. Ils composeraient la moitié de la clientèle du Grand Hôtel de Bandol au printemps 1941.

Avec Vichy, s’installe un régime policier.

Le nombre d’enquêtes menées est considérable. Aussi certains éléments de cette population, soupçonnée, non sans raison, de n’être pas favorables au régime, sont-ils étroitement surveillés.

Leur courrier et leurs communications téléphoniques sont contrôlés. Défilent des noms connus ou qui le deviendront.

Ce sont des hommes d’affaires comme Raymond Weil, directeur de la Banque transatlantique qui cherche à partir aux États-Unis ou les frères Lindon, apparentés à André Citroën, des industriels dépossédés par les nazis comme Robert Blum, originaire du Territoire de Belfort et qui sera l’un des créateurs de la Résistance dans le Var, des médecins comme Raymond Leibovici, chirurgien parisien qui ne peut plus exercer, des avocats qui se savent menacés 7. Raymond Philippe, administrateur de la banque Lazard et de Citroën, l’un des banquiers les plus influents d’avant-guerre, est traqué, surveillé dès son arrivée dans le Var dans l’été 1940, interné à Vals-les-Bains par le préfet des Alpes-Maritimes, perquisitionné à Bandol après sa libération 8.

L’odieux recensement de l’été 1941 décompte 1 856 juifs.

Leur répartition géographique révèle les diverses strates auxquelles ils appartiennent, même si l’une d’elle, celle des ressortissants du Reich, a été très amoindrie par l’internement et l’affectation dans les groupes de travailleurs étrangers. Leur nombre n’est supérieur à 10 que dans une quinzaine de communes sur les 151 que compte le Var. Il est compris entre 5 et 10 dans 19 autres localités.

Draguignan est la seule commune de l’intérieur concernée (44 personnes), toutes les autres se trouvent sur la côte. Outre Toulon et La Seyne (632 et 41), prédominent les stations touristiques les plus anciennes (Saint-Raphaël : 190, Bandol et Hyères : 104, Sanary : 72, Sainte-Maxime 60). Cette population est très majoritairement française (1 352, soit 73 %). Les 504 étrangers se répartissent principalement entre Toulon (127), Saint-Raphaël (73), Hyères (40), Bandol (34), Sainte-Maxime (25).

Si leur pourcentage par rapport aux Français juifs se situe entre 25 et 37 % dans la région toulonnaise et les stations à clientèle régionale de l’Ouest (Bandol, Sanary), il atteint un niveau plus élevé dans les « grandes » stations de l’Est (plus de 60 % à Saint-Raphaël et Hyères, plus de 40 % à Sainte-Maxime).

Ajoutons que certains de ces étrangers sont disséminés dans une quinzaine de petites communes de l’intérieur où ils sont d’ailleurs les seuls juifs présents : il s’agit-là d’astreints à résidence ou de la frange la plus modeste des réfugiés.


L’origine nationale de ces étrangers illustre l’histoire de la diaspora, surtout la plus récente : une forte minorité de Turcs (77) et d’Arméniens (31) auxquels on peut ajouter les Grecs et les Roumains (27 et 11), des Russes (34) et des Polonais (75), des Allemands, des Autrichiens et quelques apatrides (77, 32 et 27), et sans doute les derniers chassés par la menace, des Belges et des Néerlandais (22 et 25).

Avant-guerre, l’antisémitisme n’est pas spécialement virulent.

La « drôle de guerre » – qui connaît pourtant une sorte de pré-Révolution nationale – le confirme. Si le docteur Freze, maire de Sainte-Maxime, est visé par une pétition le 15 février 1940, ce n’est pas parce qu’il est juif, mais parce qu’il est un élu du Front populaire.

Émanant de la droite extrême, cette initiative préfigure ce qui se multiplie sous Vichy, car les dénonciations viennent essentiellement de ce milieu-là, sectaire et xénophobe, à qui le nouveau régime donne du pouvoir et de l’influence.

Les divers actes d’hostilité, les manœuvres de la Légion française des combattants qui est le fer de lance de la « révolution » pétainiste et de la revanche politique, les articles des très réactionnaires hebdomadaires locaux (Le Var à Draguignan, Le Progrès républicain à Brignoles ou Le Palmier à Hyères) et même les chroniques locales des journaux d’extrême droite (Gringoire, L’Émancipation nationale, hebdomadaire du Parti populaire français – PPF) visent d’abord les communistes, les élus socialistes, les francs-maçons et, globalement, les étrangers.

Il en va de même avec les mesures administratives : 113 étrangers sont internés en camps entre l’automne 1940 et l’automne 1942 et les 9 juifs qui se trouvent dans le lot (dont 5 Russes ou Polonais) le sont pour les mêmes raisons arbitraires, politiques (communisme) ou de droit commun (défaut de carte d’identité, activités « suspectes ») que les autres.

La principale mesure répressive qui vise des juifs étrangers est l’assignation à résidence.

Ils sont 12 sur les 45 personnes ainsi sanctionnées dans le même laps de temps, généralement sous l’insinuation de marché noir et deux sur les 62 assignées de nationalité française, un membre de la famille Lazard réfugié à Saint-Raphaël et Raymond Philippe dont le pouvoir redoute le départ à l’étranger.

Certaines de ces sanctions sont prises dans le cadre de l’opération anti-marché noir lancée par Vichy entre la fin avril et juillet 1941. Si l’opération se solde globalement dans les Bouches-du-Rhône, le Var et les Alpes-Maritimes par 61 internements et 632 assignations à résidence de juifs étrangers, elle ne se traduit dans le Var que par 18 assignations qui ne concernent pas toutes des juifs.

Cette opération, lancée à fins d’annonce, pour satisfaire ce que l’on pense être le sentiment populaire, cherche à ancrer l’idée que les étrangers en général et les étrangers juifs en particulier constituent des éléments corrupteurs par nature.

Il faut justifier l’antisémitisme devenu une réalité officielle.

Il faut donc donner de la consistance à la catégorie bouc émissaire « juif », ainsi offerte en pâture à l’opinion.

Mais ce n’est qu’une des catégories « dangereuses », comme les communistes, les étrangers ou les délinquants de droit commun.

Les rafles des mois suivants confirment cette orientation avec le même objectif qui est moins de réprimer (car réprimer quoi ?) que de désigner à la vindicte.

En réplique aux attentats commis dans l’autre zone contre les occupants, une grande opération policière est menée dans toute la zone non occupée le 10 décembre 1941.

Dans la seule région toulonnaise, 514 « suspects » sont contrôlés.

Ce grand déploiement de force aboutit à 23 propositions d’internement dont 5 parmi les 87 étrangers juifs contrôlés.

La propagande officielle accompagne ces initiatives et leur donne sens.

Le quotidien toulonnais, Le Petit Var, publie le 19 novembre un article intitulé « Le Juif » où l’on explique que le protéger contre lui-même et protéger la nation constituent un « devoir chrétien autant que national ».

Cet article marque une inflexion vers une stigmatisation plus régulière des juifs par les propagandistes locaux, notamment ceux de la Légion des combattants qui y reviennent assez systématiquement dans leurs chroniques ou leurs propos publics en 1942.

Cette évolution reflète la perte d’influence du régime qui agite plus vigoureusement cette menace supposée unir les « bons Français » derrière lui, mais elle résulte aussi du mouvement enclenché par les lois antisémites.

Elle montre la radicalisation d’une « Révolution nationale » qui exprime sans ambages les sentiments des nationalistes, antisémites par idéologie, qui veulent effectivement la réaliser.

S’il est une organisation qui pousse à la roue, c’est évidemment le PPF qui se voudrait le champion du nouveau régime (et que le Vichy pétainiste tient en lisière). Il fait de l’antisémitisme l’un des axes de sa ligne politique.

Durant l’été 1940, il mène campagne comme partout où il est implanté avec des inscriptions murales dans ses petits fiefs varois de Toulon et Hyères, mais sans aller jusqu’au bris de vitrines comme dans les Alpes-Maritimes. Mais ses jeunes militants hyérois provoquent des incidents au Lavandou au printemps et au début de l’été 1941.

Ils entendent surveiller le sénateur des Bouches-du-Rhône, ancien ministre de l’Intérieur et l’une des « bêtes noires » de l’extrême droite, Abraham Schrameck, astreint à résider là depuis décembre 1940.

Ils agressent des réfugiés juifs installés dans un café sous prétexte de contrôler qu’ils ne boivent pas d’alcool un jour « sans ».

À Beauvallon, sur la commune de Grimaud, dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre suivant, la statue de Bernheim, fondateur de ce domaine huppé, est brisée à coups de marteau, de la propagande pétainiste et des papillons antisémites sont dispersés tout autour. Les auteurs sont deux étudiants de Sainte-Maxime, déjà repérés au printemps pour avoir diffusé des tracts de cette tendance.

À Toulon, en mai 1942, c’est encore le PPF qui fait coller des papillons sur les magasins juifs. Mais la propagande PPF n’est pas représentative d’un sentiment général et elle irrite les autorités. Il est vrai cependant que des fonctionnaires, des magistrats municipaux ou des chefs d’organisations vichystes, antisémites d’avant-guerre, encouragés par l’orientation du pouvoir et plein de zèle, partagent les mêmes attitudes et donnent à l’antisémitisme un poids considérable.

On ne peut que remarquer l’attitude du préfet maritime de Toulon quand il dénonce dans un communiqué du 15 juin 1941, publié dans le quotidien local, « les bruits tendancieux émanant de la propagande abjecte répandue par les Juifs », ce que l’hebdomadaire du PPF, L’Émancipation nationale, reprend avec empressement.

Les attitudes les plus racistes ne coïncident pas forcément avec les communes où la présence juive est la plus forte.

Elles sont avant tout révélatrices des préjugés de ceux qui les adoptent et qui ne sont pas la majorité.

On repère dans la masse des archives publiques conservées ce qu’écrivent le commissaire de police en poste à Saint-Tropez de 1940 à mars 1943, un officier démobilisé, le maire nommé de Sainte-Maxime, ancien responsable départemental des Croix-de-Feu, chef légionnaire du secteur, ou les dirigeants de la section légionnaire de Cavalaire.

Ces obsédés du complot rêvent de ce que l’on appellerait aujourd’hui le « nettoyage ethnique ».

Le premier propose, par exemple, de refouler vers les régions moins démunies en denrées toutes les bouches inutiles et spécialement les juifs dans une localité où l’on vient d’en compter 36 dont 7 étrangers sur plus de 4 000 habitants. Le deuxième, qui dénonce volontiers, demande l’envoi d’inspecteurs en civil pour infiltrer la communauté juive soupçonnée de profiter de la pénurie pour fomenter des troubles. Les troisièmes, tout aussi hargneux contre tous ceux qu’ils considèrent comme les ennemis du régime (les élus déchus, le curé gaulliste, etc.), entendent exercer une véritable dictature.

Dans leur rapport d’activité du mois d’octobre 1941, après avoir précisé qu’ils soutenaient la lutte contre le marché noir à condition qu’elle s’en prenne aussi aux juifs, ils s’alarment d’une recrudescence d’arrivées de juifs et proposent donc d’instituer un permis limitant leur séjour à deux mois dans les stations balnéaires afin qu’ils ne puissent « contaminer au moyen de leur argent les Français attentistes ou hésitants » . Quelques semaines auparavant, le recensement avait compté 18 juifs dont 3 étrangers à Cavalaire (1 000 habitants).

Les militants de la droite extrême mènent l’offensive partout où ils ont une parcelle du pouvoir.

À Sanary, un médecin commandant, légionnaire, chargé du service des réfugiés du secteur, provoque un incident en prenant à partie le fils de l’écrivain Benjamin Crémieux dont son groupe a remarqué l’attitude et les propos. Cette affaire vaut au jeune homme d’être expulsé de la localité en compagnie de son ami le poète Tristan Tzara.

En juillet 1942 encore, les dirigeants légionnaires de ce secteur de l’Ouest-Varois demandent au commandant militaire du Var de débarrasser la côte des juifs et autres éléments indésirables.

On ne peut absolument pas exonérer la Légion comme on a tendance à le faire sous prétexte qu’elle admet les juifs dans ses rangs. La Légion est l’un des principaux points d’appui de l’antisémitisme. Son tribunal d’honneur ne se fait pas faute d’exclure les juifs de ses rangs et ses chefs départementaux, mêmes réputés modérés, les dénoncent régulièrement parmi les éléments de « désagrégation nationale », avec les gaullistes, les communistes et les francs-maçons dans la chronique légionnaire que publie Le Petit Va r22. De ce point de vue, il y a continuité dans le discours entre la Légion – qui nourrit de grandes ambitions « révolutionnaires » jusqu’au début de 1943 – et la Milice.

À côté de ces positions, les rapports de police reflètent, en particulier dans les communes du littoral, Sainte-Maxime, Saint-Tropez ou Bandol, l’existence d’un antisémitisme « ordinaire », xénophobe ou de classe, qui s’exprime par des mots, des rumeurs, dirigés contre les « étrangers », les riches, les bourgeois réfugiés, ceux qui ne vivent pas dans le même univers que les autochtones.

Dans un contexte d’extrême pénurie et de désarroi, ils excitent assurément l’envie.

Souvent oisifs (par force), ils sont accusés d’accaparement et d’approvisionnement au marché noir. Mais cette attitude que les sources disponibles ne permettent pas de généraliser ne débouche sur rien de tangible. On peut en trouver la preuve dans les manifestations de ménagères du moment : des cris en partent, mais aucun contre les juifs.

Dans une synthèse rédigée en août 1942, les Renseignements généraux dressent un tableau, déjà daté, à la fois des représentations ordinaires (qui sont tout autant celles de ces petits fonctionnaires que de la population) et de leurs contradictions :

« La population, qui n’ignore rien de ces abus (le marché et l’accaparement des denrées), en veut aux juifs contre qui elle est montée. Elle s’étonne que les plus agissants, surtout les étrangers, n’aient pas été internés, sinon expulsés, et ne comprend pas qu’ils n’aient pas été, pour le moins, éloignés de la côte.

Par contre l’opinion publique serait assez encline à s’apitoyer plutôt sur le sort des juifs de situation modeste qui sont soumis aux mêmes rigueurs que les juifs fortunés.

Tandis que les uns subissent sans récriminations les mesures qui les concernent et souffrent comme les populations de la précarité du ravitaillement, les autres vivent dans l’insouciance en étalant un luxe choquant.

Si l’on a quelque tendance à plaindre les premiers, on hait par contre les seconds qui se rendent indésirables par leurs manœuvres tortueuses. Il s’agit là d’un état d’esprit qui ne se traduit par aucune manifestation extérieure et qui, jusqu’à ce jour, n’a donné lieu à aucun incident ».

Un tel rapport qui mériterait d’être commenté en détail, permet de mieux comprendre les réactions de commisération que les rafles vont provoquer peu après. On peut y lire aussi, non sans raison, que les juifs « favorisent la propagande gaulliste ».

Les réfugiés juifs constituent en effet l’un des terreaux de la résistance en train de se constituer.

Ils répliquent aux agressions, comme dans l’affaire du Lavandou précédemment évoquée où une consommatrice est condamnée par le tribunal à une amende pour avoir giflé l’un des militants PPF qui lui-même est condamné au double.

On écoute assez vite Londres dans les hôtels qu’ils fréquentent. On signale des graffitis, gaullistes ceux-là, dans les stations du littoral. Arrêtons-nous seulement sur deux noms, celui de l’industriel Robert Blum, colonel de réserve, premier chef départemental de Combat, et sur celui des frères Lindon, Maxime que la Surveillance du territoire arrête le 5 novembre 1941 dans le cadre du démantèlement des réseaux britanniques de la région de Marseille et Maurice, qui ira rejoindre Londres.

Les effets de l’antisémitisme d’État

Vichy à peine installé, une cascade de textes législatifs et réglementaires dégringole sur le pays. Cette révolution par en haut s’applique avec plus ou moins de décalage et son impact est variable. Il est difficile de faire le bilan précis des mesures d’exclusion tant elles sont nombreuses, entremêlées et appliquées à des catégories différentes.

Dans le Var, l’épuration politique ou l’exclusion des fils d’étrangers des emplois publics, rapidement mises en œuvre, touchent directement ou indirectement des dizaines de personnes.

En revanche, le premier statut des juifs ne peut avoir qu’un effet réduit, sans commune mesure avec ce qui se passe pour les francs-maçons ou les communistes, puisqu’il concerne ici très peu de monde. En fin de compte, la mesure localement la plus significative de ce premier train de décisions est la mise sous séquestre du domaine de Baudouvin à La Valette, propriété des Rothschild (en tant qu’« émigrés »), ce dont la Marine profite pour en faire la résidence du préfet maritime (octobre 1940).

L’antisémitisme d’État ne prend toute son ampleur qu’avec la nouvelle avalanche de mesures prises à partir du printemps 1941, le deuxième statut des juifs en particulier. Le tout se passe dans une certaine confusion dont rend compte la façon dont le recensement est organisé.

Le 23 juin, le préfet reçoit, à 19 h 30, un télégramme de Vichy lui prescrivant de faire établir par les mairies, secrètement, une liste préalable des résidents juifs connus ou réputés. Il transmet cette demande par circulaire du 25. Cette liste devra lui être retournée le 10 juillet.

Il le rappelle encore le 8. Parallèlement, faute d’imprimés livrés à temps, le recensement prévu pour le début du mois est prorogé jusqu’à la fin juillet. L’arrêté préfectoral de recensement date d’ailleurs du 19. Les maires devront retourner les questionnaires remplis par les personnes concernées ainsi que la liste nominative et l’adresse de celles que l’on connaît et qui n’ont pas obéi. Le 5 août, une nouvelle circulaire réclame d’extrême urgence les états et les déclarations, au plus tard pour le 9.

Mais le 15 novembre, la préfecture en est encore à rappeler les circulaires précédentes car les maires ont renvoyé les questionnaires sans joindre la liste nominative des juifs qui n’ont pas souscrit. Elle demande l’envoi de cet état par retour du courrier, même s’il est néant 28.

Cette attitude peu empressée se traduit dans les chiffres finalement établis. Ont été répertoriés par les mairies et les services de police du Var 1 646 juifs dont 1 210 Français et 436 étrangers. Mais les déclarations des intéressés eux-mêmes aboutissent à un total supérieur ! Il est de 1 856 juifs dont 1 352 Français et 504 étrangers. Ce résultat confirme les témoignages sur l’attitude légaliste des victimes de ces mesures.

Les actes de refus sont rares. Les rafles ultérieures trouveront peu de contrevenants. Marcel Bleustein-Blanchet est sans doute l’un des rares à avoir protesté en écrivant au préfet en tant que Français de confession juive et ancien combattant 30.

Après cette période de fièvre réglementaire, vient le temps des décrets d’application et de la mise en œuvre de l’exclusion.

Elle est plus ou moins rapide : Reynaldo Hahn qui réside à Toulon est interdit d’activité professionnelle dès octobre 1941.

Le conseil de l’Ordre des médecins dont l’un des piliers – trésorier puis secrétaire général – n’est autre que le responsable départemental du PPF et dont le président lui-même participe du même milieu travaille avec le médecin inspecteur de la Santé dans le Var.

Celui-ci confirme le 13 novembre qu’il y a dix médecins visés dont deux remplissent les conditions du maintien en activité. Le 6 mai 1942, le président du conseil de l’Ordre précise que sept médecins sont interdits depuis quelques jours.

L’un des exclus, le Dr Mossé, bien connu à Toulon, restera dans le collimateur des antisémites. En 1943, il est dénoncé à la direction départementale de la Légion parce qu’il chercherait à reprendre son activité et par l’état-major de la Marine pour propagande gaulliste.

Le plus révélateur vient de l’enquête policière qui suit la dénonciation. Comme c’était d’ailleurs assez souvent le cas avant l’Occupation, elle est loin d’abonder dans le sens des dénonciateurs. Elle est tout à fait élogieuse à l’égard d’un médecin qui soignait gracieusement les pauvres et qui continue de jouir d’une excellente réputation.

Chez les dentistes et chirurgiens dentistes, l’épuration professionnelle est plus lente. Elle n’est pas encore mise en œuvre à la fin de 1942 : deux dentistes juifs sur les six en exercice en juin pourront continuer à travailler.

Dans la Fonction publique, sous bénéfice d’inventaire, l’épuration ne paraît toucher personne avant l’été 1942, sauf peut-être une institutrice, mais le CQJ est en train d’intervenir pour faire licencier un agent technique de l’arsenal et un facteur des PTT.

L’aryanisation des entreprises, bien que commencée au début de 1942, s’effectue assez lentement et de façon arbitraire.

Les premières nominations d’administrateurs provisoires sont publiées par la presse en février 1942. Elles se poursuivent ensuite de façon assez espacée.

Parmi les noms de victimes qui apparaissent dans Le Petit Var, relevons le 16 octobre, celui du peintre Moïse Kisling, résidant à Sanary et alors réfugié aux États-Unis. Au total, une trentaine d’entreprises paraissent concernées, mais le bilan est certainement plus lourd.

Au 20 octobre 1943, le nombre de commerces aryanisés appartenant aux seuls étrangers s’élèverait à 27. Les opérations sont dans les mains du CQJ, installé boulevard de la Corderie à Marseille. Son représentant à Toulon est un personnage véreux, spécialisé dans la gestion des biens de personnes âgées. La police signale qu’il profite de sa position pour épargner les uns, frapper les autres et nommer ses amis à la tête des biens spoliés. Elle obtient assez vite, dès janvier 1943, sa radiation. Apparemment, il n’a pas été remplacé.

L’été 1942 constitue un tournant aussi bien sur le plan de la politique menée par Vichy à l’égard des juifs que pour l’opinion.

L’opération qui consiste à livrer aux nazis certaines catégories de juifs étrangers résidant en zone sud va très vite.

Le recensement des juifs étrangers et apatrides est annoncé à la conférence des préfets de la région du 31 juillet. Il doit être fait de toute urgence afin, leur dit-on, d’appliquer des mesures très graves de concentration en Europe orientale.

Le 8 août, une quinzaine d’hommes du 20e GTE de Saint-Cyr sont embarqués pour le camp des Milles, mais treize, prévenus d’un envoi en Pologne, ont préféré prendre la fuite.

Le 21 août, les Groupes mobiles de réserve (GMR) procèdent à 3 000 interpellations, mais n’opèrent aucune arrestation. Préparée dans la plus grande discrétion, la principale opération contre les juifs étrangers a lieu, comme ailleurs, les 26 et 27 août, à partir de listes fournies par la préfecture qui proviennent vraisemblablement du recensement de l’année précédente.

Sur les 68 personnes recherchées, 39 sont interpellées. Les contrôles, toujours effectués par les GMR, se poursuivent ensuite entre le 2 et le 4 septembre dans la région de Bandol-Sanary. Ils concernent 28 795 personnes, avec comme seul résultat l’interpellation de trois Français qui ne se sont pas déclarés comme juifs.

Les réactions de la population, relevées par la police varoise courant septembre, sont identiques à celle de Marseille : les gens « n’aiment pas » les juifs à cause du marché noir, mais ils sont hostiles aux persécutions et aux arrestations de femmes et d’enfants, d’autant que court la rumeur de stérilisations et de séparations des enfants de leur famille.

On craint d’être à son tour victimes de mesures du même type, d’autant que la Relève est commencée. Toujours d’après la police, le clergé a réprouvé les arrestations « pour autant qu’elles portent atteinte aux sentiments d’humanité ».

Cependant l’évêque de Fréjus-Toulon, Mgr Gaudel, a déclaré au préfet « qu’il estimait n’avoir pas à prendre parti dans la question du rassemblement des juifs et qu’il considérait que la manière dont les opérations avaient été conduites dans son diocèse était empreinte de toute l’humanité qu’il devait chrétiennement souhaiter ».

Il est l’un des signataires du télégramme envoyé au Maréchal le 19 septembre par les prélats rassemblés sous la présidence de l’archevêque d’Aix, Mgr Du Bois de la Villerabel, aux îles de Lérins pour le 14e centenaire de la mort de saint Cézaire.

Ce texte, très politique dans le contexte du moment, assure le chef de l’État « sauveur, reconstructeur de la Patrie », non seulement de « leur vénération loyale », mais encore « de leur entière collaboration à son œuvre de redressement moral et matériel de la France nouvelle ».

Les consignes de la censure enjoignent de publier ce message « en première page, en tête de colonne, sur une colonne » et Pierre Limagne commentant cette décision, ne s’y trompe pas quand il estime que :

« Vichy en tire parti avec d’autant plus d’empressement que ce télégramme peut apparaître comme un blâme à l’adresse de Mgr Théas, de Mgr Salièges, du cardinal Gerlier lui-même ».

D’ailleurs, le texte reçoit le 26 une réponse qui n’est moins politique de la part du cabinet du Maréchal :

« Dans les temps difficiles que nous traversons, il m’est précieux de pouvoir compter sur le loyalisme de notre clergé et sur l’appui dont vous avez bien voulu me donner l’assurance. Vous avez compris la nécessité de vous grouper sans réserve pour m’aider à poursuivre mon œuvre ».

Quant à la Résistance, elle diffuse dans les villes du département, entre octobre et novembre, un tract imprimé – « Vous n’aurez pas les enfants ! » – qui dénonce la livraison aux Allemands de 160 enfants juifs par le préfet de Lyon et met en avant l’opposition de l’Église et du cardinal Gerlier à cette ignominie.

Ce texte, que l’on trouve répandu dans toute la zone Sud, est l’un des premiers que « Les mouvements de Résistance » ont signé en commun.

De l’intermède italien à la traque nazie

La politique d’exclusion se poursuit en dépit du discrédit général qui entoure Vichy et du reflux de l’antisémitisme.

Le 5 octobre 1942 parviennent dans le département les affichettes « Entreprises juives » à placer sur les magasins.

Cependant un coup d’arrêt est porté à cette politique, ici aussi, par l’intervention de l’occupant italien. Celui-ci fait suspendre, aussitôt après son arrivée, l’apposition du tampon « juif » sur les papiers d’identité ainsi que les mesures d’éloignement de la côte.

Les services du contrôle de l’opinion notent que cette attitude lui vaut la gratitude de la population de Saint-Raphaël en dépit de l’hostilité et du mépris général qui entourent les Italiens. Il est vrai que le transfert pour triage des évacués du Vieux-Port de Marseille dans les camps des troupes coloniales du secteur a particulièrement ému.

Il n’y a donc pas d’arrestations de juifs dans le Var jusqu’en septembre 1943, hors engagement résistant.

Notons cependant que la Gestapo, sur ordre de Paris, vient arrêter le Dr Adler à Carqueiranne le 25 août 1943. Personnalité politique connue, ce socialiste franc-maçon a été un collaborateur d’Henri Queuille, il a exercé des responsabilités importantes au ministère de la Santé et il a contact avec la Résistance, mais nous ignorons les raisons précises de son arrestation.

Durant ce court répit, le Var ne devient pas une zone refuge à la différence des Alpes-Maritimes. A Bandol et Hyères. Mais tout indique que de nombreux juifs résidant sur la côte utilisent ces quelques mois pour changer d’identité quand ils le peuvent, se cacher, se disperser dans l’intérieur du département ou plus loin encore.

Lorsque des dispositions permettent de convoquer des juifs étrangers au travail obligatoire (à Marseille où un camp a été ouvert), à la veille de la débâcle italienne, il ne s’en présente que 9 sur les 80 convoqués à Toulon dont seuls trois sont reconnus comme aptes au travail.

Cependant, curieusement, la population recensée comme juive à Toulon, après être tombée à 390 personnes dans l’été 1943 remonte à 487 fin novembre pour des raisons difficiles à expliquer.

Or, en septembre, les Allemands ont occupé la zone italienne et, d’emblée, le SD a réservé un secteur de la prison de Toulon pour ses prisonniers, juifs en particulier, interdisant au surveillant chef de donner les noms des personnes arrêtées et lui promettant de lui donner du travail…

Dès le 16, les autorités de Vichy s’empressent de faire savoir par téléphone que les instructions concernant les juifs peuvent être « strictement » appliquées, en particulier pour l’envoi en GTE.

Cependant la traque est essentiellement le fait de la police nazie et de ses auxiliaires français. Elle apparaît comme tout à fait aléatoire. Les arrestations se fondent au départ sur des listes fournies par des indicateurs, sans doute du PPF, puis, ensuite, sur les informations recueillies par les agents, parfois de jeunes femmes, que l’on utilise pour espionner la population.

Sur les 133 arrestations de juifs présumés répertoriées par nous jusqu’à l’été 1944, 92 ont lieu entre septembre et octobre. Près de 60 % sont effectuées entre Bandol et Carqueiranne, dont 34 à Toulon.

Les juifs étrangers ou nés à l’étranger paraissent constituer la majorité, mais pas de façon significative. Ce sont souvent des familles entières qui sont raflées ou des hommes dont la fausse identité est malheureusement découverte. Ces arrestations représentent 14 % de celles que les Allemands opèrent dans le même temps dans le Var. Bien évidemment, leurs conséquences sont souvent sans commune mesure avec la plupart des autres.

La liste que nous avons pu établir comporte beaucoup d’incertitude sur le sort des victimes. Elle recoupe pour 61 personnes celles des convois partis de Marseille que Serge Klarsfeld a publiées, mais nous y ajoutons 34 déportés qui n’y apparaissent pas, plus 27 transférés à Marseille ou Avignon dont on ne sait s’ils ont été déportés (ce qui est probable) et 11 non déportés (libérés, évadés et une femme qui s’est suicidée en prison).

Sur le total, sans nous être livré à une enquête approfondie, nous ne connaissons le sort que d’une minorité de ces personnes. Au moins 33 sont morts en camps chiffres très inférieurs à la réalité et 4 au moins en ont survécu.

Parmi ceux-ci, brisé, l’ancien maire de Sainte-Maxime, le Dr Freze qui n’était pas en camp d’extermination, mais à Buchenwald. Il avait été arrêté par le SD le 12 octobre 1943, en dépit des protestations de son successeur vichyste (qui a refusé de donner les noms des juifs de sa commune) et de l’intervention du préfet se fondant sur un avis du CQJ selon lequel il n’était pas juif. Le SD avait répondu que les lois française et allemande étaient différentes.

Très peu d’arrestations – comme pour la Résistance – résultent de dénonciations.

La population se tait et ce silence est une protection. Il rend également difficile toute mesure du phénomène de camouflage de ces persécutés. Il faut le hasard d’un événement ou d’un témoignage.

La question de l’aide, active ou passive, apportée aux juifs est particulièrement intéressante pour l’historien de la Résistance puisqu’elle concerne des attitudes et des personnes qui ne sont pas « résistantes » ou qui se situent à la périphérie de la Résistance. Elles n’en sont pas moins révélatrices.

Trois exemples, qui relèvent du même cas de figure de la connivence, pour illustrer ce propos :

Le premier se situe dans le petit village des Mayons, dans les Maures. Le massif est devenu zone de maquis et, devant l’inefficacité des forces de répression de Vichy, les Allemands prennent les choses en mains. Ils occupent le village le 10 novembre 1943, perquisitionnent, contrôlent les hommes qu’ils ont rassemblés sur la place, prennent des otages, les gendarmes du Luc, le maire qui moisira plusieurs mois en prison, des hommes qui ne seront libérés que quelques jours plus tard.


Presque aucun n’est un résistant patenté et certains sont pétainistes. Or, parmi les hommes contrôlés et épargnés, se trouvait, sous une fausse identité, David Sukermann, un juif réfugié de Toulon. Personne, ni parmi les otages, ni parmi leur famille, ne l’a dénonc é53.

Le deuxième se situe dans le Haut-Var, en lisière du Plan de Canjuers, à Comps, un village conservateur. En visitant le cimetière derrière l’église, on peut voir une tombe récente avec cette inscription :

« Abraham Monscheim dit Montagne, un ami de Comps, né le 2 novembre 1907 à Hustatyn, Pologne, décédé le 2 mai 1986 à Paris. Assigné à résidence à Comps pendant l’Occupation de 1942 à 1944. Il a trouvé parmi ses habitants aide, réconfort et amitié. »

L’enquête orale effectuée révèle qu’il était lié au président de la délégation spéciale du village, nommé par Vichy en janvier 1941, un hôtelier « bien pensant », qui ne l’en aidait pas moins en lui fournissant les papiers nécessaires à sa subsistance lorsqu’il avait dû entrer dans une relative clandestinité. Tout le petit village était au courant 54.

Tout récemment enfin, en 2000, la presse locale apprenait que la médaille des Justes était remise, à titre posthume, au maire d’un autre village, Belgentier, dans la vallée du Gapeau. Celui-ci, industriel tanneur, le notable par excellence, maintenu en place par Vichy, avait hébergé et aidé une famille de minotiers, les Béja, de la commune voisine de Solliès-Pont. Là encore, toute la population le savait.

Parmi les cas d’aide apportée aux juifs, nous n’avons pu repérer qu’une seule filière organisée, celle à laquelle participent les dominicains de la Sainte-Baume.

La cheville ouvrière en est le RP Piprot d’Alleaume qui en est alors le supérieur. Criminologue de réputation internationale, il a participé avant-guerre aux rencontres judéo-chrétiennes.


Avec l’aide de religieuses et de laïques, celle aussi du P. Lajeunie ancien journaliste à l’hebdomadaire démocrate-chrétien, Sept, il a organisé une école hôtelière qui lui permet d’accueillir et de cacher de mars 1943 à la Libération 12 jeunes filles, juives, la plupart d’origine allemande, que l’on fait passer pour « alsaciennes ». Elles lui ont été confiées par Germaine Ribière, de l’Amitié chrétienne, et convoyée de Grenoble à la Sainte-Baume par Renée Bédarida, qui était aussi membre de Témoignage chrétien.

Nous n’aborderons pas ici la question de la participation des juifs à la Résistance organisée. Nous avons vu le rôle que certains d’entre eux ont joué dans sa naissance dans le département.

D’autres, français ou étrangers, participent aux mouvements, maquis ou réseaux qui s’y installent. Signalons simplement, parce que nous l’avons « découverte » il y a peu de temps, l’action remarquable de Jacques Veil, Parisien, brillant étudiant de la Sorbonne, réfugié avec sa famille à Fayence, qui crée le réseau Phalanx dans le Var, qui est pris en mission dans l’arsenal de Toulon le 27 novembre 1943 et qui sera assassiné à Marseille par la Gestapo, à la rue Paradis, dans la nuit du 10 au 11 janvier 1944.

Il n’y a pas de présence d’organisations relevant de la Résistance « juive » dans le Var.

La seule trace d’activité clandestine qui peut s’y rattacher émane de la mouvance communiste avec la distribution d’un tract – « Contre les crimes nazis » – signé « Mouvement de solidarité et de résistance aux persécutions racistes et à la déportation », en février 1943 à Sanary.


Cette distribution est à relier à la présence dans la commune de Grégoire Spoléansky, que la police surveille quelque temps après. Lui aussi réfugié de Paris et brillant intellectuel, ce professeur de philosophie, communiste, est l’un des responsables de l’Union des juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE) dans la région. Il sera lui aussi exécuté par les Allemands au début janvier à Nice.


Département « ordinaire » du point de la question des juifs pendant la période de la guerre, le Var n’est pas dénué d’intérêt cependant. Non seulement son cas permet de vérifier les étapes de la tragédie et de mesurer le rôle des vichystes dans la désignation d’une population que les nazis vont vouer à l’extermination, mais il révèle, lui aussi, tout un éventail d’attitudes assez éloignées des représentations devenues ordinaires aujourd’hui. On ne s’y trompait pas à l’époque.

Dès le 27 septembre 1944, un mois tout juste après la libération de la ville, une manifestation était organisée à Toulon « en l’honneur de la Libération de la France » par le Centre d’entraide israélite en présence des nouvelles autorités issues de la Résistance. Ouverte par une cérémonie religieuse qualifiée d’orthodoxe par la presse, elle se concluait par des allocutions, celle du président du Centre, Steinitz, en particulier.

S’exprimant au nom de « tout un monde opprimé et tyrannisé », il en profitait pour remercier tous ceux qui étaient venus en aide aux juifs durant ces quatre ans.

Mais la tragédie n’était pas terminée. Il rappelait que le général de Gaulle, qui était venu à Toulon le 15, lui avait promis de tout faire « pour renseigner les familles dans l’angoisse et tirer les israélites de l’enfer où les a plongé la Barbarie nazie  ».

Tout faire, c’était faire la guerre. C’est dans les mois suivants, au fur et à mesure de l’avancée des troupes alliées, que l’on allait mesurer, très vite, l’étendue de l’horreur.

Jean-Marie Guillon
UMR TELEMME – CNRS-Université de Provence


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