Archéologie juive

Le paysage des cimetières juifs au Moyen Âge

A la différence des cimetières chrétiens pour lesquels les sources sont nombreuses, les cimetières des communautés juives médiévales demeurent relativement peu connus pour le territoire français.

Cette méconnaissance a pour origine de multiples facteurs dont celui de la taille de la communauté juive médiévale en France qui, selon certains auteurs, ne dépasserait pas 50 000 personnes au XIIIe s. ; (Benbassa 1997 : 53) et environ un millier d’âmes pour Paris à la même époque (Nahon 1978 : 151).

Un autre facteur qui résulte directement du premier est le faible nombre de cimetières pour ces communautés juives. Pour ces raisons, jusqu’à la fin des années 1970, une synthèse sur les espaces funéraires juifs restait difficile à réaliser en raison principalement du faible nombre d’ouvrages ou d’articles consacrés à cette thématique (Nahon 1975 : 138-59 ; 1980 : 74).

De plus, l’expulsion définitive des juifs du royaume de France en 1394 a contribué à ne pas saturer des espaces déjà existants – ce qui tranche nettement avec les cimetières chrétiens pour la fin du Moyen Âge et la période moderne –, pas plus qu’elle n’a favorisé le développement d’aires funéraires dans d’autres localités.

A partir de 1980, la publication du travail d’inventaire réalisé par l’équipe CNRS de la Nouvelle Gallia Judaïca (Blumenkranz 1980 : 307-387) permet de mieux prendre en compte la réalité de l’archéologie juive, pour les édifices les plus importants de ces communautés (synagogues, bains rituels, hôpitaux, etc.), mais aussi pour les cimetières.

Ce travail, complété depuis par Gérard Nahon pour les espaces funéraires, recense 116 communes qui auraient abrité au moins un cimetière juif au bas Moyen Âge (Fig. 1). La quasi-totalité d’entre eux a disparu ; une vingtaine a néanmoins livré des vestiges se résumant à quelques stèles ou dalles (Nahon 1980 : 74 ; 1986).

Fig. 1

Notons cependant qu’aucun élément ne semble en place, hormis les stèles parisiennes qui ont été découvertes – pour la plupart – sur l’emplacement même d’un cimetière juif médiéval situé entre le boulevard Saint-Germain et la rue Pierre Sarrazin (Polonovski 2011 : 39).

Cette première sensibilisation à ce patrimoine particulier, fondée essentiellement sur des données livresques, permit, grâce à l’essor de l’archéologie préventive en France à la fin des années 1980, la mise au jour de vestiges du judaïsme.

C’est en effet dans ce cadre qu’ont eu lieu les premières investigations sur les cimetières comme en 1992 à Ennezat en Auvergne (Parent 2011), en 1994 à Châlons-en-Champagne (Verbrugghe 1994) ou encore à Châteauroux en 1997 (Blanchard et al. 1999).

La problématique principale de cette thématique réside donc dans la confrontation entre données de terrain, sources écrites et iconographiques afin d’appréhender au mieux la réalité historique de ces sites et les pratiques funéraires des communautés juives.

Cet objectif implique toutefois de recourir à des exemples bien documentés archéologiquement en Europe, les informations issues des opérations sur notre territoire national s’étant révélées limitées en raison du type d’intervention (diagnostics ou fouilles très restreintes).

Par conséquent, il a été nécessaire de prendre en compte les fouilles conduites à York (Lilley et al. 1994) dans les années 1980 sur une part importante du cimetière juif médiéval pour compléter les données.

De la même façon, les interventions effectuée à Prague (République Tchèque) en 1997 (Selmi Wallisova 2011), à Bâle (Suisse) en 2002-2003 (Alder, Matt 2010), ou les nombreuses opérations de la péninsule ibérique qui restent parmi les mieux documentées tant du point de vue des surfaces appréhendées, que du nombre de sépultures étudiées et des méthodes employées.

L’étude du paysage de ces espaces funéraires suit la même méthode que celle évoquée précédemment. En effet, là encore, nous avons recours aux éléments issus de la documentation écrite et de l’iconographie que nous confrontons aux archives du sol. Il
convient avant tout de préciser la notion de “paysage ” pour les sites funéraires de ces communautés juives. Cette notion assez large doit s’entendre, selon nous, comme l’ensemble des éléments qui contribuent à l’image du cimetière. Cela prend non
seulement en compte l’implantation du site dans son environnement naturel et anthropisé mais également ses éléments constitutifs (murs, fossés, circulations, bâtiments…).

Enfin, il convient de prendre aussi en compte les données liées à l’environnement et/ou la décoration de ces aires funéraires, sans oublier, également, les éléments plus abstraits ou plus immatériels issus des coutumes et pratiques funéraires notamment dès lors qu’elles impactent ou influent directement l’apparence ou la représentation du cimetière.

Nous nous appuierons sur des sources diverses en privilégiant au maximum les textes et l’iconographie médiévale, mais, inévitablement, quelques documents pourront être empruntés à la période moderne. Certains illustrent en effet particulièrement bien notre propos et peuvent indubitablement s’appliquer à une époque plus ancienne. Toutefois, il faut préciser d’emblée que le meilleur de la documentation, quelle que soit sa nature, est très rarement antérieur au XIIIe s.

Les interprétations que nous évoquerons ici s’appliquent donc principalement au bas Moyen Âge, parfois à une partie du Moyen Âge central (à partir du XIe s.) et a priori jamais au haut Moyen Âge.

L’objectif principal de cet article est donc de révéler les caractéristiques du cimetière juif, et d’exposer en quoi il se distingue des autres cimetières, notamment chrétiens ou parfois musulmans (en Espagne).

Tout en mettant en lumière les éléments qui lui sont propres, nous nous appliquerons à déterminer si une certaine homogénéité existe au sein de ces espaces funéraires en Europe ou s’ils peuvent connaître des influences liées aux aires culturelles du judaïsme.

1. La place du cimetière dans l’environnement urbain médiéval

Les sources sont unanimes pour placer le cimetière juif en dehors de la ville alors que les communautés vivaient au sein des limites urbaines (Fig. 2). Il ne faut pas voir une exclusion des juifs du fait des chrétiens. Cette localisation extra muros est voulue par les communautés juives et répond à des considérations qui leur sont propres.

En effet, dans le judaïsme, la notion de pureté est essentielle et il est par conséquent important d’inhumer en terre vierge d’une part, loin de l’espace des vivants d’autre part, le contact d’un mort étant un facteur d’impureté.

Pour ce dernier motif, les Cohanim, lignée sacerdotale descendant d’Aaron, frère de Moïse, devant impérativement éviter tout contact avec des cadavres, il convient selon la Mishna de Baba Batra II, 9, de placer les lieux funéraires à cinquante coudées (25 m) des lieux de vie quotidiens.


 

Le cimetière juif est en général situé non loin d’un accès à la ville. Lorsque le relief le permet, il semble qu’une situation en altitude soit privilégiée pour répondre à une exigence d’esthétique, selon l’exclamation talmudique en Sanhedrin 96 b : “Leurs tombeaux sont plus somptueux que tes palais ” (Nahon 1980 : 77-78).

A cet égard s’impose le plus ancien cimetière juif existant à ce jour, celui du Mont des Oliviers à Jérusalem, qui remonte au Xe s. avant J.-C.

Cette position élevée semble être à l’origine du nom encore conservé actuellement dans la toponymie du lieu. On retrouve ainsi l’emplacement d’anciens cimetières en position extra muros sur des collines, pentes, coteaux ou promontoires avec des noms évocateurs comme à Clermont-Ferrand (Montjuzet), à Bordeaux (Mont Judaïc), à Mâcon (Montjuyf), à Haguenau (Judenberg) à Marseille (Mont-Jusiou) (Nahon 1980 : 77) et aussi en Espagne comme à Barcelone (Montjuich) (Duran Sanpere et Millas Vallicrosa 1947).

2. Structuration de l’espace funéraire

2.1. Les limites

Au Moyen Âge, le cimetière juif semble toujours posséder un élément de matérialisation physique et de délimitation de l’espace.

Il peut s’agir de murs comme le rappellent les textes pour Sens, Mâcon, Dijon ou Brie-Comte-Robert dans la première moitié du XIVe s. (Nahon 1980 : 78) ou comme l’on peut le voir sur une vue du XVe s. en Italie (Fig. 3).

D’un point de vue archéologique, la plupart des sites fouillés (i. e. Châteauroux et Châlons) ne permettent pas de répondre à cet aspect de la question, la périphérie ayant rarement fait l’objet d’investigations.

En revanche une délimitation par des fossés a été reconnue à Ennezat et à York (Fig. 4). Dans ce dernier lieu, il semble qu’un des côtés a pu être délimité par un cours d’eau (Lilley et al. 1994: 329). L’iconographie et les documents de la période moderne évoquant cette matérialisation par des murs sont plus nombreux (Fig. 5).

La délimitation du cimetière a très certainement pour but de prévenir des déprédations causées aux sépultures par des hommes ou des animaux. Elle répond également à des préoccupations religieuses en rapport là encore avec la pureté des Cohanim.En effet, comme nous l’avons déjà évoqué, ces membres de la communauté ne doivent pas rentrer en contact avec des corps en putréfaction. De la même façon, tout ce qui a pu toucher les cadavres leur est inaccessible. Par conséquent, tout Cohen a pour obligation d’éviter les cimetières afin de se soustraire au risque d’impureté.

Cette disposition est si forte que les Cohanim ne doivent pas entrer en contact avec les branches ou les feuilles d’un arbre dont les racines pouvaient toucher le corps d’un défunt. Ainsi, si la matérialisation physique d’une zone sépulcrale répond à un certain pragmatisme (prévention des dégradations), elle correspond aussi à une prescription de la loi juive.

 

2.2. Les accès

Au stade de nos recherches, les accès au cimetière ne semblent documentés que par des sources textuelles et iconographiques. Il apparaît en effet qu’aucune opération archéologique n’a mis au jour des éléments relatifs à l’accès à ces espaces délimités.

Plusieurs vues de la période moderne évoquent la présence d’un passage charretier, parfois doublé d’une porte piétonne, particulièrement dans les multiples cimetières de l’Alsace, de l’Aquitaine et du Comtat Venaissin où subsistent murs et portails. Ces éléments sont visibles aussi sur quelques représentations à Prague, à Fürth, à Venise ou à Amsterdam (Fig. 5).

 

2.3. Les bâtiments

A la différence du cimetière chrétien, l’espace funéraire des juifs n’est jamais associé à un lieu de culte.

En effet, alors que chez les chrétiens, église et cimetière sont inextricablement liés (Lauwers 2005 : 117), les sépultures juives ne sont jamais déposées à proximité de la synagogue ou même à
l’intérieur comme cela peut se pratiquer chez les chrétiens avec l’église.

Rappelons en effet que la synagogue est située au cœur du quartier juif et que l’espace funéraire des juifs est implanté en dehors de la ville.

Le cimetière juif peut cependant posséder quelques aménagements construits. Au premier titre de ces derniers figure un bâtiment qui peut être utilisé pour un gardien ou comme lieu de purification des corps (Beit tahara) (Nahon 1980 : 78) (Fig. 5
et 6). Cette dernière fonction relève d’une confrérie sainte (Hevra Qaddisha) dont le rôle est la prise en charge du défunt, depuis son agonie jusqu’à son ensevelissement.

Les indices relatifs à ce type de bâtiment ne sont visibles que sur des représentations postérieures à la période médiévale (Fig. 5 et 7).

Une seule opération archéologique pourrait avoir mis au jour des vestiges liés à un tel bâtiment mais sa fonction réelle demeure incertaine (maison du gardien ou pour la purification ?). En effet, à Ennezat, Daniel Parent (2011 : 242) a découvert lors d’un diagnostic, deux grandes structures fossoyées d’au moins 6 m de
côté, profondes d’1 m et comblées par du matériel de démolition et de la céramique (XIIIe-XIVe s.).

 

Parmi les autres constructions éventuellement présentes au sein du cimetière figure le puits qui est cité dans quelques documents comme à Dijon en 1310 (Nahon 1980 : 78). Aucun élément de ce
type n’a été identifié en contexte archéologique. En revanche, cette structure apparaît sur quelques représentations tardives à Fürth (début XVIIIe s.) (Fig. 5 et 7) et à Prague (XIXe s.) (Jacobs 2008 : 104).

On trouve aussi généralement, non loin du puits, un bassin rituel pour le lavage des mains de personnes ayant assisté à un enterrement et par là-même contracté une impureté. Cependant, cette structure n’est pas attestée par les données de terrain et apparaît seulement sur des documents iconographiques du XVIIIe s. (Fig. 5 et 7) : une telle présence n’est donc pas assurée durant le Moyen Âge.

2.4. La végétation

Selon les textes et les rares représentations qui nous sont parvenus, une certaine végétation était présente à l’intérieur des cimetières juifs au Moyen Âge. On y trouve ainsi des arbres sur les rares vues médiévales pour des aires sépulcrales espagnoles ou italiennes (Fig. 3).

La forme de certains de ces éléments végétaux sur la vue italienne de la fin du XVe s. suggère que les arbres présents étaient des cyprès.

Le 19 juin 1301 l’archevêque de Tours confirme une charte de 1255 qui maintient les juifs du diocèse de Tours en possession d’un cimetière ainsi que d’une maison et d’un vignoble attenant, sis à Tours en la paroisse Saint-Vincent, avec la faculté d’y établir un fermier et de faire garder ledit cimetière par un chrétien de bonne vie et mœurs qui prêtera serment à l’archevêque de n’y rien laisser faire d’inconvenant.

Un verger est cité à Carpentras (Nahon 1980 : 78). Les vues de la période moderne sont plus nombreuses et livrent le plus souvent un paysage agréable avec des arbres et/ou arbustes (Fig. 8 et 9). On ne peut cependant écarter l’hypothèse selon laquelle ces représentations de paysages funéraires idylliques relèveraient plus de l’artifice iconographique que de la réalité.

 

 

3. Des pratiques funéraires qui déterminent le paysage du cimetière juif

Selon la norme juive, et à la différence des pratiques chrétiennes, les corps doivent reposer en paix sans subir de perturbations.

Par conséquent, le transfert des ossements humains répugne au judaïsme (Nahon 1980 : 78).  Cette norme a indéniablement façonné, au moins en partie, l’image du cimetière juif. En effet, l’inhumation d’un corps dans un espace précédemment occupé par un défunt étant à éviter, la communauté juive médiévale a dû adopter une gestion de l’espace funéraire particulièrement rigoureuse à la fois pour la localisation des tombes anciennes et la préservation de tout nouveau creusement.

C’est pour cette raison qu’une organisation spatiale méticuleuse prédomine ; la plupart du temps, on observe des rangées bien ordonnées. Cette structuration en rangées bien alignées est confirmée par l’archéologie sur plusieurs sites, comme à York, à Ennezat, à Tarrega, à Tolède, à Prague, à Séville et probablement à Châteauroux. à Gérone et Lucena, les rangées sont plus approximatives mais restent perceptibles par endroits.

L’autre conséquence directe est la mise en place d’éléments de signalisation pérennes afin de localiser l’emplacement des fosses des défunts préalablement inhumés. Ces marqueurs de surface sont de deux types : des stèles dans le monde ashkénaze et des dalles dans les aires culturelles sépharades (Nahon 1980 : 84).

Ces pierres couchées ou dressées ont alors contribué à éviter les recoupements de fosses ce qui en fait une des caractéristiques de
ces aires funéraires. En effet, les inhumations juives pour le second Moyen Âge ne se recoupent que très rarement.

Ainsi à York, sur 482 sépultures fouillées, les archéologues n’ont relevé que 25 cas où les limites de fosses se recoupent et parmi ces dernières seules huit (soit 1,7 %) ont porté atteinte aux ossements du défunt (Lilley et al. 1994 : 522).

Cette organisation en rangées bien marquées avec des éléments de signalisation contribue fortement à l’image du cimetière juif. Ces marqueurs ont dû subsister durant toute l’utilisation de l’espace funéraire et ce n’est qu’après les différentes expulsions que les pierres ont été récupérées comme ce fut le cas à Tours en 1359 (Nahon 1980 : 75).

Cependant, quelques localités ont conservé des stèles longtemps après la disparition de ces communautés. Ainsi, à Ennezat, un bénédictin en visite en 1712 mentionne la présence de tombeaux juifs sur lesquels sont encore lisibles des épitaphes en langue hébraïque (Boyer 1712).

Le cimetière juif de Worms, en Allemagne, possède encore des stèles médiévales en place dont les plus anciennes sont datées du XIe s.

Le paysage du cimetière juif peut aussi être façonné par un autre aspect de la gestion de ces espaces. En effet, alors que l’inhumation semble avoir été pratiquée de façon chronologique dans les rangées de tombes, il semble que certains regroupements aient pu avoir lieu en fonction de certaines classes
d’âge ou catégories sociales.

Ainsi, les personnes respectueuses de la loi, tels les rabbins, seraient regroupées et si possible à l’écart des pêcheurs (Jacobs 2008 : 33) qui seraient plutôt placés le long des murs. De la même façon, les Cohanim seraient placés de préférence le long des limites de l’espace funéraire, cette mesure permettant aux membres de leur famille de pouvoir tout de même venir se recueillir non loin de la tombe du défunt en restant en dehors du cimetière, en évitant ainsi d’entrer en contact avec un élément souillé par un cadavre et donc impur (cf. supra) (Jacobs 2008 : 39).

Une gravure du XVIIIe s. du cimetière juif situé entre Endingen et Langnau (Confédération helvétique, canton de Aargau) révèle un regroupement par âge et par sexe (Fig. 10) ; on distingue une rangée pour les hommes (no1), une autre pour les femmes (no2), une troisième pour les enfants ainsi que plusieurs tombes d’enfants dispersées dans un grand quart sud-est (no3). Enfin, l’angle nord-est de l’espace funéraire est occupé par une tombe isolée (no4) identifiée comme la sépulture d’une femme morte en couche.

La stricte séparation des hommes et des femmes n’a jamais été mise en évidence à notre connaissance d’un point de vue archéo-anthropologique sur les sites ayant livré une grande quantité de tombes et pour lesquelles une diagnose sexuelle a pu être pratiquée. Toutefois, il convient de mentionner une concentration
de plusieurs tombes masculines dans un secteur du cimetière juif de York (Lilley et al. 1994 : 334).


En effet, trois rangées révèlent la juxtaposition de cinq tombes masculines alors que le reste de l’espace funéraire semble révéler une répartition plus aléatoire. Ce regroupement spécifique pourrait illustrer une des deux hypothèses évoquées précédemment à savoir des tombes de rabbins ou éventuellement de Cohanim.

De la même façon, le regroupement des enfants dans des rangées particulières ou dans des secteurs du cimetière est un fait reconnu dans plusieurs cas. Ainsi à Châteauroux, les individus mis au jour ne dépassent pas l’âge de huit ans (Blanchard, Georges, Mecquenem 2009 : 23) et à York, les inhumations d’enfants sont majoritairement situées dans la partie orientale du site (Lilley et al. 1994 : 334).

Cette sélection des individus en fonction de leur statut social ou de leur âge a donc pu influencer l’aspect du cimetière notamment si les stèles des plus jeunes étaient de moindres dimensions.

 

Conclusion

Les cimetières juifs disposent donc de spécificités par rapport aux cimetières chrétiens contemporains.

La plupart de ces caractéristiques trouvent assurément leur explication dans la norme rituelle. Nous l’avons vu pour la localisation extra muros, à distance de la synagogue, mais c’est aussi le cas pour bien des éléments de la structuration du cimetière juif, telle que la volonté d’éloigner certains défunts de personnes dont le contact pourrait être considéré comme impur.

C’est donc pour cette raison que l’inhumation dans une terre vierge et à distance de la ville a été retenue.


De la même façon, ce sont aussi des prescriptions particulières de la loi juive qui imposent des espaces bien délimités et clôturés pour inhumer les défunts.

Enfin, la gestion interne de l’espace funéraire répond aussi à des recommandations spécifiques. Ainsi le dogme de la résurrection des morts inspire le souci d’adopter toutes les mesures possibles pour éviter qu’un défunt ne soit dérangé. Cette mesure est très certainement celle qui a eu le plus d’impact sur le paysage du cimetière.

En effet, si l’inhumation dans des rangées bien ordonnées a très certainement aussi eu lieu dans les cimetières chrétiens, les juifs se sont surtout attachés à ce que les emplacements de tombes soient particulièrement bien marqués. Pour cela, les stèles ou les dalles de pierres ont été des éléments indispensables et ont contribué à forger et fossiliser l’aspect du cimetière juif.  En effet, il convenait que ces marqueurs de signalisation omniprésents se conservent dans le temps et le choix du matériau, en pierre plutôt qu’en bois a sûrement été un élément déterminant.

Le paysage du cimetière juif est aussi constitué de quelques constructions internes au cimetière comme un bâtiment qui peut être utilisé comme maison du gardien et peut-être aussi plus tardivement comme maison de purification pour la préparation des corps des défunts. Un puits et un bassin rituel pour le lavage des mains sont aussi des éléments qui peuvent compléter le paysage du cimetière.

A la différence de celui des chrétiens, le cimetière juif est le lieu qui regroupe tous les défunts d’une ou de plusieurs localités. En effet, alors qu’un chrétien peut parfois choisir son lieu de sépulture (paroisse, chapelle, prieuré ou abbaye), les juifs ne sont inhumés que dans leur cimetière.


Les différentes sources à notre disposition permettent donc d’approcher l’image du cimetière juif médiéval en le décrivant comme un espace extra-muros, clos de murs et aux stèles ou dalles omniprésentes.


Pour le moment, la seule différence qui semble avoir existé entre cimetières ashkénazes et sépharades est le marqueur de signalisation qui est soit dressé verticalement pour le premier groupe, soit couché pour le second.

D’autres pratiques funéraires liées à l’aire culturelle ont certainement été mises en place mais elles n’ont, semble-t-il, pas influencé l’aspect du cimetière en restant plutôt liées
à la tombe elle-même.

La véritable question qui demeure est celle de la chronologie. Les éléments que nous avons décrits s’appliquent essentiellement à une partie du Moyen Âge central (à partir du XIe s.) et au bas Moyen Âge et nous sommes totalement ignorants de l’aspect du cimetière juif pour la période antérieure comme des pratiques qui pouvaient y être mises en place.

Nous ne disposons en effet d’aucun document pour cette période et les sites archéologiques demeurent inconnus. Quelques stèles isolées ont parfois été mises au jour mais elles correspondent à des éléments récupérés qui ne permettent pas de localisation précise de l’espace funéraire.

La raison de cette lacune est sûrement à rechercher dans les pratiques funéraires de ces communautés qui ne sont probablement pas encore assez affirmées à cette période pour pouvoir se distinguer de celles des chrétiens. Il est possible que
ces populations ne disposaient pas de cimetières propres avant le XIe s. et peut-être que les inhumations se pratiquaient au sein des mêmes espaces funéraires que le reste de la population (dans des sections séparées ?) et selon des pratiques funéraires similaires ou tout au moins très proches (Jacobs 2008 : 32). Peut-être ont-ils été rejetés à la périphérie des villes dans des cimetières communautaires qui accueillaient déjà les étrangers, les pèlerins, les voyageurs et toutes personnes qui ne pouvaient se faire inhumer dans les cimetières intra-muros.

Rencontre autour des paysages du cimetière médiéval et moderne sous la direction de Matthieu Gaultier, Anne Dietrich et Alexis Corrochano


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