Grands sages d'Israël

La philosophie d’Isaac Abravanel

Une des questions fondamentales posées par Isaac Abravanel (1437-1508) est : Comment concilier l’unité de Dieu et la multiplicité de ses attributs?

Pour Isaac Abravanel, on ne peut appréhender de Dieu que des sefirot (ספירות) élevés.

Les sefirot ne sont en aucun cas des réalités substantielles capables de changer la nature de Dieu et d’y introduire la multiplicité. Ce sont des modalités qui se rapportent à Lui selon ses actions. On se souvient que lorsque Moïse demande à Dieu de lui faire connaître ‟ses voies” (après la faute du Veau d’or), il obtient satisfaction ; mais quand il Lui demande de connaître Sa gloire, il lui est répondu que la Face — l’essence — de Dieu ne lui est pas accessible.

Un timbre de la série Grenada Grenadines, émis en 1992 pour le Ve Centenaire de la découverte de l’Amérique.

Abravanel doit sa vision de l’Univers à l’astronomie de Ptolémée et à la cosmologie d’Aristote, une vision qui suppose que l’Univers est sphérique (fini) et géocentrique, avec sphères emboîtées les unes dans les autres.

Par exemple, la huitième sphère est celle des étoiles fixes et la neuvième celle du mouvement diurne tandis que la plus proche de la Terre est celle de la Lune. Ces sphères sont mues par des intellects séparés que Maïmonide identifie avec les Anges.

Isaac Abravanel qui se déclare incompétent en cosmologie prend à la lettre les vues de ses prédécesseurs, dont Maïmonide. Le plus haut des intellects émane de Dieu et meut la neuvième sphère qui englobe toutes les autres.

Alors que pour Avicenne et Maïmonide le nombre des intelligences (et des sphères) est de dix, pour Isaac Abravanel leur nombre est incalculable comme l’est celui des Anges auxquels elles sont subordonnées.

Isaac Abravanel distingue trois catégories d’Anges : les intellects séparés (ils meuvent les corps célestes), les ‟anges de miséricorde” (par lesquels Dieu dispense sa miséricorde), les ‟anges de la mort” (instruments de châtiment), soit une réintroduction de la démonologie écartée par Maïmonide.

Le monde des astres est lui aussi envisagé selon un ordre hiérarchique.

Notre bas monde s’organise lui aussi en niveaux : la matière inanimée, le végétatif, l’animal, le rationnel. Tout est constitué d’une matière et d’une forme ; et ce qui est forme à un certain niveau devient matière pour le niveau supérieur : ainsi le végétal est forme par rapport au minéral et matière par rapport à l’animal. L’homme est la plus haute des formes.

Pour Isaac Abravanel, la création du monde s’est faite ex nihilo.

Il juge que tout ce que rapporte la Genèse n’est en aucun cas le produit d’une spéculation intellectuelle mais celui d’une révélation faite à Moïse. Cette croyance entraîne l’adhésion aux autres récits de la Bible et aux préceptes de la Torah. A l’inverse, la croyance en l’éternité du monde rend impossible toute idée de miracle, de récompense ou de sanction.

Isaac Abravanel s’en prend à un certain nombre de penseurs qui interprètent le récit de la Création dans un sens aristotélicien. Il s’en prend également à Rabbi Nissim et Hasdaï Cresca qui s’efforcent de concilier éternité du monde et croyance au miracle, en la récompense ou en la sanction, en posant que le monde ne procède pas de Dieu par voie de nécessité (voir Aristote) mais qu’il procède de la volonté divine.

A ceux qui font remarquer que Maïmonide n’a pas inclus la croyance en la création du monde parmi ses treize principes, Isaac Abravanel avance le quatrième de ces principes : ‟L’Unique est éternel en vérité et tout ce qui est en dehors de Lui ne l’est pas”, ce qui implique que tout ce qui n’est pas Lui est créé, inscrit dans le temps.

Isaac Abravanel s’oppose vigoureusement au compromis qui s’efforce de concilier l’éternité du monde avec le dessein d’une volonté divine.

L’existence d’une matière dépourvue de forme depuis l’éternité n’est pas envisageable car seule la forme porte l’existence. Le monde d’en haut et le monde d’en bas ne peuvent emprunter la même matière. S’il n’existait qu’une seule matière, le monde d’en haut devrait admettre en lui le périssable et la corruption. Une matière préexistante et éternelle pose des problèmes logiquement insolubles.

A ces problèmes s’ajoute le refus de l’éternité de la matière pour des motifs théologiques car, enfin, cette thèse ne conduit-elle pas à affirmer l’existence de deux divinités ? Ne conduit-elle pas au dualisme ou au manichéisme ? Isaac Abravanel qui réfute l’argumentation d’Aristote en faveur de la thèse de l’éternité du monde doit cependant reconnaître qu’il n’y a pas de démonstration apodictique d’une création temporelle de l’Univers.

Aussi s’appuie-t-il sur quatre principes venus de la tradition : Dieu a créé le monde par son libre choix — en toute conscience —, fort de Sa volonté, volonté qui procède de Sa connaissance. Le choix procède de la connaissance, la volonté est entraînée par l’intellect. Et si l’on parle de nécessité pour caractériser l’activité de Dieu, on signifie que, conformément à Sa perfection, l’action qu’Il a conçue selon Sa volonté doit être telle qu’Il l’a conçue. Selon la tradition, Dieu n’est pas seulement créateur du monde, il en maintient le mouvement et l’existence.

Le monde a été créé, il est également appelé à disparaître et à tous ses niveaux.

Isaac Abravanel trouve des clés de lecture du temps, notamment en reprenant certaines vues soutenues par des kabbalistes de Gérone. Concernant la finalité de notre monde, Isaac Abravanel signale que Dieu étant parfait, Il ne poursuit aucune œuvre extérieure à Sa propre volonté, aucune. La question ‟Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde ?” est vaine puisque toutes les œuvres de Dieu convergent dans leur intégralité vers Dieu lui-même.


Si le monde avait été éternel et incréé, la transcendance du Créateur par rapport au créé n’aurait pas été connue ; les créatures n’auraient pu Le reconnaître comme leur cause et admettre que tout dépende de Sa volonté. L’homme est la finalité de l’ensemble du monde inférieur ; et l’homme élève ce monde vers Dieu lorsqu’il parvient à saisir la perfection du Créateur et à répondre à Ses préceptes.

Selon Isaac Abravanel, Dieu réunit toutes les perfections.


La science de Dieu ne vient pas des choses ; elle est inaltérable ; elle a précédé les choses et les a établies telles qu’elles sont. La connaissance de Dieu n’est pas fondée sur le sensible, contrairement à celle de l’homme. Dieu saisit les étants à partir de son propre être.

Isaac Abravanel constate que nombre de penseurs ont identifié la liberté du choix avec la possibilité de se déterminer par rapport au bien et au mal. De fait, le choix peut se porter sur l’un ou l’autre mais sans que la volonté ne sache si l’objet du choix est bon ou mauvais ; le choix véritable s’exerce entre la voie de la raison et celle du désir.

Isaac Abravanel fonde la possibilité de l’action libre sur la distinction entre intellect théorique et intellect pratique.

Il pose comme principe que certaines actions de l’homme peuvent être mises en œuvre par l’intellect théorique, comme les actions qui relèvent de la sphère du religieux. Ainsi les actions de l’homme peuvent-elles procéder de la raison qui lui est intrinsèque, des conceptions et des pratiques religieuses mais aussi de leur transgression.


L’influence astrale elle-même n’entame pas la liberté de l’homme ; et si influence il y a, elle n’est pas contraignante, elle est une disposition conférée au nouveau-né.

Une fois encore, le dernier mot revient à la raison. L’Écriture affirme clairement le libre-arbitre : ‟Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur… Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance…” (Dt 30, 15 et 19). Récompenses et châtiments dépendent de Dieu ; mais repentir et pénitence peuvent écarter la sanction.

Pour Isaac Abravanel, l’âme rationnelle est une réalité spirituelle distincte de la matière.

Les âmes humaines ne sont pas créées avec les corps ; elles ont été crées lors de la Création, selon un nombre déterminé, en fonction du nombre d’hommes à venir. L’âme rationnelle est, entre toutes les parties de l’âme, celle qui ne saurait être anéantie. Sa survie individuelle correspond au mérite de chacun, contrairement à ce qu’affirment Averroès et ses partisans. La survie de l’âme a comme préalable l’étude de la Torah et l’observance des préceptes. Elle est saisie du divin plutôt que simple connaissance spéculative.

Isaac Abravanel ne rejette pas catégoriquement la croyance en la transmigration des âmes qui a plusieurs fins possibles : accorder à l’âme méritante une perfection supplémentaire ; accorder une autre chance à l’âme antérieurement pécheresse et la sanctionner de ses péchés afin qu’elle ne soit pas punie plus durement dans l’au-delà. Concernant la transmigration dans le corps des animaux, Isaac Abravanel distingue une fois encore le plausible du certain, les certitudes de l’intellect de l’héritage de la tradition.


Isaac Abravanel conçoit les miracles comme une intervention directe de Dieu dans l’histoire des hommes, avec rupture des lois de la nature. Rappelons que la possibilité du miracle tient à la création ex nihilo ; admettre l’éternité du monde revient à nier toute possibilité de miracle — étant entendu que le plus grand miracle est celui de la Création.


Pour Isaac Abravanel (qui s’appuie sur les Écritures) le miracle est toujours une réponse à une initiative humaine : le Déluge, la maladie qui frappe la maison de Pharaon ou les premiers miracles de Moïse (destinés à convaincre les Israélites de sa mission). Les miracles se situent toujours au niveau du particulier. Par ailleurs, Abravanel souligne que la grandeur d’un prophète n’est pas en rapport avec l’amplitude des miracles qu’il suscite mais avec les exigences de la situation donnée.

Isaac Abravanel envisage la prophétie comme participant du miracle, comme manifestation divine à l’égard de l’homme.

Une fois encore, il s’oppose à Maïmonide. Pour Isaac Abravanel la prophétie n’a rien à voir avec l’acquisition de la science : elle a touché de simples bergers. Il nie également que cet état corresponde à la plus haute perfection de la faculté imaginative. Moïse ne s’est pas exprimé à coup de paraboles et d’énigmes, étant entendu que les visions des prophètes ne procèdent pas de leur imaginaire mais du don gracieux de Dieu. D’après l’Écriture, la prophétie apparaît comme une révélation immédiate ou médiate qui s’adresse tantôt à la raison tantôt à l’imagination.

Isaac Abravanel qui s’oppose à Maïmonide sur de nombreuses questions s’efforce de restituer à la prophétie le caractère d’un événement miraculeux.

Maïmonide quant à lui s’efforçait de l’intégrer autant que possible dans les limites du naturalisme et du rationalisme. Isaac Abravanel s’accorde avec Maïmonide sur un point : les conditions à exiger du prophète, soit la pureté des mœurs, la retenue par rapport à la débauche et au goût du pouvoir.

Olivier Ypsilantis


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