Lieux saints

Jérusalem au XIXe siècle – 1ère partie

Le dix-neuvième siècle est une période décisive, voire révolutionnaire, dans l’histoire de Jérusalem. Au début du siècle, Jérusalem n’est qu’une petite ville au cœur d’une région rurale, et qui ne compte guère plus de 8.000 à 10.000 habitants. En revanche, à la fin du siècle, c’est la ville la plus importante d’Eretz-Israël (ou de la Palestine, selon la dénomination de l’époque). La ville s’est développée «hors les murs», et sa population dépasse les 70.000 âmes.

C’est au cours du dix-neuvième siècle que la communauté juive, connue sous le nom de «Vieux Yishouv», se développe dans l’ensemble du pays et en particulier à Jérusalem. C’est également à cette époque que commence l’activité du mouvement sioniste, avec l’apparition des premiers éléments de ce qu’on appellera le «Nouveau Yishouv».

Bien des aspects de ce qui se passe actuellement en Israël en général et à Jérusalem en particulier, trouvent une explication dans la manière complexe dont les choses se sont mises en place à l’origine, et se sont développées par la suite, dans le courant du dix-neuvième siècle.

C’est cette période charnière, qui permet de comprendre le contexte et la spécificité de la terre d’Israël aujourd’hui.

Eretz-Israël et ses villes principales au début du dix-neuvième siècle

Les orientalistes, les historiens et même les géographes-historiens ont coutume de considérer le début du dix-neuvième siècle comme le commencement de l’ère moderne en Eretz-Israël et dans l’ensemble du Proche-Orient, contrairement à la situation en Europe, où on la situe plutôt vers le milieu du dix-septième siècle.

Dans cette région du monde, en effet, la transformation a lieu plus tard.

Un fait précis – l’occupation d’Eretz-Israël par l’armée de Napoléon, en 1799 – est généralement considéré comme l’événement qui aurait provoqué l’éveil du Moyen-Orient après un sommeil long de plusieurs siècles.

Ainsi, l’idée de creuser un canal reliant la Méditerranée à la Mer Rouge est née au cours de cette campagne. (Canal de Suez)

Canal des pharaons

Napoléon et ses hommes furent les premiers à évoquer la possibilité de relier les deux mers au moyen d’un canal. Il est vrai qu’un canal reliant la Mer Rouge à l’un des bras du Nil avait bien existé dans l’Antiquité, mais les deux mers n’étaient pas reliées à proprement parler.

En Eretz-Israël, également, interviennent des éléments dont l’origine est liée à la présence de Napoléon.

Avant Napoléon, par exemple, il n’existait pas de cartes précises de la région. Ce sont les ingénieurs et les géographes de Napoléon qui, sous la direction du Major Jacotin, ont arpenté certaines parties d’Eretz-Israël et ont établi les premières cartes géographiques exactes, que nous connaissons sous le nom de «Cartes de Jacotin».

Cela dit, si l’on y réfléchit plus précisément, on peut se demander quels furent véritablement les bouleversements provoqués par l’invasion napoléonienne. Certains chercheurs affirment en effet que cet événement ne peut servir de point de repère pour dater l’entrée de la région dans l’ère moderne.

Napoléon et son armée ne sont restés que cinq mois en Eretz-Israël. Ils ont assiégé Acco (Saint-Jean d’Acre) sans pouvoir la conquérir. Ils y ont subi, au contraire, une cuisante défaite et se sont repliés à Jaffa, avant de regagner l’Egypte.

Jazzar Pacha, qui avait gouverné la région pendant les vingt-cinq années qui ont précédé la campagne napoléonienne, est resté au pouvoir après le départ des troupes impériales. Il a régné de 1775 à 1804, et sa victoire sur Napoléon, qu’il était parvenu à mettre en déroute, l’a fait bénéficier d’un prestige encore plus grand. (Rappelons, en passant, que «Jazzar» signifie «le boucher», parce que ce pacha avait l’habitude de couper des têtes.)

Al-Jazzar était un bosniaque d’origine obscure. Il a commencé sa carrière militaire en Egypte au service de divers responsables mamelouks , devenant par la suite un chef des exécuteurs et un assassin travaillant pour Ali Bey al-Kabir , le dirigeant effectif de l’Egypte. Il a gagné l’épithète d’ al-Jazzar (le boucher) pour son embuscade meurtrière sur un groupe de tribus bédouines en représailles à la mort de son maître dans un raid bédouin

Après la mort de Jazzar Pacha, des conflits ont éclaté entre ceux qui briguaient sa succession au gouvernement d’Acco. C’est finalement Suleiman Pacha qui accédera au pouvoir et qui règnera jusqu’à sa mort en 1818.

Soliman Pacha allias Joseph Anthelme Sève, est né à Lyon . Il était marin. Plus tard il a rejoint l’armée de Napoléon Bonaparte . Il a combattu aux batailles de Trafalgar et de Waterloo . Puis il s’est converti à l’ Islam et a été recruté par Muhammad Ali d’Egypte pour aider à construire l’armée égyptienne sur le modèle européen.

De nouveaux conflits éclatent alors et Abdallah Pacha prend le pouvoir à son tour. Son règne dure jusqu’en 1831. De fait, la situation des trente premières années du dix-neuvième siècle ne diffère pas tellement de celle du dix-huitième siècle et on peut donc considérer l’année 1831 comme le début de l’époque moderne en Eretz-Israël, lorsque les Egyptiens, dirigés par Mohamed Ali, ont conquis la région.

Mohamed Ali est le fondateur de l’Egypte moderne.

Officier ottoman d’origine albanaise, il est né à Kavala dans l’actuelle Grèce (alors Empire ottoman) de parents albanais. La langue qu’il parlait le mieux était l’albanais, et dans une moindre mesure le turc.

Tous les rois d’Egypte, jusqu’à la révolution nassérienne, appartiennent à la dynastie qu’il a fondée.

Avec le début du règne de Mohamed Ali, Eretz-Israël subit un processus accéléré de transformation et de développement.

Fondé sur une conception centralisatrice, le gouvernement égyptien a introduit dans la région des changements significatifs. Le fils de Mohamed Ali, Ibrahim Pacha, a réorganisé le pays du point de vue administratif, imposant l’ordre et la loi au moyen d’une discipline de fer.

Il a contraint les Bédouins, qui vivaient de rapines, à se sédentariser et a construit des villages pour eux, entre autres dans la vallée du Jourdain.

Il a fait venir des colons d’Egypte et les a installés dans différentes régions du pays.


La période de domination égyptienne se caractérise aussi par l’introduction de nouvelles cultures – le coton, la canne à sucre, l’indigo, etc.

Nous savons également que les hommes de Mohamed Ali ont tenté de forcer le barrage de basalte du Houleh pour drainer le lac et l’assécher. Ils ont également construit plusieurs moulins à vent.

Mais le changement le plus significatif concerne l’attitude du gouvernement égyptien à l’égard des minorités chrétiennes et juives, auxquels Mohamed Ali a accordé une liberté d’action qui leur avait été refusée pendant des siècles.

Nous reviendrons sur ce point dans les chapitres suivants, et nous verrons les conséquences des transformations survenues pendant la période égyptienne sur le développement de la communauté juive dans son ensemble et sur Jérusalem en particulier.

La domination égyptienne en Eretz-Israël n’a duré que neuf ans – jusqu’en 1840.

À la suite d’une guerre contre les Turcs, soutenus par les grandes puissances occidentales, les Egyptiens furent contraints de se retirer et les Turcs reprirent le pouvoir sur le territoire.

S’il ne s’était agi que d’un simple rétablissement du «régime des pachas», nous aurions pu considérer la période égyptienne comme un épisode sans importance, comme il y en eut tant au cours de l’Histoire. Mais ce ne fut pas le cas.

En effet, lorsqu’en 1840, la domination turque fut rétablie, le régime turc n’était plus le même. Un an plus tôt, en 1839, les célèbres réformes, connues sous le nom de «Tanzimât» [Organisations], avaient commencé en Turquie. Les années 1839-1856 sont d’ailleurs considérées comme une période de transformation majeure dans la Constitution ottomane, qui devient plus libérale et accorde un certain nombre de droits aux minorités. Ainsi, les Turcs poursuivirent le travail commencé par les Egyptiens.

L’année 1840 est donc une année très importante, si bien que certains chercheurs n’hésitent pas à affirmer que le début de l’ère moderne en Eretz-Israël ne correspond ni à l’invasion de Napoléon (1799), ni à la conquête égyptienne (1831), mais à la restauration du régime turc en Syrie et en Eretz-Israël en 1840.

C’est à partir de cette date que le régime devient plus libéral et commence à octroyer quelques droits aux minorités. Ce processus se poursuivra jusqu’à la fin de la domination ottomane.

Nous avons mentionné jusqu’à présent trois dates, qui peuvent être considérées comme le point de départ de l’ère moderne. Cependant, certains historiens, et particulièrement ceux qui s’occupent de l’Histoire israélienne proprement dite, considèrent que d’autres éléments doivent être pris en compte, et en particulier ceux qui concerne la population juive, ou Yishouv.

Ainsi, ces historiens mentionnent deux importantes vagues d’immigration (aliyah) qui ont eu lieu à la fin du dix-huitième siècle et au début du dix-neuvième siècle, et qui ont provoqué des transformations dans la population juive d’Eretz-Israël.

Il s’agit de l’aliyah des Hassidim dans les années 1770, et celle des Perushim, disciples de Rabbi Elijah de Vilna, au début du dix-neuvième siècle.

L’aliyah des Hassidim n’a pas eu une grande influence sur la population juive de Jérusalem, dans la mesure où la plupart se sont établis à Safed.

Les Perushim se sont également installé à Safed dans un premier temps, puis ont émigré à Jérusalem.

Elijah Ben Solomon, le Gaon de Vilna

En conclusion, nous pouvons dire que, vers la fin du dix-huitième siècle et au début du dix-neuvième, un certain nombre d’événements ont eu lieu dans le Yishouv juif aussi bien que dans l’ensemble de la région, qui nous autorisent à considérer cette période comme le commencement d’une ère nouvelle en Eretz-Israël.

La population des villes en Eretz-Israël.

Pendant près de quatre cents ans, cette région a fait partie de l’Empire ottoman.

Nous pouvons délimiter les frontières d’Eretz-Israël à l’aide de définitions appartenant à des époques ultérieures et la nommer la «Palestine occidentale», en nous référant ainsi aux frontières établies sous le Mandat britannique.

Si nous estimons qu’à cette époque la population de la région est de 150.000 à 200.000 personnes, nous ne serons apparemment pas trop loin de la vérité.

Cette estimation globale étant établie, il est évident qu’il nous faut également examiner sa répartition sur l’ensemble du territoire.

Il ne fait pas de doute que certaines régions – comme la plaine côtière, les vallées et l’ensemble des régions du Sud – étaient totalement inhabitées, hormis par quelques tribus nomades.

Par contre, les régions montagneuses étaient relativement plus peuplées.

Des villages arabes étaient établis dans les monts de Judée, de Samarie et de Galilée.

Le fait le plus caractéristique concerne l’importance de la population urbaine. Et il nous faut ici répartir les villes en plusieurs catégories.

La ville la plus importante était Jérusalem, qui jouissait du statut de ville historique et religieuse.
Jerusalem en 1840

Au début du dix-neuvième siècle, on estime sa population entre 8.000 et 10.000 habitants.

Puis venait Acco (Saint-Jean d’Acre), que d’aucuns considèrent même comme la plus importante, et dont la population était à peu près équivalente à celle de Jérusalem.

Gravure-XIXe-Acre-Israel-1840

Le pacha turc siégeait à Acco, ce qui conférait à cette ville un statut administratif non négligeable, d’autant plus qu’elle avait aussi une activité portuaire.

En troisième position venait Gaza, qui pouvait également disputer la primauté aux deux autres, du fait de sa population, estimée, elle aussi, aux alentours de 8.000 à 10.000 habitants.

Gaza 1850-1851 – Lithographie de Charles William Meredith van de Velde

L’importance relative de Gaza tenait au fait qu’elle reliait la région à l’Egypte, les moyens de communication de l’époque étant essentiellement terrestres.

Les trois villes les plus importantes étaient, par conséquent, Jérusalem, Acco et Gaza.

La deuxième catégorie concerne les villes régionales, telles que Safed. Cette ville occupait une place particulière pour la population juive dans la mesure où elle faisait partie des quatre villes saintes traditionnelles du judaïsme. Avec une population de 5.000 à 6.000 habitants, Safed était la ville principale de la Galilée.

Hébron, importante sur le plan historique et religieux à la fois pour le judaïsme et pour l’islam, appartenait également à cette catégorie. Sa population s’élevait également à 5.000-6.000 habitants.

La troisième ville de cette catégorie était Shechem (Naplouse), dans le district de Samarie, qui comptait également entre 5.000 et 6.000 habitants.

La troisième catégorie comporte trois villes ayant une importance historique. Tibériade, également une des quatre villes saintes, avec une population de 2.000 à 3.000 habitants. Ramleh, qui avait été la capitale arabe durant la première période islamique et qui avait, elle aussi, une certaine importance historique, également avec 2.000 à 3.000 habitants. Enfin Jaffa, qui n’était curieusement qu’une petite agglomération de 2.000 à 3.000 habitants.

Au dix-neuvième siècle, Jaffa était entourée de remparts et Tel-Aviv n’existait pas.

Dans le quatrième groupe des villes ayant une certaine importance, nous pouvons compter des villes avec une population entre 1.000 et 2.000 habitants.

Au début du dix-neuvième siècle, Haïfa était une petite agglomération de 1.000 âmes environ, entourée de murailles construites au dix-huitième siècle par Dahar-el-Omar.

Nazareth fait également partie de cette catégorie, avec sa population de 1.000 habitants et son importance historique et religieuse. Il en va de même pour Bethléem, ville importante pour les chrétiens.

En dehors de ces douze villes, toutes les autres agglomérations avaient une population inférieure à 1.000 individus, et la plupart des habitants de cette région vivaient dans des villages.

La carte démographique d’Eretz-Israël du début du dix-neuvième siècle fait état d’une région peu peuplée et comportant de vastes étendues inhabitées. Il s’agit en quelque sorte d’une région sous-développée aux confins d’une province marginale de l’Empire ottoman.

Après avoir examiné l’état de la population dans les différentes villes du pays, nous allons revenir à la ville qui est au centre de notre étude, Jérusalem.

Nous avons dit qu’au début du dix-neuvième siècle, la population de cette ville était de 8.000 à 10.000 habitants. Cette population était répartie en trois communautés: environ 2.000 juifs, 3.000 chrétiens et 4.000 musulmans.

La plus petite des trois communautés était donc la communauté juive, composée majoritairement à cette époque de Sépharades.

La deuxième est la communauté chrétienne. Il nous faut ici rappeler que la communauté chrétienne est elle-même divisée en six communautés différentes, trois grandes et trois petites. Les plus grandes sont: les Grecs orthodoxes (1000 personnes), les catholiques romains, vraisemblablement restés fidèles au catholicisme depuis l’époque des Croisades (800 personnes) et les Arméniens (500 personnes).

Les trois petites communautés sont également très intéressantes: il s’agit des Ethiopiens, des Coptes (des chrétiens d’Egypte) et des Syriens orthodoxes. Chacune de ces communautés compte entre plusieurs dizaines et une centaine d’individus. Chacune possède, encore aujourd’hui, des églises dans la Vieille Ville de Jérusalem.

La troisième grande communauté, et numériquement la plus importante au début de dix-neuvième siècle, est donc la communauté musulmane.

Les chiffres concernant cette communauté sont moins exacts que pour les autres communautés, dans la mesure où ils ne se fondent pas sur des sources provenant de la communauté elle-même, mais il est convenu d’estimer l’importance de la communauté musulmane à 4.000 personnes environ.

Les habitants de Jérusalem vivaient dans la Vieille Ville, qui était entourée de murs et dont on avait coutume de fermer les portes à la tombée de la nuit.

Ceux qui arrivaient à la ville après la tombée de la nuit ne pouvaient pas y pénétrer. Le vendredi, jour de prière à la Mosquée Al-‘Aqsa, on fermait les portes à partir de midi. Ainsi, ceux qui arrivaient à Jérusalem le ­vendredi vers midi, devaient attendre le diman­che pour la réouverture des portes. Il y avait un grand nombre de terrains vagues à l’intérieur de la Vieille Ville.

Dans le Quartier chrétien, par exemple, l’endroit connu sous le nom de «Mauristân» était un amoncellement de ruines. Sur les cartes du début du dix-neuvième, cet espace est marqué comme étant un jardin potager.

Il y avait d’autres terrains inhabités dans le Quartier juif, près des murailles, et dans le secteur situé entre le Mur des Lamentations et la Porte du Fumier (Shahar haAshfot), là où se trouvent actuellement [1980] les fouilles archéologiques du Mur des Lamentations.

Dans le Quartier chrétien, près de la muraille, il y avait également des espaces vides, de même que dans le Quartier musulman. Du point de vue de l’hygiène, de la salubrité, de l’habitat et des conditions de vie en général, l’état de la ville était déplorable.

Un des problèmes les plus graves était celui de l’eau. La vie dépendait des puits, des citernes, et de ce que procuraient la source du Gikhon, la «piscine» de Siloé (Siloakh) et la source Eïn Rogel. Les Arabes remontaient l’eau jusqu’à la ville et la vendaient à un prix relativement élevé.

D’une manière générale, nous pouvons dire qu’au début du dix-neuvième siècle, la situation de Jérusalem illustrait parfaitement celle de l’ensemble d’Eretz-Israël. C’est une des époques les plus sombres de la région du point de vue de son peuplement et de son développement.

Les récits de voyage · Source d’information sur Eretz-Israël dans la première ­moitié du dix-neuvième siècle

L’une des sources d’information les plus importantes concernant l’établissement en Eretz-Israël et à Jérusalem dans la première moitié du dix-neuvième siècle se trouve dans ce qu’il est convenu d’appeler la «littérature de voyage».

Il s’agit de récits rapportés par des voyageurs européens venus visiter la région et l’Orient d’une manière plus générale. Certains spécialistes ont une attitude quelque peu sceptique vis-à-vis de ces récits, refusant d’accorder à cette source l’importance qu’elle mérite.

Ces relations de voyages sont pourtant importantes à plus d’un titre. Tout d’abord, les voyageurs qui ont visité la région au Moyen âge et même plus tard se sont généralement contentés d’une visite rapide, sans s’attarder à des endroits qui nécessitaient une attention particulière. Leurs comptes-rendus sont, par conséquent, de peu d’intérêt et parfois très peu fiables. Ce n’est pas le cas au dix-neuvième siècle. Bon nombre de voyageurs qui visitent Eretz-Israël à cette époque sont des scientifiques européens. Ils ont des objectifs scientifiques, et entreprennent à ce titre des expéditions qu’ils mènent en s’aidant des outils scientifiques de l’époque.

Un des premiers savants est le célèbre Ulrich Jasper Seetzen. Arrivé en 1806, il visite Eretz-Israël et la Transjordanie. Seetzen étudie l’arabe et se convertit même à l’islam pour les besoins de son travail scientifique.

Il sillonne le pays de long en large, collectionnant des échantillons de plantes, de fossiles et d’animaux, qu’il expédie dans différents musées. Ses voyages le conduisent ensuite en Egypte où il rejoint des expéditions d’explorateurs en Afrique. Il semble même qu’il ait souhaité partir à la recherche des sources du Nil, ce en quoi il aurait précédé Livingstone et Stanley, qui partirent en Afrique précisément dans cette intention. Seetzen est mort au Yémen. C’était un explorateur sérieux, et les informations qu’il nous a fournies sur Eretz-Israël sont celles d’un homme de science, digne de foi.

Il faut également mentionner un deuxième chercheur, le suisse Johann Ludwig Burckhardt, qui arrive en 1812 et explore le pays en s’attachant particulièrement à l’étude de la vie et des mœurs des bédouins des régions à l’Est du Jourdain.

Burckhardt a écrit plusieurs livres sur ce sujet et est mort en Egypte. C’était également un chercheur d’envergure; ses rapports sont fiables et l’information qu’il fournit parfaitement ­crédible.

Citons en troisième lieu le célèbre savant Edward Robinson, à qui nous devons une bonne partie de nos connaissances actuelles sur Eretz-Israël.

Robinson était professeur de théologie historique au Séminaire de Théologie de l’Union à New-York. Il connaissait parfaitement toute la littérature historique concernant Eretz-Israël, et a pu identifier un grand nombre de sites au cours de ses recherches.

C’est lui, par exemple, qui a découvert l’emplacement du site de Massada. C’est également lui qui a identifié le site de Beer-Sheva, après de nombreux siècles au cours desquels, et depuis l’époque des Croisades, on avait confondu Beer-Sheva avec Beit Govrin.

C’est également à lui que nous devons la découverte à Jérusalem de l’«Arche de Robinson», qui porte encore son nom, et de bien d’autres sites.

Nous pouvons également mentionner d’autres chercheurs, comme Henry Baker Tristram, surnommé «le père de la zoologie d’Eretz-Israël», ou encore le professeur Titus Tobler, qui a écrit un certain nombre d’ouvrages sur Jérusalem, constituant une mine d’informations sur la ville aussi bien que sur le pays tout entier. Sans oublier Charles Warren, qui a entrepris des fouilles à Jérusalem, servant aujourd’hui encore de base pour de nombreux travaux; Charles Wilson, qui a réalisé la célèbre carte de la ville; Van de Velde, qui l’a précédé dans l’établissement de la carte.

Nous pouvons ainsi mentionner une longue liste de savants et de chercheurs qui ont voyagé en Eretz-Israël et ont rédigé des rapports et des comptes-rendus sur ce qui s’y déroulait. Leurs écrits constituent par conséquent des sources d’information dignes de foi pour l’étude et la connaissance d’Eretz-Israël tout au long du dix-neuvième siècle.

Les missionnaires constituent un second groupe d’auteurs de «relations de voyage», au nombre desquels figurent des chercheurs très sérieux, en particulier parmi les missionnaires protestants.

Il ne faut pas oublier que, jusqu’au début du dix-neuvième siècle, les protestants n’avaient pas le droit d’établir de missions dans tout le Moyen-Orient. Leurs premières tentatives d’établissement ne sont pas antérieures aux années 1820, et les premières stations ne sont installées qu’au cours de la période égyptienne.

Ainsi, le premier hôpital de Jérusalem a été celui de la Mission anglaise, qui fonctionnait avec certains de ces missionnaires, médecins de profession. Il n’y avait pas que des Anglais, mais également des Allemands. Par la suite, des mis­sion­­naires catholiques, particulièrement actifs, sont arrivés. Un grand nombre d’entre eux relatent ce qu’ils ont vu dans des livres ou des comptes-rendus, et nous pouvons également avoir toute confiance en ces témoignages.

Les consuls constituent un troisième groupe.

Dès 1838, un consulat britannique s’ouvre à Jérusalem, suivi, dans les années 1840, par des consulats allemand, français, américain et d’autres encore.

Outre les archives de ces différents consulats, auxquelles nous avons accès, nous pouvons également consulter le journal que tenaient régulièrement les différents consuls. Certains d’entre eux ont écrit sur Eretz-Israël, comme le consul britannique Finn, auteur d’un livre intitulé: L’ère des tumultes. Il est également l’auteur d’autres ouvrages, que l’on range également sous la rubrique «récits de voyage», mais que l’on aurait tort de réduire au simple statut de récit d’un voyageur ayant passé une semaine ou deux dans la région. Sa femme, Elizabeth Ann Finn, a également écrit plusieurs ouvrages sur Eretz-Israël.

Nous connaissons par ailleurs le livre du consul allemand Friedrich Rosen, ainsi que les ouvrages des consuls américains.

En outre, il existe une riche littérature de textes écrits par des résidents permanents d’Eretz-Israël, des personnes d’origine européenne, parmi lesquels des Juifs, qui ont écrit des ouvrages pouvant servir de source à notre connaissance d’Eretz-Israël au dix-neuvième siècle.

L’intérêt de ces récits de voyage.

Ces sources sont intéressantes à plusieurs titres, non seulement qualitatif, mais aussi quantitatif. Un éminent professeur allemand, Rohricht, a établi la bibliographie des écrits de tous les voyageurs européens ayant visité Eretz-Israël depuis l’an 333 jusqu’en 1878 – l’année de la fondation de Petakh-Tikva, le premier établissement juif.

Sa liste comporte trois mille cinq cents références.

Il est intéressant de noter que jusqu’au début du dix-neuvième siècle (1800), la liste ne comporte pas plus de mille cinq cents livres, c’est-à-dire que jusqu’au début du dix-neuvième siècle, paraît en moyenne un livre par an écrit par un voyageur européen, et concernant Eretz-Israël.

En revanche, de 1800 à 1878, la liste de Rohricht comporte deux mille noms de voyageurs et de visiteurs ayant accompli le voyage et écrit un livre. Une partie de ces auteurs sont des résidents permanents, d’autres des missionnaires ou des consuls, mais la plupart se sont contentés d’un bref séjour. Ce qui n’empêche pas certains d’entre eux de faire des récits extrêmement minutieux et s’étendant sur plusieurs volumes.

La littérature de voyage de cette époque comporte près de cinq mille volumes. Cette grande quantité de sources soulève essentiellement un problème d’excès d’information. L’abondance de données contradictoires nous oblige à séparer le bon grain de l’ivraie ou, comme le déclare le géographe Ritter: «Je dois chercher des petites pépites d’or dans une meule de foin.»

En effet, tous ceux qui souhaitent tirer profit de ces textes doivent se résoudre à se familiariser tout d’abord avec leurs auteurs, et connaître les circonstances de leur vie, ainsi que les raisons de leur voyage, avant de pouvoir apprécier leurs écrits à leur juste valeur. Une fois ce tri effectué, nous pouvons évaluer l’intérêt des différents écrits et constater que les plus fiables d’entre eux sont particulièrement riches d’enseignement. Ils nous fournissent des données importantes sur Eretz-Israël.

Nous avons, dès le début du siècle, un exemple de données contradictoires.

Le célèbre explorateur Seetzen arrive en Eretz-Israël en 1806 et fait une estimation de la population de Jérusalem. En 1807, un second explorateur, une sorte d’aventurier nommé Ali Bey el-Abassi, fournit à son tour son estimation de la population de Jérusalem. Son chiffre, trente mille âmes, est évidemment absurde.

Seetzen consacre un grand nombre de pages à la question. Il s’est documenté et a recueilli des données auprès des différentes communautés: juive, grecque-orthodoxe, catholique et arménienne, ainsi qu’auprès du pacha turc. Concernant chacune des communautés, Seetzen donne des chiffres exacts qu’il commente avec soin. Tout son travail sur la question est donc extrêmement sérieux et nous pouvons en toute confiance nous fonder sur les données qu’il fournit.

Edward Robinson, qui voyage en Eretz-Israël pour la première fois en 1838, consacre six à sept pages de son livre à la question de la population de Jérusalem. Le chiffre qu’il avance est de 3.000 Juifs.

Plus tard, de retour en Angleterre, tandis qu’il rédige son livre, il apprend que le recensement réalisé par Moses Montefiore fait état de 5.000 âmes pour ce qui concerne la population juive de Jérusalem. Il ajoute donc une note dans laquelle il précise qu’après avoir soigneusement examiné les données, il est arrivé à la conclusion que les chiffres fournis par le recensement de Montefiore ne pouvaient pas être exacts. Ce en quoi il avait parfaitement raison puisqu’il s’avérera par la suite que le recensement de Montefiore rend compte de 3.000 Juifs.

En conclusion, nous pouvons dire que tous les écrits ne sont pas de la même valeur, mais qu’il y a des auteurs aux témoignages desquels nous pouvons parfaitement nous fier. Il existe des dizaines et même des centaines d’ouvrages sérieux qui nous fournissent une énorme quantité d’informations sur Jérusalem et sur Eretz-Israël.

N’oublions pas que les sources dont nous disposons par ailleurs sont rares et presque inexistantes, et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne la communauté juive. Nous n’avons quasiment pas d’informations antérieures aux années 1820-1830 la concernant, et ces rares informations ne nous éclairent que sur certains aspects particuliers. Il n’y a pas d’écrits en arabe sur cette région et les sources ottomanes ne sont pas claires non plus.

En revanche, et à partir des années 1830 et 1840, apparaissent les écrits des consuls, les archives, les récits de voyages, et les journaux en hébreu à Jérusalem (ha-Levanon et ha-Havatzelet dans les années 1860).

Nous devons souligner un autre point. Il faut savoir précisément ce que nous voulons trouver dans les écrits de ces explorateurs, missionnaires, et autres voyageurs. Si nous y cherchons des informations sur la communauté juive et ses préoccupations dans le domaine de la foi et de la religion, il est clair que ce n’est pas là que nous les trouverons. Les différents voyageurs ne connaissaient pas grand-chose des Juifs et du judaïsme. Ce qu’ils en disent est parfois parfaitement ridicule. Ils sont également incapables de nous aider à mieux connaître l’islam, le droit musulman et la société musulmane en Eretz-Israël. Néanmoins, si nous y cherchons des faits géographiques objectifs, par exemple le nom des villes, leur taille et leur structure, une description des villages, des agglomérations, des routes, du paysage dans son ensemble, de la technologie et de la situation physique du pays en général, nous pouvons considérer ces sources comme parfaitement fiables.

Pour illustrer le problème, nous choisirons une fois de plus, et à titre d’exemple, la question du volume de la population juive de Jérusalem et des autres villes d’Eretz-Israël. Nous pouvons certes nous poser la question: n’y a-t-il pas d’autres recensements ? La réponse est négative. Il n’existe aucun recensement statistiquement fiable avant celui de 1922, au début du Mandat britannique.

À vrai dire, des recensements ont été effectués pendant la période ottomane, mais ils souffrent des défauts caractéristiques de ce régime: au début, n’étaient recensés que les hommes à partir d’un certain âge (qui n’est pas précisé).

Vers les années 1850, on commence apparemment à recenser tous les garçons dès la naissance. Mais cette fois encore, c’est un recensement à des fins de conscription et de taxation. Ce qui soulève une fois de plus la question de leur valeur et leur fiabilité. Mais ce qui est plus important encore pour ce qui nous intéresse – à savoir la population juive de Jérusalem – c’est que seuls les sujets ottomans sont recensés, alors que la plupart des Juifs habitant Jérusalem n’étaient pas des sujets ottomans.

Il est en outre important de signaler que, d’après Robinson, Steward et d’autres encore, les voyageurs européens connaissaient le plus souvent les données des recensements ottomans. Ils s’adressaient aux autorités pour obtenir les chiffres qu’ils multipliaient ensuite selon un certain facteur (deux ou quatre) pour obtenir une estimation du chiffre de la population dans sa totalité. En plus de cela, ils recueillaient des données auprès des différentes communautés ou groupes ethniques qui avaient effectué des recensements autonomes, comme celui de Monte­fiore chez les Juifs. Nous en concluons que leurs chiffres sont plus précis et plus exacts que ceux des autorités ottomanes.

Les consuls, par exemple, étaient très intéressés par le chiffre exact de la population, dans la mesure où c’était un élément qu’ils devaient rapporter avec précision à leurs supérieurs dans leurs pays respectifs.

Nous pouvons en déduire, par exemple, que le consul britannique Moore, qui a résidé pendant plusieurs dizaines d’années en Eretz-Israël, a fait de son mieux pour transmettre à son gouvernement les données les plus fiables sur le pays et sur ses habitants.

Il en va de même pour le consul américain, dont les comptes-rendus contiennent des informations très détaillées sur la population. C’est également le cas pour les autres consuls, les missionnaires, les médecins et plus tard également, pour les savants juifs.

Le «yishouv» juif à Jérusalem au début du dix-neuvième siècle

Nous avons parlé jusqu’à présent de l’ensemble de la population en Eretz-Israël au début du dix-neuvième siècle. Nous avons dit que dans les frontières de ce que le Mandat britannique désignera sous le nom de «Palestine occidentale», vivaient 150.000 à 200.000 habitants.

Nous avons avancé des chiffres concernant la population de certaines des villes les plus importantes. Mais nous n’avons pas encore abordé la question de la taille de la population juive en Eretz-Israël au début du dix-neuvième siècle.

On a coutume de considérer que la population juive n’était pas très importante, soit entre 7.000 et 7.500 habitants.

Elle était généralement répartie dans les quatre «villes saintes»: Jérusalem, Safed, Tibériade et Hébron, la communauté la plus importante se trouvant à Safed, où vivaient 3.000 Juifs.

La population juive de Jérusalem comptait 2.000 personnes, celle de Tibériade de 1.000 à 1.500 et celle de Hébron, près de 500.

Quelques dizaines de familles étaient également réparties entre Shefaram, Peqi’in, Acco, dans des villages de Galilée et dans quelques autres localités. Il se peut qu’il y ait eu également quelques familles à Jaffa et à Gaza.

La communauté juive la plus importante au début du siècle se trouvait à Safed, et non à Jérusalem, où ne subsistait qu’une communauté sépharade.

Les raisons de cet état de fait remontent vraisemblablement aux événements qui ont eu lieu dans le courant du dix-huitième siècle.

En effet, au début du dix-huitième siècle, arrivent à Jérusalem Rabbi Yehoudah Hassid et ses disciples, avec l’intention de fonder une grande communauté juive. Mais celui-ci meurt très peu de temps après son arrivée. Son collègue et ami, Rabbi Hayyim Malach, ne restera pas au pays.

Ainsi sans personne pour les diriger, les membres de la petite communauté se virent dans l’obligation d’emprunter de l’argent à leurs voisins arabes et furent incapables, par la suite, de rembourser ces dettes, dans la mesure où l’argent qui devait venir de l’étranger n’arriva jamais.

Attaqués par les Arabes qui exigeaient le remboursement des dettes, les Juifs se trouvaient dans une situation de plus en plus précaire et bon nombre d’entre eux durent quitter Jérusalem.

Par la suite, et pendant des dizaines d’années, il n’y eut pas de Juifs ashkénazes à Jérusalem.

Selon certaines sources, les Juifs ashké­nazes craignaient de circuler dans la ville dans leur tenue traditionnelle, de crainte de se voir attaqués par les Arabes qui exigeaient le remboursement des vieilles dettes…

Les Ashkénazes qui vivaient encore à Jérusalem avaient adopté la tenue sépharade et vivaient au sein de la communauté sépharade.

Même si nous ne considérons pas cette interprétation des faits comme tout à fait exacte, il n’en reste pas moins que la seule communauté juive de Jérusalem au commencement du dix-neuvième siècle était la communauté sépharade.

Quand les disciples du Baal Shem Tov arrivent en Eretz-Israël aux alentours de 1770, ils s’établissent à Safed et non à Jérusalem.

L’aliyah des Peroushim

L’aliyah des Peroushim commence en 1808.

Ils s’installent tout d’abord à Safed, mais, quelques années plus tard, au cours de la deuxième décennie du dix-neuvième siècle, une épidémie éclate à Safed et les conditions de vie y deviennent très mauvaises. Plusieurs familles de Peroushim s’installent à Jérusalem.

A la tête de ce groupe se trouvaient Rabbi Menahem Mendel de Shklov et Rabbi Shlomo Zalman Zoref. Selon certaines sources, ces Juifs fuyant l’épidémie de Safed ne furent pas autorisés à entrer dans la ville par crainte de contagion. Ils durent donc se réfugier pendant un certain temps dans une grotte, peut-être la grotte de Zédékiah, en dehors des murs, avant de pouvoir enfin entrer dans la ville.

C’est ainsi que se renouvelle la communauté ashkénaze de Jérusalem, surnommée à l’époque «Peroushim».

(Il n’y a aucune relation entre ces Peroushim et ceux de l’époque du Second Temple, bien que le terme en hébreu soit le même. Apparemment, on les appelait Peroushim [«dissidents»] parce qu’ils s’étaient séparés du courant hassidique dont ils refusaient de faire partie.

On les connaît également sous le non de Mitnagdim [«opposants»], parce qu’en tant que disciples du Gaon de Vilna, ils s’opposaient au mouvement hassidique.)

Les Peroushim arrivent à Jérusalem dans le courant de la seconde décennie du dix-neuvième siècle et s’y installent discrètement.

Ils prient dans les synagogues sépharades et nous n’avons pas d’échos de leur présence dans la ville. Ils ne commencent à s’organiser en tant que communauté indépendante que quelques années plus tard.

En 1822, l’assistance financière de la halukah est organisée à leur profit par les «Pekidim et Amarkalim de Terre Sainte», une organisation philanthropique basée en Hollande et dont les dirigeants, les frères Lehren, s’étaient attribués le titre de «Présidents d’Israël».

Avec la conquête égyptienne, en 1831, la situation des Peroushim s’améliore en même temps que celle de l’ensemble de la communauté juive de Jérusalem, qui compte alors 3.000 âmes, soit 2.500 sépharades et 500 ashkénazes.

Au début des années trente, les Juifs se rendent compte que le gouvernement égyptien est très différent du gouvernement turc.

En 1834, la communauté sépharade s’adresse à Mohammed Ali pour lui demander l’autorisation de restaurer et de rénover les synagogues sépharades.

Il s’agit des quatre synagogues qui existent encore aujourd’hui dans la Vieille Ville et qui sont connues sous le nom des synagogues de Raban Yokhanan Ben-Zakaï. Les dômes de ces synagogues étaient en bois, la pluie y pénétrait, mais pendant des centaines d’années les membres de la communauté n’avaient pas été autorisés à les réparer.

Synagogue Ben Zakaï

L’autorisation est octroyée par Mohammed Ali et nous possédons des descriptions détaillées de ces travaux de réfection des synagogues sépharades en 1834. Selon certaines sources, le coût de ces travaux aurait été d’un million de piastres.

La permission accordée aux Sépharades de rénover leurs synagogues encourage les Ashkénazes à en faire autant.

En 1837, Rabbi Shlomo Zalman Zoref se rend en Egypte pour demander l’autorisation de reprendre la construction de la «Khurvah» [«Ruine»] de Rabbi Yehoudah Hassid, l’annulation des vieilles dettes et la permission de construire une nouvelle synagogue. Il reçoit effectivement l’autorisation, le «firman», et la communauté Peroushim-ashkénaze entreprend la construction de la première synagogue sur le terrain de la Khurvah ou, comme on l’appelait à l’époque, Deir Shiknaz [«La maison des Ashkénazes»].

Rabbi Joseph Schwartz, qui est considéré comme le premier géographe juif et l’auteur d’un ouvrage intitulé Tevu’ot ha-Aretz [«Les moissons d’Israël»], raconte comment hommes, femmes et enfants, participent ensemble à la construction de la première ­synagogue, que l’on allait nommer Menahem Tsion [«Réconfort de Sion»] en souvenir des victimes du tremblement de terre de Safed et de Tibériade qui avait décimé les communautés juives de ces deux agglomérations.

Le bâtiment de cette synagogue existe encore. Il se trouve dans la Vieille Ville, dans l’enceinte de la Khurvah.

La synagogue Hourva a été la première construite en 1700 par les hassidiques du rabbin Yehouda. La synagogue Hourva a été brûlée en 1720 et détruite jusqu’aux fondations. Elle a été refondée en 1864, est devenue le symbole du renouveau du peuplement en Eretz Israël. La synagogue a été à nouveau détruite en 1948 par les Jordaniens et ce n’est qu’il y a environ un an qu’a été terminé le processus de restauration. (2010)

Lorsque les Peroushim, menés par Rabbi Shlomo Zalman Zoref, entreprirent de rénover la Khurvah, un groupe fit scission. C’était vraisemblablement un groupe qui considérait qu’il ne serait pas possible d’obtenir l’autorisation pour la rénovation de la Khurvah, ou qui craignait de susciter la colère des Arabes, et préférait construire la nouvelle synagogue sur un autre emplacement.

Avec, à sa tête, Menahem Mendel de Shklov et son gendre Rabbi Yeshayahu Bradki, ce groupe construisit sa propre synagogue, «Sukkat Shalom», en face de «Orah Hayyim». C’est ainsi que les Peroushim, partagés en deux groupes opposés, ont construit deux synagogues distinctes pour une communauté qui ne cessait de s’agrandir.

Un autre événement important eut lieu au cours de la domination égyptienne, contribuant grandement à l’accroissement de la population juive de Jérusalem.

Il s’agit du terrible tremblement de terre de 1837, qui a fortement meurtri les Juifs de Safed et de Tibériade.

On estime que la moitié des membres de ces deux communautés ont été soit tués, soit gravement affectés. Un très grand nombre de maisons ayant été détruites, il y a eu de nombreux rescapés qui, n’ayant pu se rétablir sur place à Safed ou à Tibériade, préférèrent partir pour Jérusalem.

Pendant les deux années qui suivent, 1.000 à 1.500 Juifs viennent s’installer à Jérusalem, à tel point qu’un dicton de l’époque pouvait affirmer que «la ruine de Tibériade et Safed a contribué à la construction de Jérusalem».

En 1840, lorsque les Turcs reprennent possession d’Eretz-Israël, la population juive de Jérusalem compte 5.000 individus.

Entre 1800 et 1840, l’accroissement de la population musulmane de la ville n’est pas aussi important. Elle passe de 4.000 à 4.500 habitants. On note la même augmentation en nombre chez les chrétiens, qui passent de 3.000 à 3.500. En 1840, la population de Jérusalem, dans son ensemble, compte 13.000 habitants environ.

C’est donc au sein de la population juive de la ville que nous observons l’accroissement le plus significatif.

En 1840, la communauté juive est donc la plus importante en nombre: elle compte 5.000 individus, contre 4.500 musulmans et 3.500 chrétiens.

A partir de 1840, elle va continuer de s’accroître encore plus rapidement.

Le partage de la Ville en quartiers

A l’orée du dix-neuvième siècle, la structure de la ville se distingue également par un système de quartiers très particulier.

On admet en général que Jérusalem et divisée en quatre quartiers: le Quartier chrétien, le Quartier juif, le Quartier musulman et le Quartier arménien.

Mais lorsque nous examinons la carte de la ville au dix-neuvième siècle, nous voyons qu’il ne s’agit pas d’une division abstraite. Chacun de ces quartiers avait un caractère spécifique.

Ainsi, le Quartier arménien n’est pas un quartier à proprement parler, mais une sorte de résidence entourée de murailles. Les Quartiers juif, musulman et chrétien avaient également chacun leurs caractéristiques.

Le terme de «quartier» [rova’] à Jérusalem n’entre pas dans le lexique géographique de cette ville avant le début du dix-neuvième siècle.

Ce sont des érudits européens qui l’y ont introduit, transposant ainsi une réalité européenne.

On parlait auparavant de «Harat al-Yahoud» [«Voisinage des Juifs»], Voisinage des Moghrabis, des Arméniens, des chrétiens etc. Il existe d’ailleurs de nombreuses villes orientales anciennes où le partage se fait encore aujourd’hui en «voisinages» et non en quartiers.

En ce qui concerne Jérusalem, chacun de ces «voisinages» se développe autour d’un centre historico-religieux.

Le Saint-Sépulcre est au centre du «voisinage» chrétien, et c’est autour de ce site que se concentrent les membres des deux sectes chrétiennes les plus importantes, les Grecs orthodoxes (qui détiennent la plus grande partie du territoire du Saint-Sépulcre) et les catholiques romains.

Les musulmans vivent à proximité du Mont du Temple et leur vie gravite autour du Haram-ech-Cherif [le Lieu Saint], la Mosquée Al ‘Aqsa et le Dôme du Rocher.

Ils ne peuvent résider sur le terrain même du Mont du Temple, parce que c’est un Lieu Sacré, mais c’est là que se trouvent les Medrassas [«établissement d’éducation»] et la plupart de leurs institutions – les Majlis, les Makhamas etc.


Les Arméniens ont leur propre centre, l’Eglise de Saint-Jacques, autour de laquelle ils vivent depuis le onzième siècle. Il faut d’ailleurs préciser que le quartier ou «voisinage» arménien est une sorte de ville dans la ville. Il est entouré de murailles dont on ferme jusqu’à nos jours les portes pour la nuit.

D’autres institutions spécifiques s’établissent dans différents endroits de la Vieille Ville, comme le couvent des Franciscains.

Nous pouvons supposer que d’autres centres existaient encore, pour les Syriens, les Coptes et les Ethiopiens. La ville était une sorte d’agglomérat de «voisinages», gravitant chacun autour de son centre historico-religieux.

Quel était le centre du Quartier juif? C’était incontestablement le Mur des Lamentations. Toutefois les Juifs n’étaient pas autorisés à habiter dans ses alentours, du fait de la présence, à cet endroit, du «voisinage» des Moghrabis.

Le Quartier juif s’était donc constitué un peu plus loin, à un endroit d’où l’on pouvait apercevoir d’une part le Mur des Lamentations, et d’autre part le Mont des Oliviers, qui est également un lieu sacré dans la tradition juive.

Les Juifs avaient probablement voulu trouver un endroit intermédiaire entre les territoires des chrétiens et ceux des musulmans.

Après la période des Croisades, c’est le Ramban – Rabbi Moshé Ben Nahman –, ou Nahmanide, qui, en 1267, renouvelle la présence des Juifs à Jérusalem.

Dans la célèbre lettre qu’il écrit à son fils, nous trouvons un excellent témoignage de la situation des Juifs. Voici ce qu’écrit Nahmanide:

«Et que vous dirai-je en ce qui concerne ce pays ? L’abandon et la désolation y sont partout. Plus un endroit est sacré et plus il est en ruine. Il n’y a pas d’enfants d’Israël qui y [à Jérusalem] habitent, car ils se sont enfuis quand les Tartares sont venus, et les autres sont morts par l’épée. Ne sont restés que deux frères teinturiers qui achètent de la peinture chez le gouverneur et chez qui s’assemblent dix autres [juifs] pour faire ensemble la prière du Shabbat.

Nous les avons exhortés et nous avons trouvé une maison en ruine qui a des piliers en marbre et un dôme gracieux. Nous en avons fait une synagogue, car la ville est à l’abandon, et ceux qui veulent s’approprier des ruines peuvent le faire. Nous nous sommes engagés à restaurer la maison, ce qui a déjà commencé. Des messagers ont été envoyés à Shechem (Naplouse) pour en ramener les Rouleaux de la Torah qui étaient à Jérusalem et que l’on a cachés là-bas à l’arrivée des Tartares.»

Pourquoi Nahmanide a-t-il choisi de restaurer cette maison en ruine dans le «voisinage» qui allait plus tard devenir le Quartier juif ? Pourquoi n’a-t-il pas préféré les terrains autour de la Porte d’Hérode ou un autre emplacement? Vraisemblablement, la possibilité d’apercevoir à la fois le Mur des Lamentations et le Mont des Oliviers a joué un rôle important dans sa décision.

Après l’époque de Nahmanide, et pendant 700 ans, les Juifs ont continué à habiter ce qui est le Quartier juif de la Vieille Ville de Jérusalem.


Deux siècles après sa restauration et pour diverses raisons, la synagogue de Nahmanide a cessé de remplir sa fonction, et le centre d’activité est passé aux synagogues sépharades. Depuis la fin du quinzième siècle, lorsque les Juifs furent chassés d’Espagne, et sans discontinuer jusqu’à nos jours, les synagogues sépharades ont constitué le lieu de rassemblement de la communauté sépharade du Quartier juif.


Le troisième centre est la synagogue de la Khurvah, que Rabbi Yehoudah Hassid et ses disciples ont tenté de bâtir, mais dont la construction n’a pu être menée à terme. Elle fut détruite au cours des attaques perpétrées par les Arabes contre la communauté ashkénaze. Le bâtiment a été restauré au cours du dix-neuvième siècle et on l’appelle Khurvat Rav Yehoudah Hassid («La Ruine de Rav Yehoudah Hassid»).

En conclusion, nous pouvons dire que contrairement aux Quartiers arménien ou chrétien, le terme de «Quartier juif» n’est pas aussi précis.

Lorsque nous parlons du «Quartier juif», nous devons également préciser l’époque. Au commencement du dix-neuvième siècle, alors que la communauté juive n’était pas importante, il est évident que le Quartier juif était de dimension réduite. Plus tard, quand la communauté s’est développée, le quartier s’est agrandi en proportion.

Géographie d’une renaissance par Yehoshua Ben-Arieh – Traduit de l’hébreu par Francine Lévy

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Source

Voir le dossier complet Jérusalem au XIXe siècle


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