Histoire des peuples

Histoire et constructions dans le royaume Franc de Jérusalem

L’histoire des croisades bénéficie de la confrontation des textes occidentaux et orientaux … Cependant, l’étude du terrain et des ruines y peut encore ajouter.

En s’attachant au terrain et aux monuments, l’étude de M. Paul Deschamps a en effet renouvelé un sujet qui paraissait épuisé; surtout, il nous fait comprendre comment s’est organisé et défendu le royaume de Jérusalem. Grâce à lui, toutes ces places fortifiées prennent figure et vie pour nous expliquer leur action sur les événements. Nous mesurons l’ingéniosité de leurs constructeurs, la merveilleuse utilisation d’un terrain si différent de celui qu’on avait coutume de fortifier en Occident, le prodigieux progrès que marque à cette époque l’architecture militaire et qui se répercutera en France.

Tout cet effort s’est développé avec des ressources réduites et un petit nombre d’hommes, conduits, il est vrai, par des chefs intrépides et habiles.  Leurs adversaires leur ont rendu justice, surtout au temps des premières générations de Croisés qui réussirent à s’adapter au pays en manifestant un véritable sens politique et une sage prudence.

C’est ainsi, nous conte Ousama, qu’ils ne se laissaient pas entraîner au combat quand ils n’étaient pas en nombre, et qu’ils se contentaient de mettre leurs chevaux au trot pour éviter les embûches. Plût au ciel que les générations suivantes aient imité ce sang-froid !

Il ne faudrait d’ailleurs pas croire que l’attention des chevaliers du royaume se soit uniquement portée sur l’organisation militaire.

Ils se sont aussi préoccupés de la mise en valeur économique du pays, et ils ont élaboré ce beau monument juridique que constituent les Assises de Jérusalem, fondement de l’organisation du royaume.

Quand le légat de Frédéric II, le maréchal Filan- ghieri,* s’arrogea au nom de l’empereur des droits dictatoriaux, les seigneurs et notables chargèrent Balian de Sagette de le rappeler au respect des coutumes et franchises de la Chrétienté d’Orient inscrites dans les Assises.

On sait qu’après la prise de Jérusalem (15 juillet 1099), nombre de Croisés, estimant leur devoir rempli, s’en retournent chez eux.

Le petit groupe restant songe à assurer le lendemain.

Tancrède pare au plus pressé en occupant la Galilée; il relève les murs de Tibériade et de Beisan, l’ancienne Scythopolis, pour se garder des incursions venues de TransJordanie.

Afin de se prémunir contre une attaque poussée en contournant le sud de la mer Morte, Godefroy de Bouillon fortifie Hébron.

Il importe au plus haut point d’occuper et de renforcer la côte. Tout d’abord Jaffa, port médiocre, mais indispensable pour assurer les relations avec l’Occident et se défendre contre une attaque des flottes égyptiennes.

La prise de Caïffa par Tancrède (20 août 1100, un mois après la mort de Godefroy de Bouillon) fournit un second port.

L’année suivante, c’est le tour d’Arsouf et de Césarée; en 1104, Baudoin s’empare d’Acre qui deviendra le grand port du royaume.

Beyrouth et Saïdane tomberont qu’en 1110. Les flottes de Gênes, de Pise et de Venise apportèrent un précieux concours.

Deux ports fortement tenus restaient aux mains des Égyptiens et constituaient une gêne extrême : Tyr et Ascalon. On ne pouvait les réduire sans une marine que les Vénitiens s’offrirent à fournir. Laquelle des deux places allait-on attaquer en premier?

On en discuta longuement à Acre.

Les seigneurs de Jérusalem, de Jaffa, de Ramlé et de Naplouse insistaient pour qu’on attaquât Ascalon. Ceux d’Acre, de Nazareth, de Tibériade, de Sidon et de Beyrouth montraient la nécessité de s’emparer de Tyr, que la forteresse de Toron (Tibnin) et le château de Scandelion avaient peine à surveiller.

On s’en remit à la Providence. Deux papiers portant chacun le nom d’une des deux villes furent posés sur l’autel, et un jeune enfant fut appelé à choisir : Tyr fut ainsi désignée. Croisés et Vénitiens s’en rendirent maîtres en 1124.

A ceux qu’inquiétait la présence de l’ennemi à Ascalon, il ne resta d’autre ressource que de renforcer la défense autour de cette ville. Habiles aux ghazzous (subitas irruptiones, dit Guill. de Tyr, xiv, 8), les Égyptiens se glissaient le long de la route de Jaffa à Jérusalem et se cachaient à l’entrée des gorges (in faucibus montium inter angustias inevitabiles) pour piller les caravanes de pèlerins peu aptes à se défendre.

De 1134 à 1142, le roi fit élever trois châteaux forts constitués par un donjon entouré d’une chemise flanquée de quatre tours pour contrebattre l’importante cité d’Ascalon.

Ce furent Bethgibelin, autrement dit Bet-Djibrin, qui interceptait la route d’Ascalon à Hébron, Ibelin (Yabné) sur la route côtière d’Ascalon à Ramlé et Jaffa, enfin Blanche-Garde (Tell es-Safiyé) sur la route d’Ascalon à Jérusalem.


Des murailles de Blanche-Garde on voyait nettement Ascalon. Un premier résultat fut de permettre de rétablir tout à l’entour la culture des terres : « II y venoit, dit le traducteur de Guillaume de Tyr (xv, 25), moût grant plenté de blé. »

II est regrettable que les fouilles, que M. Garstang avait si bien commencées sur le vaste site d’Ascalon, n’aient pas été poursuivies. Il est vrai que l’attention des archéologues était particulièrement attirée par l’antiquité, mais l’époque des Croisades en eût certainement bénéficié aussi. La description de la ville médiévale par Guillaume de Tyr est d’une exactitude remarquable, comme l’a constaté le P. H. Vincent.

Baudoin III décida de réduire enfin la redoutable enclave égyptienne. A cet effet, il édifia en 1150 une citadelle dans la ville alors abandonnée de Gadres, nom que les chroniqueurs francs donnent à Gaza, en arabe Ghazza.

En 1153,. Ascalon tombait aux mains des Francs. Le roi Amaury ira même jusqu’à construire vers 1170 le château de Darum, au sud de Gaza. C’est qu’il se préoccupait de mener campagne contre l’Egypte, folle entreprise qui eut pour résultat de cimenter l’union des princes musulmans.

Ceux-ci pouvaient laisser la Palestine aux mains des Occidentaux; mais voir la riche province d’Egypte leur échapper, et être coupés du Maghreb, était intolérable. Ce fut le rôle de Saladin d’y mettre bon ordre.

Les campagnes de 1187 et de 1188 semblent sonner le glas du royaume de Jérusalem. L’intervention de la troisième Croisade (1189-1192) sauve à grand’peine la situation. Il fallut plus de deux ans de siège pour reprendre la place d’Acre dans laquelle finissent par pénétrer Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion.

« C’est vers cette époque, nous dit M. Deschamps (p. 15), que l’architecture militaire franque prend un nouvel aspect. Le système de défense devient plus savant, les tours rondes apparaissent, et les bossages grossiers sont remplacés par un appareil de pierres lisses.

« On entreprend alors en Syrie les grands travaux qui vont donner au Crac des Chevaliers et à la forteresse de Margat leur majestueuse apparence. Il faut se rappeler que Margat fut vendu en 1186 à l’Hôpital, et qu’en même temps sans doute cet Ordre entreprenait l’enceinte extérieure du Crac et les grosses tours rondes qui forment son donjon. Cette entreprise paraît avoir été terminée dans son ensemble vers 1203. »

En 1193, la mort de Saladin apporta quelque répit aux Croisés, bien qu’une partie de la Palestine restât aux mains des Musulmans. Soubeibé et Beaufort étaient occupés et renforcés par ces derniers. Même, le fils de Saladin, Malik el-‘Adil, avait fortifié le Thabor (1211) et par là menaçait la place d’Acre. L’émotion ressentie en Occident détermina la cinquième Croisade (1219-1221).

En attendant, les Francs construisirent l’importante forteresse de Chastel- Pèlerin (Athlit) ce qui détermina Malik el-‘ Adil à démanteler et à abandonner le Thabor.

Ce n’est que sous la menace de la sixième Croisade que Malik el-Kamil rendit au royaume franc Jérusalem, Bethléem, Nazareth, la seigneurie de Toron et la partie du territoire de Saïda qu’il détenait.

Quand la Galilée fut reprise par les Croisés, les Templiers relevèrent en 1240 le château de Saphet démantelé depuis 1218.

« Sur une forte position en arrière du Jourdain, ce château dominait la plaine située au pied des monts de Haute-Galilée et surveillait la route d’Acre à Damas. Saphet, à l’érection duquel on travailla deux ans et demi, devint l’une des plus belles forteresses qu’élevèrent les Croisés au XIIIe siècle. »

Après un échec en Egypte, saint Louis séjourna du 13 mai 1250 au 24 avril 1254 en Palestine et y entreprit de grands travaux de fortification, notamment à Acre, à Caïfîa, à Césarée, à Jaffa, à Saïda (château de terre).

Tous ces efforts n’aboutirent qu’à prolonger l’agonie du royaume de Jérusalem en proie aux plus graves dissensions.

Saint Louis commit l’irréparable erreur de diriger la huitième croisade (1270) sur Tunis, alors que Beibars s’était rendu maître d’Antioche, deXésarée, d’Arsouf, de Saphet, de Jaffa, qu’il massacrait les populations ou les emmenait en esclavage.

La faiblesse des effectifs au regard des forces de Beibars obligea les Croisés à s’enfermer dans leurs forteresses; mais en dépit des progrès réalisés par la fortification, tours et murs ne pouvaient plus résister aux travaux de sape et aux nouvelles machines de guerre.

Le bois l’emportait sur la pierre. Les Égyptiens s’étaient, en effet, procuré le bois nécessaire pour élever d’immenses tours, du haut desquelles ils dominaient les places et réduisaient les défenseurs à l’impuissance.

Alors que saint Louis mourait inutilement devant Tunis, il ne restait plus aux mains des Francs en Syrie que Tripoli, Sidon et Acre.

Tout se termina, en 1291, par la reddition de cette dernière place. Il avait fallu un siècle d’erreurs accumulées par les grands chefs pour ruiner un travail constructif sans précédent. Il faudra plus longtemps encore pour que l’hostilité cède le pas aux relations commerciales.

La publication de M. Paul Deschamps apporte une documentation en bien des points définitive : grands plans rendus particulièrement lisibles par l’emploi de la couleur, nombreuses photographies terrestres ou aériennes.

Ainsi M. Anus nous donne de Chastel-Pèlerin (Athlit) d’excellents relevés. Les ruines étant depuis des siècles exploitées en carrière, il subsiste peu de vestiges.

Et cependant les chroniqueurs rapportent que les pierres employées étaient si grandes que deux bœufs pouvaient à peine en traîner une seule sur un chariot. Les Croisés utilisèrent, en effet, les ruines antiques.

Dominant à pic de 400 m. la vallée du Litani et la route qui mène de Saïda à Damas, se dresse le Qal’at esh-Shaqîf ou Shaqîf ‘Arnoun, autrement dit le château de Beaufort.

Les historiens arabes assurent qu »Arnoun est un nom d’homme, et l’on a supposé qu’il s’agissait de Renaud de Sagette qui en fut maître. La graphie arabe rend peu vraisemblable cette hypothèse. M. Deschamps retrace en détail l’histoire souvent héroïque de ce château et des seigneurs de Sagette (Saïda) dont il dépendait.

Occupé deux fois par les Francs (1139-1190, puis 1240-1268) et deux fois par les Musulmans, Beaufort a subi des destructions et des remaniements que la présente publication s’efforce de préciser, et qui sont lisibles sur les plans en couleurs de M. Coupel.

Une équipe militaire, sous la direction du chef de bataillon G. Bigeard, a effectué d’importants travaux de déblaiement qui ont permis de retrouver l’entrée de la Basse-Cour et un étage inférieur. La belle porte, dessinée par G. Rey en 1859, de la Grand’salle, qui date du milieu du XIIIe siècle, est actuellement fort mutilée. Voici donc Beaufort qui rentre dans la liste des grandes forteresses, en tête desquelles il faut citer le Crac des Chevaliers, Sahioun, Marqab, Kerak, etc.

Grâce aux prospections de l’aviation, le commandant Bigeard a retrouvé la Cave de Tyron, admirable poste d’observation à l’entrée du territoire de Saïda. Le docteur Berti, du village voisin de Djezzin, s’est associé à cette exploration périlleuse qui a nécessité échelles et cordes pour atteindre les logements creusés dans la paroi du rocher. Le dispositif remonte à l’époque des Croisades, car les parois et le sol sont, taillés avec le tailloir à dents caractéristique de la taille des Croisés.

La petite garnison qui s’abritait dans la Cave de Tyron, disposait d’une abondante adduction d’eau et de réserves de vivres. L’installation n’est pas sans analogie avec la grotte d’el-Habis, sur la rive gauche du Yarmouq, explorée par M. Horsfield.

Ainsi princes francs et princes musulmans vivaient côte à côte, mais en hostilité à peu près constante.

Cependant, les seconds étaient aussi étrangers à la Syrie et à la Palestine que les Croisés eux-mêmes.

De part et d’autre, l’organisation féodale offrait de grandes analogies — bien qu’il n’y eût pas chez les Orientaux de distinction entre chevaliers et bourgeois. De part et d’autre on combattait vaillamment, et il en résultait une mutuelle estime que des actes de générosité ont souvent soulignée.

Mais la foi et toutes les règles religieuses qui en découlent — jusqu’à la nourriture ou au rôle de la femme — élevaient des barrières infranchissables entre les deux populations, qui avaient constamment à la bouche de terribles formules de malédiction. Le musulman était persuadé que son culte était plus pur, que sa civilisation l’emportait sur celle de l’Occident, et de fait, sa littérature offrait une incomparable richesse.

Ousama, esprit ouvert à toutes les curiosités et sujet aux engouements, ne manque jamais de revenir sur l’appréciation flatteuse qui a pu lui échapper. Bien qu’il ait frayé avec les Templiers qui occupaient alors à Jérusalem le Haram esh-Shérif, et se soit plu à rendre visite aux Lieux saints, il est profondément scandalisé quand, devant l’image de Marie tenant l’enfant Jésus, le Templier qui l’accompagne lui dit : « Voici Dieu (Allah) enfant. » Ousama ne bronche pas, mais pense intérieurement : « Puisse Allah s’élever très haut au-dessus de ce que disent les impies ! »

Les deux sociétés restaient imperméables l’une à l’autre; abstraction faite des fellahs, elles ne pouvaient subsister que dans des territoires strictement délimités par la configuration du pays, et hermétiquement clos par des forteresses.

La multiplicité des châteaux francs reflète cette situation dont la précarité apparut nettement le jour où les Musulmans parvinrent à s’unir pour exercer une pression irrésistible.

Si, en théorie, on pouvait concevoir qu’il suffisait aux forces du royaume de Jérusalem de constituer un solide bastion à l’ouest de la grande faille, mer Morte-Jourdain-vallée de l’Oronte (comme on en a eu l’illusion au début de la dernière occupation française), et d’en garder les issues pour vivre en sécurité, les conditions économiques ne permettaient pas une solution aussi simple.

La Palestine ne possède de terrains cultivables d’une certaine étendue que dans la plaine d’Esdrelon entre le Carmel et le Liban, ainsi que le long de la côte Ascalon-Jafïa-Césarée.

Même de nos jours où la culture du sol a été intensifiée, Jérusalem est ravitaillée en grande partie par l’Egypte. (Article écrit en 1941)

De tout temps la TransJordanie et ses belles terres à blé ont fourni le complément indispensable à la population de la Palestine propre.

Cela explique que les Croisés aient occupé la Terre de Suète, à l’est du lac de Tibériade, dès 1105, et en 1115 la Terre oultre le Jourdain.

Aussitôt Baudoin élève le château de Montréal (Shobak) en Idumée.

Comme jadis la Pétra des Nabatéens, cette forteresse, avec le Vau de Moïse, était destinée à contrôler, d’une part, le commerce de la mer Rouge dont l’accès était assuré par les garnisons d’Ailat (‘Aqaba) et l’îlot de Graye, et de l’autre à surveiller le commerce avec l’Egypte.

Albert d’Aix (Hist, des Croisades, iv, p. 703) nous le dit : et non ultra mercatoribus hinc et hinc transitus licentia daretur, nisi ex Regis gratia et licentia.

Toutefois, le centre commercial important de cette région était alors Kérak de Moab. Après l’avoir entourée d’une enceinte, Payen le Bouteiller se décida en 1142 à y élever un château, le Crac ou, par confusion, Petra deserti, qui devint rapidement la plus grande forteresse de la Terre oultre le Jourdain. Dès lors, on conçoit l’étude approfondie que lui consacre M. Deschamps.

« C’est vers 1161 que le fief du seigneur d’outre Jourdain atteint sa plus grande extension; sa suzeraineté s’étend sur les deux rives de la Mer Morte : en cette année, par un acte conclu à Nazareth le 31 juillet, Baudoin III recevait de Philippe de Milly, seigneur de Naples (Naplouse), tous les domaines que celui-ci possédait dans les territoires de Naplouse et de Tyr, et en échange le roi abandonnait à Philippe tout ce que lui-même possédait au delà du Jourdain, Montréal, le Crac, Ahamant, c’est-à-dire * Amman (1), avec leurs appartenances aussi loin qu’elles s’étendaient en longueur et en largeur depuis le Zerqa (c’est-à-dire le Yabbok) jusqu’à la Mer Rouge, ainsi que le château li Vaux de Moïse. Un autre texte nous apprend que le roi donna aussi à Philippe- de Milly, Saint- Abraham, c’est-à-dire Hébron, importante cité de Judée, à 25 km. à l’Ouest de la Mer Morte (a). »

Le dernier seigneur d’outre Jourdain, Renaud de Châtillon, tué en 1187, porte le titre de seigneur de Montréal et d’ Hébron.

Les hauts plateaux de Moab étaient riches en blé, et on y élevait le mouton depuis l’antiquité : le roi Mésa se pare du titre de noqed « pasteur ». La vigne et l’olivier y prospéraient. Les abords de la Mer Morte produisaient un sucre renommé qui s’exportait jusqu’en Chypre; le palmier-dattier y était aussi cultivé; enfin, on y exploitait le bitume et le sel.

La politique de Nour ed-din, atabek d’Alep et de Damas, entrava cette prospérité et, à sa mort, Saladin s’étant assuré le pouvoir en Egypte et en Syrie, tournera ses armes contre Montréal, puis contre Kérak, parce que, disent les chroniqueurs arabes, elles lui barraient la route.

Après Gustave Schlumberger, le savant archéologue retrace la lutte épique de Renaud contre Saladin. Les Francs menaçaient même Médine ; mais cette ambition causa leur perte. « Renaud, remarque M. Deschamps, s’il eût été plus raisonnable et plus habile, aurait pu exploiter à son profit la nécessité qui s’imposait à Saladin de passer par sa Terre pour maintenir la liaison entre ses deux royaumes, celui du Caire et celui de Damas (3). »

Ou mieux encore, il aurait dû se replier sur lui-même et abandonner toute prétention sur la Mer Rouge; surtout il aurait* dû observer les trêves négociées entre Baudoin et Saladin.

Ses folles équipées amenèrent la ruine du royaume de Jérusalem, qui ne pouvait subsister qu’en s’intégrant à l’ordre oriental et en concentrant ses forces qui étaient réelles.

Or, Guy de Lusignan comme Renaud de Châtillon se révoltait contre Baudoin IV. Un peu plus d’un an après le désastre de Hattin (4 juillet 1187), Kérak se rendait après une résistance héroïque. Montréal tomba en 1189.

L’histoire de Kérak se poursuit aux mains des Musulmans, mais aujourd’hui on exploite les ruines en carrière. Du moins les beaux relevés de M. Anus et l’étude approfondie de son chef de mission permettront à la forteresse médiévale de survivre dans la mémoire des hommes.

Alors qu’on supposait qu’il ne subsistait à Kérak aucune trace des constructions franques, nos compatriotes en ont relevé des éléments fort importants.

La différence des matériaux employés a permis, en effet, de distinguer l’œuvre des Francs de celle des Arabes : « Les Francs ont employé une pierre volcanique très dure, rouge foncé et noire, qu’ils ont renoncé à tailler et qu’ils se sont contentés de dégrossir. »


Ces deux tons proviennent de l’oxydation plus ou moins poussée de la surface du basalte : sous l’action de l’air, de l’humidité et du soleil, la teinte gris de fonte passe au rouge puis au noir. Les Musulmans ont employé un calcaire tendre, plutôt gris, facile à tailler.

Depuis une haute époque, le promontoire allongé dans le sens Nord-Sud qui se dresse au confluent de deux wadi et qui porte la ville de Kérak, a été fortifié. On le distingue nettement sur la carte de Madeba.

Les Croisés ont dressé leur citadelle au Sud de la ville, car c’était là, au raccord avec le plateau, qu’était le point faible. Il est établi par les observations de MM. Deschamps et Anus que les Musulmans ont conservé le tracé de la forteresse franque. Le donjon qui, de l’extérieur, présente un front de 25 m., flanqué de deux pans coupés de 17 m. à l’Est et de 11 m. à l’Ouest, est entièrement de construction arabe.

Le logement du seigneur franc et de sa famille se laisse encore reconnaître. Il se composait de salles ouvrant sur une petite cour à ciel ouvert (pi. XV b et XVII a), et de salles souterraines s’éclairant et s’aérant sur la cour supérieure au moyen de grands orifices ronds (pi. XV et XVI), « système choisi évidemment pour se garantir de la chaleur excessive et de l’ardent soleil, en ce château voisin de la Mer Morte ».

A l’autre extrémité du Jourdain, près des sources du fleuve, le château de Soubeibé, à proximité de Banyas, est l’objet d’une monographie qui éclaire les phases de construction.

Quand les Croisés se furent emparés de Tyr en 1124, la forteresse du Toron qui avait servi à contre-battre le célèbre port, alors aux mains des Égyptiens, fut utilisée pour le protéger et pour empêcher les troupes de Damas de faire . des incursions vers Tyr.


Les Francs éprouvèrent cependant le besoin de se donner de l’air, et, en 1129, ils occupèrent Banyas et Soubeibé. En trois ans, ils érigèrent le château de Soubeibé, qu’ils perdirent dès 1132 et ne recouvrèrent qu’en 1140.

Parce que cette forteresse est située sur la frontière, en un point particulièrement sensible et quelque peu en flèche, son histoire se ressent de toutes les fautes commises par les chefs francs. M. Deschamps signale l’erreur de la deuxième croisade qui mena campagne contre Damas, alors que le gouverneur de cette ville, Anar, avait été le fidèle allié du roi Foulques.

La situation devint grave lorsque Nour ed-din, qui régnait à Alep, se fut emparé de Damas (1154). Les attaques contre Banyas se multiplièrent et- le roi de Jérusalem eut grand ‘peine à rétablir la . situation.

Les malheureux projets d’Amaury concernant l’Egypte laissaient le champ libre à Nour ed-din. En 1164, profitant de ce que le royaume de Jérusalem s’était vidé de combattants pour assiéger Bilbeis, l’atabek se rua sur Banyas qui ne put résister. L’émotion fut telle que le roi Amaury en abandonna la campagne d’Egypte, mais il était trop tard; Soubeibé était définitivement perdu.

L’attraction qu’exerçait la vallée du Nil sur les imaginations occidentales, était telle que lors de la cinquième croisade, après la prise de Damiette (1219), les Croisés refusèrent de rendre cette place en échange de Jérusalem et des forteresses du Toron, de Saphet, de Beaufort et de Banyas. Et ce fut le légat du Pape, le cardinal Pélasge, qui fit échouer la transaction !


Le château de Soubeibé dont la superficie, comme celle de Margat, dépasse 3 hectares, couronne un ressaut méridional de l’Hermon. Il était admis que Soubeibé était, en grande partie, de construction franque. Cette impression résultait notamment de la présence de tours rondes sur le front Sud, alternant avec des tours carrées.


Un examen attentif de l’appareil a permis à M. Deschamps de rectifier cette appréciation. Bien d’autres éléments sont de construction musulmane, ce qu’attestent aussi plusieurs inscriptions. Dans les ouvrages musulmans de Soubeibé, « les archères sont munies sur un côté d’une saillie de pierre qui devait être destinée à protéger la main de l’archer ». Les archères franques n’offrent jamais cette particularité, qui a été signalée dans les ouvrages musulmans de Kérak de Moab.

Après avoir exactement décrit les vestiges qui subsistent des forteresses franques en Palestine, M. Deschamps fait le bilan des monuments qui ont entièrement disparu, et qui appartiennent généralement au xine siècle.

« Rien ne nous est parvenu du grand château de Saphet, avec ses sept grandes tours, rien des puissants remparts de Tyr, non plus que ceux de Jaffa que vingt- quatre tours flanquaient, rien non plus du Toron. On aurait du mal à restituer à Saint-Jean d’Acre l’ensemble imposant de ses fortifications et l’emplacement de ses beaux palais comme la maison de l’Ordre de l’Hôpital où, selon Amadi, se trouvait une salle longue de près de 300 m. Rien n’est resté non plus du château de Beyrouth que Wilbrand d’Oldenbourg admirait au début du xine siècle, et dont il décrivait alors la magnifique décoration intérieure, où artistes grecs et syriens avaient travaillé à côté des artisans venus de France ».

On reste confondu par cet imposant déploiement de constructions de toutes sortes, auquelles il ne faut pas oublier de joindre nombre d’églises et de couvents.

C’est là le meilleur de l’œuvre des Croisés qu’une mauvaise politique devait si rapidement ruiner; il est juste qu’elle subsiste en partie et que nos archéologues et architectes s’efforcent d’en perpétuer le souvenir.

René Dussaud
Année 1941


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