Diaspora juive

1933-1939 La Palestine première destination des Juifs fuyant le Reich

Une performance étant donné l’opposition violente des Arabes, les obstacles meurtriers érigés par la Grande Bretagne et les difficultés de la vie de pionnier.

« La Palestine détient une position unique parmi les pays d’immigration juive. Elle est le seul pays vers lequel le Juif arrive avec la sanction internationale, de droit et non de pitié », soulignait le mémorandum de l’Agence Juive à la conférence d’Evian en juillet 1938.[1]

Déjà en 1922 lorsque la Société des Nations confia le mandat de la Palestine aux Anglais, elle parle « du lien historique qui existe entre le peuple juif et la Palestine » et incite les Anglais à favoriser la création d’« une patrie juive.»[2]

La SDN se réfère à la déclaration d’Arthur Balfour, secrétaire d’état aux affaires étrangères, qui préconisait en 1917 la constitution d’un foyer national pour les Juifs en Palestine dans la mesure où les droits des Arabes seraient sauvegardés. L’équivoque ainsi créée attisera une confrontation qui ne demandait qu’à se manifester entre Juifs et Arabes.

Une nation en devenir sur 15.000 kilomètres carrés avec une population de 1.336.000 personnes en 1936.

Malgré ces faiblesses de départ, la Palestine accueillera entre 1933 et 1939 plus de 203.000 Juifs fuyant l’Europe.[3]

Sur le plan économique, l’immigration aurait pu être plus importante. C’est ce que confirme Sir Arthur Wauchope, le Haut-Commissaire pour la Palestine, quand il affirme qu’une suspension de l’immigration ne peut se justifier pour des raisons économiques.

C’est ce qui ressort également du rapport de la commission royale, présidée par Lord Peel, publié en juillet 1937, qui souligne que l’accélération du rythme de l’immigration a créé un véritable boom économique en Palestine.

Et pourtant le livre blanc du gouvernement britannique de mai 1939 fixe un quota qui ne devra pas excéder 10.000 immigrants par an pendant cinq ans, plus 25.000 Juifs qui seront admis dès que le Haut-Commissaire s’estimera convaincu que leurs conditions de survie sont assurées.


Résultat du succès des implantations juives en Palestine entre 1918 et 1939, le nombre de Juifs est passé de 56.000 à 475.000, de 10% de la population à 31%.[4]

Pour les Arabes, c’est déjà bien trop, ce qui provoque des grèves et des émeutes dont l’ampleur s’accentue avec la progression de la colonie juive pour s’achever dans une véritable rébellion en juillet 1937 à la publication du rapport Peel prévoyant la partition de la Palestine.

Pour rétablir le calme, la Grande-Bretagne est obligée d’envoyer deux divisions qui représentent 40% des troupes opérationnelles anglaises.[5] Une situation intenable que la publication du livre blanc réglera, mais qui sera vivement critiquée par les milieux juifs des démocraties. Les organisations juives américaines se disent prêtes à financer l’implantation de 2.800.000 Juifs en Palestine.

Plus modeste, le Congrès Juif Américain propose au Comité Intergouvernemental pour les Réfugiés un projet expérimental d’implantation en Palestine.

Quelques jours après la Nuit de Cristal, l’Agence Juive qui représentait les Juifs en Palestine demanda 100.000 certificats supplémentaires d’immigration, dont les bénéficiaires seraient transportés et financés entièrement aux frais de la diaspora juive.

Dans le contexte politique de l’époque, aucune de ces propositions ne sera prise en considération par le gouvernement de Londres.


Puisque la voie légale est fermée, 1939 sera l’année de l’immigration illégale.

Une union contre nature se fera contre l’interdiction anglaise. Y prennent part les Juifs, d’abord, en créant le Mossad el Aliyad Beth, un groupe organisant l’immigration illégale. Puis la France, l’Italie et la Suisse, qui délivrèrent des sauf-conduits pour de fausses destinations, trop heureuses de se défaire de Juifs en fuite. Enfin des pays d’Amérique latine, qui émirent des passeports, des visas et autres documents de voyage contre paiement.

De leur côté Eichmann et la Gestapo, poursuivant leur politique d’expulsion forcée, facilitèrent les départs de Juifs sans permis d’entrée en Palestine, même si cette politique à court terme entrait en conflit avec celle du Ministère des affaires étrangères allemand.

Celui-ci, dans une circulaire du 1er juin 1937 déjà, précisait à ses ambassades à Londres, Jérusalem et Bagdad « qu’il n’était pas de l’intérêt de l’Allemagne de voir se former un état juif (…) étant donné qu’un tel état n’absorberait pas les Juifs du monde entier mais les doterait d’une nouvelle force (…) quelque chose de comparable à ce que représente l’état du Vatican pour les catholiques ou Moscou pour le Komintern. »[6]

Des passeurs complétèrent le tableau, dépouillant de leur maigre viatique les 10 à 15.000 Juifs qui empruntèrent dans des conditions souvent atroces l’un des 37 bateaux de fortune où ils étaient entassés tels des esclaves.[7]

Des navires de guerre anglais patrouillèrent pour empêcher ces cargos pourris de décharger leurs cargaisons humaines.


Ceux qui passaient à travers les mailles furent internés pour quelques semaines puis libérés par les autorités, faute d’une meilleure solution. Au début, pour tenir compte de ces illégaux, on réduisit d’autant le quota de 10.000 immigrants juifs par an.

Ce n’était pas une solution, car cela revenait à encourager l’immigration clandestine au détriment de l’immigration légale.

La guerre proche vint régler le problème

En octobre 1939, le gouvernement britannique arrêta toute immigration en Palestine, réduisant également l’immigration illégale de façon importante.

Pour des raisons politiques et non économiques, au détriment de dizaines peut-être de centaines de milliers de Juifs désespérés, la Palestine n’a qu’incomplètement pu jouer son rôle de refuge national juif.

Copyright Marc-André Charguéraud. Genève. 2019. Reproduction autorisée sous réserve de mention de la source.


Notes

  • [1] Mémorandum de l’Agence Juive à la conférence d’Evian cité par Shlomo Katz – L’Opinion Publique Occidentale Face à la Conférence Internationale pour les Réfugiés : Evian 1938 – Institut Universitaire des Hautes Etudes Internationales – 1971 . p 12
  • [2] MARRUS Michael, Les Exclus, Les Réfugiés européens au XX siècle, Calmann-Levy, Paris, 1985. p.116
  • [3] Total de l’immigration en Palestine de 1933 à 1939 . Source : Royal Institute of International Affairs – Great Britain and Palestine 1915-1945- – Londres p.63. Cité par SHERMAN Ari Joshua, Island of Refuge, Britain and the Refugees from the Third Reich, 1933-1939, Paul Elek, London , 1973.
  • 272 . S’ajoutent à ce chiffre environ 16.000 entrées illégales. PROUDFOOT Malcolm J. European Refugees 1939-1952 : A Study of Forced Population Movements, London, 1957. p. 28.
    [4] WASSERSTEIN Bernard, Britain and the Jews of Europe , 1939-1945, Université de Brandeis, Oxford, 1979. p.2
  • [5] IBID. p 13
  • [6] Télégramme de Constantin Neurath, ministre des affaire étrangères aux ambassades d’Allemagne à Londres, Jérusalem et Bagdad en date du 1er juin 1937 cité par ELISSAR, Eliahu Ben, Le facteur juif dans la Politique Etrangère du IIIème Reich, 1933-1939, Julliard, Paris 1969. p. 194.
  • [7] Ari Joshua Sherman, op. cit. p.236 et 237.

 



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